E. RÉUNION DU MARDI 26 NOVEMBRE 1996

La délégation a examiné le projet d'avis de la délégation sur les propositions d'actes communautaires E 719 et E 720 relatives à la mise en place de l'euro (cadre juridique, pacte de stabilité, nouveau mécanisme de change), présenté par M. Denis Badré.

M. Denis Badré , rapporteur, a tout d'abord rappelé que la commission des finances, saisie de la proposition de résolution n° 71 (1996-1997) de M. Xavier de Villepin, avait demandé à la délégation de lui donner un avis sur les propositions d'actes communautaires E 719 et E 720, cette demande d'avis étant assortie d'un questionnaire. Il a indiqué que la commission des finances avait désigné le rapporteur général du budget comme rapporteur de la proposition de résolution de M. Xavier de Villepin, preuve de l'importance qu'elle attache à l'examen de cette proposition de résolution.

M. Denis Badré a souligné que les recommandations du Sénat devaient avoir pour objet de réduire les incertitudes que pouvaient susciter les propositions d'actes communautaires présentées par la Commission pour la mise en place de l'euro. Le passage à la monnaie unique est un acte historique ; un incident dans la procédure qui doit y conduire présenterait un caractère dramatique : c'est pourquoi l'attention du Gouvernement doit être attirée sur les risques que pourraient comporter les modalités de la mise en place de l'euro en cours de négociation.

Abordant l'examen de la proposition E 719, M. Denis Badré a indiqué que le texte prévoyait une " surveillance multilatérale " entre les Etats membres et une procédure destinée à empêcher les déficits excessifs. Dans un premier temps au moins, tous les Etats membres ne participeront pas à l'euro. Les propositions de la Commission mettent donc en place un système où les décisions seront prises tantôt par tous les Etats membres, et tantôt par les seuls pays participant à l'euro. Un tel système présente des risques d'incohérence. Pour limiter ces risques d'incohérence, il conviendrait que tous les Etats membres, qu'ils soient dans ou en dehors de la monnaie unique, participent à l'effort de convergence et que, le plus tôt possible, le plus grand nombre possible d'Etats membres participent à l'euro.

Par ailleurs, la proposition E 719 prévoit des dispositions qui vont au-delà d'une simple application du traité et qui tendent à lier le Conseil, notamment pour l'application des sanctions à l'égard des Etats qui ne respecteraient pas la procédure relative aux déficits excessifs. Le rapporteur a estimé qu'il fallait au contraire conserver la plus grande marge possible d'appréciation pour le Conseil et qu'il convenait donc de refuser toute automaticité.

Sur la question posée par la commission des finances au regard de la constitutionnalité du pacte de stabilité budgétaire, M. Denis Badré a rappelé le contenu de l'article 88-2 de la Constitution qui a précisé qu'un transfert de compétences, rendu nécessaire pour réaliser l'Union monétaire, doit être effectué " sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité ".

La proposition de la Commission prévoit une procédure de surveillance renforcée à l'égard des seuls pays ayant adopté la monnaie unique ; or le traité n'a prévu de surveillance qu'à l'égard de tous les Etats membres. Le texte du règlement ne satisfait donc pas à la condition de réciprocité et ne se soumet pas aux modalités prévues par le traité. Il reste encore à savoir si la proposition de règlement met en place véritablement un transfert de compétences, ce qui n'est pas certain dans la mesure où il ne s'agit que d'un pouvoir de surveillance. S'il ne s'agit pas d'un véritable transfert de compétences, alors il n'y a aucun problème de constitutionnalité. Si, en revanche, il s'agit d'un transfert de compétences, il conviendrait que le Gouvernement obtienne l'extension des dispositions du règlement afin qu'elles soient applicables à tous les Etats membres. Ce n'est qu'à cette condition que les problèmes de constitutionnalité seraient résolus.

La proposition de règlement qui définit la procédure concernant les déficits excessifs pose un problème de constitutionnalité identique. Le traité prévoit pour le Conseil une marge de manoeuvre et une faculté d'appréciation certaines pour ce qui touche aux sanctions ; or la proposition de règlement restreint, voire supprime, ce pouvoir d'appréciation. En cela, elle ne respecte pas " les modalités prévues par le traité sur l'Union européenne " et, comme il paraît peu contestable que ce pouvoir de sanction constitue un " transfert de compétences ", elle ne satisfait pas aux exigences posées par l'article 88-2 de la Constitution.

M. Michel Caldaguès , après s'être déclaré en accord avec l'idée centrale exprimée par le rapporteur d'un maintien de la marge d'appréciation du Conseil, a indiqué qu'il avait l'intention de déposer deux amendements à la proposition de résolution déposée par M. Xavier de Villepin, lorsque celle-ci serait examinée par la commission des finances, afin d'en renforcer le contenu. Le premier amendement a pour objet d'obtenir que " soient inséparables " l'ensemble des mesures du pacte de stabilité budgétaire, d'une part, et les décisions relatives au nouveau mécanisme de change, d'autre part. Le second amendement porte sur la sauvegarde des " impératifs touchant aux intérêts vitaux de la France ". M. Michel Caldaguès a souligné qu'il était nécessaire que la possibilité d'acceptation d'un dépassement de la valeur de référence fixée pour le déficit public ne se réfère pas seulement à un " événement échappant au contrôle de l'Etat membre concerné ", selon les termes de la proposition de règlement, mais qu'elle laisse aussi place à une initiative délibérée de l'un des Etats lorsque ses impératifs nationaux sont en jeu. Il a fait valoir en ce sens que la France, compte tenu de la configuration pluricontinentale de la République Française et de ses engagements particuliers sur le continent africain, devait pouvoir prendre des initiatives relevant de son libre arbitre, en particulier dans le domaine de la défense nationale.

