ANNEXE -
AUDITION DE M. JACQUES DE LAROSIERE DEVANT LA COMMISSION DES
AFFAIRES ETRANGERES, DE LA DEFENSE ET DES FORCES ARMEES DU SENAT LE 13 NOVEMBRE
1996
M. Xavier de Villepin, président
- Mes
chers collègues, la commission des affaires étrangères,
élargie à la délégation du Sénat pour
l'Union européenne et à la commission des finances, est heureuse
de recevoir M. Jacques de Larosière.
M. Jacques de Larosière, qui a été directeur du
trésor, directeur général du FMI, puis gouverneur de la
Banque de France, est aujourd'hui président de la Banque
européenne pour la reconstruction et le développement, la BERD.
Il a depuis trois ans brillamment géré cet organisme très
important, dont on a choisi de laisser le siège à Londres, mais
avec un président français, ce qui est fort important pour notre
pays.
Monsieur le Président, nous sommes heureux de vous recevoir, car nous
sommes extrêmement intéressés par l'évolution de la
transition économique dans les pays d'Europe centrale et orientale, ces
deux adjectifs dissimulant de très nombreux pays, dont certains
très importants, comme la Russie. Je vous écouterai avec un grand
intérêt sur la situation complexe de ce pays si important pour
l'Europe, comme tous les pays qui l'entourent -l'étranger proche comme
on disait en géostratégie.
M. Jacques de Larosière
- Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs, je voulais vous remercier très vivement de la
chance que vous me donnez de partager avec vous quelques réflexions sur
l'évolution des pays de l'est et de vous exposer le rôle de la
BERD dans ce processus.
Au cours de l'année passée, des progrès importants ont
été réalisés dans toute cette région. Ils se
sont accompagnés d'une stabilisation accrue des marchés, d'une
stabilisation de la production. Ces faits sont décrits dans notre
" rapport annuel sur la transition ", qui a été
publié le 4 novembre dernier.
Dans l'ensemble, sur le plan économique, on peut dire que la
région continue d'évoluer dans un sens positif.
Il faut aussi mettre les évolutions en perspective. Ces réformes
ont été engagées voici à peine cinq ans, et
pourtant, des avancées considérables ont été
réalisées, s'agissant tout particulièrement de la
libéralisation des économies et de la structure de la
propriété. Des transformations fondamentales ont
été opérées : la structure sociale, la
répartition des pouvoirs, les bases du fonctionnement de
l'économie ont changé.
Si l'on songe au temps qu'il a fallu pour que l'Europe occidentale
libéralise son économie après la deuxième guerre
mondiale, on ne peut qu'être frappé par la rapidité des
progrès accomplis dans la plupart de ces pays.
Mais ces changements sont difficiles et ils s'accompagnent souvent, comme on
peut s'y attendre, de réactions sociales et politiques. Ce qui me
paraît important, c'est que ces changements soient compris par les
populations -ce qui n'est pas toujours le cas- comme une source de
progrès social.
Si la transition ne peut apporter l'espoir d'un avenir meilleur, et si les
faibles ne reçoivent aucune protection, je crains que le processus sinon
s'interrompe du moins connaisse des aléas sérieux. Il est donc
essentiel qu'apparaissent aux populations, dès que possible, de
manière sensible, des changements positifs.
A cet égard, le retour à la croissance économique
constitue à mon sens un test décisif. Certains pays connaissent
déjà une expansion soutenue, tandis que d'autres, plus à
l'est, sont seulement sur le point d'amorcer une reprise.
Ce n'est qu'à partir de la fin 1993 que l'on a commencé à
connaître dans les pays d'Europe centrale et orientale et les Etats
baltes des croissances positives. Elles se sont maintenant installées
depuis avec des taux de croissance de l'ordre de 5 % par an.
C'est un phénomène extrêmement encourageant qui se joint,
en Pologne, en République tchèque, en Slovénie et dans les
pays baltes, à une stabilisation de la situation
macro-économique, une amélioration du budget et une relative
stabilisation de l'inflation...
M. le président
- ... Ce qui suppose que vous avez
confiance dans les statistiques de ces différents pays...
M. Jacques de Larosière
- Dans une certaine mesure, oui...
Toutefois, dans d'autres pays, la dépression des premières
années, après le démantèlement du système
communiste, a été d'abord plus profonde, et l'on a atteint des
chiffres de récession de 20 % dans les années 1991-1992. Ce n'est
que depuis 1995 que ces pays commencent, en moyenne, à rejoindre les
niveaux de PNB qui existait auparavant. On peut espérer qu'en 1997, ces
pays connaîtront une évolution positive.
La part du secteur privé dans le produit intérieur brut des pays
d'Europe orientale et centrale représente maintenant plus de 50 % de
l'économie de ces pays. Ainsi, en 1996, la part du secteur privé
dépassait 70 % en Estonie, Hongrie, République slovaque et
République tchèque.
La rapidité avec laquelle l'ensemble des réformes de
libéralisation et de stabilisation ont été mises en oeuvre
est tout à fait remarquable.
Plus à l'est, le processus de réforme a été
beaucoup plus tardif, mais il faut dire que le rôle des marchés va
grandissant et que la concurrence entre les entreprises commence à
s'intensifier. De nombreux pays ont libéralisé les prix et le
commerce extérieur, et leur politiques en matière de subventions
et de crédit sont devenues plus rigoureuses. Même au niveau de
privatisation des grandes entreprises, nombre de pays de la CEI ont fait des
progrès remarquables.
En outre, la chute de la production s'est arrêtée et l'inflation a
considérablement baissé. En Russie, l'inflation est tombée
de 2 300 % en 1992 à 130 % en 1995 et à 27 % pour la
période allant d'octobre 1995 à octobre 1996.
Le FMI a joué à cet égard un rôle important. Ces
politiques ont imposé des sacrifices rigoureux. Il faut aussi noter que
les résultats de la politique anti-inflationniste en Russie cachent un
certain nombre de phénomènes malsains, comme les retards de
paiements de salaires et l'importance des dettes interentreprises.
