AUDITION DE M. JEAN-MARIE MESSIER,
PRÉSIDENT DE LA COMPAGNIE
GÉNÉRALE DES EAUX (5 FÉVRIER 1997)
M. René Monory, Président du
Sénat
. - Je me réjouis de ces auditions que nous organisons
dans cette maison sur la mondialisation -ce terme, qui me paraît barbare,
est en effet incontournable-.
Je voudrais profiter de la présence de M. Messier pour lui dire toute la
sympathie et l'admiration que j'ai pour lui. En considérant
l'évolution des communications dans le monde, je regrettais que la
France n'ait pas pris le virage nécessaire. Nous venons de le prendre,
c'est formidable, et elle peut se comparer aux autres maintenant : c'est
important si on veut exister à nouveau !
La communication est quelque chose de transparent, quelque chose
d'incontrôlable, à moins d'être puissant, sinon nous
jouerons le rôle de comparse et jamais d'élément principal.
Ce que vous venez de faire est admirable pour la France : c'est ce que je
voulais vous dire.
M. Jean François-Poncet, Président
. - Monsieur le
Président, merci d'être venu, à un moment où chacun
conçoit bien que vous avez d'autres préoccupations en tête.
J'ai à peine besoin de vous présenter. Je le ferai quand
même parce que cela peut être si court qu'on y renonce
difficilement. Je ne vois pas, en effet, sur la scène française
de réussite, plus fulgurante que la vôtre.
Je rappelle les étapes : elles sont extrêmement ramassées.
Votre parcours commence par l'Ecole Polytechnique, suivie de l'Ecole Nationale
d'Administration et l'Inspection des Finances, le cabinet du Ministre de
l'économie et des finances, puis la Banque Lazard et la Compagnie
Générale des Eaux et la présidence de cette très
importante société.
Nous ne sommes pas là pour parler de votre société, mais
pour recueillir votre témoignage sur un problème qui
préoccupe non seulement les sénateurs et tous les
Français, mais, en définitive, la planète entière :
la mondialisation.
Depuis le début de l'histoire, l'humanité n'a fait qu'avancer sur
la voie de la mondialisation. Mais le phénomène actuel a un
impact véritablement révolutionnaire et il inquiète
énormément les Français. Il nous a ainsi semblé
utile de faire venir un certain nombre de grands témoins pour nous
éclairer. Nous avons reçu hier M. Ruggiero, Directeur
général de l'Organisation Mondiale du Commerce. Nous avons aussi
entendu un économiste, M. Fitoussi. Nous vous entendons aujourd'hui
pour que vous nous exposiez le point de vue d'une grande affaire
française, très internationale. Et nous entendrons après
vous M. Camdessus, le directeur du Fonds Monétaire International.
Nous procédons à ces quatre auditions pour nous donner une
idée de ce que des témoins particulièrement
concernés par cette évolution peuvent en penser. Alors vous nous
parlez comme vous l'entendez, de ce que vous souhaitez, et nous poserons des
questions ensuite.
M. Jean-Marie Messier
. - Merci Messieurs les présidents de vos
mots d'introduction. Et ce que nous essayons de faire aujourd'hui dans le
domaine de la communication nous ramène bien à ce débat
sur la mondialisation.
Merci aussi de cette invitation et de cette audition. Je suis très
heureux et très honoré d'avoir l'occasion de vous
présenter quelques-unes des réflexions sur la mondialisation et
d'essayer de le faire du point de vue du chef d'entreprise, en essayant
d'être aussi concret que possible. Finalement la contribution que je
souhaiterais apporter aux réflexions de votre assemblée, c'est un
peu ce que signifie concrètement pour l'entreprise la mondialisation.
Est-ce un mythe ou une réalité ? Comment est-elle vécue au
jour le jour par les salariés ? Est-ce une menace ou un progrès ?
Quelles sont les réponses qu'on peut lui apporter au travers de
l'entreprise ? Et quelles sont nos attentes le cas échéant envers
les pouvoirs publics ?
D'une certaine manière, c'est répondre à la question :
doit-on se couler dans le moule de transformation subie de l'extérieur
ou a-t-on une marge de manoeuvre pour influencer le cours des
événements ?
Cette mondialisation recouvre plusieurs séries de
phénomènes. Pour l'entrepreneur, trois mouvements principaux :
libéralisation des échanges, déréglementation des
économies nationales et la globalisation des stratégies
d'entreprises.
Autour de ce mot de mondialisation, ce qui me frappe c'est que se greffe un
débat qui, en France en tout cas, prend le plus souvent une tournure
négative. On lui associe en général la montée du
chômage, les délocalisations, la pression à la baisse du
coût du travail non qualifié et d'une manière plus
générale le sentiment que rien ne sera plus comme avant et qu'on
ne maîtrise plus notre destin dans des règles du jeu qui changent
à grande vitesse.
Ce sentiment est-il corroboré par la réalité ? C'est la
première question à laquelle j'essaierai de répondre en
vous donnant des indications sur les réalités et les limites de
la mondialisation pour un groupe de services comme le nôtre.
Première manifestation concrète, c'est
L'INTERNATIONALISATION
TRÈS RAPIDE DE NOS MÉTIERS DE SERVICES
, et notamment nos
métiers de services liés à l'environnement, qu'il s'agisse
d'eau, de déchets, de transports ou d'énergie.
Il faut insister sur le fait que c'est un phénomène neuf dans les
métiers de services, qui est devenu spectaculaire depuis le début
de la décennie 1990.
Je vous donnerai deux chiffres : en France dans les métiers de services,
notre croissance est de 3 % ; à l'international notre croissance est de
16 %. Et même notre croissance à l'international dans les
métiers de l'eau est de 25 à 30 % par an. Quand dans une
entreprise on est face à une croissance à deux chiffres continue
comme celle-là dans un métier, c'est réellement un
phénomène majeur. Cela veut dire qu'il y a 10 ans on ne faisait
même pas 10 % de notre chiffre d'affaires à l'étranger, on
en fait un tiers aujourd'hui, on en fera rapidement la moitié, et sur
nos 220 000 salariés, un peu plus de 70 000 sont employés hors de
France.
