AUDITION DE M. MICHEL CAMDESSUS,
DIRECTEUR GÉNÉRAL DU FONDS
MONÉTAIRE INTERNATIONAL (5 FÉVRIER 1997)
M. le Président
. - Je veux remercier M. Michel
Camdessus, Directeur général du FMI, d'être venu. Sa
résidence normale est Washington et il nous fait un grand honneur en
venant nous parler ce matin.
Il aurait été tout à fait paradoxal de ne pas lui demander
de venir dès lors qu'il tombe sous le sens que, si la mondialisation a
de nombreux aspects, il y en a plus particulièrement deux qui
crèvent les yeux : le premier aspect, ce sont les échanges de
marchandises et de services et le second est constitué par l'ensemble de
la sphère financière, qui est tout à fait fondamentale. On
peut même dire que c'est par elle que la mondialisation a le plus
progressé.
De tous nos interlocuteurs internationaux, M. Camdessus est sans doute celui
qui s'impose le plus à l'esprit. J'ajoute que dans son cas, il est un
interlocuteur privilégié puisqu'il est Français et qu'il a
succédé à un Français. Voir cette organisation qui
passe pour largement dominée par les Anglo-saxons, dirigée par un
Français succédant à un Français et imposant sa
marque, son autorité, à l'institution qu'il dirige en jouissant
de la considération internationale, est pour nous, Monsieur le
Directeur, extraordinairement satisfaisant. Je tenais à le dire.
Avec un parcours de carrière que tout le monde connaît, mais
très euro-français puisqu'il passe par l'Institut d'Etudes
politiques, l'E.N.A., le ministère des Finances, la direction du
Trésor, mais avec une alternance de fonctions au Fonds monétaire,
à la Banque Européenne d'Investissements et au Comité
Monétaire Européen, M. Camdessus a une expérience qui l'a
conduit aux plus hautes fonctions dans cette grande institution internationale
qu'est le FMI.
Il n'est pas de crise mondiale où on ne voie apparaître le FMI. Il
apparaît si souvent et avec tant d'autorité qu'il est une des
institutions les plus contestées et les plus critiquées pour sa
rigidité et son orthodoxie financière. Et malgré ces
critiques, chaque fois que ses thérapeutiques sont utilisées, on
voit le paysage des pays concernés changer complètement. On voit
la prospérité succéder à la crise. C'est en tout
cas mon sentiment personnel.
C'est pourquoi, Monsieur le Directeur, nous vous demandons de nous parler des
progrès de la mondialisation avec ce qu'elle peut comporter de
spéculations, d'instabilité, de mouvements brutaux. Nous
aimerions, bien sûr, que vous nous disiez aussi comment un haut
fonctionnaire international comme vous réagit à l'Euro.
Pensez-vous que la monnaie unique soit une réponse adaptée au
paysage financier mondial en pleine évolution ? Que peut-on en
attendre ?
Je ne sais pas si vous avez le droit de nous dire quelque chose des rapports
futurs entre l'Euro et le dollar ? Les relations de change telles qu'elles
existent actuellement sont-elles adaptées ? Et pensez-vous qu'à
l'avenir l'existence de l'Euro permettra un dialogue plus égal avec le
dollar et le yen ?
On a souvent le sentiment de subir les évolutions. L'Euro nous
permettra-t-il de co-décider au niveau de la planète, sous
l'égide du FMI bien sûr ?
M. Michel Camdessus
. - Merci, messieurs les Présidents de me
faire le plaisir de m'inviter à passer quelques heures ici, de
rencontrer des visages familiers, et de parler ma langue maternelle. C'est
quelque chose que je savoure. Et merci d'avoir prononcé des parles
évidemment trop flatteuses et dit deux choses très importantes.
L'une, que le FMI n'est pas si anglo-saxon que cela. Retenons que l'Europe des
15 a 29 % du capital du FMI. Les Etats-Unis d'Amérique, 18 %.
Evidemment, nous héritons d'une histoire qui a fait que pendant
longtemps l'Europe s'est habituée à une sorte de domination. De
plus, il est arrivé que l'on soit plus puissant lorsque l'on est un seul
qui pèse 18 % que 15 qui pèsent 29 % mais se
chamaillent ! Ici, et voici déjà un élément de
réponse, Monsieur le Président, l'UEM peut, à terme,
changer les choses très positivement.
Cette institution est le bouc émissaire naturel, idéal, puisque,
comme elle traite d'affaires monétaires elle est invitée à
la discrétion et au silence et donc à laisser dire. Et il est
évidemment commode, quand un pays vient trop tard nous demander de
l'assister dans ses difficultés et que nous sommes amenés
à lui recommander de la chirurgie alors que quelques cachets d'aspirine
auraient suffit si on s'y était pris plus tôt, de mettre sur le
dos du médecin les affres de la maladie.
Pendant longtemps, nous nous sommes résignés à cet
état de choses.
Je dois vous dire que depuis quelques années nous réagissons
contre cela. D'abord parce que c'est malhonnête à l'égard
des opinions publiques, et aussi parce que si les gouvernements ne prennent pas
la responsabilité politique des réformes qui s'imposent et s'ils
les mettent sur le dos de quelqu'un d'autre, évidemment elles ne
pourront pas réussir. Et quelques-uns de nos échecs s'expliquent
comme cela.
Enfin, troisième raison pour nous de rejeter ce rôle de bouc
émissaire, à force de laisser dire que nos politiques sont
récessives, qu'elles entraînent la souffrance des peuples, on
encourage les gouvernements à retarder au maximum le moment où
ils viendront demander notre intervention, nous amenant alors à
opérer dans les pires circonstances, au coeur des crises sociales et
politiques.
Alors oui, bouc émissaire, de fait, mais nous devons de plus en plus, et
cela fait partie de notre politique, amener les gouvernements avec lesquels
nous travaillons (actuellement 85 pays sur les 181 pays membres de notre
institution ont des programmes avec nous ou sont en train d'en négocier)
à prendre leurs programmes en charge et à prendre la
responsabilité des mesures inévitables.
Vu de cette sorte de satellite d'observation qu'est à certains
égards le FMI (je me hâte d'ajouter qu'il n'est pas que cela), le
monde apparaît plongé dans les spasmes d'une laborieuse transition
vers son unité économique et financière, la
mondialisation. Paradoxalement, au plan politique, il semblerait pris au
même moment de pulsions régressives qui le pousseraient vers de
nouvelles fragmentations. Le processus de mondialisation s'intensifie
partout ; en certaines parties du monde, il est vécu dans
l'euphorie ; dans d'autres, c'est particulièrement le cas de
beaucoup de pays d'Europe, dans le doute. Certes, l'on pressent que bien des
choses évoluent, mais les sociétés européennes
vieillissantes voient plus de menaces que de chances dans l'économie
mondialisée qui se met en place. Rien d'étonnant, dès
lors, que des projets d'une extraordinaire portée, tels que l'Europe
monétaire, soient perçus par certains comme de sournoises menaces
et qu'enfin l'Europe éprouve tant de mal, aujourd'hui, à se doter
de projets collectifs.
D'où la pertinence de la question : comment, à quelles
conditions, réussir la mondialisation ?