On commence cependant à observer les effets positifs de ces
réformes sur le taux de croissance, après cinq années de
chute dramatique de la production. La Russie et l'Ukraine, qui ont de
très fortes pondérations, devraient retrouver une croissance
positive en 1997, mais ce n'est pas encore sûr...
Les besoins en investissements sont évidemment considérables et
l'épargne intérieure devra en financer l'essentiel. C'est ce qui
rend si importants la stabilisation du cadre macro-économique et le
renforcement des systèmes bancaires locaux, sans lesquels le
développement de l'épargne intérieure ne saurait se
concevoir.
L'investissement étranger est en train de progresser. Après un
démarrage extrêmement lent, de 1990 à 1994, les choses ont
assez sensiblement progressé au cours de 1995, notamment en liaison avec
la privatisation de masse qui est intervenue en Pologne et la privatisation
individuelle beaucoup plus prononcée en Hongrie.
Mais ces chiffres sont cependant encore modestes. En 1995, il s'agit de 12
milliards de dollars à peu près. Comparés à
l'ensemble des investissements directs étrangers, notamment ceux qui
vont vers l'Asie du sud-est ou l'Amérique latine, ces chiffres sont
modestes.
De 1989 à 1995, si l'on cumule les chiffres d'investissements directs
étrangers sur toute la zone, on arrive à une trentaine de
milliards de dollars, ce qui représente à peu près ce qu'a
reçu la Malaisie sur trois ans. L'investissement étranger est
donc encore relativement modeste...
L'établissement d'un secteur financier efficace dans ces pays constitue
un défi très particulier. Parmi tous les secteurs de
l'économie de marché, c'est sans doute le secteur bancaire qui
était le moins développé dans l'ancien système, au
point que dans la plupart des pays de la région, les banques telles que
nous les connaissons n'existaient pas. Il s'agissait plus de réceptacles
d'épargne privée allocatrices de crédits en fonction du
plan, que de banques...
Des problèmes très difficiles restent à résoudre
dans ce domaine. Les bilans de ces banques sont alourdis par des
créances douteuses, voire irrécouvrables. Elles sont souvent
insuffisamment capitalisées. Leurs ressources sont trop courtes, leurs
frais généraux excessifs. Elles se sont engagées dans des
investissements de spéculation et les systèmes de contrôle
interne sont insuffisants.
Pour renforcer ce secteur, des mesures doivent être prises sur les trois
fronts que sont la stabilisation macro-économique, l'assainissement des
banques et la supervision bancaire. Nous nous y employons...
*
* *
La Banque européenne pour la reconstruction et le
développement, institution internationale qui comprend 60 actionnaires,
européens, mais aussi américains, japonais, australiens,
canadiens, etc., et bien entendu les pays de notre région
d'opérations, a été fondée en 1991. C'était
une réponse au défi de la transition et de l'effondrement du
communisme.
La paix et l'unité de l'Europe dépendront à mon sens pour
beaucoup de la manière dont se réalisera le passage de
l'économie dirigée à l'économie de marché.
La Banque européenne a reçu un mandat clair et s'est dotée
d'une stratégie recentrée. L'objectif est de favoriser la
transition vers l'économie de marché dans les 26 pays de l'Europe
centrale et orientale et de l'ancienne Union soviétique. Elle a
été conçue pour promouvoir le développement du
secteur privé en finançant aussi certaines infrastructures
nécessaires.
Cinq ans après sa création et sur la base de l'expérience
acquise dans la région, la BERD a développé une
activité importante dans ces pays. Nos objectifs et nos priorités
sont simples mais essentiels : encourager le développement du secteur
privé, notamment du secteur privé local des PME. Il faut
être actif dans tous les pays d'opérations et non seulement dans
ceux qui ont décollé. Il faut donner de l'importance aux
opérations des intermédiaires financiers locaux et avoir une
approche plus active concernant les prises de participation en capital.
Nous disposons d'instruments variés et flexibles pour investir dans les
projets. Nous disposons en effet de prêts, de prises de participation, de
garanties. Cette gamme d'instruments et le fait que la Banque peut
opérer aussi bien dans le secteur public, étatique, que dans le
secteur privé, nous donne une grande flexibilité par rapport aux
autres organisations internationales, et cette flexibilité est
indispensable.
La transition est en effet un processus complexe, dont nous apprenons chaque
jour à mieux saisir les exigences. Chaque pays est confronté
à des besoins, à des défis particuliers, même si
l'on peut dégager des principes et des lignes de solutions
générales.
Mais le mandat de la BERD lui impose aussi de fonctionner comme une banque et
les projets qu'elle finance doivent être rentables et nos prêts
remboursés. C'est un des défis de cette Banque : il faut aider la
transition et prendre des risques là où le secteur privé
ne les prendrait pas et, en même temps, nous comporter comme une banque
et que nous gérions correctement nos affaires.
Contrairement aux banques commerciales, nous appliquons deux critères
supplémentaires dans la sélection de nos projets : en dehors de
la rentabilité, notre apport doit avoir un caractère additionnel
car nous ne devons pas nous substituer à des financements bancaires
disponibles à des conditions raisonnables sans notre participation. En
second lieu, nous devons spécifiquement rechercher des projets
favorisant la transition et le développement du marché.
Nous avons réalisé des investissements très importants.
Nous sommes en fait devenus le premier investisseur privé de la
région.
Cette année, nous avons engagé environ 2 milliards d'écus
comme l'année dernière, et 1,7 milliard l'année d'avant.
Il s'agit là des chiffres annuels de contrats signés. Ce sont
donc des opérations réelles.
Les autorisations données par le conseil d'administration sont
évidemment plus importantes mais il faut du temps entre le moment
où le conseil d'administration approuve un projet et la signature
définitive.
