B. AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS GIRARD, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SANTÉ
M. Charles DESCOURS, président - Après
l'audition de Bernard Serrou, il nous semble -mais nous l'avions
déjà perçu- qu'il y a plusieurs vigilances. Certaines
fonctionnent correctement en France, d'autres moins bien. Quel est l'avis du
Directeur Général de la Santé sur la situation actuelle et
à venir ?
M. Jean-François GIRARD - Je vais répondre à votre
question car je crois que c'est une des plus actuelles, mais j'aurais envie de
commencer par un constat qui est celui d'un besoin de clarification.
La faiblesse française ne provient pas du manque d'institutions, (il y a
probablement un manque de moyens, j'y reviendrai à la fin), mais d'un
manque de coordination et de mise en cohérence de tout ce qui existe
déjà.
Les efforts de l'action publique doivent aller vers une meilleure
cohérence, une meilleure coordination et, mais pas forcément dans
tous les domaines, vers la création de nouvelles institutions. C'est une
première remarque liminaire.
Deuxième remarque, il y a une règle qu'en tant que Directeur
Général de la Santé, vis-à-vis de ma propre
administration, j'ai cherché à appliquer de façon
très déterminée. Le ministère de la Santé,
dans le champ qui est celui de votre mission, doit bien distinguer les missions
d'administration dite centrale, missions stratégiques de
définition de politiques, d'évaluation auprès du ministre
et l'expertise technique dont on a besoin.
Lorsque je dis "expertise technique", ce sont aussi les fonctions
opérationnelles. Je ne crois pas qu'une administration comme la mienne
est faite pour faire de l'opérationnel, c'est-à-dire des
tâches répétitives. Ce n'est pas le rôle d'une
administration centrale. On en a pris acte en créant l'Agence du
médicament, votre assemblée a d'ailleurs joué un
rôle déterminant dans cette création.
La création de l'Agence du médicament a conduit ipso facto
à la suppression de la Direction de la pharmacie et du
médicament, dont il est resté un petit morceau, mais cette
décision a été la première, ou presque, consacrant
la distinction entre les fonctions politiques et stratégiques qui sont
celles d'une administration et les fonctions opérationnelles. C'est
très important.
Lorsque j'ai pris la décision de proposer la création du RNSP
(Réseau National de Santé Publique) cela procédait de la
même logique. La surveillance des épidémies comme celles de
la listériose au cours des célèbres étés
1992 et 1993 avait embolisé complètement le bureau des maladies
transmissibles qui ne faisait que cela car les ministres de l'époque
nous demandaient le nombre de cas de listériose tous les deux jours.
M. Charles DESCOURS, président - C'est le ministère des Finances
qui, par l'intermédiaire de la Direction de la concurrence et de la
répression des fraudes, a un laboratoire de listériose.
M. Jean-François GIRARD - C'est un peu court, si je peux me permettre,
Monsieur le Président.
M. Charles DESCOURS, président - C'est ce que l'on m'a dit.
M. Jean-François GIRARD - Il y a un centre de référence
des listérioses à Paris.
M. Charles DESCOURS, président - On m'a parlé d'un laboratoire
dépendant de la DGCCRF.
M. Jean-François GIRARD - Sur la traque à la listériose,
je regrette que l'on n'en ait pas assez écrit l'histoire. Plusieurs
composantes sont indispensables. L'administration de la concurrence et de la
répression des fraudes qui s'occupe de la distribution a fait des
prélèvements dans le circuit de distribution, dans les aliments
et a travaillé dans ses propres laboratoires pour chercher la
listériose.
C'est une mission très bien identifiée qui coexistait avec les
fonctions du laboratoire de références de l'Institut Pasteur. En
France, il existe une trentaine de centres de références dont
plus de la moitié sont à l'Institut Pasteur. Nous avons une
chance très appréciable et mondialement respectée avec ce
vivier d'expertise.
En revanche, l'Institut Pasteur a été complémentaire de ce
qu'a fait le laboratoire dont vous parlez puisque, dès qu'une souche
humaine de listériose est découverte chez l'homme, est
identifiée dans un laboratoire quel qu'il soit en France, elle est
adressée à l'Institut Pasteur.
Troisième notion liminaire : il est évident que le débat
ne se situe pas uniquement entre fonctions respectives de l'administration
centrale et fonctions des institutions d'expertise satellites, il y a aussi les
services déconcentrés.
Une réflexion, qui n'est pas simple, doit être faite pour savoir
comment l'administration ou le ministre et son administration centrale, les
services déconcentrés et les agences ou les institutions, voient
leur point d'application exister sur le terrain ? Qui sont les relais de
l'Agence du médicament, de l'Agence du sang, du RNSP ? Notre
réflexion à nous tous ne serait pas complète si nous
n'avions pas à la fois la réflexion au niveau central et au
niveau déconcentré.
Pour répondre à votre question, j'ai envie de dire que les
préoccupations de la politique de santé, de la
sécurité sanitaire, de la sécurité des produits, de
la veille sanitaire prennent un essor particulier.
Il y a trois fonctions essentielles complémentaires l'une de l'autre,
mais il serait extrêmement dommageable qu'une seule attire toute la
préoccupation publique, de votre assemblée, d'une commission,
d'un ministre car elles sont toutes les trois indispensables.
La première comprend tout ce qui tourne autour de l'évaluation :
évaluation des pratiques, des comportements, autour de cela, on a la
qualité des soins, l'accréditation. En clair, ce premier volet
concerne l'ANDEM et l'ANAES.
Par rapport à l'intitulé de votre mission, tout ce qui est
évaluation des pratiques, des stratégies, diagnostics
thérapeutiques, tout ce qui contribue à la qualité des
soins constitue un premier bloc.
Le deuxième grand volet comprend tout ce qui contribue à la
connaissance sur l'état de santé. Trois aspects y contribuent :
- l'observation,
- la surveillance,
- la vigilance.
Je reviens sur chacun de ces trois mots qui ne sont pas superposables.
L'observation, c'est le dénominateur. C'est le nombre de cas de cancer,
par exemple, de pathologies cardio-vasculaires, comment cela évolue.
C'est le fait de prendre acte du fait qu'en France, depuis quelques
années, la pathologie cardio-vasculaire est en régression. C'est
une connaissance de l'état de santé de la population
française. C'est ce que font assez bien les ORS, mais d'une façon
inégale, certains marchent très bien, d'autres moins bien.
Il est vrai que sur ce créneau spécifique, à
l'intérieur de la connaissance dans le sous-ensemble observation, nous
manquons d'une synthèse nationale, sans compter que les sources sont
multiples avec l'assurance maladie, les universités, les ORS, les
hôpitaux.
En résumé, l'observation manque de synthèse nationale.
Deuxièmement, la surveillance. Le mot surveillance est un mot que les
anglophones nous ont pris, avec un sens très précis. Dans ce cas,
c'est la détection de tout événement de santé
imprévu. C'est fondamental. En clair, cela ne commence peut-être
pas à un, mais cela peut commencer à deux. D'ailleurs, pour le
cas de la vache folle, cela a commencé à un. La première
fois qu'il y a eu un cas posant un problème de santé atypique
chez l'homme, le cas de Lyon a suffit pour qu'on le repère.
Pourquoi la surveillance est-elle importante ? Parce que, quelle que soit
l'ampleur du phénomène de santé imprévu, nouveau,
(cela peut être deux cas de gastro-entérite dans une famille
pouvant signifier qu'une glace avariée a été mangée
la veille au soir ou à la cantine) cela suffit pour déclencher
une enquête. Un phénomène de santé imprévu
peut concerner une épidémie, exemple le sida, l'hépatite
C, bref des choses que l'on appelle "problèmes de santé
publique". Dans tous les cas de figure, l'important est que l'émergence
d'un phénomène de santé imprévu nécessite
une décision politique ou administrative adaptée. D'où le
fait que l'on dise toujours surveillance/intervention.
A chaque fois que surgit un événement de santé, on doit
faire quelque chose immédiatement derrière. Dimanche dernier,
comme vous l'avez peut-être entrevu, (mais cela a été
discret, ce n'était pas un événement national) trois cas
d'une pathologie rarissime ont été constatés. Il s'agit de
la maladie de Kawasaki que l'on a décrite au Japon. Au troisième
cas de cette maladie chez des enfants à Lille, une enquête a
été déclenchée. Le réseau s'est mis en
marche. L'école a été fermée pendant la
période de doute. Le fait que trois enfants soient atteints d'une
maladie pas toujours bénigne, faute de savoir le pourquoi des choses, a
conduit à fermer l'école, à faire un certain nombre
d'investigations et à s'assurer que cela n'allait pas au-delà de
trois cas.
C'est de la surveillance/intervention. C'est ce que le réseau national
de santé publique fait actuellement avec des moyens insuffisants. Je
vous rappelle qu'il a été créé en 1992 sous la
forme d'un groupement d'intérêt public avec un effectif d'un peu
plus de trente personnes. C'est une structure qui est à la fois un noyau
central stratégique, localisé à Saint-Maurice près
de Paris, avec des antennes dites "cellules interrégionales" qui sont
en
train de se constituer. Trois ont été créées en
1995, trois en 1996. La couverture du territoire français, y compris
l'Outre-Mer, sera achevée en 1997. Au total, ces 11 cellules
interrégionales vont constituer les bras séculiers du
réseau national pour cette fonction de surveillance car encore une fois,
c'est un métier que l'on fait, à la différence de
l'observation, 7 jours sur 7, nuit et jour, avec une notion d'urgence qui
s'impose parfois.
Troisième mission : la vigilance. Bernard Serrou a dû certainement
vous en parler. C'est l'ensemble des surveillances, certes, des
événements produits, déclenchés par l'action
humaine en général et surtout par l'action médicale,
soignante en général. Ce sont les iatrogénèses, que
ce soit la pharmaco-vigilance, l'hémo-vigilance, la
réacto-vigilance, la matério-vigilance. A l'époque
où vous avez examiné les projets de lois sur la
bio-éthique, on a même parlé de l'AMP vigilance.
Sur ces vigilances, je dirai deux choses.
Premièrement, elles sont extrêmement éclatées. Elles
le sont en autant de structures qu'il y a ou qu'il devrait y avoir s'occupant
du secteur. On a confié l'hémo-vigilance à l'Agence
française du sang, la pharmaco-vigilance à l'Agence du
médicament, etc.
On peut se poser la question -je l'avais dit en son temps à Bernard
Serrou- de savoir s'il est raisonnable de confier la vigilance x à la
boutique qui s'occupe du sujet ? Est-ce raisonnable de demander à
l'Agence du médicament de traquer tous les effets secondaires des
médicaments qu'elle a elle-même, par décision positive, mis
sur le marché ?
La question mérite d'être posée. On me dit, et par certains
côtés, c'est très séduisant et logique, que pour
être capable de traquer les effets secondaires d'un médicament, il
faut avoir une extrême compétence qui est
précisément toute cette expertise que constitue le vivier des
gens travaillant avec l'Agence du médicament. On me dit la même
chose pour l'hémo-vigilance.