Je ne peux répondre qu'avec modestie, parce que c'est commode de parler
quand on voit les choses de loin. Vous, vous êtes sur le terrain. Moi je
dis comment la France se situe par rapport aux autres, mais mes observations
méritent d'être tempérées par ce que votre
expérience vous montre. Néanmoins, la perspective d'ensemble me
fera répondre en trois points :
- essayer, tout d'abord, d'y voir clair, de démêler ses
chances et ses risques, nos atouts et nos handicaps ;
- accepter cette exigence de la mondialisation qu'est la
responsabilité dans la conduite des économies nationales ;
- et enfin, progresser vers une régulation plus efficace au plan mondial.
Chances et défis de la mondialisation : tout a été
dit là-dessus ! Et pourtant on continue à en faire le bouc
émissaire de tous nos maux, alors qu'elle constitue un
phénomène positif pour l'ensemble de l'économie mondiale
et, notamment, pour les pays industrialisés comme la France. D'abord,
parce qu'elle s'inscrit dans le prolongement du processus d'ouverture et
d'intégration des économies, auquel le monde doit près
d'un demi-siècle d'une prospérité sans égale. Cette
ouverture, aujourd'hui, s'étend aux marchés financiers ; les
flux de capitaux privés en direction des marchés en
développement on permis de financer l'essor de la production dans les
pays bénéficiaires, et par là-même de contribuer
à soutenir la demande des produits exportés par les pays
industrialisés.
C'est ainsi qu'entre 1990 et 1995, par exemple, les exportations
françaises vers les pays en développement ont augmenté en
moyenne de près de 10 % par an -en dollars-, alors que nos
exportations vers les pays industrialisés sur la même
période ne progressaient que de 6 %, en rythme annuel.
Résultat, en 1995, les exportations vers les pays en
développement ont représenté 23 % des exportations
totales de notre pays, contre à peine 19 % au début de la
décennie. Les consommateurs ont bénéficié eux aussi
de la mondialisation, car la spécialisation et la libéralisation
accrues des échanges leur ont donné accès à un
éventail plus large de produits meilleur marché.
Parallèlement, la mondialisation offre aux opérateurs
présents sur les marchés internationaux de capitaux une gamme
plus large d'investissements, assure à leur épargne des
rendements plus élevés et leur permet de diversifier davantage
leurs portefeuilles. Elle facilite également une allocation plus
efficace des ressources au niveau global, donc une croissance plus rapide de
l'économie mondiale et, avec elle, de meilleures chances de
réduire la pauvreté.
On me parlera évidemment de la toute-puissance des marchés, de
l'espace trop étroit laissé par les marchés aux
politiques. Je suis prêt à en débattre. On me dira aussi
que le bonheur des marchés n'est pas le bonheur de l'homme de la rue,
c'est certainement vrai, mais il y a quelques faits massifs à
reconnaître. Je ne vous en cite qu'un : ce qui s'est passé de
90 à 93 dans l'économie mondiale.
Vous vous souvenez que pendant ces années-là, les grandes
économies industrielles, successivement les Etats-Unis, la
Grande-Bretagne, le Japon, l'Allemagne et la France, sont rentrées en
récession, ont flirté avec une croissance zéro ou se sont
retrouvées un petit peu en dessous.
Si on s'était trouvé dans le contexte des 15 années
précédentes, l'époque où les économies
industrielles étaient les locomotives de l'économie mondiale, le
fait que les économies industrielles s'arrêtent aurait
entraîné une crise profonde au plan mondial. Or il n'y a pas eu de
crise. Il y a eu un ralentissement de la croissance, mais le monde a
continué de croître entre 2 et 2,5 %.
Pourquoi ? Parce qu'entre une trentaine de pays en développement, qui,
soit dit sans excès de modestie, avaient été de
très bons élèves du FMI, ont crû pendant ces
années-là grâce à la mondialisation et à
l'ouverture des financements qu'elle a permis pour eux, à un rythme
entre 6 et 9 %. Et ce sont eux qui ont fait en sorte que la croissance mondiale
soit positive et que notre récession soit considérablement
amortie. Il y a donc du bon dans la mondialisation.
Mais qui dit nouvelles chances dit aussi nouveaux risques et évidemment,
il est prudent de s'arrêter plus longtemps sur les risques que sur les
chances. Je me contenterai d'en signaler ici deux parmi les plus
préoccupants. Le premier est le risque d'instabilité
financière. Au cours de ces dernières années, plusieurs
crises financières coûteuses ont secoué l'économie
mondiale. L'effondrement des prix des actifs, les fortes turbulences des
marchés des changes, la crise déclenchée sur les
marchés émergents par les événements survenus au
Mexique, la faillite de plusieurs grands établissements financiers,
autant d'événements qui soulignent les principales carences de
notre système. Jusqu'à présent, la communauté
internationale y a fait face ; non sans mal, cependant. Autant dire qu'il
y a là une vulnérabilité qui appelle un renforcement du
système financier, puisque nous savons maintenant qu'une crise
financière, née presque n'importe où, peut se
répandre comme traînée de poudre.
Le second risque est celui de la marginalisation. Si certains pays en
développement ont compris comment faire fond sur les forces de la
mondialisation pour accélérer leur progrès
économique, il n'en va pas de même, à l'évidence,
pour tous. Le fait est que les pays qui ne sont pas capables de participer
à l'expansion du commerce mondial, ou d'attirer un volume significatif
d'investissements privés, sont en danger de devenir les laissés
pour compte de l'économie mondiale. Et ce sont précisément
les pays qui ont le plus besoin des échanges, des investissements et de
la croissance que la mondialisation pourrait leur apporter, qui courent le plus
grand risque d'être marginalisés.
Et il y a une sorte de mécanique infernale. De plus en plus, nous, pays
industriels, dans l'octroi de nos aides publiques au développement, dans
nos investissements dans ces pays, nous avons tendance à aider ceux qui
gagnent et qui sont crédibles. Il s'inscrit une tendance forte à
l'accroissement des écarts entre pays en développement qui
décollent et ceux qui sont à la traîne.
On peut donc craindre que le fossé ne se creuse encore entre les pays
qui sauront profiter de la mondialisation et ceux qui seront frappés de
marginalisation. La communauté mondiale ne peut pas se résigner
à cette dérive. Elle se sait une désormais. Elle sait que,
quelle qu'en soit l'origine, une crise financière peut, dans l'instant,
devenir universelle, elle sait que même si elle se cuirassait contre le
sentiment de l'inacceptable d'une misère sans réponse, elle ne
pourrait ignorer les risques que la marginalisation entraîne pour
l'équilibre géopolitique mondial.
Ces chances et ces risques font désormais partie intégrante de
notre environnement, que ce soit en France, en Europe, ou dans le reste du
monde. Il y a des chances nouvelles. Il y a des défis,
c'est-à-dire des risques que notre génération devra
transformer en chances ! Face à ces défis, la France, comme
l'Europe, part gagnante. Elle part gagnante dans un jeu qui n'est pas à
somme nulle et où notre responsabilité est de faire que le plus
de pays possible soient gagnants. Ce serait cela une mondialisation
réussie.
Commençons par l'avenir que la France peut attendre de la
mondialisation. Voici trois raisons pour lesquelles la France doit envisager
cet avenir avec confiance.
D'abord, parce que la France mène, depuis le début des
années 1980, une politique macro-économique pratiquement
constante et vigoureuse qui s'est traduite par un remarquable renforcement de
nos structures industrielles et de notre compétitivité,
l'assainissement en cours de nos finances publiques, des taux
d'intérêt à long terme parmi les plus faibles du monde...