En 1996, nous aurons déboursé 1,5 milliard d'écus. Il y a
toujours une hystérésis entre la signature des projets et les
déboursements, ces projets s'exécutant souvent sous forme de
tranches. Nous devons donc vérifier l'exécution des
différentes conditions avant de procéder aux déboursements.
Au total, la Banque a décollé et son activité se situe sur
un étiage de nouveaux prêts de l'ordre de 2 milliards
d'écus par an.
Notre conseil d'administration a approuvé depuis la création de
la Banque pour 8 milliards d'écus de projets, ce qui équivaut
à 80 % de notre capital initial de 10 milliards d'écus, montant
que nous ne saurions dépasser, en fonction du ratio d'engagements sur
capital de un pour un.
Si on ajoute à ces chiffres les ressources obtenues au titre de nos
cofinancements, on constate que la BERD a été associée
à plus de 15 % des investissements étrangers directs
effectués dans la région. Nous sommes, ainsi, devenus en quatre
ans environ le plus gros investisseur ou attracteur d'investissements
privés dans la région.
La part des projets réalisés dans le secteur privé a
considérablement augmenté depuis 1993-1994 dans le total de nos
engagements. Nous sommes maintenant sur un étiage de 70 %. Nous
atteindrons probablement 76 % en 1997. Notre charte veut que l'on fasse au
moins 60 % de nos opérations dans le secteur privé : cet objectif
est maintenant dépassé.
La part des prises de participation par rapport aux prêts a, elle aussi,
beaucoup augmenté dans le total de nos engagements. Alors qu'en 1992 les
prises de participation ne représentaient que 10 à 12 % du
portefeuille, ce pourcentage a atteint 24 % l'an dernier. Nous réalisons
un quart de nos opérations sous forme de prises de participation. Ceci
est important pour la transition, car les entreprises privées qui
s'établissent ont besoin moins de se charger en dettes que de se doter
en capital, ce qu'elles trouvent très difficilement.
Les seuls engagements de la Banque donnent une idée incomplète de
la situation, car les fonds que nous mobilisons et les financements que nous
encourageons des tiers à effectuer constituent un aspect essentiel de
notre action. A cet égard, il est intéressant de noter que la
valeur totale des projets auxquels la BERD s'est intéressée
s'élève à 24 milliards environ soit, pour un écu
apporté par la Banque, à peu près 2 écus en
complément.
La Banque a, par ailleurs, resserré sa gestion et fait apparaître
des résultats positifs. Il n'importe pas seulement de croître, il
faut aussi renforcer la viabilité financière de la BERD. C'est ce
que nous nous sommes attachés à faire depuis trois ans. Pour
obtenir ce résultat, il fallait augmenter la productivité de
notre Banque et réduire ses coûts. De fait, notre portefeuille a
quadruplé depuis la fin de 1993, sans aucun accroissement en termes
réels, voire une légère régression des frais
administratifs.
Nous ne pourrons être pris au sérieux et bénéficier
de crédibilité auprès des Parlements qui votent les
ressources accordées à la BERD que si nous pouvons montrer que
nous resserrons nos frais de gestion qui sont financés par l'argent du
contribuable.
Les résultats financiers sont encourageants. La BERD a
réalisé un profit opérationnel avant provisions de 83
millions d'écus en 1995. Après une politique de provisionnement
prudente, nous avons dégagé un bénéfice net de 7,5
millions d'écus. Pour les neuf premiers mois de 1996, nous avons environ
78 millions de profits opérationnels, et après provisionnement,
un profit net de l'ordre de 2 millions. L'année dans son ensemble
devrait être bonne.
Les dépenses de personnel ont très légèrement
augmenté, mais à l'intérieur d'un budget en croissance
nulle. Les frais généraux structurels ont été
réduits de manière significative, puisqu'ils sont passés
de près de 30 % à 22,5 %. Ceci est le résultat d'un effort
acharné de la part de la direction générale qui a
consisté à resserrer l'utilisation de l'immeuble, à
sous-louer les étages ainsi dégagés à des banques
londoniennes, à éliminer les "salles à manger
exécutives ", à voyager en seconde classe, parce qu'il
n'existe malheureusement pas de troisième classe... ! J'insiste un peu
sur cet aspect des choses, car je considère que la question d'image est
essentielle surtout pour une institution multilatérale financée
sur fonds publics.
Dans le même temps, nous avons intensifié notre présence
locale et avons maintenant quelque 23 bureaux locaux résidents qui
regroupent environ 200 personnes, jusqu'à Vladivostok. Nous recrutons de
plus en plus de banquiers provenant des pays eux-mêmes.
Nous avons diversifié géographiquement nos activités en
augmentant le nombre des pays dans lesquels nous opérons. En très
peu de temps, nos bureaux de représentation sont devenus pleinement
opérationnels. Ce sont des segments de la Banque très actifs dans
la génération, la négociation et le suivi des projets.
Alors que nous avions à l'origine quelques bureaux de
représentation, nous avons maintenant dans presque tous les pays des
banquiers de plein exercice qui travaillent localement.
Un cinquième de nos opérations passe par des
intermédiaires locaux. En effet, nous ne pouvons pas procéder
à Londres à l'examen de projets individuels de petite taille pour
des PME locales. Nous ne les connaissons pas et la taille modeste des projets
ne justifierait pas notre intervention directe.
Nous avons donc décidé, fin 1993, d'intensifier notre action en
vue d'améliorer la situation de banques locales, souvent fragiles, de
les recapitaliser, de leur assurer une formation de gestion et, à
travers ces banques, d'atteindre la réalité économique
locale et en particulier les PME locales.
*
* *
Enfin, s'agissant de la collaboration avec les entreprises
françaises, la France est l'un des principaux actionnaires de la Banque.
Depuis la création de la BERD, la France a souscrit à 8,52 % du
capital, dont 30 % de la première tranche de 10 milliards d'écus
ont été appelés.
Le Gouvernement français a accordé également des dons pour
plus de 160 millions de francs à des fins de coopération
technique pour aider la préparation et la mise en oeuvre de projets.
