B. DES PERTES D'EFFECTIFS INSUFFISAMMENT COMPENSÉES PAR UN REPYRAMIDAGE DES COMPÉTENCES AINSI QUE PAR DES FORMATIONS ET LE DÉPLOIEMENT D'OUTILS APPROPRIÉS

1. Un repyramidage des catégories timoré et insuffisant au regard de la complexification du contrôle
a) L'objectif de repyramidage des catégories porté par le plan « Préfectures nouvelle génération » a finalement été atteint

Le plan « Préfectures nouvelle génération » (PPNG), lancé en juin 2015, entendait opérer un repyramidage des compétences des personnels des préfectures. Au 1er décembre 2015, le pyramidage se décomposait ainsi de 17,5 % d'agents de catégorie A, 29,53 % d'agents de catégorie B et 52,90 % d'agents de catégorie C. L'objectif était de modifier la répartition des effectifs des différentes catégories, à horizon 2020, de la manière suivante : 23 % d'agents de catégorie A, 35 % d'agents de catégorie B et 42 % d'agents de catégorie C.

Dans son rapport de 202244(*), la Cour des comptes relevait « une répartition des grades quasi-inchangée en sept ans » du fait d'un repyramidage très partiel des effectifs combiné à leur baisse drastique dans les services en charge du contrôle de légalité et du contrôle budgétaire. En effet, en 2021, les objectifs du plan PPNG n'étaient pas encore atteints dès lors que la part des agents de catégorie A ne représentaient que 20 % des effectifs.

La rapporteure spéciale constate que pour l'année 2024, le repyramidage tel qu'affiché par le plan PPNG a finalement été atteint, soit quatre ans après l'année cible initiale.

En 2024, au niveau national, les services dédiés au contrôle de légalité sont composés de 200 agents de catégorie A (23 %), 477 agents de catégorie B (55 %) et 191 agents de catégorie C (22 %). S'agissant des services en charge du contrôle budgétaire, ils comportent quant à eux 59 agents de catégorie A (24 %), 133 agents de catégorie B (53 %) et 58 agents de catégorie C (23 %).

Évolution des effectifs par catégories entre 2016 et 2024
pour le contrôle de légalité

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de la DGCL

Cette trajectoire nationale est toutefois à appréhender à l'aune de la réduction des effectifs déjà mentionnée et peut masquer des réalités locales parfois divergentes. À titre d'exemple, les départements de l'Aude et du Lot ne comptent respectivement que 3,6 % et 6 % de catégorie A parmi leurs agents en charge du contrôle de légalité.

b) La complexification des normes applicables requiert une politique plus ambitieuse de repyramidage des compétences pour ces services

Si le repyramidage annoncé par le plan PPNG a été facialement atteint dans les services en charge des contrôles de légalité et budgétaires, force est de constater qu'il n'est plus adapté à la complexité croissante des normes à contrôler, notamment en matière de commande publique et d'urbanisme.

En l'absence de création de postes dans ces services, les préfectures doivent ponctuellement recourir à des stagiaires et des apprentis, voire à des contractuels diplômés en droit sur des postes de catégorie A. À ce titre, interrogée sur la répartition entre agents titulaires et contractuels dans ces services, la DGCL a indiqué à la rapporteure spéciale que « sans pouvoir la chiffrer précisément, cette donnée étant susceptible de bouger en permanence, plusieurs préfectures confirment avoir recours à des emplois de contractuels pour assurer le contrôle de légalité. Ces besoins peuvent correspondre (...) à des contraintes d'attractivité locale dès lors qu'il s'agit de recruter des profils techniques et qualifiés ». Les services auditionnés lors des déplacements de la rapporteure spéciale lui ont toutefois mentionné un fort renouvellement de ces effectifs au regard de la faible attractivité salariale par rapport à leur niveau de qualification. Souvent, ces personnes sont ensuite recrutées dans les collectivités territoriales, ou bien réussissent le certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA).

Par suite, la rapporteure spéciale considère que si ces recrutements contractuels peuvent être une variable d'ajustement, ils ne sauraient constituer une politique pérenne de recrutement. La politique de repyramidage au profit des catégories A doit être poursuivie de façon plus ambitieuse, en réduisant le nombre de catégories B et C dans ces services.