Extraire la pharmaco-vigilance de l'Agence du médicament,
l'hémo-vigilance de l'Agence française du sang et toutes les
vigilances à venir pour les confier à une seule institution
polyforme qui s'occuperait de toutes les vigilances, je ne suis pas sûr,
surtout si l'on veut être pragmatique et respecter ce qui existe
déjà, que ce soit possible.
En revanche, je suis certain qu'il faut, à un endroit quelconque,
rassembler toutes les informations qui proviennent de ces vigilances car,
après tout, c'est un aspect de l'état de santé des
Français non négligeable car la somme des vigilances, c'est
l'image de la hiatrogénèse. On le sait et on le saura de plus en
plus, la hiatrogénèse est une part non négligeable de ce
que l'on devrait ne pas tolérer, ou réduire pour ne parler que
des affections nosocomiales. Il y aura probablement toujours des infections
nosocomiales, il n'y a pas de médecine sans risque, mais visiblement,
nous avons besoin d'avoir une meilleure appréciation de l'ensemble des
iatrogénèses et d'un rapprochement des vigilances. A un moment
donné, il faut qu'il y ait une synthèse, ne serait-ce que pour
rapprocher les méthodologies.
J'ai été un peu long sur la partie connaissance, mais dans
l'intitulé de votre mission, vous avez "la veille sanitaire", et dans
la
veille sanitaire, ces trois aspects, l'observation, la surveillance et la
vigilance sont indispensables.
Actuellement, il existe le Réseau National de Santé Publique. Il
couvre pratiquement uniquement le volet n° 2, la surveillance. Il ne
couvre pas l'observation. Il n'assure pas cette fonction de synthèse
nationale dont on a besoin et il n'assure que très partiellement la
synthèse de la vigilance. Il récupère, certes, l'ensemble
des cas de sida post-transfusionnels, heureusement, maintenant ils sont peu
nombreux. Il est utile de rapprocher la iatrogénèse
transfusionnelle de l'ensemble du sida et de faire des comparaisons par rapport
aux statistiques que le réseau national gère au plan
français.
On a dit dans cette maison, avec tout le respect que je lui dois, que la
Direction Générale de la Santé avait des envies
dévorantes d'élargir son territoire. Non, j'ai sorti de la
Direction Générale de la Santé de nombreuses fonctions.
Moins il y aura de fonctions techniques et d'expertises opérationnelles
dans l'administration centrale, plus celle-ci sera forte pour faire de la
stratégie et aider à définir des politiques sous la
conduite du ministre.
Je le dis avec conviction, ma longévité pathologique me le permet
peut-être.
M. Charles DESCOURS, président - Vous avez cité trois points
spécifiques dans la vigilance : l'évaluation, la connaissance et
dans la connaissance, vous avez parlé de l'observation, de la
surveillance et de la vigilance.
M. Jean-François GIRARD - Le troisième aspect concernera les
produits. Je suis toujours dans le volet n° 2, connaissance. Pour
l'instant, nous avons le réseau. Le réseau national a
été créé en 1992. C'est un groupement
d'intérêt public. Je crois qu'il a bien fait son travail
jusqu'à maintenant. Il n'a pas détecté les crises du
passé, c'est-à-dire l'amiante et la vache folle car ce sont des
crises héritées du passé. Le problème avec ces
maladies-là est qu'il faut 10, 20 ou 30 ans -c'est vrai aussi bien pour
l'amiante que le prion- pour que les effets pathologiques s'en fassent
ressentir.
Pour une institution qui existe depuis 1992, on ne peut pas lui reprocher de ne
pas avoir eu cette fonction d'alerte. Le réseau détecte les
crises du futur. Des travaux sont faits. M. Drucker, que vous recevrez, vous
expliquera l'activité et le nombre d'épidémies
débutantes détectées, cela peut être deux ou trois
cas. Il est vrai que nous n'avons pas l'habitude de faire un communiqué
de presse à chaque fois que l'on détecte une
épidémie.
M. Charles DESCOURS, président - Excusez-moi de vous interrompre, mais
cela me semble un point capital. Vous dites que pour une
épidémie, même si seulement trois cas sont
détectés, un processus va être maintenant
déclenché, mais souvenez-vous, lorsque M. Dormont a dit qu'il
voulait travailler sur le prion, à l'époque, personne ne l'a
soutenu. Il a travaillé dans son coin car il n'a pas trouvé de
relais ni à la DGS, ni à l'INSERM ou au CNRS.
Je crois que la fonction d'alerte est très importante. Aujourd'hui, dans
votre connaissance de l'état de santé, qui fait la fonction
d'alerte en amont ?
C'est cela qui m'inquiète.
M. Jean-François GIRARD - Je ne sais pas si c'est de l'alerte sanitaire,
j'en conviens avec vous, il y a un aspect alerte qui commence à
dépister le premier cas imprévu, mais je ne sais pas
prévoir l'épidémie de 2010.
M. Charles DESCOURS, président - Il ne s'agit pas de cela. On mange de
la viande tous les jours, subitement, on nous a expliqué que des vaches
étaient atteintes par une épidémie, pourquoi
jusqu'à cette année, ne s'est-on pas posé la question du
passage à l'homme ? Aviez-vous débloqué des crédits
?
M. Jean-François GIRARD - Je ne suis ni ministre de la recherche, ni
Directeur Général de la recherche. Le rapport de 1992 de M.
Dormont indiquait très bien les choses. Il y a eu une série de
décisions. J'ai été entendu par la mission d'information
de l'Assemblée Nationale. Je ne crois pas que l'on puisse dire, sauf
à ce que nous n'ayons pas fait notre travail d'information, que l'on
s'est réveillé en 1996.
Je suis stupéfait d'entendre cela. Je vous enverrai la chronologie des
décisions prises depuis 1992, et parfois même avant, montrant le
principe de précaution et le risque du passage à l'homme, alors
que tout le monde disait que la spécificité d'espèce du
prion était protégée puisque le mouton n'avait jamais
donné de maladie depuis deux siècles alors qu'on en mangeait avec
délectation dans certains pays et où il est, paraît-il,
beaucoup plus honorant pour la personne reçue de manger du mouton
tremblant que du mouton non tremblant. La science nous livrait ses
connaissances avec la certitude qu'il y avait une spécificité
d'espèce.
Ce dogme a fonctionné dans les premières années de 1990,
le rapport Dormont a été suivi d'un ensemble de décisions,
pardon de le dire avec détermination si ce n'est avec vigueur, qui fait
que je n'ai pas attendu le 20 mars 1996. Les dispositifs médicaux
contenant des extraits bovins sont soumis depuis deux ans à une
commission de sécurité micro-biologique ; si l'avis est
négatif, on ne met pas sur le marché. On a fini par prendre un
arrêté qui a été traduit devant la Cour de justice
européenne par Bruxelles.
Je suis prêt à vous apporter des informations, et en premier lieu,
à vous donner la chronologie publique de 10 pages qui vous apportera
tous les éléments.
Cela étant, je ne réponds qu'en partie à votre question,
elle est légitime. Comment remontez le plus possible en amont pour
prévoir un risque et ne pas attendre sa traduction en pathologie humaine
?
M. Charles DESCOURS, président - On a tous appris le cancer dû
à l'amiante, mais personne n'a interdit l'amiante. Lorsque vous avez
passé l'externat ou l'internat, moi aussi, on nous apprenait le cancer
de la plèvre, le mésotéliome dû à l'amiante.
Tout le monde le savait, cela n'a pas empêché de continuer
à construire avec de l'amiante et subitement depuis 6 mois, on parle de
détruire Jussieu.
M. Jean-François GIRARD - Pourquoi ces choses-là sont-elles
apparues depuis 6 mois ? Il y a un phénomène que
j'apprécie, c'est un signe de transparence et de démocratie dont
je subis, plus que la moyenne, les difficultés.
Sur l'amiante, des mesures ont été prises dans les années
77, d'autres ont été reprises en 1985. Il y a eu tout un train
d'études de faisabilité, de déflockage montrant que l'on
n'avait pas tout à fait tort d'être prudent entre 1989 et 1994. Un
décret a fini par paraître en 1996. Effectivement, on ne parle
plus du décret consistant à faire l'inventaire. Il ne faut pas se
précipiter car si l'on doit tout déflocker, indépendamment
du coût pour la nation, c'est très dangereux car l'on risque de
faire monter le nombre moyen de fibres dans l'atmosphère.
Sur tout cela, peut-être que nous ne nous exprimons pas assez, je le
crains, mais je ne suis pas sûr que ce soit une raison suffisante pour
expliquer la situation dans laquelle nous sommes. Mais tant pour la vache folle
que pour l'amiante, l'action publique n'a pas commencé en 1996.
Sur ces deux points-là, je vous enverrai la chronologie de ces
événements. Cela vous montrera qu'il s'est passé beaucoup
de choses. Sur l'amiante, on peut revenir sur les risques certains et les
risques évoqués, je pense que l'article de M. Allegre va
contribuer au débat par rapport aux certitudes ou aux incertitudes que
l'on a actuellement ; certitude sur le plan de l'exposition
professionnelle, incertitude sur le plan de l'exposition dite environnementale.
M. Charles DESCOURS, président - Monsieur le Directeur, je voudrais que
vous nous parliez maintenant des produits.
M. Jean-François GIRARD - Oui, les produits thérapeutiques. Une
première chose doit être affirmée : le modèle du
médicament est probablement le plus achevé. La gestion le suivi
des produits et ce qu'il faut faire pour en assurer la sécurité,
tout ceci passe par trois fonctions bien décrites par les uns et les
autres :
- une expertise,
- un contrôle,
- des mécanismes d'alerte.
On voit très bien ce que cela veut dire au plan des médicaments,
l'expertise c'est l'AMM ; le contrôle, c'est tout le système
d'inspection des établissements pharmaceutiques et les pratiques de
préparation ; l'alerte, c'est la pharmaco-vigilance.
Dans l'alerte, il y a deux choses : l'alerte sur le produit défectueux
à un instant donné, un comprimé qui est rouge au lieu
d'être blanc, et l'alerte sur le plan des conséquences humaines du
dépistage le plus tôt possible d'effets indésirables.
Ces trois fonctions, expertise, contrôle, alerte en matière de
produits thérapeutiques sont indispensables pour tous les produits. Si
je dis que le modèle du médicament est le plus achevé,
c'est parce que la même triade n'est pas appliquée à
d'autres produits thérapeutiques.
Grâce aux préoccupations du Parlement et de votre assemblée
en particulier, des outils ont été mis en place pour les produits
sanguins, pour les greffes, mais il reste un créneau qui doit être
la priorité par rapport à cette préoccupation à
l'intérieur des produits thérapeutiques, c'est le dispositif
médical. Le système actuel est insuffisant à plusieurs
égards.