Tout cela, la solidité de sa balance courante, la qualité de sa
recherche et de nombreux secteurs de pointe lui vaut une
crédibilité dont seul ses ressortissants ne semblent guère
conscients et tout cela évidemment contribue à faire du franc une
monnaie saine et respectée.
Deuxièmement, l'engagement indéfectible de la France en faveur
de la construction européenne a aidé à promouvoir la paix,
la stabilité, le progrès économique à travers le
continent, et à créer un engagement commun des Européens
à affronter l'avenir ensemble qui, vu de l'autre rive de l'Atlantique,
est réellement le fait majeur de cette dernière décennie.
Troisièmement, la France a une longue tradition d'engagements dans les
affaires du monde et de solidarité avec les pays en
développement. Ceci sera un actif précieux de la nouvelle Europe
et contribuera à en faire un partenaire constructif dans cet effort
universel pour une mondialisation réussie.
La France peut s'appuyer sur cet acquis pour bâtir l'avenir. Comment
expliquer, dans ces conditions, l'appréhension que l'on devine
aujourd'hui -en France, mais aussi dans les autres pays européens-
dès que l'on évoque cet avenir ? Par le drame du
chômage et notre lenteur à lui trouver des réponses
crédibles ? Bien sûr ! La concurrence s'intensifie aussi
sur les marchés mondiaux. Les investissements financiers internationaux
se diversifient de plus en plus pour réduire au minimum les risques et
améliorer les rendements. Enfin, voici que, grâce à la
libéralisation du commerce et des marchés de capitaux, il devient
beaucoup plus facile, et parfois indispensable, de
" délocaliser " la production vers des pays où les
coûts sont relativement bas.
Faut-il en déduire que l'essentiel de nos acquis est désormais
menacé, et que des pays comme la France ne peuvent affronter des
concurrents qui pratiquent encore des politiques sociales et des salaires si
éloignés des nôtres ? Absolument pas. En effet,
lorsque les producteurs et les investisseurs ont à choisir entre tel ou
tel pays, bien d'autres facteurs que les salaires et les politiques sociales
entrent en ligne de compte. La stabilité macro-économique,
l'évolution plus ou moins prévisible du taux de change,
l'ouverture aux échanges commerciaux et aux mouvements de capitaux, la
productivité de la main d'oeuvre et la transparence du cadre
légal et réglementaire, la cohésion sociale, etc...,
prennent alors une importance capitale.
La France est donc bien placée - à plus d'un titre- pour
affrontrer une compétition désormais planétaire. Mais il
est vrai que ces atouts ne sauraient suffire si nous voulons nous donner la
croissance et la souplesse des structures sans lesquelles nous n'avons aucune
chance de saisir ces nouvelles opportunités et de régler le
problème du chômage. Il faut un plus : répondre sans
nous dérober à l'exigence universelle d'une gestion responsable
de la transition.
Nous sommes tous, pays en développement, pays en transition vers
l'économie de marché et vieux pays industriels, des pays en
transition. Transition déjà tardive vers cette économie
mondialisée du 21ème siècle, puisque celui-ci, je le
pense, a déjà commencé ! Et ceci implique,
particulièrement de la part des grands pays industriels, non
l'uniformité des stratégies mais une sorte d'exigence
d'excellence dans la conduite des politiques économiques. L'influence
qu'ils sont susceptibles d'exercer sur le reste du monde ajoute à ce
devoir. Le temps est bien révolu où " il suffisait de faire
moins de bêtises que ses voisins ". Aujourd'hui, notre voisinage est
universel et la compétition peut surgir partout. Dans un monde où
la concurrence s'exerce de plus en plus, non seulement entre firmes mais entre
systèmes, dans un monde surtout où les crises financières
peuvent dans l'instant revêtir une dimension systémique, les
gouvernements ne peuvent plus échapper, fut-ce temporairement pour une
pause pré-électorale, à leur devoir d'excellence dans
leurs gestions. Excellence dis-je, mais je pourrais tout aussi bien dire
responsabilité ou tout simplement rectitude.
A cela, nul pays n'échappe et tous le savent. Il y a au Fonds
monétaire international un consensus unanime pour que, dans le dialogue
avec chacun de nos pays membres nous mettions -dans ce contexte de
mondialisation- un accent plus appuyé sur trois points :
- la transparence et la rigueur dans la gestion économique
d'ensemble ;
- la recherche d'une croissance axée sur le développement humain,
et
- la réforme de l'Etat.
Il y a trois semaines j'ai été invité par le groupe
parlementaire CSU CDU en Allemagne qui m'a posé les mêmes
questions que vous et m'a demandé de leur dire où en était
l'Allemagne face à la mondialisation.
Ici en France on aurait tendance à dire que les Allemands sont beaucoup
plus avancés que nous. L'économie allemande serait une MERCEDES,
la nôtre une 4L ou une 4 CV. Pas du tout ! Je suis
sidéré de voir à quel point les problèmes sont
communs et comme l'avenir est finalement perçu avec la même
appréhension et la conscience d'un effort à faire sur des sujets
communs :
- la rigueur budgétaire, on reconnaît qu'il faut aller vers
l'équilibre budgétaire, en tout cas sur le moyen terme.
- La nécessité de garder une monnaie saine, je ne dirais pas une
monnaie forte, mais une monnaie débarrassée de toute composante
inflationniste.
- La nécessité de poursuivre la réforme de l'Etat et des
entreprises publiques.
- La nécessité de se débarrasser de toutes les niches, de
tous les éléments dans notre dispositif qui font que des pans de
notre économie restent protégés du vent de la concurrence
intérieure ou extérieure.
- La nécessité, si nous voulons pouvoir saisir rapidement les
chances qui s'offrent à nous sur les marchés mondiaux, de nous
doter d'une beaucoup plus grande souplesse d'adaptation de nos structures et de
nos marchés, notamment de l'emploi.
- La nécessité aussi, sans pour autant renoncer à une
philosophie de cohésion sociale à laquelle ils sont aussi
attachés que nous, de revoir nos dispositifs de protection sociale,
essentiellement parce que nous avons en commun un problème de
vieillissement de nos populations qui ne nous permet pas de continuer à
vivre aujourd'hui avec des systèmes qui ont été
bâtis quand les perspectives démographiques étaient
radicalement différentes. C'est un problème universel en Europe,
que nous devons chacun traiter à notre manière, en fonction de
notre dispositif de dialogue social qui fonctionne hélas, moins bien
chez nous que chez nos voisins, mais nous devons trouver des solutions
similaires à tous ces problèmes communs.
J'observe que parfois, dans les spasmes chez nous, d'une manière plus
concertée ailleurs, des solutions obéissant à la
même philosophie sont en train de se faire jour.
Je crois que si l'on arrive à poursuivre cet effort de réformes
structurelles sans remettre en cause la stabilité acquise,
réellement, la France sera bien placée pour soutenir la
concurrence internationale et les retombées seront positives pour la
société tout entière en termes de nouveaux
investissements, de croissance et de création d'emplois.
Je crois que l'enjeu est formidable et il l'est d'autant plus que c'est au
moment même où nous livrons ce combat pour notre propre
adaptation, un combat qu'il fallait livrer de toutes façons, par une
sorte de caprice de l'histoire ou de logique profonde, le volet
monétaire de la construction européenne nous apporte un atout
dont nous n'avons peut-être pas encore mesuré toute l'importance.