La rapporteure spéciale constate qu'une trop grande part des effectifs est encore dédiée à la réception et au tri des actes, et pourrait être davantage orientée vers l'accompagnement des collectivités territoriales et le contrôle juridique stricto sensu. Dans plus de 70 % des départements, les sous-préfectures assurent la réception des actes, au moyen de 167,5 ETP en 202045(*), ce qui représentait pour cette année près de 23 % des effectifs dédiés au contrôle de légalité. Une part de ces effectifs pourrait donc être mobilisée au soutien de repyramidage des qualifications.

c) Quid de la répartition territoriale des effectifs ?

Outre la répartition des effectifs entre catégories, la ventilation des effectifs sur le territoire pose également question.

Rapports entre le nombre d'actes télétransmis via le logiciel @ctes
et les effectifs par département en 2024

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la DGCL

Il ressort des données transmises par la DGCL une absence de corrélation entre le nombre d'actes télétransmis par le biais de l'application @actes et le nombre d'ETP départementaux. Si le volume d'actes ne saurait préjuger du nombre d'actes prioritaires et de leur complexité, certains départements traitant un nombre d'actes transmis faible sont proportionnellement mieux dotés que d'autres départements comptant un nombre d'actes transmis élevés. Dans le Finistère par exemple, à peine six agents doivent contrôler 143 000 actes alors que la Haute-Vienne dispose du même nombre d'agents pour 35 000 actes télétransmis, soit plus de quatre fois moins d'actes à traiter.

La DMATES, qui est le responsable de programme (RPROG), détermine le socle d'emplois pérennes de tous les responsables de budget opérationnel de programme (BOP) que sont les préfets de région, en se basant sur le stock d'emplois pérennes alloué l'année précédente. Il n'existe pas en tant que tel de dialogue de gestion au niveau du préfet de région, ni avec le responsable de programme.

Par conséquent, la rapporteure spéciale souscrit pleinement au constat de la Cour des comptes selon lequel il demeure une mauvaise répartition des effectifs entre départements, témoignant d'un défaut de pilotage au niveau national.

2. Le développement récent d'une offre de formation encore balbutiante, pilotée par la sous-direction du recrutement et de la formation
a) Une intensification des formations à partir de 2024, toutefois trop éloignées de la prise de poste des agents pour celles en présentiel

Les agents affectés dans les services de contrôle de légalité et budgétaire disposent d'une formation distancielle initiale, dès leur prise de poste.

Cette offre distancielle s'est étoffée à partir de janvier 2024, avec le déploiement d'une formation « tronc commun » dès la prise de poste disponible sur la plateforme interministérielle Mentor, afin qu'elle soit accessible également aux agents du ministère de l'aménagement du territoire et de la décentralisation exerçant une mission de contrôle de légalité dans les directions départementales des territoires. Cette e-formation, d'une durée d'uniquement deux heures, expose les aspects généraux du contrôle de légalité. Les agents ne disposant pas de connaissances juridiques préalables ont également accès en autonomie sur cette même plateforme à un module sur les fondamentaux du droit administratif. Les formations plus thématiques sont quant à elles accessibles sur la plateforme ForMI du ministère de l'intérieur. Depuis 2022 par exemple, un module de e-learning d'une durée de 40 minutes est disponible pour les utilisateurs du logiciel @CTES, qui peut être complété par une formation en présentiel en région sur deux jours.

En effet, les formations distancielles peuvent être complétées le cas échéant par des formations en présentiel, organisées par les services régionaux de formation46(*). La formation « tronc commun » s'étale sur un jour et demi pour le contrôle de légalité et sur deux jours pour le contrôle budgétaire. À partir de 2024, les formations en présentiel se sont intensifiées, permettant ainsi la tenue de 118 formations sur la période 2020-2024, avec 909 agents formés.