De plus, dans le cadre d'initiatives conjointes des pays du G-7, la France
finance l'assistance technique d'un fonds de capital-risque en Russie du sud,
dans la région de Rostov sur le Don, Krasnodar et Stavropol, ainsi qu'un
fonds pour les petites entreprises de Russie.
Enfin, la France est l'un des principaux contributeurs du compte de
sûreté nucléaire qui finance des investissements dans
certaines centrales atomiques particulièrement dangereuses, avant leur
fermeture.
La France bénéficie aussi des activités de la BERD. Dans
l'ensemble des projets que la Banque a réalisés avec des
investisseurs étrangers, les entreprises françaises se placent
dans le peloton de tête : seize projets représentent un coût
total de 249 millions d'écus, dont 167 millions provenant de la BERD,
soit 15 % du total des financements alloués par la Banque.
C'est ainsi, notamment, que nous avons apporté une part du capital de la
BNP-Dresdner Bank créée en Bulgarie. Nous avons également
signé des projets d'investissements avec une large gamme d'entreprises
françaises, allant des plus importantes -France Télécom,
Bouygues, CGC, Lyonnaise des Eaux, Danone, Compagnie générale des
Eaux- à d'autres, moins grandes, mais très impliquées dans
nos pays d'opérations -Sucreries et Distilleries de l'Aisne, Seribo,
Faure et Machet...
De plus, suite à des appels d'offres internationaux, les entreprises
françaises ont obtenu depuis 1993 157 millions d'écus de contrats
représentant 10 % du total des contrats accordés dans le
cadre des projets pour le secteur public.
Finalement, dans le cadre de nos projets de coopération technique, les
consultants français ont obtenu plus de 180 contrats pour une valeur de
plus de 21 millions d'écus.
Les banques françaises ont été très actives dans
les syndications et cofinancements organisés par la Banque. Depuis la
création de la BERD, 95 banques internationales ont participé au
financement de 105 projets, pour un montant total de 3,6 milliards
d'écus. Huit banques françaises ont participé à 33
projets pour 150 millions d'écus.
*
* *
En guise de conclusion, permettez-moi de rappeler que le
conseil des Gouverneurs de la BERD a adopté, lors de notre
Assemblée annuelle de 1996 à Sofia, en avril dernier, une
résolution portant le capital autorisé de notre Banque de 10
à 20 milliards d'écus, dont 22,5 % de parts appelées dont
les paiements s'étaleront sur une période de 8 ans au lieu de 5
ans au titre de la constitution du capital initial. Cette résolution est
l'aboutissement d'un processus d'examen approfondi entamé dès
1994. Les membres de notre conseil avaient demandé à la Banque
d'analyser son capital du point de vue du futur de ses opérations. Cette
analyse a été présentée aux gouverneurs en 1995, et
a fait l'objet en avril dernier de cette décision de doublement.
Tout au long de ce processus d'examen, nous avons été
guidés par la position exprimée par les actionnaires début
1994, à savoir que la Banque n'obtiendrait une augmentation de capital
pour la deuxième moitié des années 1990 et le début
du siècle prochain que si elle parvenait à démontrer son
efficacité opérationnelle et sa viabilité
financière.
Les deux questions qui m'ont été constamment posées au
cours de notre travail ont porté sur le fait de savoir si la Banque
avait besoin d'une augmentation de capital et si elle le méritait.
La Banque a-t-elle besoin d'une augmentation de capital ? Comme je l'ai dit,
les approbations de projets représentent plus de 8 milliards
d'écus. Dans les premiers mois de 1997, nous atteindrons le chiffre
fatidique de 10 milliards d'écus d'approbations. Après cela, nous
ne pourrions, compte tenu de notre ratio de un pour un, continuer à
travailler de manière significative.
Sans augmentation nouvelle, nous serions, en effet, contraints de recourir
exclusivement, pour les prochaines opérations, aux repaiements sur les
prêts existants. Mais étant donné le caractère
récent de nos engagements et l'importance des périodes de
grâce que nous accordons, qui vont souvent jusqu'à cinq ans, voire
plus, nous ne pourrions en fait approuver au cours des 3 ou 4 prochaines
années que des engagements annuels modestes. En 1997-1998, nous
chuterions à moins de 500 millions d'écus par an, contre 2
milliards. C'est très progressivement, vers l'an 2004, que nous
arriverions à un chiffre de l'ordre de 1.700 millions d'écus
environ, encore nettement inférieur à ce que nous
réalisons aujourd'hui.
Autrement dit, nous aurions manqué les années décisives de
la transition. Seul un doublement de capital nous permettra de poursuivre notre
action à un moment crucial de la transition, tout en nous permettant de
ne plus recourir à l'avenir à de nouvelles augmentations de
capital. Les repaiements et les cessions de participation permettront alors
à la Banque de fonctionner sur ses propres ressources.
Or, la demande pour nos services augmente dans tous les pays
d'opérations et, selon nos analyses, elle ne fera que s'intensifier,
puisqu'un nombre croissant de pays abordent et commencent à parcourir
les étapes intermédiaires de la transition, notamment dans les
pays les plus à l'est de notre région.
Selon nos prévisions, la demande de services éligibles au type de
soutien que nous accordons atteindra annuellement au moins 5 milliards
d'écus dans les années à venir -et probablement deux fois
plus...
Pour répondre à cette demande, sans soumettre la Banque à
un rythme de croissance excessif, nous avons mis au point ce que j'ai
appelé une "stratégie de croissance maîtrisable". En vertu
de cette stratégie, nos opérations pourront ainsi continuer
à croître jusqu'à 2,5 milliards en 1999 et au-delà.
Cette progression, jointe aux besoins de suivi des projets et de surveillance
d'un portefeuille en forte expansion, requerra des gains de productivité
considérables.
La deuxième question était : " La Banque
mérite-t-elle une augmentation de capital ? " Les actionnaires ont
donné leur réponse, et je crois que vous disposez maintenant de
quelques éléments justificatifs...