Premièrement, j'ai quelques scrupules à en parler, mais j'estime
que ce n'est pas à l'administration centrale de prendre en charge le
suivi des dispositifs médicaux et de contribuer à leur mise sur
le marché. En revanche, elle peut suivre tout ce qui est la vigilance,
mais les décisions à prendre en trois heures pour retirer des
sondes cardiaques, etc, ne sont pas de son ressort. C'est un métier
à part que l'administration centrale ne sait pas faire.
Les dispositifs médicaux doivent bénéficier le plus d'un
effort pour lesquels il faut faire l'expertise, le contrôle, la
procédure d'alerte.
Pour l'expertise dans les dispositifs médicaux, le ministère de
la Santé, et moi-même, nous étions préoccupés
du fait que le marquage CE encadrant ces produits est, dans certains cas,
insuffisant.
Je ne sais pas si vous partagez ce sentiment. Revenant également de
Washington, nous avons eu le sentiment qu'il y avait certes une guerre
économique à la clef, mais que le système y était
extrêmement verrouillé, peut-être même trop
verrouillé au sein des producteurs et que l'on avait au contraire un
dispositif européen relativement lâche, marqué du sceau de
la construction européenne avec la libre circulation, la facilitation
d'échange de produits conduisant à un marquage CE insuffisant
pour certains dispositifs médicaux.
Je vous ai parlé tout à l'heure de dispositifs contenant des
produits bovins. Plus généralement, M. Gaymard a écrit au
Président en exercice de la Communauté européenne pour
attirer son attention sur le fait que les dispositifs médicaux
étaient, en matière d'expertise, et dans le cadre européen
s'imposant en droit français, insuffisamment contrôlés,
encadrés et, pour certains d'entre eux, nous exposaient à des
difficultés.
Le contrôle de tous ces produits thérapeutiques est
caractérisé par une insuffisance de moyens. On ne manque pas
d'interlocuteurs, pas d'institutions, j'aurais même tendance à
dire qu'il y en a peut-être un peu trop, le regroupement pourrait
être discuté, en revanche, on manque de moyens. Il y a 400
médecins inspecteurs, 4 000 vétérinaires. Je conviens que
le secteur de l'agriculture est vaste, mais 400 médecins inspecteurs,
c'est insuffisant.
Je suis très préoccupé par cette insuffisance de moyens en
homme au niveau des médecins inspecteurs car depuis quelques
années, ce pays a confié à l'Etat et à son
administration des responsabilités croissantes en matière de
santé, de surveillance, de bio-éthique, pour donner des
mécanismes d'autorisation et de contrôle, idem en matière
de transfusion sanguine.
Si l'administration du ministère de la Santé s'est
étoffée au plan central, en revanche au plan des services
déconcentrés, les moyens sont très insuffisants. La
fonction de contrôle -élément essentiel de la
sécurité lié au produit- est encore insuffisamment
assurée.
Je voudrais redire à quel point le thème de votre mission est
important, même si le temps que j'ai consacré aux trois parties,
évaluation, connaissance et produits, n'a pas été
égal, mais il faut bien concevoir que l'on a besoin des trois. Ne
répondre que par l'un, par les produits, serait insuffisant. Si je me
suis beaucoup étendu sur la connaissance, ce n'est pas parce que
j'estime que c'est encore plus important que les autres, mais c'est la partie
où mon administration a une responsabilité très directe
d'impulsion, de contrôle et de construction.
M. Bernard SEILLIER - La Food and Drug Administration prétend qu'elle
exerce sa mission d'une manière plus efficace que notre administration
dans la mesure où elle serait associée très en amont dans
le processus de mise au point par les laboratoires, qu'elle conseillerait au
lieu de rester complètement indépendante et extérieure
à la mise au point des produits. Partagez-vous cette affirmation ?
M. Jean-François GIRARD - Cette intervention en amont ne me choque pas.
Je ne sais pas si la réponse américaine, qui a cinquante ans
d'âge, est plus structurée, c'est possible. Vu la longueur de la
procédure entre l'idée d'une molécule et son
arrivée sur le marché, ou sa décision d'AMM, il y a
beaucoup de phases schématisées. On peut aider le laboratoire ne
serait-ce que pour que l'action de l'administration, fut-elle l'Agence du
médicament ou une autre agence, n'apparaisse pas comme un
chausse-trappe, une espèce de guillotine. C'est de
l'intérêt de tout le monde.
M. Dominique LECLERC - Une petite réflexion par rapport à vos
derniers propos. Vous dites qu'il faut bien savoir qui fait quoi en termes
d'expertise, de contrôle et surtout de vigilance sur le terrain. J'ai
pratiqué les organismes déconcentrés du ministère,
que ce soit au niveau régional ou départemental, on constate
souvent des insuffisances de moyens, ne serait-ce qu'au niveau des pharmaciens
inspecteurs, que vous n'avez pas évoqués, qui ont une mission sur
toute l'industrie.
M. Jean-François GIRARD - Ils sont 120.
M. Dominique LECLERC - C'est déplorable. Il résulte de tout cela
que l'on ne sait pas trop qui fait quoi. Souvent les ordres professionnels sont
mis à contribution en termes d'alerte. Ils ne le font pas
obligatoirement avec engouement car est-ce bien dans leur compétence ?
Dans tout cela, il y a beaucoup de confusion et d'insuffisance.
M. Jean-François GIRARD - Merci de revenir sur ce point-là, je
crois que la confusion et l'insuffisance vont de pair. Il y a trop peu de
pharmaciens inspecteurs et de médecins, mais aussi d'ingénieurs
sanitaires et des inspecteurs tout court. Il y a des insuffisances dans ce
domaine, d'où l'intervention désordonnée qui vient une
fois d'un ordre départemental, une fois de la caisse primaire ou des
praticiens conseils de la caisse intervenant, y compris sur la
sécurité sanitaire. C'est là où l'on rencontre la
confusion dont vous parlez, je suis d'accord.
Il me semble que l'Etat prendrait une lourde responsabilité maintenant
que ces affaires se judiciarisent et que les responsabilités sont de
plus en plus clairement pointées, légitimement d'ailleurs.
Après tout, en termes de sécurité sanitaire, ni l'ordre
des médecins, ni les caisses primaires ne sont vraiment responsables.
Même si un jour, elles dénoncent une situation, elles ne le feront
jamais systématiquement. Il y a intérêt à faire
coller la définition des responsabilités et les moyens dont on se
dote pour les assumer.
M. Charles DESCOURS, président - Je vous ai trouvé assez
optimiste sur le Réseau National de Santé Publique.
M. Jean-François GIRARD - Je ne suis pas optimiste sur le RNSP. Je
constate que les choses bougent et je n'aurai de cesse de m'inquiéter de
la lenteur avec laquelle les choses apparaissent.
Le Réseau National de Santé Publique n'a que 4 ans, les ORS en
ont 16. Ils ont été créés en 1982. Tout le monde
est d'accord pour dire que c'est un réseau indispensable, certains sont
très bien, d'autres fonctionnent normalement, d'autres sont encore
balbutiants.
Ce réseau de 4 ans est un groupement d'intérêt public, il y
a 40 personnes, là où à Londres il y en a 600. Il faut
savoir ce que l'on veut. On n'a pas de chance, la santé nous explose
à la figure au moment où l'argent dans ce pays fait un peu
défaut et où l'Etat a décidé de restreindre ses
moyens.
M. Charles DESCOURS, président - Où sont ces 600 personnes ?
M. Jean-François GIRARD - Au CDCT. Au bout de 4 ans
-l'arrêté de création date du 18 juin 1992- le
réseau a rempli son contrat. Il est maintenant en face de
problèmes statutaires. Le groupement d'intérêt public ne
peut-il bénéficier que des contributions de personnels
apportées par les partenaires signataires de la convention créant
le mouvement d'intérêt public ? Il n'y a pas de personnel propre
en principe, nous ne créons les postes que par dérogation
après une lutte acharnée pour chacun d'eux. Nous avons
réussi, pour le RNSP, à avoir un taux de personnel propre
dépassant ce qui était prévu dans les
arrêtés, mais visiblement, on a un problème de moyens.
Se pose aussi le problème de savoir quelles seront les missions que l'on
pourra donner à ce Réseau National de Santé Publique.
J'ajouterai enfin, pour vous rassurer, Monsieur le Président, que la
prochaine agence de santé qui se créera dans l'Union
européenne, après Lisbonne pour la toxicomanie, Londres pour le
médicament, sera un CDC européen, un centre de surveillance des
maladies transmissibles.
Si entre Français, on ne s'entre-tue pas, je pense que le CDC
européen sera à Paris. Saint-Maurice est un pôle de
santé publique où se trouvent sur le même site l'antenne
francilienne de la santé publique, le centre européen du sida,
le réseau national de la santé publique, des unités
INSERM. On a un potentiel qui me fait dire que si l'on ne s'y prend pas trop
mal, comme le Royaume-Uni a été servi avec l'Agence du
médicament, on peut obtenir que le CDC européen soit à
Paris.
M. Claude HURIET, rapporteur - J'ai deux questions à vous poser.
On a vu apparaître très vite dans les premières auditions,
une immense lacune concernant les dispositifs et les matériaux.
J'aimerais que vous nous précisiez qui est actuellement en charge des
matériaux. Est-ce la Direction des hôpitaux ?
Sur l'informatique, peut-on penser que toute la réflexion que l'on
entreprend sur le renforcement de la veille sanitaire peut se poser dans des
termes différents avec l'informatisation du cabinet médical ? Un
médecin observant un phénomène inhabituel pourra
accéder très facilement à une banque de données qui
pourrait lui permettre de savoir si ce cas est isolé ou si au contraire,
il peut s'agir d'un événement d'alerte. Autrement dit, les
réflexions que l'on a engagées sur les structures de veille et de
vigilance risquent de comporter une autre dimension lorsqu'un système
d'alerte a l'avantage d'être immédiatement accessible en temps
réel et très proche du praticien.
M. Jean-François GIRARD - Sur les matériaux, mon interrogation
porte sur la définition des matériaux par rapport aux dispositifs
médicaux.
M. Claude HURIET, rapporteur - C'est la matière première. Ce sont
aussi bien les métaux utilisés pour des prothèses et aussi
la façon dont ces métaux sont transformés, les
phénomènes de surface, de revêtement.
M. Jean-François GIRARD - A mon sens, les matériaux sont un
sous-ensemble des dispositifs médicaux. J'ai dit, avant que vous
n'arriviez, que la procédure applicable aux dispositifs médicaux
me paraissait insuffisante. Le marquage CE et le cahier des charge de ce
marquage CE est un dispositif très léger, c'est une bonne
technique de fabrication, mais qui ne donne pas les éléments
qu'on exige pour le médicament sur la qualité des matières
premières, la qualité du process, la procédure de
fabrication et qui ne juge que le résultat fini.