Nombre de formations réalisées et programmées entre 2020 et 2025

 

2020-2024

2025

 

Nombre de sessions réalisées

Nombre d'agents formés

Nombre de sessions déjà réalisées au 1er mai 2025

Nombre de sessions programmées

Tronc commun

10

88

0

1

Urbanisme

15

104

1

Commande publique

24

189

2

3

Fonction publique territoriale

0

0

3

3

Interventions économiques

12

93

0

4

Contrôle budgétaire (initiation)

44

331

3

3

Contrôle budgétaire (perfectionnement)

13

104

1

7

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la sous-direction du recrutement et de la formation de la direction des ressources humaines du ministère de l'intérieur

Si l'offre distancielle s'est intensifiée depuis 2024, conformément aux objectifs du plan ministériel de formation, force est de constater que les formations en présentiel n'ont pas été nombreuses sur la période 2020-2024 s'agissant des matières prioritaires du contrôle de légalité, avec une absence totale de formation concernant la fonction publique territoriale. Selon les informations transmises par la sous-direction du recrutement et de la formation (SDRF) de la direction des ressources humaines du ministère de l'intérieur, l'absence de formation dédiée à la fonction publique territoriale s'explique par le manque de formateurs internes dans ce domaine, malgré plusieurs campagnes de recrutement à partir de 2020.

Par ailleurs, la rapporteure spéciale a pu constater la tardiveté de l'organisation des formations « tronc commun » en présentiel, qui peuvent intervenir parfois jusqu'à un an et demi après la prise de poste des agents, selon des syndicats auditionnés. Sur ce point précis, la SDRF a indiqué que la programmation des formations relève des services régionaux de formation et que « le délai moyen de formation à compter de la prise de poste d'un agent dépend des situations locales, notamment du taux de renouvellement des équipes en charge du contrôle de légalité. Ces formations sont ainsi organisées en fonction des besoins locaux et contraintes logistiques propres à chaque territoire, comme la disponibilité des salles et des formateurs ». Des disparités territoriales peuvent dès lors être également constatées en matière de formation. Lors de son déplacement au pôle interrégional d'appui au contrôle de légalité (PIACL) à Lyon, il a été indiqué à la rapporteure spéciale que des formations sont proposées tous les ans en région Auvergne-Rhône-Alpes alors que celles-ci interviennent uniquement une année sur deux en Bourgogne.

Les agents nouvellement affectés doivent donc se former eux-mêmes dans un premier temps, en se dégageant du temps pour faire les formations à distance et sans véritable encadrement, ce qui peut être décourageant au regard du caractère assez aride de matières juridiques comme les normes d'urbanisme ou de la commande publique.

b) Des financements superposés pour des formations aux coûts limités

Les frais d'animation des sessions de formation relevant du plan ministériel de formation, composés principalement de la rémunération des formateurs, sont imputés sur le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » et sont gérés par la SDRF. La SDRF délègue aux services régionaux de formation une enveloppe de crédits du programme 216 afin de leur permettre de déployer les formations inscrites au plan ministériel de formation, au nombre desquelles figurent les formations au contrôle de légalité et au contrôle budgétaire.

Ces dépenses ont plus que triplé entre 2020 et 2024 et constituent ainsi la traduction des efforts du ministère de l'intérieur réalisés à destination de la montée en compétences de ses agents et de la professionnalisation des services de contrôle de légalité et budgétaire. De plus, rapportés au nombre d'agents formés sur la période, les coûts sont très limités, de l'ordre de 64 euros par agent de 2020 à 2024.

Évolution des frais d'animation des sessions de formation

entre 2020 et 2024

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la sous-direction du recrutement et de la formation de la direction des ressources humaines du ministère de l'intérieur

À ces frais d'animation stricto sensu s'ajoutent les frais de déplacement et d'hébergement des formateurs et des stagiaires, qui sont eux imputés localement sur le programme 354 « Administration territoriale de l'État ».

En outre, en l'absence de mallette ministérielle, les services régionaux de formation peuvent également organiser des formations locales via des prestataires externes, tels que des professeurs d'université ou des cabinets d'avocats, financés sur les crédits du programme 354. Ni la SRDF47(*) ni la DMATES ne disposent d'éléments sur la consommation de ces crédits, qui sont à la main des préfets de région.

c) Des formations encore trop généralistes

Le contenu des formations, assurées par des formateurs internes occasionnels (FIO), a été refondu à partir de 2019 suite à des observations formulées par la Cour des comptes en 201648(*) relatives à l'adaptation de la formation des agents en charge des contrôles de légalité et budgétaires.