Je m'arrête un instant sur l'Euro, comme vous m'y avez invité,
Monsieur le Président. Je crois que les Français ne se sont pas
tous rendu compte, du supplément de puissance économique qui
pourra se manifester dans une Europe monétairement unifiée.
A-t-on songé à ce que signifie un marché unifié de
370 millions d'habitants à haut niveau de revenu, où les
fluctuations de change auront disparu, où les taux
d'intérêts seraient maintenus à des niveaux bas grâce
à la discipline budgétaire sur laquelle on est d'accord, les
entreprises bénéficieraient de surcroîts
d'efficacité résultant de rapprochements et de la mise en commun
des potentiels industriels et de recherche parmi les plus avancés du
monde ? A-t-on songé à ce que cela signifie pour l'Europe que
cette chance nouvelle de se doter d'un système financier, comparable par
sa profondeur et son efficacité, à celui est des Etats-Unis ?
Je crois qu'il y a là des perspectives de croissance, et pour la monnaie
unique des perspectives d'un rôle accru au plan international, qui doute
devront renforcer l'influence européenne sur la scène mondiale si
nous réussissons cette transition.
Dans quelle mesure et dans quels délais l'Euro sera-t-il à
même de concrétiser son potentiel de monnaie de
réserve ? La réponse à cette question dépend,
essentiellement, de l'appui que pourront lui apporter les politiques
budgétaire et structurelle. Maintenant que l'Europe dispose de son pacte
de stabilité et de croissance, les politiques structurelles devront
évidemment occuper une place de premier plan dans les priorités
de tous les responsables de l'avenir du continent. Une place de premier plan,
certes, mais non exclusive ; car la prospérité future de
l'Europe dépendra de plus en plus de la stabilité et du dynamisme
de l'économie mondiale intégrée, et l'Europe doit prendre
une part grandissante à l'effort consenti par la communauté
internationale au plan global, pour sa régulation. C'est le
problème du pilotage d'ensemble de l'évolution économique
et sociale mondiale. Trois grandes questions s'y rattachent :
- comment faire face aux risques d'instabilité
systématique ?
- comment faire face aux risques de marginalisation des plus pauvres ?
- comment tenter de progresser vers une meilleure régulation, au plan
mondial, de la mondialisation ?
Arrêtons-nous donc aux trois grandes questions que je viens de citer.
Comment affronter les risques d'instabilité financière ?
La crise du Mexique l'a montré, les phénomènes de
déstabilisation financière ont de plus en plus une dimension
mondiale. Et ici, une institution comme le FMI a donc des
responsabilités à exercer et un rôle central à jouer.
Comment faire face à ces risques ? Par la prévention d'abord.
L'intégration des marchés financiers internationaux a conduit le
FMI à renforcer la surveillance qu'il exerce sur la politique
économique des Etats, de façon à pouvoir détecter
à temps les problèmes qui se font jour et à les traiter
avant qu'une crise sur les marchés financiers n'impose un ajustement
brutal. Nous nous sommes efforcés, en particulier, d'instaurer un
dialogue plus continu et plus exigeant avec les autorités des pays
membres. Nous avons également reçu mandat de porter attention
à la solidité des systèmes bancaires, à la
pérennité des flux financiers, aux pays à risques et
à ceux où les tensions du marché financier pourraient
avoir des effets de contagion graves.
Cela dit, les marchés fonctionnent mieux lorsqu'ils disposent
d'informations suffisantes. C'est pourquoi, nous avons mis au point des normes
destinées à aider et à inciter les Etats à diffuser
leurs données économiques et financières dans le public
aussi complètement que possible et sans délai.
Il n'en reste pas moins que, dans ce monde intégré et parfois
imprévisible, le FMI ne peut se contenter d'encourager les Etats
à mettre en oeuvre des réformes économiques ; il doit
aussi disposer de ressources financières suffisantes pour les
accompagner dans leurs efforts et disposer de toutes les ressources ou des
droits de tirage nécessaires pour être en mesure de faire face,
s'il vient à se produire une crise majeure. Les quotes-parts constituent
notre capital et sont la base de nos prêts. Nous envisageons de les
relever de façon substantielle, c'est aujourd'hui notre première
priorité. J'ai bon espoir que nous pourrons compter, comme cela a
toujours été le cas par le passé, sur le soutien actif de
la France.
D'autre part, les pays du G-10 -parmi lesquels figure la France- ainsi qu'un
certain nombre d'économies de marché émergentes et
d'autres pays disposant d'une balance des paiements solide, ont entrepris de
mettre sur pied des accords de financement parallèles aux dispositions
déjà en vigueur dans le cadre des Accords généraux
d'emprunt, de manière à porter autour de 50 milliards de
dollars les ressources auxquelles le FMI pourra avoir accès d'urgence
dans l'hypothèse d'une crise systématique.
Enfin, nous cherchons en parallèle à renforcer nos moyens pour
aider les pays les plus pauvres à des conditions adaptées
à leur situation par des prêts sans intérêt
(j'évoque par là nos efforts pour rendre permanente la FASR dont
je parlerai plus loin).
Si l'adoption de ces mesures réduit le risque de voir se
déclencher de nouvelles crises de type mexicain, elle ne
l'élimine pas. Aussi, avons-nous clarifié, et en quelque sorte
codifié, les procédures qui permettront au FMI de répondre
rapidement et de manière décisive à des situations de
crise, tout en maintenant la conditionnalité dont s'assortit son
concours financier. Le recours à ces procédures devra demeurer
exceptionnel ; notre contribution devra garder son caractère
catalytique et, comme par le passé, être liée à
l'adoption d'un programme économique vigoureux par le pays qui
solliciterait cette assistance exceptionnelle.
Nous devons aussi, je pense, continuer à porter une attention accrue
à d'autres sources d'instabilité potentielles dans chaque pays et
dans le système monétaire international tout entier.
Sûreté et solidité des systèmes bancaires d'abord.
La crise mexicaine a montré que les pays dont le système bancaire
est fragile et inefficace sont plus vulnérables aux risques de contagion
et moins à même de faire face à l'instabilité des
flux de capitaux et aux pressions sur les taux de change. Qui plus est, les
répercussions de cette crise sur certains pays latino-américains
ont montré que la fragilité des systèmes bancaires peut
amplifier et prolonger l'impact de telles crises sur d'autres économies.
Les autorités de tutelle des principaux pays industrialisés sont
conscientes depuis fort longtemps de l'existence de ces risques et, au cours
des dernières années, la réglementation et le
contrôle G-10. Chacun s'accorde aujourd'hui à reconnaître
que ces progrès doivent être généralisés
à l'échelle mondiale. Je suis convaincu que la
dissémination de normes précises reconnues au plan international
pourrait constituer une base commune pour la réglementation et le
contrôle des systèmes bancaires à travers le monde.
Evidemment, ceci ne serait qu'un modeste premier pas, car ces normes ne
suffiront pas à elles seules. Elles ne seront efficaces que si les
autorités ont la capacité et la volonté d'exercer une
constante et difficile vigilance et de prendre les décisions
indispensables à leur mise en oeuvre.
