VI. ÉQUIPER LE TERRITOIRE : LES SCHÉMAS SECTORIELS
A. enseignement suprieur, recherche, culture
INTERVENTION DE M. FRANÇOIS BAYROU, MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE
M. François Bayrou
.- Après vous
avoir salués tous, mesdames et messieurs, et singulièrement
monsieur le préfet des Pyrénées-Atlantiques que
j'aperçois au sixième rang, et vous dire le plaisir qui est le
mien à me retrouver à cette tribune à côté de
M. Pasqua, M. François-Poncet, M. Douste-Blazy et M. Gouteyron, je
vais m'efforcer de poser en termes non diplomatiques les problèmes qui
sont évoqués à propos de l'aménagement du
territoire et de l'éducation (Education nationale primaire, secondaire,
enseignement supérieur) et vous dire comment je vois la
résolution de ces problèmes posés.
Tout le monde désormais a compris, c'est même l'objet de la loi,
que l'éducation, comme la culture d'une autre manière,
était une composante essentielle du développement et qu'il n'y
avait pas de développement sans offre d'éducation, sans
réseau suffisant d'éducation, et sans capacité à
offrir une éducation qui aille jusqu'à l'enseignement
supérieur. Tout le monde a compris, c'est un lieu commun des campagnes
électorales, que lorsque l'on veut attirer des entreprises, il faut
naturellement que celles-ci découvrent à proximité de quoi
rencontrer la culture, la scolarisation, l'offre universitaire, qui leur
permettent d'avoir le sentiment qu'eux-mêmes et leur famille
rencontreront toutes les chances d'épanouissement possible.
D'un autre côté, chacun voit bien que par exemple la
présence d'organismes de recherche, de laboratoires, est absolument
capitale pour ce développement. Tout le monde a compris cela. Reste
ensuite à le mettre en place.
Je vais vous dire quelles sont les principales difficultés que nous
rencontrons. La première est la gestion de la carte scolaire. Cela
touche au primaire et au secondaire et cela vaut au pauvre ministre
chargé de l'Education nationale des cataractes d'interpellations devant
le Parlement. Sur le thème : Monsieur le Ministre, vous avez
décidé de sacrifier nos enfants, nos cours moyens, nos cours
élémentaires, les boulangeries ferment, le dernier bar est parti,
l'église est menacée. Je cite une question quasiment in verbis
qui a été posée lors d'une de vos dernières
sessions. Mais c'est le thème de ces interrogations.
Généralement d'ailleurs le parlementaire saisit l'occasion
à la sortie de vous dire : c'est une question un peu démago,
mais j'ai été obligé de la poser pour mon pays. Ce que
tout le monde comprend. Mais cela représente une vision juste de ce
qu'est le traumatisme de l'utilisation des décisions, des moyens de
l'Education nationale dans les zones rurales, dans les zones d'éducation
prioritaire. M. Raoult aurait pu vous le dire à l'instant, il me parle
à chaque conseil des ministres des moyens de l'Education nationale.
Je n'aurais pas la démagogie de vous dire qu'un temps pourrait venir
où ces questions ne se poseraient plus. Ce serait mentir. Les
mêmes parlementaires, au moment de la discussion budgétaire,
montent à la tribune avec des trémolos dans la voix et le geste
ample pour dire : mais comment se fait-il que l'Education nationale soit
à ce point dévoreuse de deniers publics et soit incapable, alors
que le nombre des élèves baisse, de faire baisser le nombre des
enseignants à proportion ?
Je vais vous mettre en face des chiffres : si la baisse des
élèves, de la démographie scolaire, était
identiquement répartie sur l'ensemble du territoire, nous n'aurions
aucun problème. Mais, manque de chance, 80 départements
français baissent beaucoup, on a perdu cette année cinquante
mille élèves dans l'enseignement primaire, mais 20
départements français augmentent beaucoup. Et si l'on veut
maintenir les moyens, cela signifie qu'il faut ouvrir chaque année pour
ces vingt départements français deux mille classes de plus.