En 2019, une refonte de la mallette pédagogique relative au « tronc commun » a été engagée et internalisée, alors que sa conception avait été précédemment confiée à un cabinet d'avocats. Cette mallette « tronc commun » a de nouveau été actualisée en 2024, et constitue le support de la formation qui sera assurée courant 2025. Les mallettes pédagogiques afférentes à la commande publique, l'urbanisme et les interventions économiques sont en cours de révision. Une formation relative au contrôle de légalité en matière d'intercommunalité est aussi en cours de conception. L'ensemble de ces projets doivent être validés par la DGCL, avec un déploiement prévu à la fin d'année 2025.

Pour l'heure, ces mallettes demeurent insuffisamment opérationnelles pour les agents rencontrés par la rapporteure spéciale lors de ses déplacements. En effet par exemple, s'agissant de la mallette pédagogique relative à la commande publique élaborée par un cabinet d'avocats et communiquée à la rapporteure spéciale, la moitié de la formation est consacrée à la définition des différents types de marchés publics et les grands textes régissant le droit de la commande publique. La formation ne comprend aucun exercice pratique ou actualité des marchés publics, dont les agents dans les services sont demandeurs.

Par ailleurs, les formations comportent des zones grises, en particulier pour les agents en charge du contrôle des actes d'urbanisme au sein des directions départementales des territoires. Les formations proposées par la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) du ministère de la transition écologique sont centrées sur l'application du droit des sols et les formations proposées par le ministère de l'intérieur insistent peu sur l'aspect des risques en matière d'urbanisme.

Des formations principalement assurées par des formateurs internes occasionnels (FIO)

Comme pour l'ensemble des formations ministérielles au ministère de l'intérieur, celles en matière de contrôle de légalité et budgétaire sont assurées par des formateurs internes occasionnels, qui exercent soit en administration centrale et au PIACL, soit en administration déconcentrée dans les services de contrôle de légalité et budgétaire. Des prestataires extérieurs (avocats et professeurs d'université notamment) peuvent ponctuellement être recrutés en l'absence de FIO.

Les 24 FIO qui interviennent sur le contrôle de légalité sont majoritairement des agents de catégorie A des services préfectoraux. En 2024, seulement 4 FIO assurent des formations sur le contrôle budgétaire. Tous bénéficient d'une formation à la pédagogie pour adultes et à la mallette pédagogique qu'ils vont animer afin de garantir la qualité de l'animation et l'uniformité des contenus des formations dispensées sur tout le territoire.

Les FIO sont recrutés sur appel à candidatures diffusé sur l'intranet du ministère de l'intérieur, avec des relais au niveau régional par le biais des services régionaux de formation.

La rémunération des vacations des formateurs internes est de 40 euros par heure d'animation, soit 240 euros par jour de formation. Il s'agit d'une activité accessoire à leur mission principale, faisant l'objet d'une convention quadripartite entre le formateur, son supérieur hiérarchique, le service régional de formation et la SDRF.

Le nombre des jours de formation pouvant être assurés par le FIO est limité à 10 jours par an, à raison du caractère accessoire de cette activité qui ne doit pas empiéter sur leurs contraintes dans leurs services et leurs missions de contrôle de légalité et budgétaire dans leur préfecture d'affectation. Cette limitation peut toutefois être relevée sur accord du supérieur hiérarchique du formateur.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les éléments transmis par la sous-direction du recrutement et de la formation de la direction des ressources humaines du ministère de l'intérieur

d) Un pilotage des formations qui accorde une place prépondérante à l'expertise pédagogique au détriment de l'expertise technique

Les formations inscrites au plan ministériel de formation sont conçues par la SDRF de la direction des ressources humaines du ministère de l'intérieur. Chaque année, la DGCL fait part à la SDRF de ses besoins en matière de création ou de refonte de formation, sur la base desquels elle va élaborer des projets de formation.

Un ingénieur de formation de la SDRF, appelé chef de projet formation, est ensuite désigné pour cadrer le nouveau projet de formation, constituer et animer l'équipe projet, coordonner les travaux et s'assurer du respect du calendrier. Il veille à recueillir la validation de la formation par la DGCL, à son référencement dans le système d'information RH et à la communication pour le déploiement de la formation.