Cette internationalisation des services est récente alors que nous
étions habitués à voir plutôt les industries
manufacturières tirer nos exportations et se placer dans le jeu
international.
Cette percée des services, si on veut en donner une illustration au
niveau de l'économie dans son ensemble, de 1985 à 1995,
globalement sur les dernières statistiques disponibles, le secteur
tertiaire a représenté près de 60 % des investissements
internationaux. Cela veut dire que la mondialisation se joue aujourd'hui avant
tout dans le domaine des services et dans le secteur tertiaire plus encore
qu'au niveau industriel.
C'est clair, l'ouverture des frontières, l'adoption de politiques
ouvertes à l'égard des investisseurs étrangers, la
volonté de recourir au secteur privé pour gérer et assumer
certaines charges de service public, ont changé la donne dans des
métiers qui sont les métiers de services qui, jusqu'à une
période récente, étaient typiquement dominés par
une logique nationale et pas par une logique internationale.
Cette intégration des services dans le commerce international est pour
moi une des marques concrètes de la mondialisation de l'économie
et du rythme auquel elle avance.
Ce qui va de pair avec cette ouverture, c'est
LE RENFORCEMENT DE LA
CONCURRENCE INTERNATIONALE
. Dans les métiers de services, et c'est
un enjeu très largement au-delà du groupe que j'anime, pour
l'ensemble des groupes français de services, nous avons
été longtemps dans une position singulière assez
confortable qui est celle d'être confronté à une
concurrence principalement franco-française. C'était le cas dans
les domaines des services informatiques et dans le domaine des services
à l'environnement.
Sur les marchés internationaux, aujourd'hui c'est clair le
problème n'est plus celui de la concurrence franco-française,
mais il est avec nos compétiteurs américains, nos
compétiteurs britanniques récemment privatisés, et souvent
privatisés en leur donnant une grande capacité d'action en termes
de fonds propres et de ressources, et je pourrais citer beaucoup d'autres
exemples.
Cet effacement des frontières vaut aussi pour la France.
Bien sûr cette mondialisation ne peut pas être réduite
uniquement à l'internationalisation de nos métiers et
l'intensification de la concurrence. C'est beaucoup plus que cela et l'un des
phénomènes que nous vivons, qui est suffisamment rare pour
être souligné, c'est qu'en tout cas dans la plupart de nos
métiers une partie de cette mondialisation se fait par l'adoption en
différents points de la planète d'un mode de gestion des services
collectifs qui est né en France et qui est neuf hors de nos
frontières, qui est celui de la gestion déléguée.
Aujourd'hui des Etats-Unis à la Malaisie, de l'Australie au Mexique, un
mouvement de fond se produit en faveur d'une logique d'introduction
d'entreprises privées, de mode de gestion privée des services
publics, et d'une professionnalisation de l'approche de ces métiers qui
sont devenus très complexes.
Ce n'est pas anecdotique et ce n'est pas de ma part un simple plaidoyer pro
domo en ces temps de controverse en France sur les mérites respectifs de
la régie ou de la gestion déléguée.
J'y vois aussi pour ma part la marque d'une certaine uniformisation d'un
continent à l'autre des préoccupations des collectivités
locales aux prises avec une urbanisation galopante, avec des besoins
d'investissements considérables, et avec des problèmes
environnementaux de plus en plus difficiles à résoudre. De ce
point de vue-là, le degré d'exigence n'est pas le même et
ne le sera pas avant longtemps entre l'habitant de Miami ou celui de
Kuala-Lumpur, mais la démarche générale est la même
et elle est celle d'un modèle de gestion des services collectifs qui
après tout a été inventé et développé
depuis 150 ans dans notre pays.
Les méthodes d'attribution des contrats de ce type elles aussi
s'uniformisent et là elles s'uniformisent non pas sur un modèle
français, mais anglo-saxon, et sur les techniques d'appel d'offres
développées par nos amis anglo-saxons, avec un risque fort qui
est celui de la parcellisation et du découpage en rondelles.
Dernier élément tout à fait essentiel sur la
stratégie d'entreprise. Cette mondialisation se traduit par un dernier
mouvement dont on constate chaque jour dans tous les secteurs de
l'économie la progression rapide : c'est celui de
LA CONSTITUTION
D'ALLIANCES ENTRE ACTEURS INTERNATIONAUX DE PREMIER PLAN
. Il n'y a plus un
seul métier dans lequel on puisse faire l'impasse sur cette approche
d'alliances internationales. Les besoins en investissements, les gains attendus
des effets de taille et de synergie, les savoir-faire requis sur les
marchés nécessitent et rendent indispensables la conclusion de
telles alliances.
Elles permettent des évolutions rapides, elles permettent des
croisements d'expériences précieux, elles permettent une
flexibilité stratégique qui est indispensable.
Et si vous me permettez de l'illustrer par quelques exemples, dans notre groupe
ou à l'extérieur, nous avons noué un partenariat avec un
groupe japonais, Marubeni, dans le domaine de la production indépendante
d'électricité notamment pour les Etats-Unis et l'Asie. Dans les
télécommunications, nous nous sommes alliés aux anglais
British Telecom et Vodafone, à l'américain SBC, à
l'allemand Mannesmann, leur entrée au capital de CEGETEL, qui demeure
sous contrôle majoritaire de la Générale des Eaux, nous
permet de financer nos investissements, d'enrichir notre expérience et
d'offrir le plus rapidement possible aux clients français une offre de
télécommunications internationale. Ce qu'on appelle une "offre
sans couture", c'est-à-dire que cette donnée tellement
fondamentale de l'information pour les années qui viennent, l'une des
traductions de la mondialisation est que là où l'on raisonnait en
termes de réseaux locaux, on raisonne en termes de réseaux sans
couture sur le plan international.
Dans l'évolution et les conséquences du capitalisme
français, la mondialisation va se traduire par des évolutions qui
sont pour privilégier certains effets de taille, et pour
privilégier une simplification et une visibilité des
actionnariats permettant aux groupes français de nouer dans de bonnes
conditions des alliances internationales.