Pour moi, les matériaux constituent un sous-ensemble des dispositifs
médicaux. C'est l'un des arguments que j'avance pour dire que notre
réponse en matière de dispositifs médicaux est
insuffisante en termes de sécurité. Lorsque je dis "notre", c'est
la procédure européenne qui est insuffisante.
Sur le rôle des médecins praticiens, oui, la santé publique
ne deviendra adulte que si les 60 000 généralistes et 30 000
spécialistes libéraux, sans parler des médecins
hospitaliers, contribuent à ces fonctions de surveillance.
Pour l'instant, cela n'existe que dans certaines expériences très
précieuses. Vous savez probablement ce qu'on appelle "le réseau
sentinelle". C'est un réseau de 500 médecins
généralistes connectés depuis maintenant presque 10 ans
à un laboratoire rattaché au réseau national de
santé public et qui, chaque semaine, déclarent un certain nombre
de pathologies. C'est ainsi que l'on a une connaissance relativement
précise des hépatites A, de l'évolution des maladies
sexuellement transmissibles.
500 médecins, ce n'est qu'un échantillon de 1 % par rapport aux
50.000. A l'avenir, on aura les moyens de permettre que tout professionnel de
santé, y compris les pharmaciens d'officine, (sur le problème de
la politique de santé, ils sont en train de jouer un rôle
déterminant, ils vont plus vite à s'intégrer dans les
politiques de santé que les médecins) ait une information qu'il
n'a pas actuellement. En retour, avec les systèmes qu'il faut, on aura
une décentralisation extrêmement facile.
La réponse est oui, les médecins généralistes sont
les premiers médecins de santé publique.
Dernier point à propos des services déconcentrés, je me
suis mal exprimé. J'ai simplement voulu dire qu'il y a au plan central,
une administration et des agences. Mon souci est que dans le département
ou dans la région, il n'y ait pas des tuyaux d'orgue, qu'il y ait une
coordination sur le département ou la région.
C. AUDITION DE M. YVES MATILLON, DIRECTEUR DE L'AGENCE NATIONALE POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉVALUATION MÉDICALE
M. Charles DESCOURS, président - L'objet de notre
mission comprend deux volets : la sécurité des produits au sens
large du terme et la vigilance sanitaire. Comment voyez-vous la place de
l'organisme que vous représentez aujourd'hui et, éventuellement
demain, si ses compétences doivent être élargies ?
M. Yves MATILLON - Merci de m'avoir convié à votre discussion et
à votre travail préparatoire.
Je prendrai volontiers position en tant que responsable de l'ANDEM et ce que
j'ai pu percevoir durant les dernières années, en sachant que par
rapport à la thématique générale, le rôle de
l'ANDEM ou de l'ANAES -c'est le nouveau nom du nouvel organisme- me
paraît être relativement limité dans les sujets importants
que vous traitez qui sont plutôt du domaine de la santé publique.
C'est la première réflexion que je voulais faire.
Une des missions de l'ANDEM, qui restera avec l'ANAES, est d'établir
l'état des connaissances par rapport au développement de
certaines technologies, en particulier ce qui ne concerne pas le
médicament. Sur ce secteur-là, j'entends les stratégies
diagnostiques comme les stratégies thérapeutiques non
médicamenteuses. Il ressort très souvent que l'on a un petit
nombre de preuves d'efficacité. Lorsque les technologies, les techniques
sont récentes et nouvelles, on a très peu d'informations
concernant les effets secondaires, les effets négatifs ou tout ce qui au
sein de la veille sanitaire peut répertorier les incidents
iatrogènes, toutes ces conséquences négatives de
l'activité diagnostique et thérapeutique. Plus on a des
techniques jeunes et récentes, moins on a d'informations.
Je vous donne un exemple concret avec la fameuse affaire du chauffe-prostate ou
de l'hyperthermie prostatique. Cela m'avait beaucoup frappé à
l'époque. On avait mis sur le marché certaines de ces machines,
sans avoir véritablement de notion d'efficacité, et sans
connaître les éventuels effets secondaires. Or, on a su, par
démarche déductive, qu'il y avait des effets négatifs que
personne n'avait répertorié.
Je vous donne cet exemple pour illustrer ce que l'on a retrouvé dans
d'autres études d'évaluation technologique. Très souvent,
cela s'explique par une raison simple, le recensement ou l'identification des
effets négatifs n'est pas toujours facile à faire.
L'objet de votre mission paraît très important pour inciter et
favoriser l'identification des effets négatifs. Ce n'est pas du tout de
ma part une critique, mais il me semble que les médecins ont toujours un
peu de difficulté à admettre les effets négatifs à
ce qu'ils font : consciemment ou non.
Voilà schématiquement ce que j'avais en tête sur le plan de
l'importance du phénomène que vous étudiez, sur la
nécessité de trouver des facteurs incitatifs pour
répertorier les effets secondaires des thérapeutiques non
médicamenteuses et des stratégies diagnostics. Je n'ai pas de
solution miracle.
M. Claude HURIET, rapporteur - Je pense qu'il serait très
intéressant pour la mission que vous définissiez comment vous
concevez l'évaluation par rapport à d'autres démarches
avec lesquelles on la confond souvent.
Quelles sont les limites de l'évaluation à travers ce qui est
appréciation de l'efficacité, de l'innocuité, des effets
secondaires dont vous venez de parler. Vous venez de parler de stratégie
thérapeutique. L'évaluation dans le domaine chirurgical, par
exemple. Je crois qu'il y a une certaine confusion dans les esprits.
M. Yves MATILLON - Je vous remercie beaucoup de me poser cette question car
effectivement, il faut que l'on s'entende sur ce qu'il y a derrière ce
terme. C'est un terme générique que l'on utilise tous dans la vie
de tous les jours et qui est appliqué dans la pratique professionnelle.
Lorsque je vous parle d'évaluation technologique, on entend par
évaluation, l'état des connaissances sur une technique diagnostic
ou thérapeutique. C'est l'état des connaissances aujourd'hui
à propos des techniques de dilatation des coronaires, à propos
des implants osseux, ou des greffons osseux. Que connaît-on aujourd'hui ?
Je prends le terme "évaluation" dans le sens de l'évaluation des
connaissances aujourd'hui. Cela repose sur l'évaluation des
connaissances publiées, connues au plan scientifique et au plan des
connaissances dont les professionnels disposent.
Je fais cette remarque sur les sources de données car si la technique
est récente, on a peu d'informations d'ordre scientifique ; en revanche,
on en a qui sont plus liées aux pratiques professionnelles, d'où
la difficulté au stade d'émergence d'une technique de faire un
état objectif des connaissances. Plus la technologie, la technique est
ancienne, plus on a des données scientifiques et plus l'apport des
professionnels est intéressant.
Sur quoi porte l'évaluation dont on parle maintenant ? Que
connaît-on en termes de sécurité de la technique, en termes
d'efficacité et d'utilité pour les malades ?
Là aussi, on répond de manière variable en fonction du
développement de la technologie. Que connaît-on en termes de
sécurité ? Si je reprends l'exemple du chauffe-prostate ou de la
dilatation coronarienne, que connaît-on aujourd'hui en termes de
sécurité ?
Connaît-on au développement initial de cette technique des effets
secondaires ? On peut faire la même chose sur la technique de dilatation
des coronaires. Il y a deux ou trois ans, une polémique s'est
installée dont la presse s'est faite l'écho à propos d'une
machine appelée le "rotablator" qui tourne très vite, utilisant
le même principe de percée que celui employé pour creuser
le tunnel sous la Manche. Cette petite vrille tournant à x tour minute
ou seconde s'était détachée et avait entraîné
des perforations d'artères.
Il faut que l'on essaie de collecter de l'information, -je fais le lien avec
votre mission- il faut favoriser la collecte de ce type de données
qu'aujourd'hui encore, pour des raisons conscientes et inconscientes, on a
tendance à mettre de côté. Ceci c'est de l'information sur
la sécurité.
Ensuite, c'est l'efficacité. C'est très connu pour les
médicaments. En comparant deux médicaments, A et B, on sait s'il
y en a un qui est plus efficace sur des paramètres identifiés,
qu'ils soient cliniques ou biologiques.
Cet effort énorme qui a été fait pour le médicament
n'a pas été fait de manière aussi structurée, aussi
avancée pour le reste. Pour les techniques chirurgicales, il est vrai
que l'on est en retard. On incite progressivement à ce que cela soit
fait. La loi qui porte votre nom favorise cette prise de conscience. On fait
entrer des protocoles d'études, d'essais contrôlés afin de
comparer techniquement les techniques. Si l'intervention chirurgicale par
coelioscopie est plus efficace qu'une intervention chirurgicale classique pour
l'appendicectomie, il faut qu'on le sache, or, il y a peu d'études sur
ce type d'indication.
On peut multiplier les exemples à loisir sur toutes les
thérapeutiques chirurgicales. Je reprends l'exemple qui avait
défrayé la chronique l'an dernier sur les ligaments du genou.
Est-il légitime d'apporter des suppléments artificiels du genou
à certains traumatismes ligamentaires ? Là encore, dispose-t-on
de données scientifiques valides et professionnelles permettant de dire
qu'il faut le faire ?
Si je prends cet exemple, c'est parce qu'il y avait deux types de chirurgiens
en France : ceux qui implantaient les ligaments et ceux qui les retiraient
parce que les malades n'étaient pas satisfaits. En l'état actuel
des connaissances, on manque d'essais contrôlés permettant de dire
que c'est efficace. Nous devons donc favoriser le développement d'essais
contrôlés en informant les patients et l'on pourra
vraisemblablement répondre dans un ou deux ans à la question pour
laquelle aujourd'hui on n'a pas de réponse.
Ceci c'est pour la sécurité, l'efficacité et
l'utilité, on se place là du point de vue du malade. Si je
reprends l'exemple de l'adénome de la prostate, le médicament
est-il plus efficace que la chirurgie ? En termes de stratégie
thérapeutique, est-ce utile pour le malade ? C'est tout de même la
question importante.
On ne peut pas répondre à cette question si l'on n'a pas
d'éléments concernant la sécurité et
l'efficacité.
Un énorme effort de réflexion collective doit être fait.
J'en ai souvent parlé avec Jean-François Girard, y compris avec
les instituts de recherche pour qu'effectivement, on finance la recherche pour
qu'elle soit utile à l'identification de gains thérapeutiques
pour les malades.
M. Charles DESCOURS, président - Ne peut-on pas imaginer une
évaluation a priori, c'est-à-dire avant que cela ne soit
appliqué en thérapeutique courante ?
M. Yves MATILLON - Je trouve votre question très importante. Je ne
voudrais pas que vous reteniez de mes propos que l'évaluation a un
rôle a posteriori. L'évaluation peut avoir un rôle a priori
très important en indiquant et en précisant les conditions de
diffusion de cette technique. Le risque est de dire que pour toute nouvelle
technologie n'ayant pas de preuve d'efficacité, ce n'est pas la peine de
la développer. L'inverse serait de dire qu'on a le produit miracle ou la
machine merveilleuse qui va régler tous nos problèmes.
