II. AVIS DE LA DELEGATION
A. LETTRE DE SAISINE DE LA COMMISSION DES FINANCES
Liste des questions relatives
aux propositions d'actes communautaires E 719 et E 720
sur lesquelles la commission des finances
souhaiterait plus particulièrement recueillir l'avis
de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne
Aspects juridiques :
Les propositions transmises sont-elles conformes à nos principes
constitutionnels ?
La substitution à la référence à l'ECU de la
référence à l'EURO introduit-elle un élément
de fragilité juridique des opérations de passage à la
monnaie unique et, dans cette hypothèse, quels seraient les moyens
appropriés pour résoudre le problème ainsi posé ?
Aspects économiques :
La réserve de l'application du dispositif projeté en
matière de "programme de stabilité" aux seuls Etats ne faisant
pas l'objet d'une dérogation ainsi que la définition et la
dénomination même du "programme de stabilité" visé
à l'article 1er , point 2 de la proposition de la commission en vue d'un
réglement du Conseil relatif au renforcement de la surveillance et de la
coordination des situations budgétaires semblent-elles pertinentes
à la délégation ?
A quelles valeurs de référence précises concernant leur
solde budgétaire ou l'endettement de l'Etat serait soumise la
définition de leurs programmes de stabilité par les Etats membres?
Les mécanismes prévus par la proposition de réglement du
conseil visant à accélérer et clarifier la mise en oeuvre
de la procédure concernant les déficits excessifs semblent-ils
adaptés à la Délégation ?
En ce qui concerne la proposition E 720, la Délégation
souhaite-t-elle formuler un avis sur l'impact économique de son
dispositif et, en particulier, sur le contexte de la mise en oeuvre de la
monnaie unique ?
B. AVIS DE LA DELEGATION POUR L'UNION EUROPEENNE SUR LES PROPOSITIONS D'ACTES COMMUNAUTAIRES E 719 ET E 720
La délégation du Sénat pour l'Union
européenne,
- Saisie en application de l'article 73 bis, alinéa 4 du
Règlement du Sénat, par la commission des Finances, du
Contrôle budgétaire et des Comptes économiques de la
Nation, qui lui a demandé, par lettre du 21 novembre 1996, de lui
donner son avis sur les propositions d'actes communautaires E 719 et
E 720,
- Vu les propositions de règlements du Conseil sur le renforcement de
la surveillance et de la coordination des situations budgétaires, et
visant à accélérer et clarifier la mise en oeuvre de la
procédure concernant les déficits excessifs (Com (96) 496),
- Vu les propositions de règlements du Conseil sur l'introduction de
l'euro et sur certaines dispositions y afférentes (Com (96) 499),
- Vu la communication de la Commission européenne du 16 octobre
1996 : "
Procédures de convergence renforcées et
nouveau mécanisme de change dans la troisième phase de l'Union
économique et monétaire
",
- Vu le rapport d'information n° 74 (1996-1997) de M. Xavier
de Villepin, au nom de la délégation pour l'Union
européenne, sur "
la mise en place de l'euro : cadre
juridique, pacte de stabilité, nouveau mécanisme de
change
",
- Vu la proposition de résolution n° 71 (1996-1997) de
M. Xavier de Villepin,
a adopté, le 26 novembre 1996, sur le rapport de M. Denis Badré,
l'avis suivant :
La délégation considère que la mise en place de la monnaie
unique, selon les modalités définies par le traité sur
l'Union européenne, est un acte majeur de la construction
européenne, qui a pour objet de permettre à l'avenir
d'éviter les perturbations du fonctionnement du marché
intérieur entraînées par les fluctuations des monnaies des
Etats membres, et de donner à l'Europe le moyen de peser davantage dans
l'équilibre des relations monétaires internationales.
Elle constate par ailleurs que le processus d'union monétaire suscite
des inquiétudes et des réserves, si bien que tout
élément de nature à rendre ce processus contestable risque
d'être utilisé pour l'entraver ou le retarder.
En conséquence, elle estime que le Gouvernement doit, dans son action au
sein du Conseil, veiller :
- à créer les conditions permettant à l'Union
monétaire d'atteindre pleinement son objectif concernant le
fonctionnement du marché intérieur,
- à faire disparaître toute incertitude juridique pouvant
entourer les propositions d'actes communautaires E 719 et E 720.