Nous sommes aujourd'hui à un point décisif de notre jeune
histoire. L'augmentation de capital de notre Banque est essentielle pour que
nous puissions continuer à nous acquitter de notre mandat et mettre en
oeuvre notre stratégie dans le cadre d'une stratégie de
"croissance maîtrisable".
*
* *
M. le président
- Nous vous remercions
des informations très précieuses que vous nous avez
apportées.
La parole est aux commissaires...
M. Michel Caldaguès
- Monsieur le Président, vous
avez certainement une échelle de notation des risques afférents
à chaque pays de l'ancien bloc de l'Est. Cette échelle est-elle
communicable, aussi bien quant à sa situation actuelle que quant
à sa tendance ?
M. le Président
- Je ne sais si la question est
indiscrète, mais la réponse m'intéressera beaucoup !
M. Jacques de Larosière
- Les questions ne sont jamais
indiscrètes : ce sont les réponses qui le sont !
Il faut distinguer les risques-pays et les risques-projets.
Nous avons décidé de ne pas publier une échelle de risques
par pays car c'est toujours très délicat dans une institution
multilatérale. Tant que l'ensemble des pays membres honorent leurs
obligations et se comportent comme de bons actionnaires de la Banque, nous ne
souhaitons pas introduire et faire apparaître de différenciation
dans le traitement de ces pays.
Quand nous finançons une opération avec la garantie d'un Etat
souverain, nous respectons ce principe dans toutes ses conséquences,
c'est-à-dire que nous appliquons un taux de marge unique de 1 %
au-dessus du LIBOR
1(
*
)
qui
constitue une approximation du coût de nos ressources.
Nous avons donc décidé, pour les opérations avec garantie
souveraine, d'avoir un taux de marge unique quel que soit le pays emprunteur
(que ce soit la République tchèque ou un pays difficile d'Asie
centrale).
C'est une politique que l'on peut contester mais qui a un avantage : elle met
sur le même plan les pays souverains membres de notre Banque tant qu'ils
se comportent comme de bons actionnaires et remboursent sans retard ce qu'ils
nous doivent. Nous n'avons pas de raisons a priori de les traiter
différemment.
Nous avons bien entendu notre idée des risques-pays et de la valeur des
garanties souveraines qui nous sont accordées mais nous ne la diffusons
pas.
Lorsqu'il s'agit d'un projet privé, comme une sucrerie en Pologne ou une
banque privée dans un pays du Caucase -deux risques-pays assez
différents- nous procédons à une cotation de nos risques
privés, en fonction de la qualité du projet lui-même et de
la qualité de l'environnement économique dans lequel ce projet
s'insère. Nous introduisons donc d'une certaine manière un
élément risque-pays dans l'appréciation du risque-projet.
Cette cotation des projets privés est établie par un
département indépendant et distinct du département
bancaire. Tous les trois mois, l'ensemble de notre portefeuille est
revisité. Les cotations vont de 1 à 10. La cote 10 est
attribuée à un projet qui est hors d'état de rembourser,
les chiffres les plus faibles étant les plus favorables. La cote 7 est
importante, car c'est celle à partir de laquelle nous plaçons le
projet " sous surveillance spéciale ".
Nous fournissons ces cotations d'une manière régulière et
transparente aux membres de notre conseil d'administration mais nous ne les
faisons pas paraître pour des raisons de confidentialité ; les
entreprises en question dépendent souvent des marchés
internationaux.
M. Jean Clouet
- Monsieur le Président, un grand homme
d'Etat français disait que l'Europe s'arrêtait à l'Oural.
Or, vous vous intéressez à l'Europe, mais j'ai le sentiment que
la plus grande surface géographique concernée par votre Banque se
situe en Asie. C'est presque une remarque de sémantique plus qu'autre
chose.
Par ailleurs, vous avez parlé d'engagements, d'autorisations et de
décaissements. Par souci de symétrie, j'aurais pensé aux
encaissements que vous appelez "repaiements". Pouvez-vous dire
quelque chose
à ce sujet ?
Enfin, dans les pays dans lesquels vous agissez, il existe des bourses de
valeurs. Vous arrive-t-il d'intervenir sur celles-ci ?
M. Jacques de Larosière
- Il est vrai que l'Asie est la
partie dominante de notre région. En effet, nous sommes une Banque
européenne, mais nous nous occupons aussi de l'ancienne Union
soviétique.
Historiquement, avant la dislocation de l'Union soviétique, la Banque
s'adressait en priorité aux pays d'Europe centrale et orientale et
à la Russie, car la Russie jusqu'à l'Oural, c'est encore
l'Europe. Lorsque le système soviétique s'est effondré et
a donné naissance à 15 républiques distinctes, nous en
avons hérité et il y a eu en quelque sorte un déplacement
du centre de gravité de la Banque vers l'Est. C'est une question
essentielle au développement de l'activité de la BERD...
En 1995, 38 % des opérations ont été
réalisées dans la partie la plus occidentale de l'Europe mais la
Russie (avec 20 %) a gagné du terrain, ainsi que les pays d'Asie
centrale ou du Caucase. On constate donc un déplacement
géographique de nos opérations vers l'Est et la Russie.
Cela était indispensable. La Russie représente en effet
près de 150 millions d'habitants, l'Ukraine 50 millions, et il aurait
été impossible de conserver un esprit de solidarité et de
cohésion au sein de la Banque si celle-ci ne s'était pas
occupée davantage de ces pays. Si l'on faisait le rapport de ce qui a
été engagé par habitant, on s'apercevrait d'ailleurs que
la Russie et les pays dits " intermédiaires " sont
sous-représentés.
Par ailleurs, vous auriez souhaité voir apparaître une colonne
"encaissements". Je puis vous rassurer : les encaissements et les
retours ne
sont pas négligeables. Sur une année de revenus, ceux qui
proviennent de nos opérations bancaires représentent 40 % du
total. Il y a trois ans, c'était de l'ordre de 10 ou 12 %. Il y a donc
eu une montée en puissance -normale du reste- les prêts
s'accroissant et les périodes de grâce, pour les plus courtes,
commençant à toucher à leur fin.