Je considère que la fusion récente entre AXA et UAP est une bonne
illustration de ce mouvement. Ce que nous cherchons à faire avec Havas
et Canal + est du même ressort. La vraie bataille se livre dans le
domaine de la communication et de l'information sur les marchés
internationaux. L'industrie de la communication française n'est pas
tellement forte qu'elle puisse se permettre d'y ajouter en plus des
problèmes de querelles gauloises et franco-françaises.
Ce que nous essayons de faire, c'est d'avoir et de permettre la constitution
d'un groupe de communication français qui soit par sa taille et ses
métiers capable de rivaliser avec ses principaux concurrents mondiaux,
qui ait un actionnariat stable, industriel, avec une vraie logique de
métier et qui soit pérenne. On ne bâtit pas une
stratégie d'entreprise sur la présence d'actionnaires qui
changent tous les deux ans. On ne peut la bâtir que sur une
pérennité et une sérénité au niveau de la
relation de l'actionnariat.
Enfin, et c'est aussi un des effets de la mondialisation, dans ces
métiers liés aux réseaux de l'information,
LES MARGES
ET LA VALEUR PEUVENT SE DÉPLACER TRÈS FACILEMENT D'UN
MÉTIER À L'AUTRE
. La seule manière d'avoir des groupes
puissants et compétitifs sur le plan mondial est d'avoir des groupes
capables de maîtriser l'ensemble de la chaîne de valeur. Un groupe
de communication qui aujourd'hui ne serait pas capable de maîtriser le
contenu, la production, la diffusion, la relation avec le consommateur serait
un groupe fragile.
Voilà donc sur cette illustration les conséquences de cette
mondialisation que l'on peut tirer dans la stratégie de l'entreprise et
les mouvements d'entreprises.
Je parlais d'alliances internationales. Ceci dit l'autre caractéristique
de ce mouvement est la nécessité de ne pas apparaître
là où nous agissons comme un opérateur étranger.
C'est le fameux "think global but act local". Cela suppose de nouer
dans chaque
pays des partenariats locaux solides, de construire des relations de confiance
dans la durée, et aujourd'hui être un acteur de cette
mondialisation ne peut pas reposer sur une politique de coût menée
depuis un siège parisien ou new-yorkais avec l'envoi d'expatriés
détenant le savoir. Je crois que ce temps-là est révolu.
La mondialisation, c'est paradoxalement l'âge de l'ancrage local, de la
réputation qui est lente à bâtir et facile à
détruire à un moment où la circulation de l'information
est instantanée. Cette réputation, on ne peut la construire
qu'avec des profils que j'appelle biculturels plutôt que mondiaux, c'est
à la fois la culture locale et la culture du groupe auquel on appartient.
Cela devient un atout évident dans le cursus professionnel de nos cadres
et c'est la denrée rare qu'on s'efforce de dénicher.
A l'inverse le rétrécissement de la planète conduit
à se poser la question de ce que doit être la vraie
définition de l'expatriation telle qu'on le dit souvent : les
Français ne s'expatrient pas beaucoup. C'est vrai. Mais est-on
réellement aujourd'hui un expatrié quand on travaille dans un
pays européen ? Aujourd'hui même les Etats-Unis sont un pays qui
en réalité nous paraît bien proche. Y compris dans notre
démarche sur cette notion d'expatriation, il va falloir qu'elle
évolue parallèlement à ce mouvement.
Dernier point sur lequel je passe rapidement
LA MONDIALISATION EST SYNONYME
D'INFLUENCE CROISSANTE DES MARCHÉS FINANCIERS INTERNATIONAUX.
Dans un groupe comme le nôtre, presque 40 % du capital est aujourd'hui
détenu par des investisseurs étrangers. Et 90 des 100 principaux
investisseurs européens sont actionnaires. Cela a une traduction
concrète en termes d'agenda d'un chef d'entreprise. C'est beaucoup de
temps passé au contact de ces investisseurs internationaux et de
rendez-vous pris avec eux tout au long de l'année.
A l'inverse, il est peut-être aussi instructif de dire ce que la
mondialisation n'est pas. D'abord, et là je parle d'un groupe aux
caractéristiques un peu spécifiques, pour moi la mondialisation
n'est pas synonyme de délocalisations et c'est l'une des
caractéristiques de certains de nos métiers de services. Nos
métiers ne sont pas délocalisables au gré des avantages
fiscaux, salariaux ou énergétiques des différents pays. Ce
sont des services de proximité qui sont physiquement attachés aux
populations que l'on dessert.
Autrement dit, quand on remporte un contrat à l'étranger, on
ajoute au chiffre d'affaires existant sans rien avoir à retrancher de la
production nationale. On n'a pas à arbitrer quand on gagne un contrat
à l'étranger entre le maintien d'emplois dans des usines
situées sur le territoire national ou l'installation d'usines à
l'étranger. On crée par cette expansion au contraire un certain
nombre d'emplois en France qui sont des contrats commerciaux, des contrats
d'exploitants qui attirent de plus en plus de jeunes.
Je vois bien ce qu'une telle situation peut avoir d'enviable par rapport
à un industriel du textile, du jouet ou de la chaussure. Je cherche
seulement à insister sur la réalité de nos métiers
de services et à dire que dans la réflexion globale sur la
mondialisation, il est aussi important de repérer et de chercher
à favoriser le développement des métiers dans lesquels
cette mondialisation se traduit par une addition et non pas par des arbitrages
de délocalisations.
Autre chose que cette mondialisation n'est pas, elle n'est pas signe d'une
centralisation.
Je ne me reconnais pas dans la World Company des Guignols de l'information et
dans le célèbre M. Sylvestre. Un groupe de services est
forcément un groupe très décentralisé et, de ce
point de vue-là, nous sommes certainement beaucoup plus proches, et
c'est ce qui nous donne beaucoup de souplesse à l'international, d'une
fédération de P.M.E., au plus près des clients, que d'une
société centralisée comme la World Company.