A cette fin,
la délégation
estime que le Sénat
devrait adopter en séance publique, avant le Conseil européen de
Dublin, une résolution précisant les demandes qu'il adresse au
Gouvernement et qui devraient porter sur :
- le lien politique entre la mise en place de l'euro et le nouveau
mécanisme de change,
- la levée des incertitudes juridiques pesant sur la
dénomination de la monnaie unique,
- le maintien du pouvoir d'appréciation du Conseil dans la mise en
oeuvre du pacte de stabilité.
I - En ce qui concerne
le
nouveau mécanisme de change
.
La délégation observe que, comme l'indiquent les conclusions du
Conseil européen de Florence (21 et 22 juin 1996), la participation
à ce mécanisme restera facultative et que le Gouvernement du
Royaume-Uni vient d'indiquer à nouveau à la Chambre des Communes
sa volonté de ne pas y participer.
La délégation estime cependant que le Gouvernement doit
s'efforcer d'établir un lien politique entre la mise en place de l'euro
et l'adhésion au nouveau mécanisme de change du plus grand nombre
possible d'Etats parmi ceux qui ne participeront pas à la monnaie
unique.
Elle approuve, en ce sens, l'avant-dernier paragraphe de la proposition de
résolution n° 71.
II - En ce qui concerne le statut de l'euro
.
La délégation souligne les incertitudes pesant sur la base
juridique retenue par la proposition E 720 pour la dénomination de
la monnaie unique et de ses subdivisions.
Approuvant l'antépénultième paragraphe de la proposition
de résolution n° 71,
la délégation souhaite
donc que le Gouvernement vérifie que le remplacement de la
référence à l'" écu " par la
référence à l'" euro " peut s'effectuer sur la
base de l'article 235 du traité instituant la Communauté
européenne ;
en cas de doute, elle considère que le seul
moyen d'assurer la sécurité juridique est de consacrer la
dénomination de la monnaie unique dans le projet de traité que
prépare la Conférence intergouvernementale.
III - En ce qui concerne le pacte de stabilité.
1) Constatant que les deux propositions constituant le pacte de
stabilité, tout en se situant dans la logique du traité sur
l'Union européenne, vont au-delà d'une simple application de
celui-ci, notamment en ce qu'ils tendent à rendre presque automatiques
des sanctions que le traité laisse à la libre appréciation
du Conseil, la délégation souhaite que le Gouvernement veille
à éviter qu'une législation plus rigide que ne l'exige le
traité ne fasse disparaître les marges d'action nécessaires
pour que les politiques budgétaires puissent faire prévaloir
l'objectif d'une croissance régulière.
La délégation souhaite donc que le Gouvernement s'oppose aux
demandes formulées en vue de chiffrer l'importance de la
récession constituant une circonstance exceptionnelle. Elle estime en
outre qu'il serait préférable de faire disparaître de la
proposition de règlement l'exigence d'une durée d'un an pour
cette récession.
2) La délégation observe que l'article 103
paragraphe 5, qui constitue la base juridique de la proposition de
règlement " relatif au renforcement de la surveillance et de la
coordination des situations budgétaires ", concerne la surveillance
multilatérale
applicable à l'ensemble des Etats membres
.
Elle souhaite en conséquence :
-
que le Gouvernement vérifie si cette base juridique est
adaptée à une proposition de règlement concernant les
seuls Etats participant à la monnaie unique,
-
qu'il veille en tout état de cause à ce que,
conformément au treizième considérant de cette proposition
de règlement, la Commission européenne propose des dispositions
complémentaires définissant " des modalités
similaires pour les programmes et la surveillance des autres Etats
membres ".
3) La délégation constate que, pour l'application du pacte de
stabilité, le Conseil se trouve tantôt composé des
représentants des seuls Etats participant à la monnaie unique, et
tantôt de ceux de tous les États membres. Lors de la
rédaction du Traité, l'hypothèse retenue était
celle de la participation de presque tous les Etats membres à la monnaie
unique dès la mise en place de celle-ci, ce qui ne peut plus être
aujourd'hui tenu pour probable. Il convient cependant d'éviter qu'un
Conseil formé de représentants de l'ensemble des Etats membres ne
prenne des décisions de grande importance ne concernant qu'une
minorité de ceux-ci.
La délégation souhaite en conséquence que le
Gouvernement :
- s'efforce d'obtenir que le Conseil, lorsqu'il arrêtera quels sont les
Etats membres qui remplissent les conditions nécessaires pour l'adoption
d'une monnaie unique, retienne, dans le respect du traité, le plus grand
nombre d'Etats possible.
