3. Les moyens d'une véritable complémentarité entre les structures territoriales
Le partenariat -qu'il soit conventionnel ou institutionnel-
est profondément ancré dans la réalité locale. Il
résulte nécessairement de l'imbrication croissante des
territoires. Les financements croisés concrétisent cette
situation.
Au niveau européen, il fonde les interventions de fonds structurels et
s'établit entre la commission, l'Etat membre concerné et les
autorités ou organismes désignés par l'Etat au niveau
national, régional, local ou autre. Il concerne à la fois la
préparation, le financement, le suivi et l'évaluation des actions
menées.
Mieux organiser le partenariat entre les collectivités constitue l'un
des grands enjeux des prochaines années. La loi d'orientation du
4 février 1995 a défini à cet égard
certaines pistes de réflexion.
a) La notion de collectivité " chef de file " : quel avenir ?
La notion de
collectivité " chef de
file "
a été expressément retenue par la loi
d'orientation du 4 février 1995 comme un moyen d'aboutir
à une clarification de l'exercice des compétences.
Ainsi, selon l'article 65 de la loi d'orientation du
4 février 1995, une loi ultérieure portant
révision des lois de répartition des compétences devait
notamment définir "
les conditions dans lesquelles une
collectivité pourra assumer le rôle de chef de file pour
l'exercice d'une compétence ou d'un groupe de compétences
relevant de plusieurs collectivités territoriales
".
Le groupe de travail du XIè plan sur la décentralisation puis la
mission sénatoriale d'information sur l'aménagement du territoire
-prenant acte de l'intervention souvent nécessaire de plusieurs
collectivités pour la mise en oeuvre d'un même projet- avaient
auparavant considéré que, sans mettre en cause les principes de
la décentralisation, notamment l'absence de tutelle d'une
collectivité sur l'autre, la désignation de l'une d'entre elles
comme chef de file contribuerait à la clarification souhaitée.
L'engagement des différentes collectivités concernées
devait néanmoins se faire sur la base du volontariat et dans un cadre
conventionnel. Le rôle de la collectivité chef de file
était un rôle d'animation et de coordination mais en aucun cas de
contrainte.
On notera que, dans son principe, l'idée d'une collectivité chef
de file peut répondre au constat que si dans certains domaines
-l'éducation, par exemple- l'homogénéité des
compétences peut être assurée sans trop de
difficultés, en revanche, dans d'autres domaines -tels que
l'aménagement du territoire ou le développement
économique- le même résultat est plus difficile à
atteindre. Toutes les collectivités, en effet, peuvent prétendre
mettre en oeuvre des actions qui intéressent le développement de
leur territoire.
Si le retour à une application plus stricte des blocs de
compétences paraît devoir constituer l'objectif à atteindre
dans un contexte économique plus facile, dans une période
intermédiaire la notion de collectivité chef de file peut
constituer une réponse d' " attente ", notamment pour
les interlocuteurs des collectivités locales.
Plusieurs personnalités entendues par le groupe de travail ont
exprimé leur intérêt pour cette notion.
M. René Garrec a fait valoir que pour la mise en oeuvre de grands
projets, l'idée d'une collectivité chef de file paraissait
intéressante.
M. Pierre-Rémy Houssin a proposé la clarification des
compétences en matière d'action sociale à partir de la
définition d'un " chef de file ".
M. Martin Malvy a également considéré que la notion de
collectivité chef de file pourrait contribuer à la clarification
souhaitée.
Néanmoins, force est de reconnaître que si cette notion -mise au
premier plan par la loi d'orientation du 4 février 1995- a
été généralement perçue par les personnes
auditionnées comme susceptibles d'apporter une réponse efficace,
peu de suggestions ont été faites sur les moyens concrets de la
mettre en oeuvre.
M. René Garrec a relevé que cette collectivité pourrait,
dans certains cas, être une commune concernée par l'implantation
d'un équipement. Il a souligné que la mise en oeuvre de cette
notion devrait se faire dans un cadre conventionnel.
M. Martin Malvy a proposé la désignation pour chaque projet d'une
collectivité pilote qui assumerait au moins la moitié du
financement afin d'éviter la dilution des responsabilités.
M. Jean-Louis Sanchez a, pour sa part, considéré qu'en
matière d'action sociale, il était possible de dépasser la
notion de collectivité chef de file, en privilégiant celle de
" diagnostic partagé ".
Mais Mme Martine Buron a fait observer que la désignation d'une
collectivité chef de file et la définition des règles de
financement adéquates pourraient soulever des problèmes
difficiles à résoudre. Elle a, en outre, noté le risque
qui pourrait résulter de cette procédure, l'Etat étant
appelé à définir les règles applicables.
Le groupe de travail relève, qu'en toute hypothèse, si le
législateur devait approfondir cette idée, il devrait
-conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel
(décision n° 94-358 DC du 26 janvier 1995)-
établir clairement dans la loi les conditions concrètes de sa
mise en oeuvre, notamment sur le plan financier.
Deux voies semblent théoriquement envisageables au plan
législatif.
La première consisterait à ce que la
loi désigne par
groupes de compétences, une collectivité
qui assumerait le
rôle de chef de file.