Comme vous vous en doutez, cette attention, que nous dicte l'actualité,
à la stabilité des systèmes bancaires n'enlève rien
à notre souci de promouvoir -comme nos statuts nous en font obligation-
la stabilité des changes et, singulièrement, des relations entre
le dollar, le yen et les monnaies européennes. Dans une époque
caractérisée par les flux massifs de biens et de capitaux, il ne
reste plus grand monde pour nier que les désordres des taux de change
peuvent opposer un sérieux obstacle à une
prospérité mondiale durable. La question est de savoir comment
mettre en place et maintenir une grille de taux de change viable. Ici, au sein
d'une controverse vieille de trente ans, un point au moins est fermement et
unanimement acquis : les deux conditions premières de cette
stabilisation se trouvent dans la solidité des équilibres
macro-économiques et monétaires, surtout des pays du G-7, et dans
la qualité de leur coopération.
Les pays du G-7 doivent donc consolider les grands paramètres de
leurs économies respectives. Mais que faire, lorsque les taux de change,
malgré cela, s'écartent de ce que l'on pourrait considérer
comme leurs " zones de vraisemblance " ? Ici, s'ouvre un
débat
dans lequel je me reconnais quelque peu minoritaire. Je suis de ceux qui
regrettent que la trajectoire et la dynamique créées par les
accords du Plaza et du Louvre aient été sinon abandonnées,
du moins mises en sommeil par le G-7, probablement parce qu'elles
impliqueraient un degré de coordination des politiques
économiques et monétaires auxquelles les grandes puissances
n'étaient pas encore disposées. Notons toutefois qu'une forme de
coopération discrète et informelle a subsisté qui a connu
un succès remarquable depuis le printemps et l'été
derniers, lorsque la coordination de leurs politiques économiques et
l'envoi de signaux clairs aux marchés a permis de rétablir une
constellation de taux de change beaucoup plus raisonnable lorsque la
surévaluation du yen a fini par apparaître totalement
déraisonnable.
Ceci s'est produit et c'est une réussite assez remarquable puisqu'elle
s'est opérée sans que les 7 aient dû peser pour obtenir ce
résultat. Le dollar s'est apprécié de 50 % contre le yen
depuis avril 96, et de 20 % contre le DM et le franc français.
Est-ce durable et où va-t-on aller ? C'est le genre de sujet sur lequel
je parle d'abondance quand il s'agit de commenter le passé, mais
où je retiens mon souffle et mes paroles quand il s'agit de parler de
l'avenir. Je vous dirai néanmoins qu'il y a quelque chose de sain dans
ce qui s'est passé, en ce sens que l'appréciation du dollar est
clairement la confirmation naturelle par les marchés de la bonne
santé de l'économie américaine et du renforcement de ses
disciplines macro-économiques.
Il importe aujourd'hui -à tout le moins- de faire fond sur ce
succès qui démontre que, même avec des réserves de
change limitées face à la taille des marchés, la
concertation du G-7 n'est pas sans influence. Il ne fait aucun doute que
la stabilité des taux de change peut être grandement
améliorée si les principaux pays prennent à coeur les
responsabilités qui sont les leurs en tant qu'émetteurs de
monnaies de réserve. Ils peuvent le faire et ils le doivent : il
reste que la prochaine étape dans cet effort sans cesse
recommencé de renouvellement du système monétaire
international sera largement dominée par l'événement
monétaire majeur et le plus prometteur de l'après Bretton
Woods : je parle une fois de plus de l'avènement de l'Euro.
Comment l'Euro sera-t-il géré ? Comment évoluera cet
équilibre entre grandes monnaies, quel type de coopération
s'établira entre les responsables ? Quel sera l'impact de
l'apparition de cette monnaie de tout premier plan au sein du système
monétaire international ? Autant de questions ouvertes pour
l'évolution ultérieure. Il n'est que grand temps d'en
débattre. Le fait, néanmoins, demeure que l'Euro est devenu
aujourd'hui le point de passage obligé de la réforme du
système monétaire international.
Comment soutenir dans leurs efforts d'ajustement les pays en transition et
les pays des plus pauvres ?
Notons-le d'abord, la mondialisation a incité de plus en plus de pays
à opter pour la stabilisation macro-économique et les
réformes structurelles. Ces pays recherchent auprès du FMI
conseils, assistance technique et appui financier. Notre institution compte
désormais 181 membres, dont une soixantaine bénéficient
d'un financement pour leur programme d'ajustement et de réforme.
Soixante-deux pays ! et 24 autres négocient de tels programmes ! Cela
donne une idée du formidable effort d'ajustement structurel qui s'est
engagé à travers le monde ! Un grand nombre des Etats qui
nous ont rejoints ces dernières années sont des économies
en transition d'Europe de l'Est et de l'ex-Union soviétique, que le FMI
aide à réintégrer l'économie mondiale. Les
résultats sont encore inégaux -souvent décevants, parfois
remarquables- et il reste beaucoup à faire dans bien des cas. Mais il
est encourageant de constater que ceux de ces pays qui ont été
les plus déterminés dans leurs efforts de réforme figurent
aujourd'hui parmi les économies les plus dynamiques du continent. Pour
l'Europe, cela signifie une intensification de la concurrence, mais aussi de
nouveaux marchés, plus de stabilité et, bien évidemment,
la consolidation de la paix.
Mais ce n'est pas tout. Nous devons aussi être prêts à
lutter contre la marginalisation à travers le monde et à soutenir
les efforts de réforme des pays les plus pauvres à des conditions
qui puissent leur convenir. C'est pourquoi, nous travaillons à doter la
facilité d'ajustement structurel renforcée (FASR) -le guichet
grâce auquel le FMI peut faire des prêts à 0,5 % aux
plus démunis de ses membres- de ressources suffisantes pour continuer
à fonctionner jusqu'à ce qu'elles puissent s'autofinancer, ce qui
sera le cas dès les premières années du siècle
prochain. La FASR sera aussi le canal par lequel le FMI contribuera à
l'initiative qu'il a engagée conjointement avec la Banque mondiale pour
alléger le fardeau des pays pauvres les plus endettés.
Quelle que soit leur importance, toutefois, la FASR et " l'initiative
conjointe sur la dette " ne résoudront pas, à elles seules,
tous les problèmes liés au sous-développement et à
la vulnérabilité des pays les plus pauvres. Ces derniers, et en
particulier les pays africains, continueront d'avoir besoin d'aides
bilatérales assorties de conditions concessionnelles. Je sais que la
France entend poursuivre -et, espérons-le, intensifier- ses efforts dans
ce domaine, à condition que les pays qui sollicitent l'aide
internationale bilatérale ou multilatérale fassent tout ce qui
est en leur pouvoir pour créer les conditions d'une utilisation
productive des concours reçus. Il leur faudra, pour ce faire, adopter
une politique macro-économique judicieuse, engager des réformes
structurelles globales et mettre en place un cadre institutionnel qui inspire
confiance aux investisseurs et aux épargnants tout en assurant la
sécurité de leurs investissements. L'assistance internationale
toutefois ne saurait remplacer un meilleur accès aux marchés
mondiaux, surtout pour le type de produits pour lesquels les pays les plus
démunis ont, ou pourraient dégager, un avantage comparatif,
à savoir les produits agricoles et minéraux et les produits
industriels de base.