- s'attache à mettre en place une coopération renforcée
entre les Etats participant à l'euro
, afin de favoriser la
cohérence du processus de décision et de former un contre-pouvoir
politique vis-à-vis de la Banque centrale européenne pendant la
période où tous les Etats membres ne participeront pas à
l'euro.
4) La délégation est opposée à ce que les
amendes prévues par la procédure concernant les déficits
excessifs soient versées au budget communautaire
, ce qui aurait pour
effet d'en faire bénéficier les Etats membres qui ne seraient pas
astreints au pacte de stabilité budgétaire du fait qu'ils ne
participeraient pas à la monnaie unique.
Elle soutient en ce sens le dernier paragraphe de la proposition de
résolution n° 71 et précise qu'à son avis le
produit des amendes devrait être versé à la Banque centrale
européenne.
Sur les questions relatives aux propositions E 719 et E 720 sur lesquelles
la commission des finances souhaiterait plus particulièrement recueillir
l'avis de la délégation :
1) " Les propositions transmises sont-elles conformes à nos
principes constitutionnels ? "
Vu l'article 88-2 de la Constitution qui dispose que
" sous
réserve de réciprocité et selon les modalités
prévues par le traité sur l'Union européenne signé
le 7 février 1992, la France consent aux transferts de
compétences nécessaires à l'établissement de
l'union économique et monétaire européenne... ",
a) La délégation estime que les deux propositions relatives
à l'euro (E 720) ne semblent pas soulever de problème de
conformité à la Constitution.
b) Elle observe que la proposition relative au
" renforcement de la
surveillance et de la coordination des situations budgétaires "
(E 719) élargit et renforce la procédure de surveillance
multilatérale à l'égard des seuls pays ayant adopté
la monnaie unique, alors que le traité sur l'Union européenne ne
prévoit, en son article 103, qu'une surveillance multilatérale
s'exerçant sur l'ensemble des Etats membres. Si, aux yeux de la
commission des finances, l'exercice de cette surveillance multilatérale
constitue un
" transfert de compétences "
, la
délégation considère que ce transfert ne s'opère
pas
" sous réserve de réciprocité et selon les
modalités prévues par le traité sur l'Union
européenne "
, ainsi que l'exige l'article 88-2 de la
Constitution.
c) Elle observe en outre que le traité sur l'Union européenne met
en place, en son article 104 C, une procédure concernant les
déficits excessifs qui distingue les décisions qui s'imposent au
Conseil et celles qui sont laissées à son appréciation. Le
traité prévoit ainsi que le Conseil
" décide "
s'il y a ou non un déficit excessif
et qu'il
" adresse "
des recommandations à l'Etat
membre concerné ; mais il mentionne que le Conseil
" peut rendre
publiques "
ses recommandations, qu'il
" peut
décider "
de mettre en demeure l'Etat concerné et
surtout qu'il
" peut décider "
d'appliquer des
mesures,
au nombre desquelles figurent des amendes éventuelles.
Or la proposition de règlement
" visant à
accélérer et clarifier la mise en oeuvre de la procédure
concernant les déficits excessifs "
(E 719) dispose que le
Conseil
" décide "
de rendre publiques ses
recommandations, qu'il
" décide normalement d'infliger des
sanctions "
et qu'il
" exige en principe que l'Etat
membre
concerné effectue un dépôt non porteur
d'intérêts ".
De manière plus
générale, toute disposition du règlement visant à
définir la notion de
" circonstances exceptionnelles et
temporaires "
(article 1
er
, alinéa 2) ou le
montant des amendes que doit décider le Conseil (article 8) a pour
effet de lier ce dernier et de restreindre, voire de supprimer, son pouvoir
d'appréciation.
Ce pouvoir de sanction constituant un
" transfert de
compétences "
, la délégation considère que
ce transfert ne s'opère pas
" selon les modalités
prévues par le traité sur l'Union européenne "
ainsi que l'exige l'article 88-2 de la Constitution.
2) " La substitution à la référence à l'ECU
de la référence à l'EURO introduit-elle un
élément de fragilité juridique des opérations de
passage à la monnaie unique et, dans cette hypothèse, quels
seraient les moyens appropriés pour résoudre le problème
ainsi posé ? "
La délégation estime que la substitution du mot
" euro "
au mot
"écu "
causerait une grave
insécurité juridique dans le cas où la Cour de justice des
Communautés européennes considèrerait que le traité
sur l'Union européenne a retenu le mot
" écu "
pour la dénomination de la monnaie unique.
