II. UN COÛT TRÈS ÉLEVÉ POUR LES DÉPENSES PUBLIQUES
A. PLUS DE 1,3 MILLIARD D'EUROS DE DÉPENSES D'AIDE MÉDICALE DE L'ÉTAT
1. Un coût en hausse de près de 68 % en 10 ans
Pour l'année 2024, en incluant l'ensemble des dépenses d'AME, le coût total réel de l'AME est de 1 386,8 millions d'euros, soit une hausse de 15,5 % des dépenses par rapport à 2023, et de 64,3 % des dépenses par rapport à 2014, représentant une augmentation de 543 millions d'euros en 10 ans. Les dépenses d'AME de droit commun s'élèvent à 1,255 milliard d'euros. Une telle hausse des dépenses n'est pas acceptable et appelle à des mesures de maitrise des coûts.
Évolution des dépenses réelles d'AME entre 2012 et 2024
(en millions d'euros constants 2025)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
2. Une budgétisation insincère ces dernières années
Les dépenses d'AME sont toutefois plus élevées que celles qu'affiche le budget de l'État. D'une part, l'État ne prend en charge qu'une partie de l'AME pour soins urgents, à hauteur d'une dotation de 70 millions d'euros en 2024 par exemple, le reste du coût de l'AME pour soins urgents (61,8 millions d'euros en 2024) étant pris en charge par l'Assurance maladie.
Par ailleurs, malgré la formulation très explicite de l'article L. 253-2 du code de l'action sociale et des familles, les dépenses de l'aide médicale de l'État de droit commun n'ont pas toujours été prises en charge intégralement par l'État. Or l'AME est une dépense de guichet. Les remboursements versés aux bénéficiaires de l'AME sont ainsi effectués quel que soit le niveau de crédits budgétaires provisionnés par le gouvernement, qui doit rembourser la Sécurité sociale des frais qu'elle a avancés aux professionnels médicaux. Si l'État ne programme pas suffisamment de crédits budgétaires pour financer l'intégralité des dépenses d'AME de droit commun, alors une dette à l'égard de la Sécurité sociale est créée.
Or, en particulier en 2024, comme le relève également la Cour des comptes20(*), le décret d'annulation du 21 février 202421(*) a supprimé près de 50 millions d'euros de crédits au titre de l'aide médicale de l'État (AME), alors que la direction de la sécurité sociale avait déjà indiqué qu'elle prévoyait une dépense d'AME supérieure à celle qui a été budgétée en loi de finances initiale pour 2024.
En conséquence, les crédits ouverts en 2024 au titre de l'AME sont largement inférieurs aux dépenses effectives à la charge de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). L'État a ainsi contracté une dette à l'égard de la CNAM, d'un montant total de 185,1 millions d'euros en 2024. L'ampleur de la dette de l'État à l'égard de la CNAM au titre des dépenses d'AME est inédite en 2024 : le montant maximal de dette était auparavant de 50 millions d'euros.
Montant annuel et cumulé de dette de
l'État vis-à-vis de la CNAM
au titre de l'aide médicale
de l'État
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Une telle situation n'est pas acceptable : une budgétisation sincère et fiable des dépenses réelles d'aide médicale de l'État est absolument indispensable.
Le rapporteur spécial considère qu'il est particulièrement dommageable de prévoir des baisses de crédits, comme cela a été fait en 2024 via le décret d'annulation précité, sans y associer de réforme structurelle de l'AME, nécessaire pour maitriser le niveau réel des dépenses.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que sur les 167,8 millions d'euros non financés par l'État de dépenses d'aide médicale de l'État en 2024, seuls 50 millions d'euros sont liés à une annulation par voie décrétale. Ainsi, près de 117,8 millions d'euros ont été dépensés sans avoir été budgétés, en raison d'une erreur de prévision. Il serait souhaitable qu'une amélioration de la méthodologie de prévision soit mise en oeuvre, afin d'éviter de telles erreurs à l'avenir. La Cour des comptes22(*) recommande ainsi de « revoir la méthode de prévision des dépenses d'AME dans un but de transparence budgétaire et afin de faciliter le pilotage des crédits », recommandation à laquelle le rapporteur spécial s'associe. En effet, les dépenses d'AME semblent mal suivies : seul un relevé trimestriel des dépenses et du nombre de bénéficiaires est disponible à ce stade, et ce avec plus de 4 mois de retard, au mieux. Un suivi plus régulier parait absolument nécessaire, en vue de fiabiliser la programmation budgétaire, alors que la direction de la sécurité sociale rencontre des difficultés dans ses prévisions.
La direction de la sécurité sociale a d'ailleurs mis en oeuvre une nouvelle méthode de calcul fondée sur une périodicité mensuelle des dépenses d'AME. Il sera intéressant de vérifier si cette méthode fait ses preuves et permet d'éviter de trop grandes erreurs de prévisions. Il serait souhaitable que les données mensuelles soient remontées et puissent être produites à la demande du Parlement.
Recommandation n° 3 : actualiser chaque mois les remontées de dépenses et de bénéficiaires de l'aide médicale de l'État afin d'améliorer la prévision (DSS, CNAM).
Ainsi, au total, les dépenses d'AME dans le budget de l'État s'élèvent à 1,159 milliard d'euros en 2024 et ont augmenté de 40 % en 10 ans. Les dépenses d'AME de droit commun en particulier se sont élevées à 1,088 milliard d'euros en 2024, contre 723 millions d'euros en 2014, dix ans plus tôt, soit une hausse de 50,1 % en 10 ans. En 2025, la loi de finances initiale a maintenu le niveau des crédits au niveau de 2024 en commission mixte paritaire.