M. Xavier de Villepin a manifesté son accord avec le rapporteur sur le rôle du Conseil et sur le plus grand nombre d'Etats membres devant participer à la monnaie unique. Il est de l'intérêt de la France que l'Espagne et l'Italie participent à l'euro afin d'éviter, à l'avenir, de nouvelles dévaluations compétitives. Rejoignant la préoccupation de M. Michel Caldaguès au regard de la préservation des intérêts vitaux de la France, il a estimé que les amendements évoqués par celui-ci auraient pour effet de renforcer le contenu de sa proposition de résolution.

M. Paul Loridant , s'exprimant à titre d'ancien praticien des marchés financiers, s'est inquiété de la spéculation qui pourrait intervenir à l'approche de la date annoncée de mise en place de la monnaie unique tant que n'auront pas été arrêtées les parités définitives. Il a souhaité que la délégation attire l'attention de la commission des finances sur ce point.

M. Christian de La Malène a estimé qu'il était impossible de séparer le débat sur les propositions d'actes communautaires portant sur le pacte de stabilité budgétaire des règles qui s'imposeront ultérieurement dans le domaine de la fiscalité, comme du budget, dès lors que s'enclenchera la " mécanique " de la monnaie unique. Refuser de voir que la mise en place de la monnaie unique impliquera d'aller plus loin dans le transfert du pouvoir budgétaire et fiscal à l'Union européenne, parallèlement au transfert du pouvoir monétaire, reviendrait à se voiler la face. Déjà il apparaît que les propositions qui constituent le pacte de stabilité vont au-delà d'une simple application du traité, notamment en ce qu'elles tendent à rendre presque automatiques des sanctions que le traité laissait à la libre appréciation du Conseil. M. Christian de La Malène a alors déclaré que, pour lui, le dessaisissement du pouvoir budgétaire des Parlements nationaux, qui est la conséquence de ces propositions communautaires, ne devrait pas être opéré par des règlements européens et que la base juridique de ceux-ci était insuffisante et contestable. Si l'on veut lever les éléments d'inconstitutionnalité contenus dans le pacte de stabilité budgétaire, il ne suffit pas d'élargir le nombre des participants à la monnaie unique - ce qui risquerait de jouer contre les critères du traité - mais il faut prendre l'initiative de mettre en place un véritable pouvoir politique européen ; seul ce dernier pourrait valablement et légitimement exercer un pouvoir budgétaire et fiscal européen.

M. Denis Badré a estimé que le Gouvernement devrait veiller à ce que les pouvoirs d'appréciation restent dans les mains du Conseil, comme l'a précisé le traité de Maastricht ; il a ajouté que les dispositions du traité ne devraient pas être dévoyées par une procédure de nature technocratique.

Soutenu dans sa démonstration par M. Paul Masson, qui s'est montré très sensible aux observations du rapporteur relatives à la constitutionnalité des propositions de règlement, M. Lucien Lanier, rejoignant l'analyse du rapporteur, a estimé qu'il convenait que le plus grand nombre possible d'Etats membres participent à la monnaie unique et que le Conseil garde la plus large compétence d'appréciation. Il a estimé que le risque d'inconstitutionnalité des propositions actuelles ne serait écarté que lorsque ces deux conditions seraient satisfaites.

M. Pierre Fauchon a déclaré qu'il souscrivait aux observations du rapporteur de la délégation, aussi bien sur les questions de constitutionnalité des textes que sur la nécessité de la participation du plus grand nombre possible d'Etats à la monnaie unique. Il n'est pas concevable que les Etats qui ne seront pas dans la zone de l'euro fassent la discipline pour ceux qui seront dedans et qui se plieront à cette discipline ; de même qu'il n'est pas admissible qu'ils puissent bénéficier du produit des amendes touchant les Etats ayant adopté la monnaie unique. Il a également ajouté qu'il pouvait accepter les amendements exposés par M. Michel Caldaguès, justifiés par la nécessité de préserver les impératifs vitaux de la France.

La délégation a alors adopté à l'unanimité l'avis de la délégation sur les propositions d'actes communautaires E 719 et E 720 relatives à la mise en place de l'euro (cadre juridique, pacte de stabilité, nouveau mécanisme de change). Cet avis tend notamment à établir un lien politique entre la mise en place de l'euro et le nouveau mécanisme de change, à lever les incertitudes juridiques pesant sur la dénomination de la monnaie unique et à maintenir le pouvoir d'appréciation du Conseil dans la mise en oeuvre du pacte de stabilité. Il répond en outre aux questions de la commission des finances sur la constitutionnalité des propositions de règlement et sur l'impact économique du dispositif proposé.

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