Il faut osciller entre ces deux perspectives sans condamner ni l'une ni
l'autre, en essayant de mettre en place -et c'est là où se trouve
l'articulation avec votre mission et le sujet que vous développez- le
maximum d'informations le plus rapidement possible, le plus tôt possible
dans de bonnes conditions de fiabilité et de validité. Moyennant
la connaissance de ces informations, il faut que l'on puisse mettre un cadre au
développement d'une technique. Cela peut même aller jusqu'à
son remboursement. Pourquoi ne pas imaginer que l'on puisse rembourser, de
manière conditionnelle et pour certaines indications cliniques, une
technique et la mettre sur le marché à certaines conditions, dont
pourraient bénéficier les malades, dans le cadre même d'un
protocole expérimental et qu'en fonction du résultat de cette
approche, on puisse envisager de l'étendre, de rembourser davantage ?
M. Claude HURIET, rapporteur - Dans la démarche que vous évoquez,
vous montrez bien que l'évaluation doit s'inscrire dans le temps. La
position que vous proposez en tant qu'agence tient compte des connaissances
acquises au jour j grâce aux pratiques, aux références
biographiques.
La question que je pose est tout à fait dans l'axe de notre mission.
Quelles sont les relations que vous avez établies avec d'autres
instances qui sont chargées de la veille et de la vigilance ? C'est un
élément qui vous concerne pour adapter votre démarche au
fil du temps. Vous avez vos propres sources, y a-t-il échange au plan
national ?
Autrement dit, tout ce qui est vigilance est-il branché sur l'ANDEM et
réciproquement ?
M. Yves MATILLON - Cette question est très importante. J'ai tenté
d'avoir des informations. Notre rôle n'était pas de collecter
l'information, mais d'avoir l'information sur la notion de veille sanitaire. Je
me suis retourné tantôt vers les structures ministérielles,
tantôt vers les structures des organismes de sécurité
sociale car ils ont un système de suivi, tantôt vers les
organismes comme le Réseau National de Santé Publique dont une
des fonctions est de collecter l'information.
Je dois vous faire part de mon interrogation quant à ce constat sur la
difficulté d'obtenir des informations fiables.
M. Charles DESCOURS, président - Vous n'avez pas d'informations fiables
de ces organismes ?
M. Yves MATILLON - Il nous est apparu difficile d'obtenir des informations. On
en a, mais elles sont fragmentées. Il est nécessaire de
développer et de créer des moyens incitatifs permettant à
des structures, y compris chez les professionnels dans les hôpitaux, de
pouvoir récupérer ces informations-là et qu'elles soient
disponibles lorsqu'on en a besoin.
M. Claude HURIET, rapporteur - Quels sont les organismes que vous avez
interrogés ?
M. Yves MATILLON - Cela dépend du sujet que l'on traite. Sur la
vascularisation coronarienne, on s'est adressé à la Direction des
hôpitaux, à la Direction Générale de la Santé
pour essayer d'avoir des informations même sur des données
quantitatives de base. On sollicite aussi les sociétés savantes
qui sont prises presque au dépourvu lorsqu'on leur pose ce genre de
questions.
C'est une mission très importante, de nature de santé publique,
qu'il est nécessaire de structurer pour que les responsabilités
soient renforcées, confortées. Je vous dis cela en tant
qu'utilisateur du système et en étant à un endroit de ce
système. Je ne peux que vous répéter que l'essence de
votre mission est importante.
M. Claude HURIET, rapporteur - Dans vos interventions, on voit
apparaître, mais peut-être est-ce parce que je suis obnubilé
par l'objet de la mission, les fonctions de l'ANDEM en termes
d'évaluation et le lien avec la sécurité sanitaire qui
fait l'objet de notre travail, mais l'ANDEM sera remplacé par l'ANAES.
En vous étant inscrit dans un autre système, celui de
l'accréditation, la co-existence de deux missions
complémentaires, mais distinctes, le risque n'existe-t-il pas -si vous
n'y prenez pas garde et si ce n'était pas vous le responsable de
l'ensemble- qu'il y ait une mission privilégiée, ne serait-ce que
de par la charge de travail et le calendrier très contraignant, à
savoir l'accréditation, et que l'évaluation soit temporairement
considérée comme une mission seconde de l'ANAES ?
M. Yves MATILLON - Là encore, je vous suis gré de poser cette
question car elle est importante en termes de perspectives pour l'avenir.
Dans le cadre des missions de l'ANAES, on trouve une mission classique
d'évaluation dont on vient de parler, et il y a cette mission
d'accréditation. Or, le texte de l'ordonnance faisait
référence au fait que le domaine d'intervention
d'accréditation porte sur la sécurité et la qualité
des soins.
Pour la sécurité des soins, là encore on revient à
la notion de sécurité qui sous-entend la nécessité
d'identifier les effets négatifs des procédures diagnostiques et
thérapeutiques développées dans les établissements
de soins publics et privés, il me paraît intéressant de
faire en sorte que l'accréditation soit un moyen incitatif fort
permettant à chaque établissement de développer un
système ou une organisation identifiant les effets négatifs des
procédures engagées dans l'établissement.
Trouvons un bon équilibre entre l'endroit où l'on collecte les
données et l'endroit où elles sont exploitées et
utilisées.
Votre question cible bien sur la nécessité d'articuler la
procédure d'évaluation et de veille sanitaire.
M. Claude HURIET, rapporteur - Votre réponse est très positive :
cela vous paraît une démarche cohérente avec l'orientation
que vous donnez à l'accréditation.
D. AUDITION DE M. MICHEL THIBIER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CENTRE NATIONAL D'ÉTUDES VÉTÉRINAIRES ET ALIMENTAIRES (CNEVA)
M. Charles DESCOURS, président - Monsieur le Directeur,
vous connaissez l'objet de notre mission, mais peut-être serait-il
opportun que vous nous expliquiez ce qu'est votre centre d'études
puisque la commission des Affaires Sociales du Sénat n'a jamais
auditionné votre organisme.
Revenant des Etats-Unis où nous avons vu la Food and Drug Administration
et le ministère de l'Agriculture, il serait bon que vous nous disiez
comment votre organisme s'intercale dans l'objet de notre mission.
M. Michel THIBIER. - Merci. Je souhaitais en effet vous expliquer dans mon
préambule ce qu'est le Centre National d'Etudes
Vétérinaires et Alimentaires, plus communément
désigné sous le sigle de CNEVA dont vous avez pu lire le sigle
dans différents journaux au cours de ces six derniers mois puisque le
CNEVA gère le problème des encéphalopathies spongiformes
bovines.
Le CNEVA a une histoire et une expérience marquée en termes de
veille sanitaire, y compris vis-à-vis des agents thérapeutiques
administrés aux animaux. Personnellement, je ne suis pas un expert, mon
champ de compétences est plutôt dans le domaine des
bio-technologies de la reproduction, après avoir été
professeur aux Etats-Unis en particulier. Je suis actuellement Président
de la Société Mondiale de transferts embryonnaires et Directeur
général du CNEVA depuis un peu plus de deux ans. Nous sommes
quotidiennement préoccupés par les moyens les plus efficaces que
l'on peut mettre en oeuvre et plus précisément par le souci de
renforcer nos moyens de veille sanitaire et le contrôle des produits
thérapeutiques.
Le CNEVA est un établissement public administratif. C'est
peut-être le seul EPA qui fait à la fois de la recherche et de
l'appui technique.
C'est un jeune organisme, créé par un décret de 1988, qui
regroupe les anciens laboratoires vétérinaires dits "nationaux"
se répartissant sur le territoire national entre Brest, Boulogne sur
Mer, Sophia Antipolis, Lyon, Nancy sans oublier Paris et Fougères.
Ce centre a pour objet d'appuyer, au plan scientifique et technique, la
politique du ministre chargé de l'Agriculture pour ce qui a trait aux
productions animales et plus précisément de l'ensemble
santé animale, médicaments vétérinaires,
hygiène alimentaire.
Cet établissement public administratif comporte en gros 600 personnes
regroupées en douze centres bien répartis sur le territoire
national. Il comprend 200 scientifiques environ. Il est organisé par
filières. C'est une de ses originalités par rapport à
d'autres organismes. Ainsi le laboratoire de Lyon, celui que l'on cite le plus
souvent ces derniers temps, est spécialisé dans le domaine de la
filière bovine, celui-ci situé près de Caen est
spécialisé dans la filière équine, celui de Brest
en aquaculture, pisciculture et pathologie du poisson, Boulogne sur Mer en
matière de produits de la pêche, etc.
C'est une structure intéressante et vous verrez qu'elle est tout
à fait cohérente avec les principes généraux de
veille sanitaire.
Il y a trois départements : le département de santé et de
protection animale, le département du médicament
vétérinaire et le département d'hygiène, de
sécurité et de qualité alimentaire.
Notre stratégie de développement fait en ce moment l'objet de
débats dans le cadre du contrat d'objectif avec l'Etat et de la
réforme de l'Etat. Nous mettrons en forme notre stratégie
consistant à renforcer encore plus la partie relative à
l'hygiène alimentaire.
Le CNEVA comprend 200 scientifiques regroupés dans une structure qui se
caractérise par ce que je qualifierai de "proximité humaine". Je
connais ces 200 scientifiques un par un, je les ai déjà tous
rencontrés à plusieurs reprises. La capacité de
réaction du CNEVA est vive sur la veille sanitaire, et ne traduit pas
les grandes inerties ou les grandes latences que l'on peut trouver à
d'autres endroits.
Le point fort du CNEVA est celui de l'association bien réussie, ce n'est
pas si fréquent, de la recherche et l'appui technique.
Dans mon propos liminaire, j'ai prévu de vous parler de trois points
avant de répondre à vos questions.
Je voudrais vous faire part des trois principes généraux qui
animent la Direction du CNEVA en matière de veille sanitaire ; trois
principes généraux d'où découleront trois points de
passage obligés que l'on peut appeler dès à présent
: le contrôle nécessaire à la veille sanitaire,
l'épidémio-surveillance indispensable pour cette même
veille sanitaire et la capacité investigatrice.
Je me suis permis de vous préparer un schéma. Il vous montre le
principe général n° 1 schématisé ici par un
schéma classique dit en Y. C'est celui, selon nous, sur lequel doit
reposer toute notre stratégie de veille sanitaire pour les produits
d'origine animale puisque c'est la vocation du CNEVA pour le moment.
La première branche de l'Y, en haut à gauche, est la partie
relative à la santé des animaux, l'inverse étant la
non-santé ou la maladie des animaux qu'il nous faut contrôler pour
protéger le cheptel national contre les effets pervers des agents
pathogènes, et vis-à-vis des produits que ces animaux
libèrent sur le marché qui sont ensuite consommés par le
citoyen.