Elle constate que le mot
" écu "
figure en minuscules
dans six versions linguistiques du Traité et en majuscules dans les cinq
autres versions ; que, même dans les versions linguistiques
où il figure en majuscules, le mot ECU ne fait l'objet d'aucune
référence à sa signification alors que l'utilisation d'un
sigle dans le traité est toujours précédé d'une
référence à ce que ce sigle recouvre ; enfin que, dans
toutes les versions linguistiques, le terme écu ou ECU est
utilisé à plusieurs reprises comme s'il s'agissait de la
dénomination de la monnaie unique.
Elle observe que des informations parues dans la presse ont déjà
laissé entendre qu'une action allait être intentée devant
la Cour de justice sur ce fondement.
Elle considère que le moyen approprié pour faire
disparaître toute insécurité juridique consiste à
introduire la dénomination
euro
dans le traité.
3) " La réserve de l'application du dispositif projeté en
matière de " programme de stabilité " aux seuls Etats
ne faisant pas l'objet d'une dérogation ainsi que la définition
et la dénomination même du " programme de
stabilité " visé à l'article 1
er
, point 2
de la proposition de la commission en vue d'un règlement du Conseil
relatif au renforcement de la surveillance et de la coordination des situations
budgétaires semblent-elles pertinentes à la
délégation ? "
a) Sur le fait que les programmes de stabilité prévus par la
proposition relative au renforcement de la
" surveillance et de la
coordination des situations budgétaires "
ne s'appliquent
qu'aux Etats participant à la monnaie unique, la
délégation estime que la réponse figure au point III,
paragraphe 2) de son avis ci-dessus.
b) La dénomination " programmes de stabilité " et la
nature des éléments devant figurer dans ces programmes
n'appellent pas d'observations particulières de la part de la
délégation.
4) " A quelles valeurs de référence précises
concernant leur solde budgétaire ou l'endettement de l'Etat serait
soumise la définition de leurs programmes de stabilité par les
Etats membres ? "
Les programmes de stabilité que devront présenter les Etats
participant à l'euro au titre de la surveillance multilatérale
prévue à l'article 103 du traité devront prévoir
à moyen terme une situation budgétaire proche de
l'équilibre ou en excédent. Cette règle concerne
uniquement le déficit public, au sens qui lui est donné à
l'article 2 du Protocole n° 5 annexé au traité sur l'Union
européenne.
En tout état de cause, ces mêmes Etats auront à respecter
les valeurs de référence fixées à l'article premier
du Protocole n° 5 annexé au traité sur l'Union
européenne qui concernent, d'une part le déficit public (3 % au
maximum du PIB), et d'autre part la dette publique (60 % au maximum du
PIB). A défaut, ils relèveront de la procédure concernant
les déficits excessifs.
5) " Les mécanismes prévus par la proposition de
règlement du Conseil visant à accélérer et
clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les
déficits excessifs semblent-ils adaptés à la
Délégation ? "
La délégation estime que la réponse à cette
question figure au point III, paragraphes 1), 3) et 4) de son avis ci-dessus.
6) " En ce qui concerne la proposition E 720, la
Délégation souhaite-t-elle formuler un avis sur l'impact
économique de son dispositif et, en particulier, sur le contexte de la
mise en oeuvre de la monnaie unique ? "
Au sujet des aspects économiques liés à la mise en place
de l'euro, la délégation :
- ayant entendu le 29 octobre M. Jean-Paul Fitoussi, président de
l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et M.
Hervé Hannoun, sous-gouverneur de la Banque de France, et, le 14
novembre, M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances,
a) souligne l'importance du respect des critères fixés à
l'article 109 J du traité sur l'Union européenne pour favoriser
une convergence durable des économies des Etats membres ;
b) estime que l'assainissement, actuellement engagé, de la situation des
finances publiques nationales s'impose indépendamment des contraintes
liées à la mise en oeuvre du traité sur l'Union
européenne ;
c) considère qu'une gestion rigoureuse des finances publiques est une
des conditions du retour à une croissance régulière
soutenue, permettant une amélioration de la situation de l'emploi ;
d) observe toutefois que les effets bénéfiques de l'effort de
réduction des déficits publics ne pourront être pleinement
atteints que si les autres composantes de la politique économique, et
notamment la politique monétaire et la politique de change, sont
parallèlement utilisées par les Etats membres dans un sens
favorable à une croissance saine et durable ;
e) considère que, au moment où les 15 sont engagés en
même temps dans leur effort de réduction des finances publiques,
la sous-évaluation du dollar par rapport aux monnaies européennes
peut freiner le redressement des économies des Etats membres.