Et donc si vous êtes en stagnation du nombre des enseignants, il faut
fermer deux mille classes ailleurs et cela vous donne la dimension des
problèmes que nous avons à gérer. C'est la croissance d'un
certain nombre de départements français qui oblige à
ouvrir deux mille classes de plus et donc à fermer deux mille classes
ailleurs. Ce phénomène ne disparaîtra pas. Moi-même,
mon successeur, et toute la suite de mes successeurs auront à
gérer des problèmes de moyens à l'Education nationale.
Une question maintenant : peut-on les gérer mieux ? Ma certitude est que
oui. Mais il y faut du temps, cela ne se fait pas d'un claquement de doigts,
mais on peut les gérer mieux de deux manières différentes
et le Sénat a été à l'origine d'une
amélioration majeure. On peut les gérer mieux en termes
d'utilisation de moyens. Par exemple le pourcentage du nombre des
remplaçants dans l'enseignement primaire est important. Ce n'est pas du
tout les mises à disposition des associations. Il y en a quelques-unes,
mais ce n'est pas à la dimension du problème. En revanche il y a
beaucoup de remplaçants, ce qu'on appelle des "îliens". Et je
crois qu'on peut améliorer cette gestion-là de manière
notable. J'y travaille, mais cela prend trois ou quatre ans.
Deuxièmement, je pense que l'on peut gérer de manière
différente la carte scolaire. Les méthodes arrêtées
dans les inspections académiques peuvent être largement
améliorées. Je prends un exemple qui est familier à tous
les élus locaux : que font une grande partie des inspecteurs
d'académie ? Ils ferment en février plus de classes primaires
qu'ils ne devront en rendre définitivement et ils les réouvrent
en septembre pour faire taire les contestations les plus bruyantes. Je suis
certain qu'on peut faire autrement et qu'il faut associer les élus
locaux à la carte scolaire. Il faut rendre les élus locaux
co-responsables de la carte scolaire, conseils généraux,
association de maires. Vous ne pouvez pas vouloir à la fois la
responsabiliser et vouloir le contraire.
Vous le demandez, je crois que vous avez raison ; moi, cela m'arrangera
parce que cela ouvrira le regard de la représentation nationale sur la
réalité des problèmes qui se posent. Le Sénat a
suggéré, et j'ai aussitôt décidé de mettre en
place un observatoire des flux qui pourra permettre de prendre en amont les
décisions qui s'imposent au mieux des intérêts du terrain,
qui ne sont pas toujours respectés et beaucoup d'entre vous me l'ont
dit.
Donc, amélioration de la gestion des cartes scolaires. C'est vrai pour
les zones rurales et pour les zones d'éducation prioritaire qui devront
évoluer.
J'aborde maintenant le deuxième chapitre principal qui est celui de
l'enseignement supérieur. J'aurais pu parler de l'enseignement
secondaire, je le ferai en répondant à des questions. Pour
l'enseignement supérieur, la loi du 4 février 1995 nous fait
trois obligations, et j'en parle devant ses auteurs, en termes de
principes :
· l'égalité des chances,
· l'égal accès à la formation
· et l'utilisation de l'enseignement supérieur en termes
d'aménagement du territoire, avec une obligation, celle de créer
deux universités thématiques.
Je respecterai la loi. Vous l'avez votée et je considère
indiscutable de respecter cette loi.
Je voudrais en venir au fond pour traiter d'une question qui agite beaucoup
l'université et qui vous agite beaucoup, et je la pose dans le contexte
des états généraux de l'université. Je viendrai
naturellement devant les commissions et devant le Sénat pour en parler.
Tout le monde constate qu'il n'y a de développement que s'il y a une
offre d'enseignement supérieure présente, accessible, qui mette
à égalité avec d'autres zones du territoire. Mais la
question est celle-ci : peut-on disséminer l'université ? Et
comme l'université n'est pas seulement de l'enseignement mais de la
recherche, ce n'est pas seulement de la distribution de savoir, mais aussi de
la création de savoir. Est-ce qu'on ne se heurte pas à un
problème de taille critique, de seuil critique au-dessous duquel
l'université n'existe pas ?
J'invite à poser ce problème en termes de recherche autant qu'en
termes d'enseignement. Je le dis d'autant plus que, si mon information est
exacte, les unités délocalisées qui s'occupent uniquement
d'enseignement obtiennent de bons résultats. Mais à terme, la
mise en question ou l'absence de recherche est naturellement quelque chose qui
atteint au principe même d'une université, de son fonctionnement,
de son équilibre, de son rayonnement dans le futur.