La deuxième branche de l'Y à droite se rapporte à
l'administration des médicaments vétérinaires. C'est
évidemment là un point stratégique. Non seulement ils sont
administrés pour contrecarrer les effets pernicieux des agents
pathogènes, mais aussi dans la production d'animaux domestiques de
ferme, ils doivent entrer dans les problèmes de produits
consommés, ce sur quoi nous reviendrons tout à l'heure en
matière de résidus.
Naturellement, ces deux points forts initiaux relatifs aux animaux, à la
santé animale et à l'administration des médicaments
vétérinaires, sont très fortement liés entre eux.
Ils convergent et confluent vers la branche verticale du schéma en Y en
aboutissant à la sécurité du produit consommé par
les citoyens, c'est-à-dire la branche intitulée "Hygiène
des aliments" regroupant, dans une logique qui n'a rien de
révolutionnaire, trois étapes : la production, la
transformation et la distribution.
Avec ce schéma, vous concevez l'organisation du CNEVA qui comprend les
trois départements mis en phase dans un ensemble regroupé sur ce
schéma en Y. C'est selon nous les conditions de base pour notre
réflexion et notre action en matière de veille sanitaire.
Pour le deuxième principe général, j'ai également
fait un schéma. C'est le fameux schéma en triangle de
l'application, de la mise en musique du concept de base énoncé il
y a un instant. Ce schéma en triangle comprend les trois points
clés sur lesquels l'action doit transformer le concept théorique
que nous avons évoqué dans notre premier principe
général.
Ce schéma expose les modalités de notre action regroupant dans le
pôle en haut à gauche les contrôles de cette veille
sanitaire, l'épidémio-surveillance, le rassemblement d'un certain
nombre d'éléments, et troisièmement, la nécessaire
investigation, lorsqu'elle s'impose, avec les moyens qui s'y rapportent.
Dans la deuxième partie de mon propos, je développerai quelques
points et quelques exemples sur chacun de ces trois pôles pour illustrer
notre réflexion sur la veille et les conditions de son renforcement.
Le troisième principe général est très simple, je
l'ai déjà évoqué, c'est, pour être efficace,
remplir notre mission avec le plus de souplesse et d'efficacité,
réaliser la nécessaire intégration entre recherche et
appui technique. C'est quelque chose dont je suis convaincu et en faveur duquel
je me suis longuement exprimé dans d'autres instances.
On critique souvent la difficulté en France du transfert technologique
en raison des hiatus ou fossés qui existent entre ce qu'on appelle les
chercheurs et les développeurs. Précisément, le rôle
du CNEVA, et afin d'assister le ministre dans sa politique sanitaire, est
d'avoir les compétences nécessitant non seulement la
compréhension, mais aussi la participation à la recherche
à la frontière des connaissances actuelles tout en étant
attentif aux problèmes de terrain. La pathologie et l'ensemble des
problèmes sanitaires sont des ensembles variables, très mobiles,
jamais statiques.
Il faut d'une part, avoir en permanence un pied sur le terrain et savoir ce qui
s'y passe, je vous en donnerai quelques illustrations, y compris d'un cas qui,
à quelques jours près, est tout à fait d'actualité,
d'autre part, avoir les outils dans sa connaissance et ses aptitudes pour
pouvoir traiter les problèmes avec compétence.
Naturellement, vous l'avez bien compris, nous nous attachons au CNEVA à
avoir en permanence sur les thèmes principaux qui sont les nôtres
cette intégration recherche/appui technique. Nous disons souvent que la
recherche d'aujourd'hui est l'appui technique de demain, mais l'ensemble du
champ ne peut pas être couvert par notre seul organisme, c'est la raison
pour laquelle nous sommes en train de signer un certain nombre de conventions
de collaboration.
Quelques exemples pour vous faire part de mes réflexions lorsque le
problème m'a été posé lors de la réception
de votre convocation.
Y a-t-il besoin de renforcer la veille sanitaire telle que nous la conduisons
au CNEVA et pour ce qui nous concerne selon le principe initial
énoncé et selon ces trois points d'action ?
La réponse est oui. Ce besoin de renforcement existe à la fois
dans les structures et dans les moyens. Je voudrais vous en donner quelques
exemples.
Premier point de cette deuxième partie : le renforcement des
contrôles.
Les contrôles comprennent deux parties. La première est le
contrôle de type inspection assuré par les services
vétérinaires de l'Etat ou dans les services
déconcentrés, ce n'est pas le rôle du CNEVA. Le CNEVA,
comme ces grands organismes de recherche, a essentiellement un rôle
d'appui technique, de laboratoire. Ce n'est pas lui qui va aller inspecter les
carcasses des animaux ou aller voir comment est conservé le lait dans
les tanks et si la température est correcte. En revanche, il va mettre
au point les outils pour s'assurer que les conditions ont été
respectées et que les textes objectifs pour pouvoir mettre en
évidence des défaillances éventuelles ou, au contraire,
leur satisfaction, soient à la fois crédibles, fiables, et
impartiaux.
En matière d'appui technique et de laboratoire, le contrôle
doit-il être renforcé ? Oui. De quelle manière ?
Dans ce contrôle, nous avons deux types d'activités. Le premier
est celui que j'appellerai "l'appui technique planifié",
c'est-à-dire celui que nous pouvons organiser depuis le début de
l'année et qui correspond à la situation présente, issue
elle-même de l'expérience passée. C'est toute notre
surveillance en matière de rage. Vous savez que la France est exemplaire
dans le monde à ce propos. Elle a réussi à faire refluer
le front de la rage pratiquement deux fois plus vite que la vitesse avec
laquelle la rage était arrivée sur le territoire français
en 1967. C'est le cas de la détection des antibiotiques, c'est le cas de
la listéria qui est un problème majeur en hygiène
alimentaire. C'est le cas des différentes toxines, qu'elles soient
mycosiques ou autres.
Il est important, dans l'organisation de cette activité
planifiée, de bien identifier les points critiques où ces
contrôles doivent se faire et d'avoir la maîtrise technique de ces
points critiques. Ceci joue en particulier dans l'ensemble de la chaîne
des produits alimentaires, que ce soit au niveau de la production, c'est
l'exemple du lait dans les tanks de réfrigération après la
traite, mais aussi de la transformation, non seulement de la première
transformation par exemple des carcasses de volaille à la chaîne
d'abattage, mais aussi -c'est un point sur lequel le CNEVA développe son
activité- de la deuxième transformation des plats
cuisinés. C'est passionnant puisqu'il y a des interactions microbiennes
et que, selon que l'on met du saucisson et des rillettes en même temps,
selon que l'on met des salades ou des carottes avec des steaks hachés,
l'évolution microbienne est tout à fait différente. Tout
cet aspect correspond à notre rôle.
Sur l'appui technique planifié, on a maintenant une bonne
expérience. Ce n'est pas là où le renforcement doit
s'exercer d'une façon prioritaire.
En revanche, sur l'adaptation de l'activité non planifiée, nous
avons quelques progrès à faire.
De quoi s'agit-il ? Ce sont les situations d'urgence, les situations de crise,
les situations non anticipées. Nous en avons un exemple typique en ce
moment en matière de brucellose. Nous sommes en fin d'éradication
de la brucellose. Nous avons trouvé des troupeaux dans lesquels il y a
des réactions positives dans un environnement théoriquement
complètement négatif. Que se passe-t-il ? Situation non
prévue à l'avance, c'est donc le CNEVA qui doit traiter ce
problème. Nous sommes en train de mettre en évidence des
réactions croisées avec d'autres agents bactériens.
Le redéploiement interne est ce que nous pouvons faire dans une
première étape. Il se trouve que l'unité de zoonose est
aussi l'unité de tuberculose. Je ne peux pas demander à un
chimiste qui est en train de mesurer les radionucléides pour s'assurer
du niveau de contamination éventuel de l'aliment par les radiations
gamma ou autres de se transformer en bactériologiste du jour au
lendemain et de manipuler des micro-bactéries ou des sérologies.
Il y a un besoin de collaboration indispensable, besoin d'avoir un champ large
de compétence. Le redéploiement interne est limité : c'est
un des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Si par malheur,
deux circonstances de crise se développaient en même temps, je ne
sais pas comment nous ferions. C'est un peu la fragilité de notre
système.
Deuxième point de cette deuxième partie :
l'épidémio-surveillance. Vous avez vu tout à l'heure
combien j'ai insisté là-dessus. Je ne reprendrai là que
les termes d'un rapport d'un membre du Conseil économique et social d'il
y a 6 ans, M. Buard, qui avait écrit un remarquable rapport sur
l'épidémio-surveillance à la demande du ministre
chargé de l'Agriculture et dans lequel il avait déjà
décrit l'existant et fait un certain nombre de recommandations.
Dans son décret de constitution, le CNEVA a précisément la
tâche de gérer cette épidémio-surveillance. Quelques
petites difficultés de partage entre l'administration qu'on appelle
classiquement centralisée et un établissement public
subsistaient, mais je crois qu'avec la réforme de l'Etat, les choses
vont aller dans le bon sens. Il est maintenant reconnu que les tâches des
services centralisés n'étaient peut-être pas de faire de la
science et de la technique, mais plutôt de définir une politique,
un établissement comme le nôtre devant s'occuper
d'épidémio-surveillance.
Le système fonctionne assez bien. On voit bien comment le CNEVA encadre
le réseau, le mot est lâché, c'est bien de cela qu'il
s'agit ; avoir un réseau comprenant les acteurs répartis sur
l'ensemble du territoire, encadrés en amont par la compétence
d'un organisme comme le CNEVA et en aval pour pouvoir exploiter, rendre
cohérent et actif le réseau.
On a eu malheureusement un exemple célèbre au Royaume-Uni il y a
une dizaine d'années avec la salmonellose dans la filière
avicole. Le système français fonctionne bien à cet
égard : le réseau créé s'appelle le RENESA, il est
situé au sein du CNEVA.
Il y a une demande urgente de faire la même chose en termes de
salmonellose bovine qui est un vrai problème de société.
Nous avons réussi à monter ce réseau au cours des six
derniers mois en collaboration avec les groupements d'éleveurs, de
défense sanitaire, les groupements techniques
vétérinaires, mais l'on voit déjà bien notre
limite. On retire une activité à Pierre pour la donner à
Paul. Ce n'est pas tout à fait satisfaisant.
Troisièmement dans cette partie, nous avons besoin non seulement de
développer ces réseaux, mais également d'améliorer
l'efficacité de l'instrument de base. Vous allez sans doute mieux encore
comprendre ce que je veux dire. On a une mine d'informations et une richesse
dans les laboratoires qu'on appelait autrefois départementaux,
appelés maintenant laboratoires vétérinaires
départementaux puisqu'ils sont gérés par les Conseils
généraux, parfois aidés par les Conseils régionaux.