Le travail de conception de la formation est quant à lui confié à un ingénieur pédagogique de la SDRF, dénommé formateur interne à temps plein (FITP). Ce dernier recueille les contenus, tels que les références juridiques, les différentes notes de services, fiches de contrôle, instructions, et élabore la mallette pédagogique avec les experts métiers. Ainsi, la DGCL, et plus particulièrement les agents du pôle interrégional d'appui au contrôle de légalité (PIACL) participent à la production des formations. En revanche, « le rôle de chef de file en matière de formation reste assuré par la SDRF, qui seule dispose de l'expertise pédagogique détenue par ses ingénieurs de formation et ses ingénieurs pédagogiques certifiés par la fédération de la formation professionnelle »49(*).

Sans nier l'utilité de la pédagogie en matière de formation, la rapporteure spéciale constate que le contenu de la formation « tronc commun », refondue et actualisée en 2024, confère une grande part à la pédagogie, au détriment des compétences techniques. La formation comporte en effet trois exercices de type « Marier les mots », « Mots croisés » et « Méli-mélo » pour appréhender le vocabulaire du contrôle de légalité et les moyens d'illégalité, pour quatre cas pratiques reflétant mieux la réalité à laquelle les agents sont confrontés à l'occasion de l'exercice de leurs missions de contrôle. 

Exercice de mots croisés issu de la refonte de
la mallette pédagogique « tronc commun » du contrôle de légalité de 2024

Source : Mallette pédagogique transmise par la SRDF

3. Des logiciels de contrôle devenus obsolètes et peu ergonomiques pour les usagers
a) Des logiciels anciens accusant une lourde dette technique

Les applications @ctes et @ctes budgétaires permettent aux collectivités territoriales de télétransmettre leurs actes aux services préfectoraux afin de les rendre immédiatement exécutoires, en lieu et place de la transmission papier des actes. Ces deux applications ont respectivement été déployées en 2005 et 2011. Il s'agit donc de logiciels anciens « désormais frappés d'une dette technique qui rend difficile de s'adapter aisément aux évolutions numériques engagées par l'État dans une optique de simplification » selon les termes mêmes de la DGCL50(*).

Lors des différentes auditions menées par la rapporteure spéciale, tous les agents préfectoraux ont signalé l'absence d'ergonomie et les nombreuses anomalies de fonctionnement de ces applications mettant à mal l'exercice de leurs contrôles. Deux critiques principales ressortent tenant, d'une part, à une expérience-utilisateur perfectible51(*) et, d'autre part, à l'absence de fiabilité des logiciels. Certaines préfectures ont énoncé devoir établir elles-mêmes des statistiques des actes contrôlés au regard des défaillances de l'application @ctes. Enfin, les collectivités n'ont pas l'obligation de choisir la catégorie des actes transmis et peuvent sélectionner une catégorie générique « Autres », si bien que les agents de préfecture n'ont aucun moyen de repérer sur l'application si ces actes sont prioritaires ou non. Dès lors, des marchés publics importants peuvent passer entre les mailles du contrôle de légalité pour cette raison.

En conclusion, ces applications ont à l'origine été pensées uniquement comme des boîtes aux lettres numériques des actes des collectivités, afin d'accroître la dématérialisation, sans véritable changement de paradigme depuis près de vingt ans. Ces applications sont toujours envisagées sous ce prisme et ne sont pas des logiciels métiers au service des agents en préfecture en charge des contrôles. La rapporteure spéciale partage ce constat qui avait déjà été formulé par la Cour des comptes en 2022 et regrette l'absence d'évolutions notables en la matière, empêchant à ces applications de devenir des véritables boîtes de dialogue entre les collectivités et les préfectures, sources d'économies de fonctionnement. Tous les recours gracieux doivent par exemple faire l'objet d'un recommandé papier et pourraient aisément passer par l'application @ctes.

b) Une dématérialisation encore loin d'être complète

En l'espace de dix ans, le taux de télétransmission des actes a connu une progression majeure. Le taux de télétransmission sur le logiciel @ctes est passé de 34 % en 2013 à plus de 89 % en 2024. La même tendance est observée pour la télétransmission des actes budgétaires, avec un taux de télétransmission toutefois inférieur, de l'ordre de 79 % en 2024.

