RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) à la suite de la mission d'information (2) sur
les conditions du renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme en France |
,
Par M. Claude HURIET,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Jean-Pierre Fourcade,
président
; Jacques Bimbenet,
Mmes Michelle Demessine, Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Claude Huriet,
Bernard Seillier, Louis Souvet,
vice-présidents
; Jean
Chérioux, Charles Descours, Roland Huguet, Jacques Machet,
secrétaires
; François Autain, Henri Belcour, Jacques
Bialski, Paul Blanc, Mme Annick Bocandé, MM. Louis Boyer,
Jean-Pierre Cantegrit, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux, Philippe
Darniche, Georges Dessaigne, Mme Joëlle Dusseau, MM. Guy Fischer, Alfred
Foy, Serge Franchis, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Alain Gournac,
André Jourdain, Pierre Lagourgue, Dominique Larifla, Dominique Leclerc,
Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain
,
Simon Loueckhote, Jean Madelain,
Michel Manet, René Marquès, Serge Mathieu, Georges Mazars,
Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Sosefo Makapé
Papilio, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de
Raincourt, Gérard Roujas, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul
Vergès, André Vézinhet.
(2) Cette mission d'information est composée de :
MM. Charles
Descours,
président
; Claude Huriet,
rapporteur
;
François Autain, Jacques Bimbenet, Paul Blanc, Mme Annick
Bocandé, M. Louis Boyer, Mmes Marie-Madeleine Dieulangard,
Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Dominique Leclerc, Georges Mazars, Bernard
Seillier.
COMPOSITION DE LA MISSION D'INFORMATION
SUR LES
CONDITIONS DU RENFORCEMENT DE LA VEILLE SANITAIRE ET DU CONTRÔLE DE LA
SÉCURITÉ DES PRODUITS DESTINÉS À L'HOMME EN
FRANCE
Mesdames, Messieurs,
L'histoire nous enseigne que, très souvent, la législation
progresse réellement à la faveur de crises. Cela se
vérifie aussi dans le domaine sanitaire.
En effet, on ne pense vraiment à la santé que lorsqu'elle vient
à manquer, et la législation sanitaire est toujours source de
contraintes, qu'elles concernent les personnes (vaccinations, directives
comportementales...), les professionnels de santé (évaluation des
pratiques, obligation de transmission d'informations...), les institutions et
les collectivités (exigences concernant la salubrité, la
sécurité d'équipements...) ou encore les producteurs de
biens ou services (bonnes pratiques cliniques pour les médicaments,
bonnes pratiques de fabrication, traçabilité, inspections,
contrôles...).
La protection de la santé étant perçue en bien des cas
comme entravant la liberté individuelle, la liberté du commerce
ou le droit de propriété, les crises peuvent constituer un bon
catalyseur pour la faire progresser.
C'est ainsi qu'en France, la création du ministère de la
santé fut décidée dans notre pays en 1920 à la
suite de l'épidémie de grippe espagnole qui occasionna la mort de
20 à 40 millions de personnes à travers le monde, soit plus que
la première guerre mondiale.
Aux Etats-Unis, le scandale provoqué par le roman à succès
d'Upton Sinclair, " The Jungle ", qui dénonçait les
très mauvaises conditions d'hygiène dans les abattoirs et les
usines de production de viande de Chicago, fut à l'origine d'une
enquête demandée par le président Théodore Roosevelt
et n'est pas étranger au développement de la législation
sanitaire et de la Food and Drug Administration.
En France, à nouveau, l'affaire dite du sang contaminé a conduit
à la création de l'Agence française du sang et a
facilité l'aboutissement du projet de constitution de l'Agence du
médicament.
Cette crise a en effet permis de prendre la mesure des effets pervers
qu'entraînent l'insuffisance des contrôles et la confusion des
producteurs et des contrôleurs. Elle a aussi permis de comprendre que, si
l'application de normes dites éthiques (gratuité du don,
non-profit, service public...) est indispensable, surtout lorsque sont en cause
des produits d'origine humaine, elle ne suffit pas à elle seule à
garantir la sécurité sanitaire. Pire, lorsque l'éthique
est utilisée comme paravent, non seulement il n'y a plus de
sécurité sanitaire, mais il n'y a plus d'éthique.
Un peu plus tard, la crise des prélèvements d'organes a
nécessité une clarification de l'organisation des
prélèvements et des greffes qui passait par la création de
l'Etablissement français des greffes.
Il importe donc aujourd'hui de saisir l'occasion créée par la
crise dite de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), et d'utiliser
les constats de carence établis par la presse, le rapport de notre
excellent collègue le député Jean-François
Mattéi et celui qui est préparé par le Parlement
européen pour améliorer la sécurité sanitaire des
produits alimentaires.
Le constat, en effet, est clair : la sécurité sanitaire n'est
pas garantie pour tous les produits et services, la veille sanitaire est
partielle et mal coordonnée et les procédures d'alertes sont
insuffisantes.
En outre, les responsabilités ne sont pas bien identifiées : on
l'a vu lors de la crise dite de l'ESB, l'opinion n'a trop souvent entendu que
la seule réponse du ministère juridiquement compétent,
celui de l'agriculture et de l'alimentation.
Si la sécurité sanitaire et la veille sanitaire sont
insuffisantes, il ne faut pas pour autant croire que la situation s'est
détériorée : bien au contraire, les biens et services
médicaux sont plus sûrs et l'on se nourrit mieux que dans le
passé.
Mais il apparaît que le progrès des réglementations et des
contrôles n'a pas été à la mesure de celui qu'ont
connu les biens de santé, de plus en plus perfectionnés, ou les
produits alimentaires, de plus en plus transformés.