Alors il y a deux réponses possibles et je vous livre les deux.
1) La première est celle que vous avez avancée dans la loi, qui
est celle de créer des unités suffisamment circonscrites,
focalisées sur un problème suffisamment étroit pour qu'on
puisse crédiblement avoir une recherche de haut niveau dans ces
universités. Cela ne peut être évidemment qu'un
problème extrêmement circonscrit pour qu'une ville moyenne ait la
capacité de montrer qu'elle peut développer une recherche
crédible sur le plan national et international sur le domaine
considéré. D'où beaucoup de discernement dans le choix du
sujet retenu. Il faut que le sujet soit assez clos pour être
crédible quand on a une petite unité.
2) Je suis frappé de voir qu'on n'a pas suffisamment creusé en
France ou en tout cas pas suffisamment théorisé le principe des
universités en réseaux, des campus de réseaux appartenant
à la même université. Je voudrais vous rappeler, en ayant
conscience que l'échelle n'est pas la même, que
l'université de Californie est organisée en huit campus
différents. Alors sans vouloir prétendre d'emblée au
rayonnement de cette immense université, il y a là
peut-être une idée à creuser. Non plus des antennes
délocalisées, ce qui a toujours un air péjoratif et qui
tend à secondariser une unité par rapport à une autre,
mais des réseaux reconnus comme à part entière et ayant
vocation à exister au même titre dans une université.
J'inaugurais l'autre jour le pôle universitaire de Quimper et il n'y a
aucune raison que Quimper soit très secondarisé par rapport
à Brest ou inversement. On peut très bien imaginer d'avoir des
unités appartenant à la même université, qui
simplement organise en réseau des implantations universitaires
différentes, ce qui assurera la pluridisciplinarité et le contact
entre chercheurs.
C'est d'autant plus important que je suis persuadé que
l'université française est en situation d'infirme. Elle a
considérablement développé le côté
intellectuel et général. Elle a fait de brillante
université générale, elle n'a absolument pas
développé comme il devrait l'être le pôle
technologique qui aurait dû être une composante essentielle du
développement de la France. Nous avons de ce point de vue-là un
manque majeur. Si je réussis à convaincre la communauté
universitaire au terme des états généraux, il y aura des
dispositions prises pour construire en France une grande université
technologique, ce qui ne signifie pas nécessairement des
universités technologiques distinctes des universités
générales, mais qui peuvent, nous en discuterons, être des
unités technologiques, des filières technologiques dans des
établissements technologiques à l'intérieur de
l'établissement général.
De ce point de vue, je suis persuadé que l'aménagement du
territoire peut trouver matière à un maillage différent du
territoire national et ainsi les objectifs de la loi seront remplis. En tout
état de cause nous ne devons pas, y compris dans l'aménagement du
territoire, considérer les universités uniquement comme des lieux
d'enseignement. Il n'existe dans le monde de grandes universités ou
d'universités moyennes que celles qui sont capables de rayonner par leur
recherche autant qu'elles rayonnent par leur enseignement, et cela doit
être une dimension majeure du sujet que vous allez traiter ensemble
à l'occasion de la discussion de la loi dans ce colloque et que nous
traiterons dans les schémas régionaux, le schéma national
et les échéances devant nous pour appliquer la loi votée
en février 1995.
(Applaudissements).
M. François-Michel Gonnot
.
- Merci
monsieur le Ministre. Vous l'avez dit dans votre propos introductif, pour
retenir et attirer les entreprises dans nos cantons, nos départements,
partout, il faut des universités, des écoles, des lycées,
des routes, des infrastructures de transport, des réseaux de
télécommunication, mais aussi une politique culturelle.
Monsieur Douste-Blazy, nous avons entendu ce matin ce que vous entendez souvent
: il y a toujours dans la politique culturelle et les moyens que l'Etat y
consacre, un déséquilibre entre les crédits
consommés par la capitale et l'Ile de France et les crédits en
régions. Pourriez-vous nous apporter quelques mises au point sur cette
question ?