C. UN SYSTÈME FRANÇAIS GÉNÉREUX PAR RAPPORT AUX AUTRES PAYS EUROPÉENS
La totalité des pays européens étudiés prend en charge les soins urgents, c'est-à-dire indispensables à la survie du patient, dont bénéficient les étrangers en situation irrégulière.
Seuls le Danemark et la Suède ne prennent pas en charge intégralement le traitement des maladies infectieuses, la prévention et les frais liés à la grossesse. La plupart des pays (Allemagne, Royaume-Uni, Suède, Italie) limitent toutefois davantage le panier de soins remboursé pour les étrangers en situation irrégulière que pour les assurés sociaux.
Certains pays, comme l'Espagne ou encore la Belgique, font bénéficier les étrangers en situation irrégulière de pratiquement l'ensemble des soins dont bénéficient les assurés sociaux.
1. Une prise en charge limitée aux soins hospitaliers urgents au Danemark et en Suisse
Au Danemark, si l'État fédéral définit des orientations en matière de santé, ce sont les régions qui ont la compétence de réguler les hôpitaux et la médecine de ville. Les soins urgents (accident, maladie subite, aggravation d'une maladie chronique) sont pris en charge gratuitement au Danemark y compris pour les étrangers en situation irrégulière.
Les soins hospitaliers non urgents sont également pris en charge lorsqu'il n'est pas jugé raisonnable de diriger la personne vers un traitement dans son pays d'origine. Les cas pris en charge dépendent des établissements de santé et des autorités sanitaires locales (régions). Une participation financière peut également être demandée au cas par cas.
En particulier, les soins liés aux grossesses sont susceptibles de faire l'objet de participations financières, tout comme les vaccinations. Le Danemark constitue en ce sens une exception : dans la plupart des pays européens étudiés, les soins liés à la grossesse ou à la vaccination sont pris en charge intégralement.
L'urgence des situations est appréciée au cas par cas par les hôpitaux.
En Suisse, conformément à l'article 12 de la Confédération fédérale, toute personne en situation de détresse peut obtenir de l'aide sur les soins médicaux indispensables à sa survie. Chaque canton définit la liste des soins couverts dans ce cadre.
2. Certains pays (Allemagne, Royaume-Uni, Suède, Italie) permettent l'accès à un panier de soins élargi notamment aux actions de prévention, et à la prise en charge de la grossesse mais plus limité que celui des assurés sociaux
En Allemagne, une loi fédérale établit un plancher de soins qui doivent être pris en charge. Ensuite, chaque Länd définit soit une règlementation s'appliquant à l'ensemble des communes, soit une règlementation cadre mise en oeuvre par les communes le souhaitant.
Selon la loi, le panier de soins inclut :
- Les urgences ;
- Les soins médicaux et dentaires nécessaires pour le traitement des maladies et douleurs aigues. L'appréciation des douleurs aigues est toutefois variable selon les Länder et peut être laissée à l'appréciation du soignant, ce qui pose des difficultés ;
- Le suivi des grossesses et l'accompagnement post-grossesse ;
- Un schéma vaccinal complet.
La recommandation-cadre de l'union fédérale des caisses d'assurance maladie et des congrès allemands des villes, qui est appliquée dans un grand nombre de Lander, limite pour le traitement des maladies chroniques la couverture aux soins indispensables pour prévenir une aggravation de la maladie. Elle exclut :
- la prévention ;
- les aides ménagères ;
- l'insémination artificielle ;
- la stérilisation ;
- les programmes de soins programmés pour les maladies chroniques ;
- les soins à l'étranger ;
- les prestations monétaires.
Sont soumis à autorisation préalable :
- les traitements hospitaliers non urgents ;
- la rééducation physique ;
- la psychothérapie ;
- les soins à domicile ;
- certains dispositifs médicaux (chaises roulantes) ;
- certains traitements dentaires (orthodontie).
Ce régime s'applique aux demandeurs d'asile et aux étrangers sans titre de séjour régulier, les 18 premiers mois de résidence sur le territoire. À noter, concernant la prise en charge sanitaire des demandeurs d'asile (relevant de la PUMA en France), la prise en charge des soins supérieurs à 250 euros peut impliquer une autorisation écrite.
Le panier de soins pris en charge par l'Allemagne pour les étrangers en situation irrégulière est donc moins large que celui appliqué en France.
Au Royaume-Uni, les pouvoirs publics ont introduit des dispositifs pour limiter le recours aux soins de santé. En particulier, les hôpitaux ont l'obligation de déterminer si un patient doit être facturé des soins qu'il reçoit : certains établissements sont dotés d'agents dédiés aux patients étrangers à ce titre.
