b) Une complémentarité insuffisante des interventions publiques
1.- Le bilan des interventions économiques des collectivités locales
Si l'évaluation précise des interventions
économiques n'est pas un exercice aisé, comme l'a relevé
le récent rapport de la Cour des comptes, néanmoins
leur place
dans l'ensemble des dépenses locales reste
modeste
.
Les données recensées par la direction de la comptabilité
publique mettent en évidence un total de 13,3 milliards de francs
de dépenses en 1992 et 15 milliards de francs en 1993.
Sur ce total, les régions -bien que s'étant vu reconnaître
une " priorité " par le législateur en matière
d'aides directes- ne distribuent qu'environ 30 % du total, 25 %
étant distribué par les départements et 45 % par les
communes.
Par secteur économique, ces aides profitent essentiellement au secteur
de l'industrie, du commerce et de l'artisanat qui en reçoit près
de la moitié, soit 6,1 milliards de francs en 1993.
Sur une moyenne période, les interventions économiques locales
ont sensiblement progressé, avec une hausse annuelle moyenne de plus de
11,2 %. L'année 1992, qui s'était caractérisée
par un léger repli du volume des interventions dans un contexte de
baisse de nombreux investissements des entreprises, aura donc été
une année de transition.
Mais, elles ne représentent qu'une faible part -de 1 à 5 %- des
dépenses des collectivités locales.
La Cour des comptes, dans le rapport précité, relève
cependant que ces pourcentages tirés des comptes des
collectivités, d'une part, sous-estiment l'impact financier des aides
aux terrains ou à l'immobilier d'entreprise qui prennent la forme de
moins-value de recettes, d'autre part, n'intègrent pas le coût
financier des zones d'activités avant rétrocession aux
entreprises et, enfin, ne mesurent pas l'aide fiscale que représente
l'exonération de taxe professionnelle.
Selon le rapport de la Cour des comptes -qui s'appuie sur une étude
réalisée par la direction générale des
collectivités locales- les bases de taxes exonérées ont
atteint, en 1995, 5,8 milliards de francs pour les communes et
1,7 milliard de francs pour leurs groupements. Les produits
exonérés sont évalués à 680 millions de
francs pour les communes et à près de 115 millions de francs pour
leurs groupements, soit un total de moins de 800 millions de francs.
Force est de constater que les collectivités locales font l'objet de
sollicitations permanentes et sont souvent en première ligne pour
essayer d'apporter des réponses à des difficultés
économiques qui affectent les équilibres fondamentaux de leur
territoire.
Ces interventions économiques ne sont pas sans risque pour les
collectivités locales.
Ainsi, l'encours des garanties d'emprunt au 31 décembre 1992
-toutes collectivités confondues- s'élevaient à
272,5 milliards de francs
16(
*
)
dont 256,3 milliards de francs
consacrés au seul secteur du logement.
L'encours des garanties d'emprunt accordées par chaque
collectivité représentait 143,7 milliards de francs pour les
départements, 172,6 milliards de francs pour les communes et
1,085 milliard de francs pour les régions
17(
*
)
.
La partie du rapport annuel de la Cour des comptes de1995 relative aux communes
confrontées à des graves difficultés financières, a
mis en évidence certains effets dangereux de ces interventions dans un
contexte économique dégradé.
2.- Le foisonnement des aides publiques
Dans ce contexte économique, les aides publiques se
sont diversifiées et, s'agissant des collectivités locales, ont
pris des formes s'éloignant des catégories juridiques
définies en 1982.
Ainsi, les
aides directes
, notamment les primes régionales
à la création d'entreprises (PRCE) et les primes
régionales à l'emploi (PRE) sont relativement
délaissées.
Le rapport de la Cour des comptes sur les interventions des
collectivités territoriales en faveur des entreprises fait état
d'une enquête réalisée en 1994 par la direction
générale des collectivités locales qui met en
évidence que les 3/5ème des régions seulement accordent
des PRE et/ou des PRCE et que moins des 2/5ème accordent des prêts
et avances dans des conditions définies par les textes. En outre,
lorsqu'elles sont utilisées, ces aides directes sont souvent
complétées par d'autres aides elles-mêmes non
prévues par les textes, seules quatre régions utilisant
uniquement les instruments prévus par la loi.
Le montant total des PRE et PRCE versées, qui s'élevait à
407 millions de francs en 1987, n'était plus que de
130 millions de francs en 1993.
En principe, l'abstention des régions pour chaque catégorie
d'aide directe interdit aux autres collectivités de verser l'aide
directe en cause. Or, selon la Cour des comptes, sur les 33 départements
appartenant à des régions qui n'interviennent pas, 17 attribuent
des aides nécessairement irrégulières.
Inversement, 18 départements seulement sur les 66 qui en avaient la
possibilité ont choisi d'abonder les aides directes régionales.
Selon la Cour des comptes, il semble que les collectivités aient
plutôt choisi d'accorder des prêts et avances à taux
très bonifiés ou nuls, qui ont pour avantage d'accroître
les capitaux permanents des entreprises.
M. René Garrec, représentant de l'Association des
présidents des conseils régionaux, a néanmoins
considéré devant le groupe de travail que les régions
étaient empêchées de mettre en place des dispositifs
d'avances remboursables à taux nul alors même que cela
répondait à un réel besoin des entreprises et que l'Etat
ne se privait pas d'y avoir recours.