Et enfin ce que cette mondialisation n'est pas, elle n'est pas non plus une
perte d'identité française. C'est un point auquel je suis
très attentif. A la fois nous devons faire des efforts pour
internationaliser nos équipes de direction ; je ferai rentrer dans notre
conseil d'administration dans quelques mois un Britannique. Mais je crois qu'il
faut se méfier d'un groupe sans culture dominante ou d'un groupe qui
planterait à égalité de profondeur ses racines dans ses
différents pays d'opérations.
Il y a eu quelques exemples comme ABB depuis la fusion en 88, qui est un peu
une structure du troisième type. Moi je crois que nous avons la
possibilité dans un certain nombre de domaines, à partir d'une
vraie identité française, de favoriser l'expansion de cette
identité française et là aussi c'est dans ma
préoccupation de chef d'entreprise et d'expansion de nos métiers
une dimension qui est très présente.
J'en mentionnerais deux illustrations : il y a une vraie école
française de l'eau. Au-delà de la concurrence qui nous anime en
face de La Lyonnaise ou de Bouygues, il y a un intérêt à
promouvoir cette école française de l'eau qui en termes
techniques de savoir-faire a la possibilité d'avoir et d'afficher une
véritable présence dans ce domaine de plus en plus mondial.
De la même manière, et je reviens un instant sur Havas, je
souhaite que dans les années qui viennent l'une des tâches d'un
groupe français de communication qui n'aurait plus à se
préoccuper de conflits d'intérêts franco-français
mais qui pourrait réellement se préoccuper de sa dimension
internationale, c'est que nous arrivions à promouvoir un certain nombre
de produits qui soient des produits de culture française ou de culture
européenne à destination des autres marchés internationaux.
Je pense notamment à un projet de chaîne thématique
développé avec l'aide de Canal + qui correspond à ce
concept d'essayer de vendre sur les marchés américains et sur les
marchés asiatiques un produit de communication qui soit basé sur
l'art de vivre européen et tout particulièrement français,
en matière de culture, de différents produits, qu'il s'agisse de
tourisme ou autres.
Cela aussi c'est un moyen de permettre à la France de jouer le
rôle le plus efficace à l'intérieur de cette
mondialisation. Et là aussi je crois que c'est un domaine dans lequel
nous devons être capables d'utiliser le véhicule information, et
cela suppose de dépassionner un peu les débats trop strictement
nationaux.
Il n'y a pas de raison dans un projet tel que celui que je mentionnais sur
cette chaîne thématique de ne pas arriver à mettre autour
de la table la plupart des industriels français qui pourraient
bénéficier de la diffusion de cet art de vivre français
sur les marchés américains ou asiatiques.
Voilà très rapidement brossé à quoi ressemble cette
mondialisation pour nous.
Comment est-elle vécue par les salariés ? Quelles en sont les
conséquences ?
Il est clair qu'il y a un fossé aujourd'hui entre ce que vit le monde de
l'entreprise et ce que perçoivent un certain nombre de commentateurs, et
ce fossé porte sur le rôle des marchés. On prête
généralement aux marchés des pouvoirs impressionnants, on
parle couramment de la revanche des marchés, et on fait assez vite des
marchés le chef d'orchestre un peu diabolique de ce projet que serait la
mondialisation.
Je voudrais me livrer à une défense et une illustration du
rôle des marchés. J'ajoute que je le fais en tant que responsable
d'un groupe dont les métiers s'exercent et se jugent sur le long terme,
avec des contrats qui dépassent fréquemment 10 ans alors
même qu'on reproche souvent aux marchés leur volatilité
excessive ou leur horizon limité.
Premier lieu : la loi des marchés s'impose à l'entreprise, qu'on
le veuille ou non. Vous connaissez le rôle de plus en plus important des
agences de notation pour permettre l'accès aux marchés des
entreprises. Cette notation n'a pas de caractère obligatoire, mais on ne
peut pas y échapper. Et je vais prendre une illustration avec un mea
culpa : notre groupe a été surpris quand pour la première
fois l'an dernier une agence américaine l'a noté. Nous aurions pu
avoir une réaction de rejet face à un travail qui était
fait de manière assez unilatérale et lointaine, nous avons
préféré demander une deuxième notation à une
équipe à laquelle nous avons ouvert les portes de l'entreprise et
je crois qu'aujourd'hui nous nous en félicitons.
S'opposer à cette loi et cette présence des marchés
n'aurait fait que créer un climat de défiance défavorable
au groupe. Le fait que les marchés s'imposent ne signifie pas pour
autant qu'on n'a pas de prise sur eux, et nous savons bien que les relations
avec les marchés sont profondément marquées par des
facteurs psychologiques qui s'appellent la confiance, la loyauté, et la
crédibilité.
Ce que veulent ces fameuses salles de marchés, c'est une exigence de
transparence, de qualité d'informations, de lignes stratégiques
claires et d'unités d'action. D'une certaine manière ce qui est
dit pour les entreprises vaut également pour les états.
C'est-à-dire que mon sentiment est que les marchés sont en fait
non seulement sensibles au fond des actions qui sont menées, mais aussi
à la qualité du dialogue et à la cohérence du
discours, qu'il soit d'entreprise ou d'Etat par rapport à la
réalité.
On peut le résumer de manière caricaturale. Ce que les
marchés attendent, c'est qu'on puisse leur dire : je dis ce que je fais,
et qu'ils puissent vérifier que je fais ce que je dis. Et c'est cet
élément de cohérence qui est un domaine essentiel.
De ce point de vue, cela veut dire que la capacité de présenter
un certain nombre d'axes forts d'une politique avec la fixation d'un calendrier
peut permettre de ne pas subir, mais au contraire d'influencer et d'orienter
les marchés. Et lorsque j'entends, y compris dans des domaines comme
ceux de la politique monétaire, que tout est fixé par les
marchés, je dis : tout est fixé par les marchés sur la
base de l'information qu'on leur donne. Qu'on leur donne une qualité
d'information, de l'anticipation, et au travers du contenu de cette information
on a une influence claire sur la réaction de ces marchés.