Si les revenus de nos opérations bancaires représentent
maintenant 40 % du total, les 60 % restants proviennent des placements que
nous réalisons sur nos liquidités elles-mêmes,
essentiellement représentées par les apports en capital souscrits
par les Etats membres. Comme je l'ai dit, si nous comptions exclusivement sur
nos repaiements et sur nos revenus en trésorerie (sans augmentation de
capital), nous ne pourrions dégager qu'environ 500 millions
d'écus pour nos opérations au cours des années à
venir.
Sommes-nous actifs sur les bourses de valeurs ? Oui. Nous assistons ces pays
techniquement. Mais nous sommes aussi un acteur assez décisif, en ce
sens que nous participons aux privatisations. La BERD a en effet souscrit des
actions de sociétés en cours de privatisation, en
général sous forme d'augmentation de capital. Nous ne souhaitons
pas, en règle générale, nous borner à acheter ses
parts à l'Etat -ce qui est la manière la plus simple de
procéder. Transférer de l'argent à l'Etat est sans doute
bon pour son budget, mais ce n'est pas là le rôle de la BERD. Ce
que nous cherchons c'est à acquérir des actions tout en apportant
des ressources nouvelles à l'entreprise.
Notre objectif est donc d'intervenir dans les privatisations sous forme
d'émissions d'actions nouvelles. Nous pouvons acheter des blocs de
titres ou nous pouvons participer à une émission en bourse en
garantissant une part du placement ce qui aide au succès de
l'opération et aussi au développement des bourses. Ainsi,
lorsqu'une société lance, de façon aléatoire, pour
150 millions d'écus des actions en bourse, la BERD peut en prendre 40
millions à son compte et l'émission, par sa seule
présence, devient un succès. C'est un stimulant décisif.
Ces marchés bancaires, pour le moment très modestes, se
développent avec la privatisation.
M. André Dulait
- Monsieur le Président, on
relève une forte implantation de la BERD dans les PECO, qui frappent
à la porte de l'Europe de l'ouest. Comment envisagez-vous de
gérer la sortie de la BERD de ces pays, à relatif court terme -on
parle de l'an 2000 pour certains- afin de ne pas créer de
disparités dans le financement des entreprises intérieures
à l'Europe, au fur à mesure de son évolution ?
M. Jacques de Larosière
- Cette question est centrale pour
la stratégie de la Banque. En effet, un certain nombre de pays parmi les
plus actifs dont nous nous occupons, se sont engagés dans le processus
qui va sans doute les conduire à entrer dans l'Union européenne
au début de la décennie prochaine.
Cela veut-il dire que ces pays vont disparaître de l'horizon de la
BERD ? Personnellement, je ne le crois pas, car je pense que, dans la
période qui va précéder leur entrée dans l'Union,
il y aura beaucoup de chemin à faire, beaucoup de rattrapage, notamment
sur les plans institutionnel, des bourses de valeurs et du renforcement des
banques.
Il y aura beaucoup de travail en matière de restructuration
d'entreprises, car en dépit du succès des privatisations de
certains de ces pays, beaucoup de sociétés sont encore
gérées selon l'ancienne manière, et ne sont pas vraiment
très compétitives.
D'autre part, ces pays sont très en retard dans le domaine de
l'environnement, où nous avons un mandat très fort, et nous
allons donc continuer à les aider dans ce domaine.
Vous craignez par ailleurs certaines distorsions. Ce serait vrai si l'on
prêtait à des taux d'intérêt au-dessous du
marché. En fait, nous prêtons au taux du marché pour toutes
les opérations privées, c'est-à-dire au taux auquel nous
empruntons, à quoi nous ajoutons la marge nécessaire pour
financer nos opérations.
Certes, ces pays seront un jour pleinement membres de l'Union européenne
et auront, plus tard, entièrement accès aux financements de
marchés pour leurs investissements. Il faudra alors que la Banque
s'efface, car nous ne sommes pas faits pour durer indéfiniment !
M. Christian de La Malène
- Quel écho a
rencontré la décision du conseil d'administration de passer de 10
à 20 milliards d'écus, en particulier chez nos amis
américains et auprès de la Banque mondiale ? Ont-ils
trouvé que c'était une décision justifiée et
également estimé que la BERD méritait le doublement de ses
moyens ?
M. Jacques de Larosière
- La réponse est
affirmative. Les Etats-Unis ont voté cette résolution qui a
été adoptée à l'unanimité en avril dernier,
et cela dans un contexte pourtant difficile. En effet, c'était une
année d'élection présidentielle, le Congrès et
l'administration mettant l'accent sur la lutte contre le déficit
budgétaire et la réduction des dépenses publiques. L'aide
internationale était, comme on le sait, un élément
sensible du débat. Une décision positive sur la BERD au mois
d'avril 1996 n'était donc pas évidente ...
Je suis allé au Congrès en mars dernier, un mois avant la
décision, et j'ai pu m'entretenir avec un certain nombre de
parlementaires et leurs collaborateurs. Sur la base des performances
réalisées par la BERD en matière d'activités et de
gestion, j'ai recueilli au Congrès des réactions favorables.
Les Etats-Unis ont maintenant réglé leurs arriérés,
qui s'étaient accumulés depuis 1993, époque à
laquelle ils avaient décidé de couper les crédits à
la BERD.
Mme Danielle Bidard-Reydet
- Monsieur le Président,
exercez-vous des contrôles sur les fonds que vous prêtez, la presse
faisant état de situations mafieuses assez préoccupantes ?
Par ailleurs, vous nous avez dit que le bien-fondé social de votre
action n'était pas perçu, au contraire. Je suis pour ma part
convaincue que les populations souffrent déjà et risquent
même de souffrir davantage. Le volet social est-il pris en compte dans
vos investissements ?
