B. REDÉFINIR LES DROITS OUVERTS AU TITRE DE L'AIDE MÉDICALE DE L'ÉTAT

1. Revoir les conditions d'accès à l'aide médicale de l'État

Comme mentionné supra, pour bénéficier de l'AME, conformément à l'article L. 251-1 du code de l'action sociale et des familles, seules les ressources du bénéficiaire de l'AME sont prises en compte dans les critères d'accès. Pourtant, il paraitrait plus pertinent de comprendre également les ressources du conjoint ou de la personne cohabitant, d'autant que celle-ci bénéficie automatiquement de la protection de santé comme ayant-droit. En conséquence, tout comme MM. Evin et Stefanini dans le rapport précité, le rapporteur spécial souhaite recommander la prise en compte des ressources de tous les membres du foyer fiscal du bénéficiaire pour déterminer l'éligibilité à l'AME de droit commun.

Dans ce cas, il pourrait être envisagé de rehausser le plafond de ressources pour accéder à l'AME, qui s'élève à 862 euros mensuels. À noter toutefois, qu'il s'agit du même plafond que celui utilisé pour déterminer l'accès à la complémentaire santé solidaire.

Par ailleurs, le rapporteur spécial estime qu'il n'est pas justifié d'intégrer dans les ayant-droits les enfants majeurs à charge du couple. Ces derniers peuvent demander l'accès à un système de protection sociale de leur côté, notamment l'AME s'ils sont en situation irrégulière. Il parait plus légitime et cohérent de limiter les ayant-droits des bénéficiaires de l'AME aux enfants mineurs, au conjoint et à une personne résidant dans leur domicile.

Recommandation n° 5 : limiter le bénéfice de l'aide médicale de l'État aux enfants mineurs à charge du bénéficiaire et prendre en compte les revenus du conjoint lors de la définition du plafond de ressources pris en compte pour le calcul de l'aide (DSS).

Par ailleurs, il est à noter que le bénéfice de l'AME est accordé quel que soit le motif de l'irrégularité du séjour de la personne concernée. Or certaines personnes se trouvent en situation irrégulière à la suite d'un retrait de titre de séjour, d'un non renouvellement ou d'un refus du titre parce qu'ils représentent une menace à l'ordre public. Dans les cas les plus extrêmes, une décision d'expulsion peut être prise.

En 2024, 1 562 décisions de retrait de titres, 1 904 refus de délivrer un premier titre de séjour, 2 386 décisions de non renouvellement de titre de séjour ont été pris pour un motif d'ordre public. Ce sont donc potentiellement 5 852 personnes en 2024, qui sont éligibles à l'aide médicale de l'État, alors qu'elles sont jugées constituer une menace pour l'ordre public. Une telle situation ne parait pas acceptable : il serait important que les personnes concernées par un refus de titre de séjour pour motif d'ordre public ne puissent être éligibles à l'AME de droit commun.

De plus, l'identité des personnes concernées est documentée par le ministère de l'Intérieur. Il serait donc possible pour les CPAM d'avoir accès à un fichier recensant l'identité des personnes concernées par un refus de titre de séjour pour ordre public.

Nombre de décisions de refus de titre de séjour pour motif d'ordre public
entre 2022 et 2024

 

2022

2023

2024

Décisions de retraits de titres pour un motif d'ordre public 

1515

1061

1562

Décisions de refus de délivrer un premier titre de séjour pour un motif d'ordre public 

1677

1666

1904

Décisions de refus de renouveler le droit au séjour pour un motif d'ordre public 

1822

1822

2386

Décisions d'expulsions

100

87

692

Total

5114

4636

6544

Source : commission des finances d'après la direction générale des étrangers de France (DGEF)

Recommandation n° 6 : exclure du bénéfice de l'AME les personnes à qui un titre de séjour n'a pas été accordé ou a été retiré pour un motif d'ordre public (DSS).

À noter, toutefois, que ces personnes demeureraient éligibles à la prise en charge au titre de l'AME pour soins urgents.