Si vous me permettez de reprendre à nouveau l'exemple de mon groupe,
notre cours de bourse a monté de 75 % sur les 15 derniers mois. Ce n'est
pas que la valeur de notre groupe a progressé de 75 %, c'est simplement
que la perception de la lisibilité de la stratégie et de la
capacité de tenir cet adage "je dis ce que je fais et je fais ce que je
dis", cette vision-là s'est améliorée. De ce point de vue,
je suis très sensible au fait que dans des marchés qui nous
influencent considérablement, la nature, le fond de l'information qu'on
donne exerce une influence sur les marchés. Ne les subissons pas,
organisons-nous aussi pour leur passer des messages.
Je reviens sur la réaction de nos salariés face à cette
mondialisation. Je ne vais pas vous dire que les salariés ne sont pas
inquiets, parce que ce serait mentir ou être aveugle. On a la chance
d'être le premier employeur privé de France et d'être tout
au long de ces 10 dernières années un créateur net
d'emplois de services à périmètre constant en France.
J'insiste aussi sur ce petit point parce que dans la vision suivant laquelle
tous les emplois sont créés dans les PME, ce n'est pas
complètement exact. Notre groupe a été créateur net
d'emplois de services à hauteur d'un peu plus de 3 500 emplois l'an
dernier. Ce n'est pas si négligeable.
Il n'empêche que nous sommes bien, notamment dans un certain nombre de
domaines comme celui du BTP, en raison de la crise que nous traversons en
France, mais aussi de la progression de la concurrence internationale sur notre
territoire, obligés de faire un certain nombre d'ajustements. Et ces
ajustements ne sont pas faciles à faire.
Nous avons une autre caractéristique : nous exerçons nos
métiers au coeur des quartiers et des communes tous les jours et nous
sommes particulièrement sensibles à la dégradation de
l'environnement social et du tissu social, qu'il soit urbain ou rural en France.
Cela veut dire que dans un groupe comme le nôtre, la sensibilité
au problème du chômage et de l'exclusion est
particulièrement forte. Or ce problème de l'exclusion reste,
demeure, le fait social majeur de cette fin de siècle. C'est devenu une
banalité de le dire, mais c'est bien parce que l'exclusion
elle-même se banalise et elle nous pose un certain nombre de
difficultés.
Que la mondialisation ait certainement sa part dans les évolutions
connues par les métiers les plus exposés aux
délocalisations, c'est certain. Mais on peut relever aussi que la
précarisation du monde du travail, les transformations en cours
s'observent dans tous les métiers, dans tous les secteurs, qu'ils soient
en contact ou non avec l'économie mondiale. Le lien qui est souvent fait
entre progression de l'exclusion et mondialisation est largement trop
générique et trop globalisateur.
Quelles sont les réponses qu'une entreprise peut donner à ce
défi de la mondialisation, à la fois en étant un acteur et
en même temps en étant conscient d'un devoir d'utilité
sociale ?
Je crois que la première réponse est de ne pas faire de la
mondialisation un alibi, un bouc émissaire, mais d'y voir le
révélateur de nos propres faiblesses. Le discours de l'adaptation
aux nouvelles réalités n'est pas suffisant et en plus il n'est
pas très mobilisateur. C'est-à-dire qu'il faut essayer de
franchir une étape de plus et non pas se situer dans une position
défensive, mais au contraire dans une position d'acteur de la
mondialisation.
Je me garderais de vous donner le sentiment d'esquisser des règles de
management, mais il me semble qu'il y a quelques règles simples qu'il
faut suivre.
L'entreprise doit connaître ses points forts et consolider ses
métiers de base et elle doit éviter de miser en dehors de ses
points de force, car les batailles que nous avons à mener deviendront de
plus en plus coûteuses. Et dans la réorganisation de certains
groupes, je crois que c'est cette règle évidente qui est
appliquée et c'est un mouvement qui continuera à alimenter et
à traverser notre industrie, et c'est d'ailleurs souhaitable.
Chacune des batailles dans chacun des métiers par le jeu de cette
dimension du marché mondial devient de plus en plus coûteuse et on
n'a plus le droit, plus la possibilité, plus les moyens de s'investir en
dehors de ces points de force et des points de force de chacune de nos
entreprises.
La nécessité de créer de la valeur pour les actionnaires
de nos entreprises.
La définition de la vision à long terme. Aujourd'hui l'une des
tâches les plus difficiles, en tout cas l'une de celles que dans ma
propre expérience je trouve la plus difficile, c'est de savoir comment
en permanence ajuster la boussole dans des métiers et des univers qui
sont en perpétuelle recomposition, et comment on donne un sens de la
perspective dans un temps qui est dominé par l'urgence.
Je crois que c'est l'une des tâches prioritaires, non pas pour raisonner
en termes de portefeuille d'activités, comme on le ferait pour un pays,
mais plutôt en termes de portefeuille d'options de développement.
Et finalement il ne faut pas avoir peur de jouer dans la cour des grands si
l'on a conscience et de ses forces et de ses points faibles.
De ce point de vue-là, les stratégies d'alliances avec un certain
nombre de groupes internationaux qui ont historiquement un avantage de taille
par rapport aux groupes français doivent être assumées.
C'est indispensable et je crois que nous avons encore en France dans la plupart
de nos domaines les moyens de les maîtriser.
L'autre grand défi du chef d'entreprise qui est plus terre à
terre, mais non moins essentiel, c'est de modifier les modes de fonctionnement
internes à l'entreprise. On a pu dire, et je trouve que c'est une
réflexion très importante, que la mondialisation était la
fin des territoires et la naissance des réseaux. Pour un groupe dont le
dénominateur commun est le réseau, c'est une notion
séduisante de parler de la naissance des réseaux.
Je crois qu'il faut aller un peu plus loin. De l'expertise des réseaux,
il faut aujourd'hui que l'on passe réellement à la notion de
réseaux d'expertise. Nous avons en face de nous une complexité
croissante des besoins à satisfaire alliée à la
nécessité de bien comprendre les réalités locales
de chacun des pays où nous intervenons. Cela rend de plus en plus
illusoire la notion de travail solitaire. Dans beaucoup d'appels d'offres
internationaux nous faisons désormais travailler des équipes de
provenances diverses ; lorsque nous répondons à un appel
d'offres en Asie, l'équipe est composée d'Australiens, d'Anglais,
de Français ou d'Américains. Et c'est la capacité à
fédérer autour d'un même projet des équipes aux
cultures et aux savoir-faire différents qui est la clé du
succès. J'en suis personnellement convaincu.