Ils sont tout à fait efficaces, souvent parfaitement bien managés
et détiennent une mine d'informations non exploitée.
C'est évidemment cette mise en réseau diverse et variée
dont l'épidémio-surveillance pourrait tirer le maximum de
ressources. Il y a là un besoin de renforcement des moyens du CNEVA en
la matière. La salmonellose bovine nous étant apparue, c'est une
des priorités que nous développons en ce moment, mais il y en a
bien d'autres que nous ne pouvons pas faire faute de moyens. On sait que le
potentiel est là, mais on est limité au niveau des moyens pour
exploiter et utiliser intelligemment toutes ces données.
Dernier point : le renforcement de notre capacité investigatrice. Nous
avons besoin de les mettre en oeuvre lorsqu'il y a des situations
émergentes.
Le meilleur exemple est celui des encéphalopathies spongiformes bovines.
Lorsque les premiers cas sont apparus en Angleterre il y a une dizaine
d'années, une des composantes ancestrales du CNEVA, le laboratoire de
Lyon, s'est mis sur la piste. Il a tout de suite réagi alors que
d'autres organismes n'ont pas pu avoir cette même adaptation.
Cela nécessite bien entendu la mobilisation d'outils et surtout -c'est
un des points forts du CNEVA-des installations expérimentales
protégées. Vous revenez des Etats-Unis, j'y étais moi
aussi il y a une dizaine de jours, vous voyez que toutes les stations
expérimentales protégées, de type P 3 ou P 4
permettant l'utilisation d'agents protogènes très dangereux sans
risque à l'extérieur sont toutes en train de fermer les unes
après les autres parce que les maintenir en état coûte
très cher. Aux Etats-Unis on ferme rapidement, mais l'on rouvre aussi
très vite, en tous les cas, pour le moment, elles sont en train de
fermer. J'ai parié qu'il y aurait un déficit, un manque crucial
d'ici à la fin du présent millénaire. Je m'efforce de
maintenir ces installations expérimentales au CNEVA.
Nous avons des installations depuis le poisson à Brest jusqu'aux
abeilles à Sophia-Antipolis en passant par les renards et autres faunes
sauvages à Nancy, l'étable à Fougères et à
Lyon. A Lyon, nous avons un gros problème. Les étables qui
accueillaient auparavant les gros bovins pour des problèmes de
fièvre aphteuse devraient maintenant les accueillir pour la recherche
concernant les encéphalopathies. Malheureusement, une
réhabilitation totale est nécessaire et nous n'avons pas encore
eu le feu vert pour les crédits. Cela se monte à près de
20 millions de francs.
Quoiqu'il en soit les installations expérimentales sont une clé
du système, nous les avons, mais il est difficile de pouvoir les
maintenir dans un état opérationnel.
Je voudrais vous décrire un exemple d'un cas actuel que l'on appelle le
"dépérissement fatal du porcelet post-sevrage". Depuis un mois
environ, on observe des porcelets qui meurent pour des raisons
inexpliquées pour l'instant dans la partie orientale du
département des Côtes d'Armor.
Le fait que l'on ait le contact sur le terrain nous a permis très vite
de récupérer de tels animaux, de les mettre en situation
protégée et d'introduire des animaux tampons, c'est-à-dire
vierges et indemnes de tous agents pathogènes pour voir s'ils se
contaminent à leur contact. Pour le moment, nous n'avons pas encore la
réponse. Nous nous posons la question de savoir quel est l'agent
éventuel, est-ce que cela peut être à terme une
zoonose ? Comment l'éradiquer ? Devons-nous recommander au ministre
l'abattage des animaux ?
Voilà une situation que nous vivons, peut-être que dans quinze
jours, on verra que ce n'était pas grave, que c'était un virus
relativement inoffensif. L'incident sera alors clos, mais les éleveurs
sauront à quoi s'en tenir et nous aurons été là
pour aider la filière et le consommateur aura la certitude que la
progression a été repérée.
Bien évidemment, la mobilisation des partenaires dans ce réseau
est importante.
Pour conclure ma présentation, je vous parlerai des cas particuliers des
produits thérapeutiques.
Ceci est très important car notre problématique originale dans ce
réseau d'interaction santé animale/administration est bien le
problème des résidus.
Il faut en effet connaître les limites maximales de résidus
tolérables.
Tout ce contexte de recherche et d'appui technique en matière de
résidus ou de pharmaco-cinétique du médicament
vétérinaire injecté aux animaux voit sa conclusion dans le
traitement des dossiers au sein de l'Agence du Médicament
Vétérinaire selon des règles bien connues, des
critères d'efficacité, d'innocuité et de qualité.
Notre problématique majeure est bien celle des résidus sur
laquelle un effort important a été fait ces dernières
années au sein du CNEVA. Le plus gros effort a été
l'initiation de cette opération il y a déjà plus d'une
dizaine d'années. Je peux d'autant plus le dire que je n'y suis
absolument pour rien.
Deuxièmement, il ne faut pas oublier, d'où l'importance de ce
schéma en Y dont nous avons parlé initialement, que les produits
d'origine animale peuvent être directement utilisés comme agent
thérapeutique ou comme agents administrés à l'homme depuis
les cas les plus généraux de la gélatine, sans oublier les
sérums de veaux foetaux, les bovins utilisés dans la
pharmacopée de façon générale et, d'une
façon plus précise, dans les molécules telles que
l'insuline du porcelet, et dans le cas d'actualité dans lequel nous
sommes impliqués, les "xéno-greffes". En effet, il faut s'assurer
que les organes issus des porcs sont indemnes pour l'homme de tout agent
pathogène et que les animaux aient été
élevés dans des conditions très spéciales telles
que dans notre porcherie modèle de la banlieue de Saint-Brieuc.
Je crois que le système a une base solide, mais il a besoin d'être
renforcé d'une part au niveau des moyens, (vous verrez peu de Directeurs
généraux qui vous tiendront un autre discours) d'autre part, par
une meilleure coordination des différents acteurs dans l'ensemble de ces
réseaux qui doivent assurer à nos compatriotes une
sécurité totale en matière de veille sanitaire.
M. Claude HURIET, rapporteur - Votre conclusion montre que vous avez
parfaitement perçu la nature même du travail dont a
été chargée notre mission, c'est-à-dire dresser une
sorte d'inventaire des structures existantes dans les domaines qui ont des
relations possibles ou certaines avec la sécurité sanitaire.
Merci de votre exposé.
Partant de cette idée de coordination, j'aimerais que vous nous disiez
quelles sont les relations, la coordination pouvant exister entre votre
ministère de rattachement et les autres ministères ?
Jusqu'à maintenant, l'inventaire que nous avons commencé à
dresser montre qu'il y a au moins trois ministères concernés :
l'Agriculture, la Santé et les Finances. Puisque vous avez
évoqué le cas de la listériose, nous avons
été surpris mes collègues et moi-même lorsque nous
avions appris que la listériose faisait l'objet d'études
attentives du ministère des Finances à travers la DGCCRF. Il nous
importe de savoir s'il y a une optimisation des moyens de recherche dans un
domaine qui vous touche de près et si la coordination est efficace, et
comment elle pourrait l'être davantage.
Deuxième question : le renforcement des moyens. Sans doute pourrez-vous
nous donner quelques précisions car nous sommes convaincus que la notion
de réseau en termes de démarche de veille sanitaire est
fondamentale. Cela rejoint notre démarche connaissance du réseau
et optimisation de son fonctionnement.
La troisième question concerne l'Europe. On a vu apparaître
à l'évidence la dimension européenne à travers les
échanges commerciaux ; quel est le rôle de votre centre national ?
Quelles relations a-t-il établi et quelles sont les prescriptions que
vous pouvez être amené à recommander, les conditions dans
lesquelles ces prescriptions sont ou ne sont pas retenues et reçues par
les instances de l'Union Européenne ?
M. Michel THIBIER - Notre ministère de tutelle est tout d'abord le
ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation. Dans
le gouvernement actuel, le fait que le mot "alimentation" ait été
ajouté dans le nom de ce ministère est une connotation
agréable car le CNEVA porte le mot "alimentation" dans son sigle
depuis
son existence. Nous sommes bien en phase avec la société.
Il est vrai que pour la partie de l'Agence du médicament
vétérinaire, nous avons aussi une co-tutelle avec le
ministère de la Santé.
Vous avez cité, Monsieur le Sénateur, trois ministères, je
vais vous en citer un quatrième car vous n'ignorez pas que compte tenu
de cette malheureuse crise des encéphalopathies, l'éclairage a
été mis sur le CNEVA, par conséquent, le ministère
de la Recherche a été très sensible à nos actions.
Monsieur le Secrétaire d'Etat, François d'Aubert, a écrit
il y a quelques semaines à M. Vasseur, ministre chargé de
l'Agriculture, pour lui faire part de son souhait que le ministère de la
Recherche ait une co-tutelle sur le CNEVA. M. Vasseur a répondu qu'il
serait très heureux que cette co-tutelle s'exerce. Si c'est bon dans
l'esprit, après, il faut voir comment cela s'applique dans les
modalités. Je me permets de le dire car cela correspond bien à
notre souci majeur. L'expérience de la BSE l'a montré. Vous avez
peut-être vu que j'ai signé vendredi le 24ème cas de BSE
dans la presse du week-end. Nous avons fait les abattages comme M. le ministre
nous l'a recommandé dans la nuit de samedi à dimanche. Durant
cette nuit, c'était le CNEVA qui était au travail. Nous avons
fait les prélèvements sur les tissus, nous avons trié les
animaux, bref, nous avons fait notre investigation qui est notre mission.
Certains de ces prélèvements se font précisément
dans le cadre de ces recherches. L'efficacité de cette opération
d'appui technique en est une bonne illustration.
De ce côté-là, je ne pense pas qu'il y ait de
difficulté de notre côté. Je connais parfaitement d'autres
aspects que vous avez sous-entendus dans votre question, M. le Sénateur,
mais de notre côté, nous entretenons d'excellentes relations avec
le Directeur général de la DGCCRF. Nous avons de bonnes relations
avec nos collègues de l'Institut Pasteur. Nous avons chacun notre champ
d'expertise, on doit sûrement améliorer les relations, mais il n'y
a pas de blocage de la part des scientifiques. Tout le monde sait que l'on ne
peut pas faire tout tout seul. Nous n'avons pas la compétence
répressive de la DGCCRF. Ce n'est pas notre rôle. Notre rôle
est de générer des normes. Comment l'Etat peut-il être
sûr que, lorsque les laboratoires départementaux testent les
vaches pour la brucellose, les résultats de ces tests sont fiables, sont
exacts ? Parce que le CNEVA a mis au point des méthodes, il est
accrédité. Il a un système de procédure qui
s'assure de la validité de ces mesures et fait des tests pour s'assurer
que les mesures effectuées par les autres laboratoires du réseau
sont valides.