2. Revoir les soins pris en charge au titre de l'aide médicale de l'État

Comme mentionné supra, conformément à l'article L 251-2 du code de l'action sociale et des familles, la prise en charge des frais correspondant à des prestations dites « non urgentes », définies à l'article R. 251-3 du code précité, est subordonnée à un délai d'ancienneté de neuf mois d'admission à l'AME, sauf lorsque l'absence de réalisation de ces prestations est susceptible d'avoir des conséquences vitales ou graves et durables sur l'état de santé de la personne. Hors ce dernier cas, les frais peuvent être pris en charge avant le délai d'ancienneté de neuf mois uniquement sur accord préalable des caisses primaires d'assurance maladie. Cette disposition a été introduite par l'article 264 de la loi33(*) de finances initiale pour 2020.

De 2021 à 2024, seulement 32 demandes d'accord préalable ont été émises. Sur ce total, 23 demandes ont été considérées comme infondées en raison d'une ancienneté à l'AME supérieure à neuf mois ou parce qu'il s'agissait d'une prestation dont la prise en charge n'est pas soumise à cette procédure. Parmi les 9 demandes d'accord préalable qui ont in fine été instruites par le service médical, seule une demande a fait l'objet d'un accord de prise en charge.

La demande de prise en charge dérogatoire est réalisée sur un formulaire spécifique rempli par le prescripteur qui l'envoie par voie dématérialisée au service médical, via une messagerie sécurisée.

L'avis du service médical est transmis au professionnel de santé par le même canal de messagerie sécurisée, qui le tient à disposition du bénéficiaire. L'absence de réponse du service médical dans les 15 jours à compter de la réception de la demande complète vaut accord de prise en charge. L'avis défavorable du service médical vaut refus de prise en charge.

Le rapporteur spécial estime étonnant que cette obligation ne concerne que les personnes bénéficiaires de l'AME depuis moins de neuf mois et n'y voit aucune justification médicale. Il propose d'appliquer ce dispositif à tous les bénéficiaires d'AME, quelle que soit leur ancienneté. Une telle réforme impliquerait la modification de l'article L 251-2 du code précité.

Le rapport34(*) remis par Claude Evin et Patrick Stefanini à la Première Ministre Élisabeth Borne en décembre 2023 recommandait également d'étendre ce régime de l'accord préalable à l'ensemble des bénéficiaires de l'AME. Cette réforme a d'ailleurs été adoptée par amendement au Sénat lors du vote du projet de loi de finances pour 2025. Elle n'a toutefois pas été conservée lors du vote de la commission mixte paritaire, ce qui est fortement regrettable.

Recommandation n° 7 : étendre le recours à l'accord préalable avant de bénéficier de soins « non urgents » à l'ensemble des bénéficiaires de l'AME (DSS, CNAM).

Une redéfinition du panier de soins pris en charge de droit, de celui qui relève d'un accord des caisses primaires d'assurance maladie et des soins non pris en charge est également nécessaire en vue d'une maitrise des dépenses d'AME. Comme démontré supra, le système français est significativement plus généreux que les dispositifs danois et suisses, les plus austères des pays étudiés. Même par comparaison avec l'Allemagne, le Royaume-Uni ou encore l'Italie, le système de prise en charge des frais de santé des étrangers en situation irrégulière parait encore relativement large en France.

Le Sénat a ainsi constamment recommandé ces dernières années une révision du panier de soins pris en charge par l'AME, qui se limiterait au traitement des maladies graves et des soins urgents, aux soins liés à la grossesse et ses suites, aux vaccinations réglementaires et aux examens de médecine préventive, notamment lors du vote du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration35(*).

De telles propositions rejoignent les recommandations du rapport Evin-Stefanini d'examiner l'élargissement de la liste d'actes donnant lieu à une demande d'accord préalable de l'Assurance maladie, en faisant référence aux actes de masso-kinésithérapie, à l'appareillage auditif et optique, à la pose de prothèses dentaires, à l'hospitalisation à domicile ou aux soins médicaux et de réadaptation.

Le rapporteur spécial recommande ainsi de se rapprocher du système mis en oeuvre en Allemagne, qui parait représenter une forme de voie « médiane » entre les systèmes danois et suisse et le système espagnol, relativement étendu.

En Allemagne, par rapport à la France, sont notamment exclus totalement du panier de soins pris en charge les programmes de soins programmés pour les maladies chroniques, sauf si leur non réalisation entrainerait une aggravation critique de l'état de santé de la personne.

Sont soumis à autorisation préalable de la caisse primaire d'assurance maladie :

- les traitements hospitaliers non urgents ;

- la rééducation physique ;

- la psychothérapie ;

- les soins à domicile ;

- certains dispositifs médicaux (chaises roulantes) ;

- certains traitements dentaires (orthodontie).