La dotation versée par l'État à la CNAM au titre des soins urgents s'élève à 70 millions d'euros depuis 2020.
Enfin, le coût de l'AME pour les personnes en garde à vue et de l'AME humanitaire s'élève à 1 million d'euros chaque année, et est pris en charge intégralement par l'État.
Évolution des dépenses d'AME entre 2012 et 2024 dans le budget de l'État
(en millions d'euros)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Même en tenant compte de l'inflation, la hausse des dépenses d'AME a été de 17,4 % entre 2014 et 2024, et de 7,1 % entre 2022 et 2024.
Évolution des dépenses d'AME entre 2012 et 2024 dans le budget de l'État, retraitées de l'inflation
(en millions d'euros constants 2025)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
3. Un coût des dépenses de santé des étrangers sous-estimé
Les dépenses de santé liées aux étrangers présents sur le sol français ne se réduisent de plus pas à l'aide médicale de l'État, comme évoqué infra.
Ainsi, les demandeurs d'asile sont pris en charge par la PUMa. Au total, 153 715 demandes d'asile ont été enregistrées en 2024, représentant un tiers du nombre de bénéficiaires de l'AME en 2024. Le rapport IGAS-IGF de 2019 précité avait estimé le coût de la protection maladie des demandeurs d'asile à 200 millions d'euros en 2018, sachant que 109 783 demandes d'asile avaient été déposées. La mission précisait elle-même que le calcul était très rudimentaire. En rapportant cette dépense au nombre de demandes d'asile déposées en 2024 et en multipliant le résultat obtenu par l'inflation cumulée entre 2018 et 2025, il est possible d'évaluer le coût de la protection maladie des demandeurs d'asile à 327,6 millions d'euros. Ce résultat est toutefois à considérer avec une grande précaution.
Par ailleurs, près de 20 600 personnes sont présentes régulièrement en France en 2022 grâce à un titre de séjour pour soins. Il est très difficile de chiffrer ce coût, puisqu'il est inclus dans les dépenses de la PUMa. Le montant moyen des dépenses d'un bénéficiaire de l'AME est de 2 396 euros en 2023. Ainsi, il est possible d'estimer le coût des titres de séjour pour soins pour la sécurité sociale à 50 millions d'euros, sachant qu'il est probable que le coût soit en réalité plus élevé, puisque les personnes concernées ont en général des pathologies lourdes. Ainsi, en 2023, 25,9 % des personnes ont émis une demande en raison d'une maladie infectieuse ou parasitaire (VIH etc.).
Enfin, le système de santé français n'est pas toujours indemnisé des soins comme il le devrait pour certains étrangers présents régulièrement sur le sol français. En excluant les prestations fournies au titre de l'AME ou des soins urgents qui par nature sont recouvrées par les établissements, les soins effectués en France pour des personnes étrangères non-résidentes et non-assurées auprès d'un régime français de sécurité sociale peuvent être classés en dettes publiques ou en dettes privées.
Les dettes publiques concernent les assurés de l'Union européenne, de l'espace économique européen ou de la Suisse qui sont couverts par les règlements européens de coordination des systèmes de sécurité sociale et qui peuvent recevoir des soins inopinés ou programmés, avec autorisation préalable, en France. Le même mécanisme s'applique pour les personnes couvertes par une convention bilatérale de sécurité sociale, pour autant que cette dernière prévoie la prise en charge des soins contre remboursement par le régime d'origine. Ces créances sont - au même titre que les dettes françaises d'assurance maladie - traitées par la CNAM via le Centre national des Soins à l'Étrangers (CNSE). Environ 800 millions d'euros sont remboursés annuellement à la France à ce titre. Les dettes dites « publiques » sont donc solvabilisées.
Les dettes privées ou créances hospitalières, correspondent quant à elles aux dettes laissées, en dehors de tout cadre conventionnel, dans les établissements de santé français par les personnes qui ne résident pas en France et ne sont pas affiliées à la sécurité sociale française ou à un régime coordonné. Ces personnes, si elles sont entrées régulièrement en France, bénéficient normalement d'une assurance santé.
Les comptes financiers des établissements renseignent les dettes laissées par des patients non-résidents. Toutefois, ces montants ne sont pas disponibles automatiquement et de façon détaillée par pays d'origine. Il est néanmoins possible d'évaluer le montant annuel moyen de ces créances à 159 millions d'euros entre 2016 et 2021. En 2023, un montant de créances de 141 millions d'euros a été constaté dans les comptes financiers de 560 établissements de santé. Or 24 établissements concentrent 91 % de ces créances impayées : l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (90,1 millions d'euros), le Centre hospitalo-universitaire (CHU) de Bordeaux (6,5 millions d'euros), le centre hospitalier Robert Ballanger d'Aulnay-sous-Bois (4,2 M€), le CHU de Nantes (4,1 millions d'euros) et l'Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (3,9 millions d'euros).
Ainsi, le coût de prise en charge sanitaire des étrangers présents sur le sol français dépasse largement le cadre de la seule AME. Il serait souhaitable de disposer d'une information centralisée et fiable quant à l'ampleur véritable des dépenses, afin d'améliorer significativement l'information tant du Parlement que des citoyens à ce sujet.
* 20 Note d'exécution budgétaire, mission « Santé » du budget général de l'État, avril 2024.
* 21 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
* 22 Note d'exécution budgétaire, mission « Santé » du budget général de l'État, avril 2024.