Malgré les progrès de la dématérialisation, quelques collectivités sont encore rétives à utiliser la télétransmission, alors qu'il s'agit d'une obligation légale52(*) pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 50 000 habitants, les départements et les régions à partir de 202053(*). La procédure de raccordement peut s'avérer fastidieuse pour les petites collectivités, avec la conclusion obligatoire d'une convention de télétransmission avec un tiers homologué par le ministère de l'intérieur, et onéreuse pour les plus petites communes, de l'ordre de 3 000 euros selon les informations transmises à la rapporteure spéciale.

Une hétérogénéité selon les départements est particulièrement constatée s'agissant du logiciel @ctes budgétaires, pour lequel le taux de télétransmission varie de 45 % à 100 % en 2024 selon les départements du territoire métropolitain, ce qui risque de soulever de nombreuses difficultés dans le cadre de la généralisation du compte financier unique au 1er janvier 2026.

c) Une amélioration à la marge de l'expérience utilisateur dans l'attente d'une refonte d'ampleur des logiciels @actes
(1) Une refonte d'ampleur décalée à 2027

Une refonte des systèmes d'information @ctes et @ctes budgétaires a été lancée en 2024 par la DGCL, avec en premier lieu une mission de diagnostic des besoins auprès des agents de préfecture au printemps 2024. Une étude de cadrage se poursuit actuellement, dont les conclusions sont attendues à l'automne 2025. Elle permettra en particulier de définir le périmètre fonctionnel du futur outil.

Selon les informations communiquées par la direction de la transformation numérique (DTNUM) du ministère de l'intérieur, la DGCL a demandé un complément d'étude à partir de fin 2024 afin d'y ajouter un aspect « métier » plus poussé, si bien que le lancement des travaux a été décalé au premier trimestre 2026 pour un premier produit disponible a priori au plus tôt en 2027, voire 2028. Par ailleurs, le coût du projet sur trois ans, de 2024 à 2027, est estimé à entre 7 et 8 millions d'euros. Les estimations les plus hautes, intégrant des éléments d'intelligence artificielle, sont plutôt de l'ordre de 10 millions d'euros54(*).

Dans l'attente de l'évolution stratégique de ces systèmes d'information, la DGCL a indiqué à la rapporteure spéciale avoir engagé quelques correctifs du logiciel afin d'améliorer l'expérience utilisateur des agents préfectoraux, avec un perfectionnement de la célérité des actions sur le logiciel à partir de février 2025.

(2) Des coûts dynamiques largement captés par l'assistance à la maîtrise d'ouvrage en l'absence même de projet d'ampleur

S'agissant de la gouvernance de ces projets informatiques, la DTNUM en assure la maîtrise d'oeuvre, avec des directeurs et des chargés de projets également mobilisés sur d'autres applicatifs, tandis que la maîtrise d'ouvrage relève de la DGCL. Alors même que 4 ETP de la DGCL sont dédiés à plein temps au suivi de la partie numérique, cette direction dispose d'une assistance à maîtrise d'ouvrage (AMOA) confiée à un cabinet de conseil en transformation numérique. En avril 2025, un nouveau marché d'AMOA ministériel a été notifié à un groupement de cabinets de conseil Bearing Point - MC2I.

Les coûts annuels des logiciels @ctes et @ctes budgétaires sont dynamiques et ont augmenté de 34 % entre 2019 et 2024, passant de 1,07 million d'euros à 1,44 million d'euros. Une grande part de coûts sont captés par les frais d'AMOA, qui rémunèrent le prestataire extérieur de la DGCL. En 2023, le logiciel @ctes a coûté 827 000 euros, dont plus de 373 000 euros pour l'assistance à maîtrise d'ouvrage, ce qui représente 45 % du coût total. Cette année-là également, 325 000 euros ont servi à la rémunération de l'assistance à maîtrise d'ouvrage du logiciel @ctes budgétaires, soit près de 70 % du coût annuel.

Coûts annuels des logiciels Actes et Actes budgétaires entre 2018 et 2024

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la DTNUM

Sur la période 2015-2025, le coût des deux logiciels s'est élevé à 13,8 millions d'euros dont plus de 7 millions d'euros pour l'assistance à maîtrise d'ouvrage, soit 50,7 % des coûts totaux. Un tel montant interroge, d'autant qu'aucun projet d'ampleur de refonte des systèmes d'information n'a été mené sur cette période.