Enfin, qu'en est-il de la souveraineté nationale des pays en fonction
des activités qui sont les vôtres ?
M. Jacques de Larosière
- Nos fonds sont
contrôlés depuis le départ puisque nous finançons
des projets. Il ne s'agit pas d'une aide à fonds perdus. Nous
finançons des kilomètres d'autoroutes, des ports, des quais, des
terminaux, des sucreries, des marchés de gros dans des villes, etc.
L'argent que nous mettons à la disposition de ces projets -et non des
pays- est par définition contrôlé. Nous ne
déboursons que lorsque nous sommes certains que l'état
d'avancement des travaux le justifie. On peut cependant imaginer que des
groupes mafieux puissent en tirer avantage. C'est pourquoi il est
extrêmement important de savoir avec qui nous travaillons et qui sont nos
partenaires. Je dois dire que nous sommes devenus absolument intransigeants sur
la qualité de nos partenaires locaux.
Ainsi, nous n'accceptons de financer aucun projet qui localiserait ses fonds
dans des paradis fiscaux à l'encontre des réglementations
fiscales et de change des pays hôtes. Si l'on nous le demande, nous
refusons et suggérons à nos partenaires de soumettre la
requête au Ministre des Finances ...
Nous travaillons avec des consultants locaux qui ont développé
une assez bonne connaissance des tenants et des aboutissants de nombre
d'investisseurs. Nous avons refusé de financer des projets après
avoir reçu de mauvais renseignements sur certains participants. Je ne
vous dirai pas que nous sommes sûrs à 100 % de ne pas nous engager
sur un mauvais terrain, mais nous sommes très vigilants et conscients du
danger.
Par ailleurs, s'agissant du volet social, la réponse est non, car notre
structure financière ne nous le permet pas. Nous sommes une Banque et
devons financer des projets rentables, cela est une obligation statutaire. Nous
avons, certes, une très bonne signature, mais il nous faut cependant
emprunter l'argent au taux du marché, et nous ne pouvons subventionner
nous-mêmes certaines de nos opérations.
Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas un impact social. Lorsque nous
examinons un projet, nous considérons comme un élément de
notre décision la création d'emplois. D'autre part, nous
n'acceptons pas de financer un projet avec une main d'oeuvre sous-payée
par rapport aux normes du marché.
S'agissant de la souveraineté nationale, chaque projet que nous
finançons, même dans le secteur privé, est soumis à
l'approbation des autorités nationales, lesquelles sont
représentées au conseil d'administration de la BERD. Sans leur
accord, il n'y a pas de financement possible. En aucun cas un projet
financé par la BERD ne saurait s'opposer aux choix politiques d'un
Gouvernement.
M. Claude Estier
- Monsieur le Président, pouvez-vous nous
rappeler quels sont les principaux participants au capital initial de la BERD
et de quelle manière se fera le passage de 10 à 20 milliards ?
Par ailleurs, selon vous, quels sont les pays les mieux placés pour la
prochaine adhésion à l'Union européenne, et estimez-vous
que la République tchèque, qui est considérée comme
l'un des meilleurs candidats, puisse adhérer à l'horizon de l'an
2000 ?
M. Jacques de Larosière
- Le capital de la Banque se
répartit entre 60 pays membres. Les plus gros actionnaires individuels
sont les Etats-Unis, avec 10 %, puis viennent les pays d'Europe
occidentale, comme la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie, qui ont
tous la même participation de 8,52 %, ainsi que le Japon. Les
participations s'étagent ensuite en fonction de la richesse des pays,
jusqu'à des décimales pour les pays les plus petits.
Le passage de 10 à 20 milliards d'écus se fera selon les
mêmes proportions. Il n'y aura pas de changement, puisque chaque pays a
accepté de garder sa quote-part. Les conditions de libération du
capital seront plus douces dans la seconde augmentation que dans la
première.
En effet, dans la première souscription de capital de 10 milliards
d'écus, 30 % devaient être versés en 5 années.
Cette fois-ci, il s'agira de 22,5 %, parce qu'on a estimé que la
BERD avait dégagé un certain niveau de réserves, et on a
étalé les paiements sur 8 ans. Certaines modalités de
souscription sont également plus favorables, en ce sens que l'on peut
payer la souscription en partie en bons du trésor mobilisables sur une
période de 5 ans.
Par ailleurs, vous me demandez quels sont les meilleurs candidats à
l'adhésion à l'Union européenne. Vous avez bien fait de
citer la République tchèque. J'aurais personnellement
ajouté la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la Slovénie et les
pays baltes...
Je crois que les choses vont s'enclencher à partir de l'an 2000.
Peut-être y aura-t-il, pour certains, un début de
négociation en l'an 2000 et mise en oeuvre en 2002 ou 2003 ? Ce sont en
tout cas les ordres de grandeur que j'ai présents à l'esprit pour
les tout premiers du peloton de tête...
M. le président
- Pour terminer, Monsieur le
Président, combien employez-vous de Français à la BERD ?
D'autre part, la langue française constitue-t-elle la langue
véhiculaire ou l'anglais domine-t-il la BERD ?
Par ailleurs, les Balkans rentrent-ils dans votre zone géographique ?
J'ai beau y regarder de près, je n'y aperçois pas que de
démocrates !
Ma troisième question porte sur la Russie. Il me semble qu'avant
l'élection présidentielle, le FMI a été
généreux dans son approche vis-a-vis de la Russie, et qu'il
commence maintenant à froncer les sourcils, tout l'argent prévu
n'étant pas pour le moment définitivement accordé. Qu'en
pensez-vous ? Parallèlement, beaucoup de salaires restent
impayés, ce qui provoque une légitime irritation.
En outre, il apparaît en Russie des "groupements industriels et
financiers" qui rassemblent un certain nombre d'entreprises. Ces
groupements,
qui ne sont pas nouveaux, ne dissimulent pas à votre avis des
activités critiquables ?