La mission sénatoriale d'information sur l'aménagement du
territoire -tout en écartant un système rigide de
répartition des compétences qui lui était apparu
inapplicable- avait ainsi proposé que la région se voit
reconnaître le rôle de chef de file de la programmation et de la
coordination interdépartementale, notamment dans le cadre d'un
schéma régional d'aménagement. La région devrait,
par ailleurs, coordonner les différentes initiatives locales dans le
domaine de l'action économique.
Quant au département, il serait, en partenariat avec les communes
rurales, le chef de file du développement rural.
La seconde voie ouverte au législateur consisterait à ce que la
loi, tout en définissant un cadre précis pour l'exercice de cette
fonction de chef de file,
ne fixe pas une solution uniforme
et laisse
aux collectivités en fonction des réalités locales la
faculté de choisir l'une d'entre elles pour exercer cette mission, la
collectivité chef de file pouvant dans ces conditions ne pas être
la même sur toutes les parties du territoire pour une même
compétence.
Il ressort des travaux préparatoires de la loi d'orientation du
4 février 1995 que telle a bien été la voie
privilégiée par le législateur, ce qui résulte de
la formulation retenue pour l'article 65 de la loi d'orientation qui renvoie
à une loi ultérieure le soin non pas de désigner une
collectivité chef de file mais de préciser "
les
conditions dans lesquelles une collectivité pourra assurer le rôle
de chef de file
".
Plusieurs critères
sont envisageables pour déterminer le
choix de la collectivité chef de file. Il pourrait s'agir, en
particulier, de la collectivité finançant majoritairement
l'équipement -comme l'a suggéré M. Martin Malvy. Dans
certains cas néanmoins, il pourrait être préférable
de retenir la collectivité dans laquelle l'équipement serait
localisé, ainsi que l'a fait valoir M. René Garrec. En outre, la
prise en compte des charges de fonctionnement de l'équipement une fois
celui-ci réalisé peut être un critère dont M. Paul
Girod a souligné l'intérêt. La collectivité qui les
assumerait pourrait, en effet, souhaiter jouer un rôle particulier au
moment de la réalisation de l'investissement.
M. Jean-Paul Delevoye s'est pour sa part demandé si cette notion ne
pourrait pas être mise en oeuvre à partir du principe " qui
paie, décide ".
Sur le plan des
techniques juridiques
, plusieurs solutions peuvent
être envisagées, ainsi que l'avait relevé notre
collègue André Bohl dans son avis sur les crédits de la
décentralisation inscrits dans le projet de loi de finances pour 1996.
D'une part, la
convention de mandat
pourrait offirr une plus grande
souplesse pour la réalisation de différents travaux
d'infrastructures (voirie, équipements portuaires, équipements
médico-sociaux, culturels ou de loisirs ...).
Déjà prévue par la loi du 12 juillet 1985 relative
à la maîtrise d'ouvrage public, cette technique juridique permet
au maître d'ouvrage de confier à un tiers la réalisaton
matérielle d'un certain nombre de tâches tout en conservant la
responsabilité juridique des actes.
D'autre part, la procédure budgétaire et comptable du
fonds de
concours
permettrait de régler les rapports financiers. Rappelons
que cette procédure, applicable aux dépenses d'investissement,
permet à un contributeur de participer financièrement à
une opération, généralement pluriannuelle,
réalisée par le maître d'ouvrage.
Sur le
plan financier
, le législateur devrait tirer les
conséquences de la désignation d'une collectivité chef de
file. Il conviendrait à cet égard d'examiner les effets de cette
notion sur les compensations financières des transferts de
compétences. Il serait aussi nécessaire d'examiner ses
répercussions sur les attributions perçues au titre du fonds de
compensation pour la TVA (FCTVA). Si une collectivité exerce une mission
de chef de file pour l'exercice d'une compétence, cette mission
n'entraînera pas un transfert de propriété pour les
ouvrages réalisés. Or, la collectivité chef de file ne
pourrait -sur la base du droit en vigueur- bénéficier d'une
attribution du FCTVA, dès lors que l'équipement serait
réalisé pour le compte d'un tiers.
On relèvera que, pour les investissements intéressant la voirie,
l'
article L. 1615-2
du Code général des
collectivités territoriales -dans sa rédaction issue de la loi de
finances pour 1997- fait bénéficier les établissements
publics de coopération intercommunale, au lieu et place des communes
membres propriétaires, des attributions du FCTVA.
Quelles que soient les formules envisagées, cette mission ne pourrait
pas se traduire par l'exercice d'une contrainte d'une collectivité sur
l'autre.
Comme l'indiquait M. Jean-Marie Girault, rapporteur du texte, devant le
Sénat (J.O., débats du 4 novembre 1994) :
"
La collectivité chef de file exercerait une mission de
coordination dans la programmation et l'exécution de ces
compétences. En aucun cas, la qualité de chef de file ne
conférerait à la collectivité concernée un
quelconque pouvoir de contrainte à l'égard des autres
collectivités.
" En effet, cela serait incompatible avec le principe d'absence de
tutelle
d'une collectivité sur une autre.
" Chaque collectivité restera entièrement libre d'exercer
ces compétences, dans le cas d'un partenariat avec d'autres
collectivités et autour d'une communauté d'objectifs, ou sous une
autre forme qui lui paraîtrait plus appropriée. Le partenariat se
développerait autour des engagements que chaque collectivité
aurait librement pris.
" La fonction de chef de file est donc une fonction d'animation et de
coordination dans un cadre volontaire tendant à faciliter une plus
grande cohérence de l'action des collectivités
territoriales
".