Poursuivre et élargir cet effort de solidarité, c'est ajouter une
dimension essentielle à notre stratégie pour la réussite
de la mondialisation. De même que les efforts déployés par
chacune de nos nations pour devenir plus compétitive doivent être
complétés par des initiatives visant à améliorer
l'efficacité du soutien apporté aux éléments les
plus vulnérables de nos populations, la mondialisation ne sera une
réussite globale que si elle devient une nouvelle chance pour les pays
les plus pauvres. Les enjeux sont là-aussi considérables. Il
s'agit de faire que, dans la gestion d'un univers mondialisé, la
solidarité devienne le soeur jumelle de la responsabilité. Sans
cet effort de solidarité, le monde serait en permanence en danger
d'implosion. Les pays pauvres le comprennent bien qui acceptent maintenant de
nous aider à financer nos instruments de soutien à des pays plus
pauvres qu'eux. Ils nous disent par là qu'un univers mondialisé
prend un risque majeur s'il laisse subsister des poches de misère. Comme
le faisait remarquer récemment Peter Sutherland, l'aide au
développement était naguère une sorte de cotisation
d'adhésion au club des pays riches. Elle est aujourd'hui une
contribution indispensable à l'équilibre d'un monde qui s'unifie.
L'opinion publique est prête à l'admettre et il est une question
à laquelle quiconque, en particulier, dialogue avec des jeunes se trouve
confronté : à quoi rime cette quête incessante de
compétitivité que nous impose la mondialisation ? Pourquoi nous
laisser entraîner dans cette spirale infernale où l'homme risque
d'être broyé ? Ne vaudrait-il pas mieux rechercher le moyen
d'y mettre fin ? On peut, bien sûr, répondre que la concurrence
est le moteur du progrès et de l'amélioration globale des niveaux
de vie. C'est vrai, mais insuffisant. On peut rappeler qu'accroître notre
efficacité est indispensable pour progresser et même parfois pour
survivre dans un monde où la concurrence est rude. Cela non plus ne
suffit pas. Cet effort incessant ne prend de sens que s'il permet une
solidarité plus active envers les groupes sociaux les plus
vulnérables et les pays les plus démunis. Pour que la
solidarité puisse être à la hauteur de l'enjeu, il ne peut
être question d'abandonner la course vers plus d'efficacité. Il
faut la courir ensemble et dans un cadre mieux régulé.
Comment donc progresser vers une meilleure régulation globale de la
mondialisation ?
Comment, au moment où la mondialisation avance si vite, trouver les
structures mondiales adaptées, où chacun serait
équitablement représenté, et qui permettraient de parvenir
à une meilleure formulation de stratégies globales au niveau de
l'économie mondiale ? C'est un sujet sur lequel Jacques Delors a
lancé naguère des suggestions novatrices ; c'est un sujet
repris fréquemment parmi les pays émergents, mais je crains qu'il
ne reste encore beaucoup de scepticisme et d'appréhensions à
dissiper à ce propos. Faute de soutien politique pour une approche plus
ambitieuse, nous en sommes réduits pour l'instant à faire de
notre mieux pour que cette dimension mondiale des problèmes soit prise
en compte le mieux possible dans les structures existantes. Tel est l'effort de
M. Ricupero à la CNUCED, de M. Ruggiero à l'OMC. Tel a
été l'objet des grandes conférences sous l'égide
des Nations-Unies, tel est le sens de l'effort accompli au sein du
Comité intérimaire du FMI. Cette structure, si mal nommée,
mais où des pays tels que l'Inde et le Brésil, entre autres pays
émergents, sont représentés en permanence aux
côtés de ceux du Groupe des Sept, fournit un cadre utile pour
parvenir à un consensus sur les grandes orientations de la
stratégie macro-économique mondiale.
Il demeure que d'une manière un peu simpliste, l'opinion publique
considère que nous vivons encore sur la base d'un système
gouverné par les 7. Or les 7, c'est important, mais il y a maintenant
d'autres géants qui émergent. Quel système légitime
pourrait être mis en place pour que les citoyens du monde aient le
sentiment que les affaires du monde sont gérées et prises en
charge d'une manière acceptable et légitime ?
C'est une question qui est souvent posée en France, dans les pays
émergeants. C'est une question qui entraîne un très grand
scepticisme et des réactions de surprise amusée lorsque ce n'est
pas de rejet franc aux Etats-Unis et dans d'autres pays industriels.
Prononcez le mot de " gouvernement mondial " au Congrès des
Etats-Unis et vous devenez l'ennemi public numéro un. Or, la simple
idée de dire qu'il faudrait aller vers une structure où des
questions comme celles dont nous venons de parler seraient plus directement, et
d'une manière plus délibérée et volontaire, prises
en charge par la communauté mondiale des états, cette
idée-là n'a pas encore trouvé sa légitimité
dans l'opinion publique des grands pays. Mais il est vrai que l'arrivée
de l'Euro va être une occasion de renouveler le débat entre les
grands pôles monétaires. Il faudra assez vite reconnaître
aussi qu'il y en a d'ailleurs plus que trois. La Chine peut émerger
très vite comme une grande monnaie. L'Inde aussi.
La question qui se posera un jour prochain sera de faire en sorte que ces pays
qui vont être de plus en plus appelés à prendre leurs
responsabilités pour le financement de l'économie mondiale et la
prise en charge des fonctions de stabilisation de cette économie, se
voient accueillir dans un cadre convenable pour exprimer leurs vues sur de tels
sujets et peser sur des négociations indispensables.
Mais il est temps que je m'arrête pour répondre à vos
questions.
M. le Président
. - Monsieur le Directeur, merci. Vous avez
abordé la plupart des questions que nous nous posions. Et vos propos
rejoignent, dans une très large mesure, ceux de M. Ruggiero hier.
Votre appréciation de la mondialisation est beaucoup plus positive que
cela n'est habituellement le cas en Europe. J'ai eu l'occasion de rencontrer
des Allemands et le sentiment de pessimisme est au moins aussi
développé chez eux qu'en France.
Je voudrais vous poser une ou deux questions.
A propos de l'Euro -vous connaissez le système mieux que nous-,
n'êtes-vous pas inquiet de voir une banque centrale européenne se
mettre en place alors que sur le plan de l'union politique nous faisons
pratiquement du sur place, si même nous ne rétrogradons pas
à travers l'élargissement de la Communauté dont il est
difficile de penser qu'elle va renforcer les institutions ? N'y a-t-il pas
là un hiatus très grave entre le pouvoir monétaire d'un
côté et l'absence de pouvoir politique de l'autre ?
C'est une thèse largement défendue par la France. Le
problème est de savoir vers quoi on va.
Deuxième question : je vous ai entendu nous dire que l'évolution
favorable des relations entre les monnaies européennes et le dollar
était due à une politique concertée. Peut-on vraiment dire
cela ? Est-ce que vous ne sacrifiez pas à la vieille formule :
" ces mystères nous dépassent, feignons de les
organiser ". Ne m'en voulez pas de cette observation sceptique.
Enfin, vous avez parlé des pays marginalisés. Quand on
évoque cette catégorie de pays, on pense à l'Afrique, or
voilà deux ans que l'Afrique connaît un taux de croissance qui
tout à coup dépasse le taux de la croissance démographique
et dépasse même le nôtre. Chez elle, le taux de croissance
moyen est de 5 à 6 %. Est-ce le signe de quelque chose de durable ?
L'Afrique réémerge-t-elle à l'horizon économique ?