M. Jacques de Larosière
- On compte 57 Français
à la BERD, soit 7 % du personnel. Mais si l'on veut regarder les
choses de manière plus significative, il faut surtout prendre en compte
les cadres. En effet, s'il est assez normal que le personnel de
secrétariat soit recruté à Londres, banquiers et juristes
français sont au nombre de 42, soit 8,2 % de l'effectif, pour une
participation française en capital de 8,5 %. On peut donc
considérer que la France est bien représentée à la
BERD.
Certes, quelques pays sont mieux représentés : c'est le cas de la
Grande-Bretagne pour des raisons géographiques assez évidentes.
En revanche, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et d'autres sont moins bien
représentés et en conçoivent quelque souci. Nous nous
efforçons de corriger ces déséquilibres.
Quant à la langue, quatre sont autorisées au conseil
d'administration : le français, l'anglais, l'allemand et le russe. Les
débats du conseil d'administration ont lieu dans ces quatre langues,
avec une interprétation simultanée. Un certain nombre de
documents sont mis à la disposition des pays dans ces langues, mais
l'essentiel des documents de travail sont en anglais. Ce serait trop cher de
tout traduire systématiquement en quatre langues et l'on ne pourrait pas
le faire. La langue de travail est l'anglais.
Quant aux Balkans, vous n'y voyez pas suffisamment de démocratie... Il y
a une certaine liberté d'expression. Je reviens ainsi de Croatie. C'est
évidemment un Gouvernement exécutif et fort, mais il y a beaucoup
de journaux d'opposition. On y trouve des éléments de
démocratie, mais je reconnais avec vous que la réalité de
la situation générale dans les Balkans pose problème.
Que pouvons-nous faire ? ... L'article 1er de notre charte dit que nous devons
nous efforcer de favoriser la transition, non seulement vers l'économie
de marché, mais aussi la transition démocratique, et nous y
sommes très attentifs, en étroite liaison avec le Conseil de
l'Europe, la CSCE et l'Union européenne, notamment dans le cadre de la
Bosnie. Nous ne prêterions pas à un pays dont le processus
démocratique serait enrayé.
Nous sommes assez bien informés de ce qui se passe, mais nos pouvoirs
sont relativement limités. Il m'arrive d'écrire ou de dire
à des chefs d'Etat de la région que le conseil d'administration
s'émeut de la situation.
J'ai effectué des démarches personnelles qui ont eu des effets
concrets notamment en Asie centrale. Nous sommes actifs sur le terrain dans la
mesure où nous le pouvons. Notre crédibilité est plus
grande maintenant que nous sommes devenus plus actifs. Je pense qu'on nous
écoute davantage, mais tout ceci est relatif.
En Russie, en effet, le FMI a été très engagé
puisqu'il a mis à la disposition de la Russie une dizaine de milliards
de dollars. Il est vrai que le processus de stabilisation économique,
qui est apparemment sur la bonne voie puisque l'inflation se réduit et
que la tendance à la production est meilleure, recouvre beaucoup de
choses, comme le non-paiement des salaires.
Bien évidemment, il est problématique de respecter les
critères du FMI en suspendant les paiements, car c'est une
manière artificielle et non soutenable de comprimer la dépense
publique, et vous avez raison de dire qu'il y a des problèmes
considérables derrière tout cela.
Nous n'aimons pas plus que vous, Monsieur le Président, ces groupements
industriels et financiers. C'est une des particularités du pays. Je sens
dans ces groupements d'une part le retour à des positions dominantes et
à des monopoles et, d'autre part, le risque de l'institutionnalisation
d'une certaine vision clanique de la société et de
l'économie dans ce pays.
Je ne manque jamais l'occasion, quand je suis en Russie, de dire à mes
interlocuteurs qu'ils sont à la croisée des chemins entre une
société pluraliste, où les entreprises peuvent se
développer et se faire concurrence sur un véritable marché
libre mais doté des contrôles nécessaires et d'un autre
côté une économie de clans, où le système
s'organise de manière dirigiste entre groupes de pouvoir. Nous les
mettons en garde contre les dangers de cette deuxième voie, qui est de
nature à retarder leur développement et leur intégration
dans l'économie mondiale.
Compte tenu de l'histoire et de la longue période d'économie
centralisée, on conçoit que les choses prennent du temps et qu'il
y ait encore beaucoup de chemin à faire.
Néanmoins, le fait pour la BERD de promouvoir l'investissement
privé et les "joint ventures" avec les investisseurs étrangers
est une manière de changer les choses. En effet, les grandes entreprises
internationales ne jouent pas le jeu des clans, mais veulent se
développer, gagner de l'argent et des parts de marché et
travailler comme on travaille chez nous. Il y a donc une interaction entre ces
investisseurs individuels et le système qui est en train de se mettre en
place. Cette interface est salutaire.
Il existe maintenant en Russie un Conseil Consultatif en matière
d'investissements étrangers, composé des plus grandes entreprises
internationales françaises, allemandes, anglaises, américaines,
espagnoles, italiennes, néerlandaises, suisses, scandinaves ....
Celles-ci ont fait des investissements et font face à des
problèmes d'application fiscale et juridique aux plans national et
local. Ces entreprises ont donc créé un Groupement consultatif
avec la Russie et nous sommes la seule institution internationale à
avoir été invitée dans ce groupe. Ayant un accès
direct au Premier ministre et à son gouvernement, nous exposons des cas
concrets de problèmes à résoudre. C'est une excellente
manière de collaborer pour favoriser l'investissement étranger et
l'amélioration du cadre juridique et fiscal du pays.
J'ajoute que notre activité de prêts et de participations en
capital dans les PME russes, qui a pris une grand ampleur dans toute une
série de régions est extrêmement positive et encourageante.
C'est là que se développe une nouvelle génération
d'entrepreneurs privés.
M. le président
- Monsieur le Président, merci
beaucoup de cet exposé passionnant.
M. Jacques de Larosière
- Merci infiniment de m'avoir
écouté.