Il est assez difficile d'évaluer l'ampleur des économies représentées. Actuellement, l'ensemble des prestations définies à l'article R. 251-3 du code précité soumises à accord préalable de la CPAM pour les bénéficiaires de l'AME depuis moins de 9 mois représente un coût très limité de 6,7 millions d'euros en 2024.

Toutefois, les traitements hospitaliers non urgents et surtout les programmes de soins programmés constituent des gisements d'économies sans doute relativement importants, puisqu'il peut s'agir de traitements répétés au coût élevé. Ainsi, pour rappel, le coût des séances36(*) des bénéficiaires de l'AME à l'hôpital public représentent en 2023 un coût de 27 millions d'euros. Les soins de suite et de réadaptation, les hospitalisations à domicile, la psychiatrie et les dépenses des cliniques privées, représentent 338 millions d'euros, alors qu'une large partie de ces prestations pourraient faire partie des soins « non urgents » nécessitant un accord préalable de l'assurance maladie.

La réforme du panier de soins constitue une source majeure d'économies pour les dépenses d'AME. Elle doit être réalisée par voie réglementaire, le panier de soins pris en charge étant défini aux articles R. 251-1 et R. 251-3 du code de l'action sociale et des familles. Il est urgent et important que ces mesures soient prises par le gouvernement, en vue d'une meilleure maitrise de la dépense publique.

Recommandation n° 8 : limiter le panier de soins pris en charge, sur le modèle de la recommandation cadre de l'Allemagne, en excluant notamment les programmes de soins programmés pour les maladies chroniques, et en soumettant à autorisation préalable les traitements hospitaliers non urgents, la rééducation physique ou encore la psychothérapie (DSS, CNAM).

Toutefois, contrairement au dispositif allemand, il serait préférable de conserver dans le panier de soins pris en charge par l'AME les dépenses de prévention, qui permettent à la fois de préserver la santé des bénéficiaires de l'AME et de l'ensemble de la population, et qui de plus sont sources de moindres dépenses en évitant une prise en charge trop tardive de l'état de santé d'un patient.

Il peut s'agir de dépister des pathologies de tout type à un stade précoce, de suivre une grossesse, de stabiliser une pathologie chronique, de fournir un traitement pharmaceutique primaire, ou encore d'assurer un rattrapage vaccinal ; tous ces modes de prévention étant moins onéreux que des prises en charges médicales ou chirurgicales techniques à un stade avancé. L'accès à la prévention permis par l'AME pourrait néanmoins être renforcé.

Dans certains cas, les bénéficiaires de l'AME sont exclus de la rédaction des articles législatifs et règlementaires ayant trait à la prévention qui ne mentionnent que les assurés sociaux, dont ils ne font pas partie. L'article L 1411-6-2 du code la santé publique prévoit ainsi l'organisation de bilans de prévention gratuits à certains âges pour les « assurés sociaux ». L'arrêté du 16 janvier 2024 relatif aux dépistages organisés des cancers37(*) mentionne de la même façon les « assurés sociaux ».

Il est souhaitable que les bénéficiaires de l'AME soient plus fréquemment la cible de campagnes de prévention qui pourraient leur être dédiées. Ils sont par exemple susceptibles d'être porteurs de maladies infectieuses, comme le VIH ou l'hépatite C.

Dans la mesure où les bénéficiaires de l'AME doivent se présenter pour obtenir et récupérer leur carte AME, ce pourrait être un moment adapté pour mettre en oeuvre des actes de prévention ou pour proposer des vaccinations par le médecin de la CPAM, par exemple.

Recommandation n° 9 : mettre en oeuvre des campagnes de prévention spécifiques à destination des bénéficiaires de l'AME dans les CPAM, en particulier lors de la délivrance de la carte de bénéficiaire de l'aide (DSS, CNAM).


* 33 Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 34 Rapport sur l'aide médicale de l'État, Claude Evin et Patrick Stefanini, décembre 2023.

* 35 Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.

* 36 Une séance est une venue dans un établissement de santé réalisée au cours d'une journée, pour un motif thérapeutique impliquant une venue fréquente (dialyse, chimiothérapie, transfusion sanguine, oxygénothérapie hyperbare, aphérèse sanguine).

* 37 Arrêté du 16 janvier 2024 relatif aux programmes de dépistages organisés des cancers.

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