Il va de soi aussi que dans ce contexte, l'utilisation quotidienne d'un certain
nombre d'instruments de véhicules d'information comme Internet et les
réseaux Intranet est désormais largement passé dans les
moeurs, au-delà de ce que nous montrent les chiffres de
développement de ces véhicules en France.
A titre d'illustration, dans une réunion récente en Asie, je
demandais à nos 50 principaux responsables asiatiques ceux qui
utilisaient tous les jours Internet. La réponse a été oui
pour les 4/5ème d'entre eux. Et sur le cinquième restant qui
n'avait pas l'utilisation fréquente d'Internet, il n'y avait pas de
Français, contrairement à certaines idées reçues.
Cette mise en réseau renforce le sentiment d'appartenance à un
même groupe et elle rend nécessaire qu'on aborde certaines
questions dans un cadre transnational.
Je voudrais évoquer tout particulièrement une expérience
positive que nous avons menée depuis un peu plus de 3 ans, qui est la
création d'une instance de dialogue social européen. Cela nous a
permis de traiter au niveau européen, à l'intérieur de
notre groupe, un certain nombre de questions comme la formation professionnelle
des personnels les moins qualifiés dans les filiales du groupe en Europe
ou la stratégie dans un certain nombre de nos métiers. Et cette
mise en réseau doit donc se faire à l'intérieur d'un
métier entre différentes cultures, mais elle doit aussi se faire
au niveau du dialogue social.
Bien sûr, ce n'est pas comme cela qu'on va complètement
répondre à la question des inquiétudes nées de la
montée du chômage. Je ne veux pas l'esquiver, même
après avoir évoqué ce qu'elle devait à d'autres
mutations que la mondialisation. Qu'on le veuille ou non, la mondialisation est
devenue synonyme de fragilisation de nos sociétés. Je voudrais me
centrer sur quelques sujets et voir brièvement certaines réponses
qu'on peut tenter d'y apporter. Je souhaite suggérer des pistes de
travail, évoquer quelques réussites, mais aussi les
difficultés rencontrées. Je me garderais bien de dire que les
quelques illustrations que je vais évoquer sont reproductibles partout.
Elles sont naturellement dépendantes des caractéristiques de
chacune des entreprises.
Le fait d'avoir la responsabilité d'un groupe dont les activités
autorisent une action en profondeur sur ce qu'on appelle le tissu social nous
donne naturellement la possibilité de chercher à donner le tempo
et cela se traduit depuis deux ans par plusieurs démarches.
La première, c'est de favoriser délibérément le
recrutement dans notre groupe de jeunes, et notamment de jeunes en
difficulté d'insertion. Dans le climat social de nos entreprises et du
pays, la capacité d'éviter à des jeunes l'échec
dans l'entrée sur le marché du travail est une donnée
essentielle de la confiance et du dynamisme de nos entreprises et de notre pays.
Nous nous étions engagés il y a 15 mois à recruter 4 000
jeunes en difficulté d'insertion dans notre groupe, et nous en avons en
fait recruté 5 000 que j'ai réunis la semaine dernière
à la Porte de Versailles. J'ai passé 3 heures avec eux uniquement
dans un jeu de questions-réponses. Je trouve qu'il n'y a pas de
sentiment physique plus fort, plus dynamique que le fait d'arriver à
apporter la démonstration que dans un groupe comme le nôtre, il
est aujourd'hui possible non pas de prendre des engagements
généraux en termes de nombre de créations d'emplois, mais
de mener une action volontariste sur ce qu'on est capable de maîtriser,
c'est-à-dire la culture du recrutement à l'intérieur de
l'entreprise et de lui donner une priorité totale sur le recrutement des
jeunes en difficulté d'insertion.
Je pourrais vous parler aussi d'aménagement du temps de travail. Je ne
le ferai pas en détail.
Un dernier mot qui nous ramène complètement à ce
problème de nos besoins face aux enjeux de mondialisation, c'est
l'importance de la formation et de l'approche que nous pouvons avoir des
problèmes de formation dans l'entreprise.
Lorsque je dis "dans l'entreprise", le constat que je fais, qui est
un peu
provocateur, est que quand on regarde l'évolution de notre groupe depuis
quelques années, nous avons de plus en plus tendance à
considérer que les formations de l'éducation nationale ne nous
donnaient pas satisfaction et à prendre la décision
d'intégrer au maximum les formations à nos métiers, les
formations au comportement dans des marchés mondiaux à
l'intérieur de l'entreprise.
C'est ce que nous avons fait en créant dans beaucoup de nos
métiers une série d'instituts de formation qui
privilégient des mains-d'oeuvre assez peu qualifiées. Cela
explique aussi la très grande priorité dans nos recrutements
donnée aux voies de l'apprentissage et de la qualification, qui sont
aujourd'hui dans notre groupe les deux vaisseaux amiraux de
l'intégration à l'intérieur de notre groupe.
Voilà quelques-unes de ces illustrations simplement pour évoquer
le fait qu'une entreprise comme la nôtre peut s'assigner un devoir
d'utilité sociale de manière très concrète,
très pragmatique, je crois à la modeste échelle d'une
entreprise efficace. Elle ne le fait pas et je ne le fais pas plus que d'autres
par pure philanthropie. Il n'y a pas de contradiction entre notre exigence de
performance économique et l'investissement dans la création d'un
certain nombre de richesses humaines.
Dans des métiers de services qui sont avant tout des métiers sur
la qualité des équipes, je considère qu'un investissement
même à long terme sur le recrutement de jeunes en
difficulté d'insertion, sur les actions de formation, sur les actions
que nous pouvons mener au travers de notre fondation, c'est un investissement
dont le retour n'est pas à 6 mois, c'est peut-être et même
sans doute l'investissement le plus utile auquel j'ai procédé
dans notre groupe depuis deux ans.