M. Michel Camdessus
. - On voit bien ce que serait la Banque Centrale
Européenne, et il n'était pas difficile d'en dessiner une. Il y
avait d'autres modèles dont la Bundes Bank. De plus, organiser une
banque centrale indépendante à partir de banques centrales
devenues indépendantes ne posait pas de grands problèmes
métaphysiques ou politiques.
Mais la logique du traité, c'est que l'on mette en place en effet la
Banque Centrale et, à travers les résultats des travaux de la
conférence intergouvernementale, que la construction politique de
l'Europe avance. Comme vous, je pense en tant que citoyen et même en tant
que technicien des affaires monétaires, qu'on ne peut pas avoir ou
tolérer longtemps le risque de hiatus dont vous parlez.
Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il y a une absence de pouvoir politique.
Je comprends le gouvernement français quand il dit : nous voulons un
conseil financier et monétaire des ministres. Mais il existe
déjà au niveau des ministres ! Les ministres des finances se
réunissent tous les mois. Evidemment dans une structure qui sera plus
large puisque ce seront les 15, alors que dans le noyau initial de la Banque
Centrale Européenne il y aura plus de 7 et moins de 15 pays. Il faudra
qu'ils trouvent le moyen de se réunir en ministres de la zone Euro,
d'autant plus qu'ils auront, eux ministres et pouvoirs politiques, la
responsabilité de la politique de change de la zone Euro.
Mais je ne vois guère là de problème énorme
à régler et je pense que la solution sera trouvée. Il y a
aussi le Conseil européen et les présidents des pays de l'Euro
trouveront certainement aussi le moyen de se concerter et d'exercer quand il le
faudra leur responsabilité au niveau des décisions de change.
Je comprends évidemment la dialectique franco-allemande en particulier,
et tout l'arrière-plan politique de cette affaire, mais je crois que
cela ne devrait pas être une pierre d'achoppement. Ici aussi,
après quelques spasmes et beaucoup de discussions d'experts, beaucoup de
paroles inutiles, on trouvera un accommodement.
Nous avons vu depuis des décennies la construction européenne
progresser de cette façon. Nous allons voir nos responsables se rendre
compte du formidable enjeu de cette affaire et, je l'espère,
éviter les faux pas politiques. C'est mon opinion, mais je soumets cette
affirmation optimiste à votre critique.
Sommes-nous en train d'organiser les mystères qui nous dépassent
en ce qui concerne le dollar et les autres monnaies ? Je ne le crois pas. Je
pense que le résultat est venu beaucoup plus tard que nous ne le
pensions, mais c'est tout de même le résultat de politiques qui
ont été voulues et délibérées entre les 7.
Il y a très longtemps que la politique économique
monétaire et financière des Etats-Unis, du Japon, des pays
européens est concertée au cours de ces réunions
périodiques tous les 3 ou 4 mois. On met cartes sur table, on
écoute poliment le Directeur général du FMI qui distribue
bonnes notes, avertissements ou cris d'alarmes, on regarde ce qui se passe, on
suit les fluctuations des marchés, et je peux vous dire que la manoeuvre
de mars-avril 1996 a été délibérée, voulue
et organisée. Et si elle a demandé peu de gesticulations, c'est
d'une part parce que les marchés ont reconnu que c'était
indispensable, et parce qu'il y avait assez de volonté commune d'arriver
à un résultat que tout le monde jugeait bon, que des trois
côtés des mesures convergentes ont été prises. Je ne
vous dis pas que cette concertation est parfaite, je la trouve insuffisante,
parfois maladroite, parfois trop tardive, mais en cette occasion elle a
marché.
Je souhaiterais qu'enhardis par ce succès, nos grands argentiers
continuent et gèrent comme un acquis précieux et fragile la bonne
constellation qu'ils ont aidé à mettre en place.
Enfin, sur l'Afrique je fais le même constat que vous. Enfin l'Afrique
croît d'une manière positive, c'est-à-dire que la
croissance dépasse le galop démographique. Et ce n'est pas
l'effet du hasard. Certains ont dit : c'est une aubaine passagère,
ce sont les termes de l'échange du café, du cacao, etc. Non. Nous
avons étudié par le menu, pour l'ensemble des pays avec qui nous
avons des programmes en Afrique, une trentaine sur les 50, ce qui s'est
effectivement passé. Et bien, Mesdames et Messieurs, c'est la
récompense de leurs efforts. Les pays qui tirent le développement
de l'Afrique en ce moment sont ceux qui après des années
d'effort, commencent enfin à récolter les effets positifs de
l'ajustement structurel dont vous parliez, monsieur le Président.
Et je dois dire que le phénomène est particulièrement
éclatant dans les pays de la zone franc. Il faut dire qu'ils venaient de
loin, ils ont été longtemps handicapés par un taux de
change sur-évalué, ils ont mis, et nous aussi Français,
beaucoup de temps à le reconnaître. Mais ils ont eu aussi la
sagesse de prendre une mesure très forte d'ajustement de leur
parité monétaire et de l'accompagner dans les 14 pays par des
politiques d'accompagnement de rigueur budgétaire, de modération
salariale, de privatisation, de modernisation de leurs structures. Ainsi ces
pays qui pendant 15 ans avaient eu une croissance négative - sur 12
ans ils avaient perdu un quart de leur richesse par tête- croissent
maintenant à un rythme de 6 à 7 %. C'est un renouveau prometteur,
à condition qu'ils gardent ces disciplines et continuent à
accélérer leur gestion
Nous sommes là pour les encourager et les aider, car tout ceci est d'une
extrême fragilité et vous savez à quelles tensions,
à quelles pulsions, à quels désordres de caractère
politique et tribal ces pays sont toujours exposés.
M. Hubert Durand-Chastel
. - Les opérations journalières de
change international représentent un volume de l'ordre du milliard de
dollars, qui est incomparablement supérieur au besoin du mouvement des
marchandises : plusieurs dizaines sinon une centaine de fois. Les banques
nationales ont des réserves très réduites et sont
incapables de faire face à des mouvements concertés de cette
grandeur.
Que peut faire le FMI contre ce phénomène qui constitue un risque
certain et une spéculation ?
Au mois de janvier dernier, le dollar américain s'est sensiblement
renforcé vis-à-vis des monnaies européennes. Les
incantations justifiées et souhaitables de M. le Président
Giscard d'Estaing n'ont pu constituer à mon sens les raisons
réelles de cette situation. Y a-t-il eu en même temps un
phénomène plus profond comme la surchauffe possible de
l'économie américaine qui a vu une croissance supérieure
à 3,7 % ces derniers mois ? Y a-t-il une autre raison ? Le nouveau
taux semble un peu se stabiliser.
M. Michel Camdessus
. - Je reviens sur ce que je suggérais il y a
un instant. Il est vrai que les transactions financières internationales
sont d'un montant considérable, de l'ordre aujourd'hui de 1.400
milliards de dollars. Cela n'a pas grand-chose à voir avec les flux de
marchandises. Mais il faut bien voir aussi que ces transactions ne sont pas
seulement liées au commerce international, mais aux investissements des
ressources d'épargne, aux opérations de couverture à
terme, aux opérations de diversification des risques de l'ensemble des
opérateurs financiers, gestionnaires de fonds de retraites et autres
à travers le monde.