En outre, comme l'ont fait valoir MM. Paul Girod et Lucien Lanier, les
collectivités locales ont également dû faire le tri parmi
les demandes d'aides publiques afin de sélectionner celles qui
correspondaient à de véritables créations
d'activités.
S'agissant des
aides indirectes
, les collectivités locales ont
freiné leurs interventions sous la forme de garanties d'emprunts et de
cautionnements apportés à des entreprises privées. Le
rapport de la Cour des comptes relève cependant que cette tendance n'a
pas été compensée par un recours accru aux fonds de
garantie dont la loi du 5 janvier 1988 d'amélioration de la
décentralisation a entendu faire un instrument de mutualisation des
risques pris par les collectivités en matière de garantie
d'emprunt.
Il relève également qu'en 1994 seulement cinq régions et
cinq départements avaient utilisé la faculté que leur a
ouvert la loi du 5 janvier 1988 de participer au capital de
sociétés anonymes ayant pour objet exclusif de garantir des
concours financiers octroyés à des personnes privées,
aucune commune n'ayant utilisé cette possibilité.
Les sociétés de capital-risque qui permettent de soutenir en
fonds propres les PME-PMI dans leur phase de " démarrage "
ou
de développement ont, en revanche, connu plus de succès,
même si les participations restent souvent modestes.
Par ailleurs, les collectivités ont fortement développé
soit directement soit à travers des associations ou des
sociétés d'économie mixte, des actions d'animation en vue
de la promotion économique de leur territoire.
L'essentiel des aides indirectes porte néanmoins sur les aides à
l'immobilier d'entreprises et aux terrains, notamment par l'aménagement
de zones d'activités économiques ou la réalisation
d'ensembles immobiliers (" pépinières " ou
ateliers-relais) destinés à accueillir des entreprises.
L'enquête de la direction générale des collectivités
locales -citée par le rapport de la Cour des comptes- indique que
20 régions et 78 départements pratiquent cette forme
d'aide indirecte.
Votre rapporteur relèvera également le rôle joué par
les
sociétés d'économie mixte
dont les
collectivités locales détiennent la majorité du capital.
Suivant les précisions apportées par M. Camille Vallin,
président de la Fédération nationale des
sociétés d'économie mixte, ces sociétés font
l'objet d'une capitalisation à hauteur de 7,4 milliards de francs,
disposent de 50.000 salariés, gèrent 500.000 logements,
en ont construit 400.000 et réalisent 18 milliards de francs
d'investissement dans le secteur de l'aménagement.
Le foisonnement des interventions économiques témoigne du
dynamisme des collectivités locales et de leur contribution importante
à la recherche de solutions adaptées aux difficultés que
rencontrent les territoires pour préserver et développer leur
tissu économique.
Pour autant, ce foisonnement n'est pas nécessairement un gage
d'efficacité et d'adéquation des réponses apportées
à des besoins qui eux-mêmes se diversifient.
Il faut cependant souligner que si les collectivités locales se sont
éloignées du cadre juridique prévu par les lois de
décentralisation, c'est précisément parce qu'elles ont
recherché des réponses les plus adaptées au contexte
économique.
Il reste que, comme l'a souligné devant le groupe de travail
M. Michel Thénault, Directeur général des
collectivités locales, l'
absence d'évaluation globale ne
permet pas d'apprécier précisément l'efficacité des
interventions économiques des collectivités locales.
En outre, une plus grande complémentarité devrait être
recherchée ainsi que l'ont proposé tant M. René
Garrec, représentant de l'Association des présidents de conseils
régionaux, que MM. Jean Puech, Charles Josselin et
Pierre-Rémy Houssin au nom de l'APCG.
Plus récemment, le législateur a entendu privilégier pour
certaines zones du territoire des formules d'
exonérations
fiscales
dont il est encore trop tôt pour tirer un premier bilan.
Néanmoins, la
multiplication des zonages
de toute sorte, qu'ils
soient définis au niveau local, national ou européen, contribue
à l'évidence à la complexité aussi bien pour les
entreprises que pour les collectivités publiques, sans doute au
détriment de l'efficacité.
La multiplication des zonages aboutit, en effet, à un
" brouillage " des interventions en matière
d'aménagement du territoire. Pendant très longtemps, les zones
délimitant les primes à l'aménagement du territoire ont
été privilégiées. Or, le nombre des zones s'est
sensiblement accru en raison de l'application à la fois des fonds
structurels européens et des différentes zones prévues par
la loi d'orientation du 4 février 1995 et par la loi du
14 novembre 1996 relative à la mise en oeuvre du pacte de relance
pour la ville.
M. Michel Thénault, Directeur général des
collectivités locales, a ainsi fait valoir devant le groupe de travail
que les collectivités locales se trouvaient face à un paradoxe
consistant à ce que des zones soient définies pour le
bénéfice d'avantages fiscaux sans que des conséquences en
soient tirées sur les interventions économiques.
Enfin, le statut et la situation des sociétés d'économie
mixte méritent assurément une attention particulière.
M. Camille Vallin a estimé que les SEM devaient faire face, dans le
secteur de l'aménagement, au désengagement de l'Etat de la
politique d'aménagement des territoires urbains et ruraux. Il a
relevé que les SEM subissaient, dans le secteur de l'immobilier, une
dégradation constante de leur compte d'exploitation et qu'elles
étaient confrontées dans le secteur des services à la
très grande complexité de la réglementation.
Il a indiqué que les SEM souhaitaient une clarification du droit de
l'économie mixte.