Comme l'avait relevé la Cour des comptes en 2022 « la part du budget du projet consacré à l'assistance à maître d'ouvrage est bien supérieur aux proportions généralement admises pour ce type de projets. Par comparaison, ce montant annuel de plus d'un demi-million d'euros représente l'équivalent de la rémunération de cinq à dix ingénieurs spécialisés en systèmes d'information ».

d) Une absence de pilotage clair de l'intégration de l'intelligence artificielle

La DMATES et la DGCL semblent avoir intégré l'intérêt de développer l'intelligence artificielle (IA) et ses potentialités en matière de contrôles de légalité et budgétaire. La DGCL a énoncé à ce titre à la rapporteure spéciale que « le recours à l'intelligence artificielle sera en outre travaillé dans le cadre de la refonte de l'application @ctes, la version actuelle ne le permettant pas techniquement »55(*).

Toutefois, le pilotage de ce projet d'IA ne ressort pas clairement des auditions menées par la rapporteure spéciale. La DMATES a indiqué qu'il appartenait à la DGCL, direction métier, de construire ce chantier de l'IA. La DGCL, quant à elle interrogée sur la répartition des compétences entre les deux directions, a répondu que la DMATES travaillait à l'usage de l'IA.

Par ailleurs, la DGCL semble peu outillée en termes d'effectifs afin de mener à bien un tel projet d'ampleur, dès lors qu'un projet d'aide au contrôle de légalité par l'intelligence artificielle, dit ACLIA, lancé en mars 2020, a été abandonné et n'a pas prospéré au-delà d'une première étude interne, faute d'avoir trouvé une méthode d'identification des actes pertinente face à la très grande hétérogénéité des actes et des matières référencées dans le logiciel. La DGCL a toutefois mentionné la constitution courant 2025 d'une « mission numérique » à l'échelle de la direction, pilotée par une cheffe de projet informatique contractuelle.

En conclusion, alors que les « missions prioritaires des préfectures » définies pour la période 2022-2025 prévoyait la poursuite du chantier de l'intelligence artificielle dans le traitement quantitatif des actes soumis au contrôle de légalité, force est de constater que ce projet n'a pas encore été véritablement lancé, et ne verra pas le jour avant 2027 voire 202956(*).


* 44 Contrôle de légalité et contrôle des actes budgétaires en préfecture, Cour des comptes, novembre 2022.

* 45 Il s'agit des dernières données communiquées par la DGCL.

* 46 Les services régionaux de formation (SRF) sont placés soit auprès du préfet de département chef-lieu de région soit dans les services du préfet de région parfois fusionnées avec les plates-formes régionales d'appui interministériel à la GRH (PFRH), comme en Nouvelle Aquitaine, Grand-Est et Île-de-France.

* 47 Les SRF ne rendent compte à la SDRF que de l'utilisation des crédits du programme 216.

* 48 Le contrôle de légalité et le contrôle budgétaire : une place à trouver dans la nouvelle organisation de l'État, Rapport public annuel de la Cour des comptes, 2016.

* 49 Éléments écrits transmis par la SDRF.

* 50 Réponses de la DGCL au questionnaire de la rapporteur spéciale.

* 51 À titre d'exemples, un simple retour à la page entraîne une désélection des critères de recherches initiaux. Les agents rencontrent également des difficultés pour lire les actes comportant de nombreuses pièces jointes, notamment en matière de commande publique ou d'urbanisme.

* 52 La télétransmission a été rendue obligatoire par l'article 74 de la loi du 27 janvier 2014, dite loi MAPTAM, et l'article 107 de la loi du 7 août 2015 portant une nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe.

* 53 Article D. 1612-15-1 du CGCT.

* 54 Ce chiffrage a été transmis à la rapporteure spéciale par la DTNUM, la DGCL ayant simplement mentionné que le coût global de la refonte n'était pas connu pour l'heure, notamment à raison de l'intégration des coûts liés au recours à l'intelligence artificielle.

* 55 Réponse au questionnaire de la rapporteure spéciale.

* 56 Lors de son audition dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, la DMATES avait mentionné la date de 2029 dans la mise en oeuvre de l'IA au sein des préfectures.

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