Tout dernier point que je souhaitais évoquer, c'est l'entreprise face
à la mondialisation, qu'attend-elle de l'Etat ?
Il y a un rôle de l'Etat qui est persistant et qui est un besoin des
entreprises en face de cette mondialisation, c'est le besoin de
régulation. Finalement notre attente majeure est celle-là. La
mondialisation ne produit pas d'ordre par elle-même. On peut bien
sûr valoriser, et il y a de très brillants esprits qui l'ont fait,
l'âge des systèmes ouverts, l'ère du flou, la
théorie du chaos, le désordre créateur, etc. Je me
méfie personnellement des vertus de l'évolution spontanée
et de l'indétermination, et je crois au contraire que nous avons plus
que jamais besoin de règles du jeu et d'une démarche qui
réduise l'incertitude, d'une démarche qui donne de la
visibilité. C'est là qu'on retrouve ce besoin de
régulation qui peut et doit être exercé par l'Etat.
Beaucoup de ces régulations s'exercent ou devraient s'exercer à
un niveau supranational pour des raisons qu'il n'est pas nécessaire de
détailler, et je crois d'ailleurs monsieur le Président, que vous
avez choisi d'auditionner trois acteurs d'institutions multilatérales,
mais aucun intervenant politique national à proprement parler.
Je ne vais pas revenir sur des thèmes qu'ils vivent au quotidien, mais
simplement illustrer par trois exemples ce que peut être la nature de
notre besoin de régulation. Je suppose que M. Ruggiero a
évoqué devant vous la mise en oeuvre des accords du GATT et de la
mise en place de l'OMC.
La question du dumping social est une des plus sensibles au regard des enjeux
de la mondialisation et on connaît l'hostilité des pays à
faible coût de main-d'oeuvre à introduire la fameuse clause
sociale. Mais ne croyons pas que seuls des pays peu développés
sont concernés. Il est vrai que nous sommes confrontés dans notre
action d'entreprise tous les jours à nos frontières à un
certain nombre de questions troublantes.
Le dernier rapport du B.I.T. fait état de la persistance du travail
carcéral forcé en Allemagne et en Autriche, les détenus
étant mis à disposition d'entreprises privées avec un
salaire qui représente 5 à 6 % du salaire des travailleurs libres
ayant un emploi comparable.
Je ne reviendrais pas sur le débat en matière de liberté
syndicale sur la compatibilité des lois entre 80 et 90 au Royaume-Uni
par rapport aux conventions de l'OIT. Je pourrais mentionner sur certains
chantiers de BTP européens que nous sommes souvent évincés
par des concurrents qui importent une main-d'oeuvre à très bon
marché au mépris des textes communautaires sur les travailleurs
migrants.
Voilà le constat et voilà l'un des besoins de régulation
et de contrôle forts qui subsiste si on souhaite que les uns et les
autres puissent lutter à armes égales.
Concernant notre groupe, cela a amené la Générale des Eaux
à adopter en novembre dernier une charte des droits sociaux fondamentaux
qui est très précise et qui couvre trois domaines :
l'interdiction pour nous et nos sous-traitants du travail des enfants et des
détenus, et le respect de la liberté syndicale. Cette charte
s'applique à l'ensemble de nos actions, en France comme à
l'étranger. C'était pour moi un moyen de responsabiliser et
sensibiliser les dirigeants de notre groupe à ces problèmes.
Je crois que c'est une des rares initiatives privées qui a
été prise en ce sens ces dernières années. Je pense
que ce type d'initiative peut faire progresser le débat pierre par
pierre, mais il est évident que ce chantier doit être un chantier
prioritaire de l'O.M.C. car la violation de ces droits est non seulement
naturellement indéfendable, mais elle est inscrite au passif de la
mondialisation que l'on évoquait.
Deuxième illustration d'un secteur où le besoin de
régulation se fait sentir, c'est celui de la politique de concurrence.
Un groupe qui a des ambitions internationales ne peut que souhaiter le
"level
playing field", c'est-à-dire une sévérité
égale des politiques de concurrence d'un pays à l'autre, voire
d'un continent à l'autre.
Le paradoxe veut que la France apparaisse à la fois comme un pays
rétif à une concurrence effective, alors même qu'elle n'a
souvent sous cet angle pas de leçon à recevoir de ses grands
voisins. Ainsi, dans le domaine de l'eau et contrairement aux idées
reçues ou faciles colportées en France, la France est le pays de
l'Union européenne où la concurrence est la plus forte, surtout
depuis les lois récentes. Des pays aussi libéraux que l'Allemagne
ou les Pays-Bas ignorent totalement les principes de la mise en concurrence
dans ces métiers puisque la gestion en régie y demeure quasi
exclusive, y compris en Grande-Bretagne où la privatisation des services
d'eau a organisé une juxtaposition des monopoles régionaux sans
remise en jeu régulière, alors que tous nos contrats le sont.
Je voudrais dire que sur la base de ce constat, je suis stupéfait, et
c'est un mot faible, quand je vois la Commission européenne s'attaquer
à la concession à la française pour chercher à la
saucissonner en plusieurs tranches de marché public alors que notre
système est de loin le plus ouvert en Europe et que la Commission ne se
pose même pas la question de l'ouverture à la concurrence des pays
qui pratiquent exclusivement une gestion publique.
Au-delà, le besoin de ce qu'on peut appeler cette politique
extérieure de la concurrence est manifeste afin qu'il y ait une vraie
réciprocité entre les différents pays.
Troisième et dernière illustration que je souhaitais donner de
ce besoin de régulation, c'est celui de la monnaie et de l'Euro. Je
crois que M. de Silguy est venu hier.
M. le Président
. - Non, il a été retenu par une
réunion de l'Institut monétaire européen. Nous nous sommes
inclinés devant cet impératif.
M. Jean- Marie Messier
. - Que représente l'Euro pour un groupe
comme le nôtre ? Un facteur de réduction des incertitudes. Et
c'est à ce titre-là qu'il est précieux et valorisable.