Le progrès des réglementations et des contrôles n'a pas non
plus été à la mesure de l'aversion croissante pour le
risque que connaissent nos sociétés.
En outre, nous vivons dans une société complexe, et de multiples
acteurs sont appelés à intervenir en matière sanitaire.
Ainsi, sur le plan administratif, les ministères de la santé, de
l'agriculture, de l'économie et des finances, de l'industrie et de
l'environnement, par exemple, sont compétents à un titre ou un
autre pour traiter de questions qui mettent en jeu la sécurité
sanitaire. Cette complexité des structures, qui répond à
la complexité de la société, nécessiterait une
coordination qui fait souvent défaut.
Et les moyens modernes de transmission de l'information et d'accès aux
données n'ont pas été assez utilisés pour
améliorer la veille sanitaire et la connaissance de l'état de
santé de la population.
Or, seule une veille sanitaire performante permet de déclencher des
procédures d'alerte en temps utile et évite une gestion des
crises a posteriori.
La double insuffisance de certains contrôles et de la veille sanitaire
induit des conséquences graves.
D'abord, la société est désormais très
vulnérable au risque sanitaire. La production de masse de la plupart des
biens de santé et des produits alimentaires et leur sophistication
croissante sont à l'origine de risques majeurs et mal
appréciés, un " grain de sable ", une décision
ou une modification anodine intervenant au niveau de la conception, de la
production ou de la distribution pouvant entraîner des catastrophes.
Ensuite, l'insuffisance de certaines réglementations et de certains
contrôles jette un discrédit général sur l'ensemble
de la politique de santé, alors que la plupart des contrôles sont
bien assurés et que la sécurité sanitaire de la
majorité des produits est bien garantie. Ce discrédit est grave,
dans la mesure où il induit un sentiment de nostalgie d'un passé
mythique et de la méfiance à l'égard de produits pourtant
sûrs.
Enfin, les carences actuelles laissent libre cours aux fantasmes et aux grandes
peurs : lorsque les responsabilités ne sont pas bien identifiées
ou identifiables, l'opinion publique elle-même adopte des comportements
irresponsables.
Le présent rapport s'inscrit dans la continuité des travaux
entrepris par la commission des Affaires sociales en faveur de la
sécurité sanitaire.
La commission des Affaires sociales du Sénat s'est engagée depuis
plusieurs années en faveur du développement de la
sécurité sanitaire.
C'est ainsi grâce à un amendement sénatorial qu'a
été créée l'Agence du médicament.
C'est aussi au Sénat qu'a été adopté un amendement
instituant l'Etablissement français des greffes.
Et les dispositions de la loi du 28 mai 1996 régissant les
thérapies génique et cellulaire sont l'aboutissement d'une
réflexion engagée par la commission des Affaires sociales dans le
cadre d'une mission d'information constituée en son sein.
C'est d'ailleurs à l'occasion des travaux entrepris au sujet des
thérapies génique et cellulaire que votre Commission a pris la
mesure de l'éclatement des institutions chargées de la
sécurité sanitaire et des vides législatifs et
réglementaires concernant certains biens de santé, peu ou mal
contrôlés. Elle a alors décidé du principe de la
constitution d'une nouvelle mission d'information consacrée à la
sécurité et à la veille sanitaires.
Le présent rapport a trois ambitions.
La première est de dresser un constat précis et aussi exhaustif
que possible des carences en matière de sécurité sanitaire
des biens de santé et des produits alimentaires et de veille sanitaire.
Seul un tel constat peut servir de fondement à une réforme qui ne
soit ni irréaliste, ni mal ciblée.
La deuxième est de définir les missions qui doivent être
assumées par l'Etat et de déterminer, en fonction des produits,
le degré de sécurité qui doit être garanti et le
niveau de risque qui peut être accepté. Il serait en effet, non
seulement trompeur mais inopportun, voire dangereux, soit de placer la barre
trop haut en exigeant un risque zéro, soit de placer cette barre
à un même niveau pour tous les produits.
La troisième ambition du présent rapport est de proposer, en
fonction du cahier des charges qui aura été établi pour
l'Etat, une organisation administrative nouvelle susceptible de satisfaire
toutes ses prescriptions.
Deux écueils doivent impérativement être
évités.
Premier écueil, il ne faut en aucun cas raisonner en termes de
création de structures nouvelles, qu'elles se substituent ou qu'elles se
superposent aux structures existantes, sans avoir au préalable
défini le cahier des charges de l'Etat (obligations, priorités,
réglementation nécessaire, niveau de sécurité
à garantir, moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir...). Faute
de quoi on n'aurait fait qu'aggraver le problème en le dissimulant.
Ainsi, créér une nouvelle institution chargée de
l'ensemble de la sécurité sanitaire sans, par exemple,
définir la réglementation et les moyens de contrôle
à mettre en oeuvre pour certains produits actuellement insuffisamment
réglementés et contrôlés, ce serait, non seulement
dissimuler certaines carences, mais décrédibiliser et donc
affaiblir ce qui fonctionne déjà bien aujourd'hui.
Sous couvert d'une réforme en apparence de grande ampleur, nous
n'aurions ainsi fait qu'aggraver la situation actuelle.
Le deuxième écueil est l'obsession sécuritaire. S'il nous
faut trouver les moyens et méthodes propres à garantir la
sécurité sanitaire, notre démarche part du principe que la
notion de risque est inhérente à toute démarche
thérapeutique. Ce qu'il faut éviter, c'est le risque inutile ou
disproportionné.