Les soins délivrés par la médecine de ville sont gratuits. Concernant l'hôpital, certains actes sont de toute façon gratuits :
- le diagnostic et le traitement des maladies infectieuses mentionnées dans une liste ;
- le traitement des maladies sexuellement transmissibles ;
- les actes relevant du planning familial (sauf l'IVG) ;
- les soins requis pour une pathologie physique et mentale résultant d'un acte de torture, de mutilations sexuelles féminines ou de violences conjugales et sexuelles ;
- les actes urgents pour la survie du patient - mais dans ce cas les soins délivrés ultérieurement sont facturés.
Ces soins deviennent d'ailleurs onéreux s'il est établi que la personne est venue au Royaume-Uni pour les recevoir.
Pour les autres soins, les étrangers en situation irrégulière doivent s'acquitter par avance du coût de leur prise en charge, cadre qui s'applique également aux étrangers présents régulièrement sur le sol britannique. S'ils ne peuvent pas payer, ils doivent avoir un garant. Toutefois, le recouvrement des créances dues par les étrangers est notoirement difficile (y compris pour les créances dues par des étrangers présents régulièrement sur le sol) - surtout quand les personnes n'ont pas de papier d'identité.
En Suède, une loi fixe le cadre de prise en charge des soins de santé pour les étrangers en situation irrégulière. Certains soins sont pris en charge gratuitement :
- les soins « urgents » ;
- les soins généraux et dentaires « qui ne peuvent attendre » - mais cette notion n'a aucune définition claire ;
- les soins de suivi de grossesse, de maternité, de contraception et d'avortement ;
- le traitement des maladies infectieuses ou sexuellement transmissibles (VIH, hépatite A, B et C etc.) ;
- les soins dentaires ;
- les médicaments (sauf le reste à charge, identique à celui des citoyens résidants).
Les mineurs en situation irrégulière ont accès à l'ensemble des soins de manière gratuite. Les régions disposent par ailleurs d'une certaine autonomie : ainsi les trois-quarts d'entre elles considèrent par exemple que les étrangers ressortissants de l'UE ne relèvent pas de cette loi et doivent bénéficier des soins dans les mêmes conditions que les Suédois.
En Italie, le cadre réglementaire est défini par l'État, même si les régions disposent d'une certaine autonomie, et ont tendance à restreindre l'accès aux soins des étrangers en situation irrégulière.
Les soins pris en charge pour les étrangers en situation irrégulière sont en principe limités aux « soins ambulatoires et hospitaliers urgents et, en tout cas, indispensables, même s'ils sont continus, en cas de maladie ou d'accident, et aux programmes de médecine préventive étendus pour sauvegarder la santé individuelle et collective ». Toutefois, la définition des soins dits « urgents » serait en général l'objet d'une interprétation « large » des professionnels de santé.
En pratique, une circulaire définit les soins urgents comme ceux « ne pouvant être reportés sans mettre en danger la vie de la personne ou nuire à sa santé ». Les soins « essentiels » sont ceux qui pourraient « entrainer des dommages plus importants pour la santé ou un risque pour la vie ». Les soins de santé suivants sont garantis :
- les soins liés à la grossesse et à la maternité ;
- la protection de la santé des mineurs ;
- les vaccinations ;
- la prophylaxie, le diagnostic et le traitement des maladies infectieuses.
3. Certains pays (Espagne, Belgique) ont fait le choix d'un large panier de soins
En 2012, l'Espagne avait drastiquement réduit la prise en charge des soins aux personnes en situation irrégulière aux soins urgents, à la maternité et aux mineurs de moins de 18 ans. Toutefois, ce cadre a été revu en 2018, pour décharger les urgences hospitalières. Les étrangers en situation irrégulière peuvent bénéficier des soins gratuits dans les mêmes conditions que les citoyens espagnols. Ils doivent toutefois s'acquitter de 40 % du prix des médicaments, ne bénéficiant pas d'une réduction de ce ticket modérateur.
En Belgique, l'aide médicale d'urgence est définie au niveau fédéral en Belgique et est mise en oeuvre et gérée localement par les centres publics d'action sociale (CPAS). Les CPAS disposent de l'autonomie de décision pour définir l'étendue de la prise en charge. Sont pris en charge tous les soins jugés « nécessaires » par un médecin établissant un certificat médical. Il n'existe pas de définition préalable des soins nécessaires, qui peuvent donc recouvrir en théorie tous les soins concernés.