M. Claude HURIET, rapporteur - Les réactifs ?
M. Michel THIBIER - C'est un sujet complètement d'actualité. Nous
avons essayé initialement de faire un groupement d'intérêt
entre les fabricants, que sont les laboratoires départementaux, les
éleveurs et nous pour coordonner tout cela. Les intérêts
économiques ont fait que cela a un peu divergé, le consensus n'a
pas été total. Je crois que la DGA est en train de reprendre le
problème pour que le système fonctionne mieux. Mais notre
expertise -et là aussi cela a commencé avant que je n'arrive, je
peux donc le dire- pour fixer les valeurs, les critères des
réactifs me semble avoir été faite dans des conditions
satisfaisantes.
Avant que je ne rejoigne le CNEVA, j'étais Directeur du laboratoire
d'Union nationale des coopératives d'insémination artificielle et
de transferts embryonnaires. J'avais remarqué chez les taureaux, (dont
vous savez qu'il faut des conditions sanitaires très
sévères vu le nombre de centaine de milliers de taureaux issus
d'inséminations artificielles) que pour les tests de l'IBR (qui est une
bronchite infectieuse due à un herpès virus), les
résultats étaient divergents selon que les taureaux aient
été testés en Hollande, en Allemagne ou en France.
C'était inadmissible.
J'ai été à l'initiative en 1990, à la demande de la
Commission de Bruxelles, d'un groupe de travail dans lequel il y avait des
collaborateurs du CNEVA. Le CNEVA était le moteur et moi en tant que
président du groupe de travail de la commission, nous avons
été capables en deux ans de définir parfaitement les
réactifs qui pouvaient être validés en fonction de
sérums étalon que nous avions réussi à
établir d'une façon consensuelle. Le dernier circuit de test
entre laboratoire que nous avons mis en oeuvre comprenait 46 laboratoires
dans les 12 pays à l'époque de l'Union Européenne.
Nous avons réussi à faire en sorte que tous les tests soient
satisfaisants. C'est faisable, c'est jouable. Après, il y a la partie
professionnelle et administrative qui n'est pas exactement de mon champ de
compétence sur lequel je me garderai bien de faire des commentaires.
Le principe de notre appui technique est là, il existe, il est
opérationnel, il a déjà fait ses preuves.
Quant au renforcement des moyens, je vais vous faire une confidence
personnelle. Au moment de la BSE, les différentes autorités
politiques du pays ont félicité le CNEVA pour la façon
avec laquelle le problème avait été traité. J'ai
insisté auprès du ministre de l'Agriculture pour lui dire qu'il
serait bon que l'on renforce nos équipes pour travailler
là-dessus. J'ai donc demandé au budget civil de la recherche et
du développement dans le projet de loi de Finances 1997 une augmentation
du nombre de postes budgétaires à partir de
redéploiements. Je sais bien que dans la conjoncture actuelle, il eut
été illusoire de vouloir créer des postes. J'ai
été un peu déçu de voir qu'il n'y avait pas eu de
postes en plus, mais l'on m'a fait remarquer qu'il n'y avait pas eu de
suppression alors que c'était le cas pour d'autres organismes. Comment
développer dans ces conditions les recherches indispensables, en
particulier pour la BSE ?
Une meilleure coordination, on peut sûrement faire mieux. Je vous l'ai
dit, il y a un vrai problème. Le cas de la salmonellose bovine avec les
groupements techniques de vétérinaires, les groupements de
défense sanitaire des éleveurs, avec cet ensemble de
communauté, est un bon exemple. J'ai un collaborateur qui passe en ce
moment son temps à expliquer cela dans les différents
départements ; pendant ce temps, il ne fait pas autre chose, mais c'est
provisoire.
Mais il y a encore une mine d'informations non exploitée, ou
insuffisamment, qui est celle de savoir comment cela évolue. En gros, il
y a 2 ou 3 % de réactions douteuses en brucellose. Lorsque c'est 2 % et
que cela fluctue plus ou moins à 0,1, c'est bon, mais si tout à
coup il y a un pic, il y a un problème. Il faut qu'on puisse le
détecter très vite. Pour le moment, toutes ces données
sont rassemblées par les laboratoires départementaux, mais il
n'existe pas cette exploitation que l'Etat doit être en mesure de faire
et pour lequel je n'arrive pas à dégager les hommes.
Quant à la troisième question, les échanges commerciaux,
oui, nous sommes très largement impliqués dans l'Europe, d'abord
dans les structures officielles. J'ai calculé que pratiquement six
chercheurs ont été utilisés à temps plein au cours
de ces six derniers mois par des réunions à Bruxelles. Je me suis
inquiété auprès de ma tutelle pour savoir si les
crédits que l'Etat attribue au CNEVA ne sont pas détournés
de leur mission lorsque j'envoie mes collaborateurs en mission à
Bruxelles. On m'a répondu que je défendais les
intérêts de l'Etat et que c'était donc de notre mission.
Bien évidemment, pendant que mes collaborateurs sont à Bruxelles,
ils ne peuvent pas faire autre chose, mais c'est important pour arriver
à défendre nos positions.
Je suis très ouvert sur l'international, je pousse mes troupes et je
crois que cela ne fonctionne pas mal.
En ce moment, un de mes collaborateurs est à la réunion d'un
groupe pour étudier les résidus. La réunion va avoir lieu
cette semaine au Costa Rica, il va être la voix de la France dans cette
opération.
La semaine dernière, une autre collaboratrice était à
Washington avec trois autres européens pour une réunion
concernant les résidus et les toxines dans les produits laitiers.
Moi-même, il y a trois semaines, j'étais à l'organisation
de santé animale des Etats-Unis dans laquelle les européens
présentaient leurs propositions et essayaient de la faire comprendre
à leurs interlocuteurs Américains.
De ce côté-là, le CNEVA a une activité assez
importante. Je ne m'en plains pas mais parfois, c'est lourd.
M. Dominique LECLERC - Je souriais par rapport à votre dernier propos,
je comprends lorsque vous dites que vous avez une charge qui est sûrement
très lourde. Si je regarde sur le terrain, en matière de
recherche et d'appui technique, je connais une ville de cent mille habitants
dans laquelle on trouve : un laboratoire de bactériologie très
pointu à la faculté de médecine, un autre
département vient d'ouvrir avec des vétérinaires et il y a
l'INRA dont l'image est à juste titre mondialement connue. Lorsque vous
évoquez, et je le comprends, le renforcement des moyens, pour moi, ce
serait plutôt la coordination des moyens qui existent en termes de
recherche. J'ai cité trois vitrines prestigieuses chez nous, toutes les
trois ont un département vétérinaire, l'INRA en premier,
mais les autres aussi.
Est-ce dans votre rôle, en tant que structure administrative et
scientifique, d'avoir le recul et la coordination pour la mise en commun de
tous ces moyens intellectuels fantastiques ? En termes de veille sanitaire,
localement, on a toutes les armes scientifiques et humaines, même en
nombre, pour qu'au plan national, vous en soyez le chef d'orchestre.
M. Charles DESCOURS, président - Vous avez terminé sur la
coordination, quels sont vos rapports avec le Réseau National de
Santé Publique ?
M. Bernard SEILLIER - Commencez-vous à réfléchir à
ce que pourrait être une démarche de mise en évidence des
caractères thérapeutiques de l'alimentation ?
M. Michel THIBIER - Je ne peux répondre d'une façon
unifiée aux deux questions de l'Indre et Loire et du RNSP. Il se trouve
que le RNSP avait son Conseil scientifique vendredi dernier. J'ai tenu
spécialement à y participer car je voulais délivrer un
message fort à Jacques Drucker en particulier et à son Conseil
d'administration.
Effectivement, voilà un excellent outil auquel le CNEVA est
associé et avec lequel nous avons déjà commencé
à mettre en oeuvre une complémentarité depuis un an.
Nous nous sommes félicités, Jacques Drucker, le Président
du Conseil scientifique et moi-même de cette approche
complémentaire. Il est vrai que le RNSP travaille plus sur
l'épidémie du sida, de la rubéole, de la rougeole, ou des
choses comme celles-là, que sur les intoxications alimentaires. Cela
correspond à votre exemple d'Indre et Loire. J'ai très vite vu de
quel endroit vous parliez car c'est un très bon exemple. Effectivement
avec M. Nouzille, dans le domaine de la reproduction, qui était le mien
avant, ou dans celui de la pathologie, l'excellent exemple est celui des
encéphalopathies spongiformes, l'INRA représente la base solide,
mais pas facilement mobilisable, il travaille sur les problèmes de
résistance génétique aux encéphalopathies. Dans le
même temps, le CNEVA répond à l'urgence, aux suspicions de
tous les jours, il y a donc une complémentarité qui fonctionne
bien. Il est vrai que c'est au sein du même ministère.
Sur le cas de la listériose, les travaux faits par l'équipe de
bactériologie du département sont remarquables, c'est notre
rôle, mais je veux arriver, dans les années à venir,
à renforcer ce réseau parce qu'il est encore
sous-exploité. Il n'y a pas de secret, il faut que l'Etat accepte d'y
consacrer de nouveaux moyens. C'est vraiment le rôle de l'Etat que de
rassembler cette opération.
Quant au redéploiement interne, la première chose que j'ai faite
lors de mon arrivée au CNEVA a été d'enlever ce qui
m'apparaissait un peu superficiel. Par exemple, sur les grippes porcines, bien
que nous étions le centre de référence d'Europe, tout le
monde s'en moque, et de plus, il n'y a aucun effet sur la santé de
l'homme. J'ai donc décidé d'arrêter le travail fait par les
deux chercheurs qui se penchaient sur ce sujet. Mais maintenant, je ne peux pas
enlever la fièvre aphteuse, je ne peux pas enlever la listériose,
la tuberculose. Je suis arrivé à un niveau où il n'y a
plus de marge. Mon plus grand souci, c'est ce qui va déterminer notre
contrat d'objectifs.
Quant à votre troisième question, nous n'avons pas encore
abordé ces aspects thérapeutiques de l'aliment. C'est une
question qui nous est posée, on l'examinera sans doute dans le contrat
d'objectifs. Pour le moment, pour être tout à fait franc avec
vous, je ne suis pas convaincu que c'est notre mission. Je peux me tromper, je
suis prêt à l'envisager. La technologie ne nous intéresse
que lorsqu'elle est liée à la santé publique. Cela
m'intéresse de savoir comment on fait les plats cuisinés parce
qu'on m'a dit que la flore bactérienne qui se développe sur des
steaks hachés, par exemple, est différente si vous
mélangez une feuille de laitue avec le même steak haché.
Les vertus thérapeutiques de la feuille de salade ou autre
existent-elles ? Pour le moment, nous ne sommes pas engagés dans cette
voie.
M. Bernard SEILLIER - C'est important car l'on voit se développer des
productions ayant des prétentions dynamisantes, qui va vérifier
que ce n'est pas de la publicité mensongère ?