Ce sont des opérations qui sont justifiées, non par une
spéculation systématique, encore que celle-ci puisse se
déchaîner, mais par l'utilisation croisée de l'ensemble des
instruments modernes de financement et de réduction du risque qui
s'appliquent aux transactions financières au plan international.
Il n'est pas indispensable, pour que l'ordre ou une stabilité suffisante
soit maintenu sur les marchés internationaux, que les banques centrales
disposent de réserves de change croissant à la même vitesse
que les transactions quotidiennes. Normalement ces transactions doivent
s'équilibrer et le marché est là pour les
équilibrer par le mécanisme des prix et des taux. Si ces
opérations sont d'un tel volume, c'est que beaucoup d'opérations
n'ont d'autre objet que de limiter par des opérations de couverture les
risques de fluctuation de change.
Que faire pour éviter que soudainement le système devienne fou ?
Il faut d'abord s'assurer que les politiques macro-économiques des pays
soient saines et ordonnées. Si vous observez et étudiez toutes
les crises de change des 15 dernières années, vous verrez que
toutes ont été engendrées par une défaillance
majeure dans la gestion macro-économique monétaire et
financière d'un pays donné.
Même à l'abri du système monétaire européen,
on a laissé dans les années 91 à 93 se créer entre
les taux de change qu'on prétendait défendre et la situation
macro-économique de pays comme l'Italie, l'Espagne ou la
Grande-Bretagne, des écarts tels que la spéculation, comme M.
Soros l'a bien expliqué, ne pouvait que gagner.
Si vous voulez éviter la spéculation, il faut éviter que
de tels écarts ne se produisent et ceci est une leçon qu'il nous
faudra toujours garder en mémoire. On a vu ces écarts se
créer dans un système qui était créé pour
les éviter. Et donc l'invitation à la vigilance que cette crise
de 92-93 comporte pour tous les responsables mondiaux est essentielle.
L'article premier d'un dispositif de défense contre la
spéculation n'est pas de grossir les réserves de change des
banques centrales, c'est la qualité de gestion et la concertation entre
les responsables nationaux. Les marchés ont besoin de savoir que les
responsables parlent entre eux et s'entendent. Rappelez-vous la crise d'octobre
87. Il y avait un problème de cours trop élevés sur tel ou
tel marché, mais le facteur déclenchant a été le
fait qu'un beau jour l'on s'est rendu compte que M. Stoltenberg et M. Baker ne
s'entendaient plus. Il est donc important de convaincre les marchés que
les autorités monétaires sont capables d'agir ensemble et vite
face à une situation de crise.
J'ai oublié de répondre à propos de la sagesse des
Américains et des déclarations de M. Giscard d'Estaing. Je ne
doute pas qu'elles ont impressionné les opérateurs, mais la
normalisation de la position du dollar par rapport aux autres monnaies tient
surtout à la perception par les marchés de la force de
l'économie américaine par rapport aux médiocres
performances japonaises et européennes.
M. le Président
. - Je suis chargé par un de nos
collègues qui a dû partir de vous poser une question. N'y
aurait-il pas lieu de rapprocher l'organisation mondiale du commerce et le FMI
? On a souvent l'impression que les taux de change jouent un tel rôle
dans les échanges commerciaux, et les droits de douane un rôle
tellement diminué à force de les faire baisser, qu'il y a
là une sorte d'écart, de hiatus, dont on se demande s'il ne
faudrait pas le corriger ?
M. Michel Camdessus
. - Ce point-là aussi fait partie des
positions traditionnelles de notre pays. Dans la négociation des accords
de Marrakech, qui ont créé l'organisation mondiale du commerce,
notre pays et la communauté européenne ont dit qu'il fallait
trouver les moyens d'éviter que des désordres en matière
monétaire ne viennent brouiller le jeu et recréer une sorte de
protection commerciale artificielle, une sorte de dumping monétaire se
substituant au dumping commercial. Ceci a été pris en compte dans
la négociation.
Les accords de Marrakech suggèrent qu'une concertation soit
établie pour veiller à ce qu'il y ait une cohérence entre
les stratégies de l'organisation mondiale du commerce et le FMI.
Nous avons des réunions périodiques avec M. Ruggiero et nous
surveillons ensemble les développements dans ces domaines. Une des
grandes difficultés, et je le dis ici avec un brin de malice, c'est
qu'il n'est pas tellement difficile de faire travailler ensemble les
organisations internationales et d'établir un dialogue constructif entre
M. Ruggiero et moi-même. Il est beaucoup plus difficile en revanche
d'établir la même qualité du dialogue dans les pays
eux-mêmes entre les ministres du commerce et les ministres des finances.
M. Hilaire Flandre
. - La reconstruction du monde et les 30 glorieuses se
sont faites à l'abri des accords de Bretton Woods jusqu'à ce que
les Américains y mettent fin dans les années 1972. Est-ce qu'un
tel système serait encore imaginable aujourd'hui et ne serait-il pas
préférable à tout ce qu'on essaie de construire ?
M. Michel Camdessus
. - Le système de Bretton Woods a
été mis en place dans un univers donné, dominé par
le dollar, et hérissé de contrôles de change.
C'était un système totalement bouclé, qui a bien servi le
monde pendant la phase de reconstruction, mais qui a touché sa limite
dans les années 1960 lorsque le dollar, avec les coûts croissant
de la guerre du Vietnam, a commencé à donner des signes de
faiblesse et qui a éclaté après des soubresauts terribles
dans le début des années 1970.
Est-il concevable aujourd'hui d'arriver à un système de
parités fixes, négociées une fois pour toutes pour toutes,
ou même de parités fluctuant au plan mondial dans des marges
étroites ? Mon inclination personnelle m'attire vers un
système de ce genre. Mais quand vous analysez l'expérience du
système monétaire européen où l'on a vu des pays
qui étaient dans un processus de rapprochement intense de leur politique
économique, dans un espace homogène avec une capacité de
dialogue permanent entre pays, quand vous avez vu l'extrême
difficulté de maintenir ces devises dans leurs marges, vous imaginez le
problème au plan mondial ! Si on allait trop vite vers un système
de ce genre, on risquerait de faire très vite aussi la fortune des
spéculateurs et de créer plus de désordre sur les
marchés que de stabilité.
En revanche, il est clair que plus le monde s'organise et plus le monde va
devoir essayer de gérer ensemble la stabilité des rapports de
change entre grandes devises sur la base de la convergence des politiques
économiques, les disciplines universellement reconnues et le dialogue
organisé sur des bases objectives, avec un juge de paix entre les grands
centres monétaires.
Je suis frappé de voir que plus on réfléchit sur les
rapports de l'Euro, du Dollar et du Yen, plus on est amené à
reconnaître que cette concertation sera indispensable et qu'il faudra que
l'arbitre entre eux puisse de temps en temps sortir son carton jaune.
Aujourd'hui nous le faisons discrètement dans le cadre des
réunions du G 7. De plus en plus le FMI sera amené à jouer
d'une manière plus explicite son rôle de centre de concertation et
d'équilibrage si nécessaire.
M. le Président
. - Monsieur le Directeur, je crois qu'il est
temps de vous libérer et de vous remercier. Vous nous avez beaucoup
éclairés, et je reste frappé par la convergence entre vos
propos, ceux de M. Ruggiero et ceux du grand industriel qu'est M. Messier.
Si après ces " intraveineuses " nous n'avons pas repris le
moral, c'est que nous ne le reprendrons jamais. Merci.