Prenez l'exemple des dévaluations compétitives de la livre il y a
quelques années. Pour un groupe qui réalise 15 milliards de
francs de chiffre d'affaires en Grande-Bretagne, une dévaluation
compétitive c'est un facteur d'attentisme pour nos investissements,
c'est un facteur de compression de nos marges si nous voulons rester
compétitifs sur les appels d'offres, et c'est un plus de
compétitivité évident pour les entreprises britanniques de
réseaux.
Je crois vraiment que l'Euro permettra de supprimer ces effets, pour peu que
l'ensemble des Etats membres soit couvert par une obligation de
stabilité des parités, effective et efficace.
L'Euro est en même temps pour moi un facteur de réduction des
incertitudes, de confiance dans l'économie européenne, de cette
confiance qui nous fait dans tous les domaines tant défaut aujourd'hui.
Mais, sans allonger cette présentation, oui à l'Euro, oui
à l'Euro le plus vite possible, mais un Euro dont le niveau de
parité par rapport à ses concurrents soit économiquement
réaliste. La marche vers l'Euro doit s'accompagner d'une
accélération concertée d'une politique de baisse des taux
d'intérêt et d'une action concertée pour faire en sorte que
l'acte de naissance de l'Euro ne soit pas celui d'une monnaie
surévaluée qui pénaliserait dans le jeu mondial l'ensemble
des positions des industries et des nations européennes.
Voilà donc sur le plan supranational trois illustrations très
concrètes de ce besoin de régulation en matière de droits
sociaux, en matière de politique de concurrence et en matière de
politique monétaire.
Au niveau national, l'Etat aussi doit avoir une action modernisatrice, c'est
lui qui contribue largement à donner le tempo dans un certain nombre de
domaines. Je ne voudrais citer qu'un seul exemple qui me paraît un
exemple d'une franche réussite française récente, c'est
l'ouverture à la concurrence du secteur des
télécommunications. L'impulsion a été donnée
au niveau communautaire et elle a été dictée par
l'évolution des techniques. Mais je crois que l'Etat français, le
gouvernement, le Sénat et l'Assemblée nationale ont su anticiper
l'ouverture, préparer par étape un cadre législatif pour
lequel les directives européennes laissaient une réelle
liberté de manoeuvre sur des questions essentielles, y compris en
matière d'aménagement du territoire.
Et je crois objectivement que quand on se situait en 1995, le sentiment
dominant, notamment celui de nos partenaires étrangers, est que la
France était en retard dans son évolution sur l'Allemagne d'au
moins une à deux années. Aujourd'hui le constat que je peux faire
c'est que la France, grâce au contenu de l'action législative qui
a été faite en matière de réglementation des
télécommunications, la France est aujourd'hui objectivement en
avance sur l'Allemagne dans la préparation du rendez-vous de 1998. C'est
bien le signe qu'on peut ne pas rater la révolution des services publics
que va connaître l'Europe dans de nombreux domaines, et qu'on peut
prendre ce tournant sans fragiliser les groupes publics français.
Mon sentiment est que le travail fait en matière de
réglementation des télécommunications en France ne
fragilise pas France Télécom, mais lui donne au contraire les
moyens d'anticiper un certain nombre d'évolutions par rapport à
d'autres compétiteurs européens, et d'autre part l'ouverture de
ce secteur se résume de manière simple, c'est plus de services
moins chers et plus d'emplois.
Quand on voit le développement et le cercle vertueux de croissance des
marchés de télécommunications que cela
génère en France aujourd'hui, il n'est qu'à prendre
l'exemple du téléphone mobile. Il n'y a pas beaucoup de domaines
où l'on puisse faire ce bilan gagnant : plus de services, moins chers et
plus d'emplois.
Quand nous créons des emplois dans le secteur des
télécommunications, ils ne sont pas pris à France
Télécom, ils sont générés par la croissance
du marché elle-même soutenue par l'apparition de cette concurrence
loyale.
Là aussi l'action de régulation, puisqu'il n'y a pas d'ouverture
sans régulation, l'action de régulation de l'Etat est un besoin
et c'est une forme d'action qui dans tous les domaines où elle
intervient est un élément de compétitivité de notre
économie sur les marchés mondiaux.
C'est vous dire combien je suis convaincu que la mondialisation peut
n'être pas seulement ressentie comme une pression de l'extérieur,
ni être vécue seulement comme une contrainte. Nos entreprises
françaises peuvent en être les acteurs et il n'y a aucune raison
que la mondialisation soit synonyme de crise de l'action collective et de
l'action publique.
La mondialisation agit surtout comme un révélateur de nos forces
et de nos faiblesses, c'est cela qu'il faut accepter et il faut là
prendre comme tel, comme révélateur de nos forces et nos
faiblesses, ne pas masquer nos responsabilités propres mais ne pas faire
davantage de la mondialisation un projet en soi, ce qu'elle n'est pas. C'est en
développant son propre projet qu'une entreprise comme un Etat peut
espérer influencer le cours des choses. Nous ne pouvons pas
maîtriser tous les éléments du cours des choses, nous
pouvons très certainement les influencer à commencer par ces
fameux marchés dont j'ai rappelé qu'ils étaient aussi
sensibles à l'affichage d'une volonté qu'à la
cohérence de l'action.
M. Jean François-Poncet, Président
. - Je vous remercie
beaucoup. Votre exposé a été suivi avec une attention
extrême et je dois dire qu'il était particulièrement riche.
Il m'a semblé qu'il était également très
équilibré entre les différentes préoccupations qui
s'affrontent, et globalement très rassurant. Il est vrai que la
Mondialisation est une évolution que tout le monde constate et sur
laquelle on met habituellement davantage l'accent par les problèmes
qu'elle crée et les traumatismes qu'elle engendre. Vous avez
souligné qu'on peut avec beaucoup de volontarisme, et à condition
de s'adapter, " influencer " la Mondialisation.
M. Xavier de Villepin
. - Je voudrais vous remercier de cet exposé
très intéressant et vous poser deux questions : la
première, sur les chances de la France dans le domaine de
l'internationalisation des capitaux, et la deuxième, sur le
développement de la présence humaine française à
l'étranger.
Sur le premier point, les entreprises françaises ont une insuffisance de
fonds propres. On pourrait presque en dire autant dans le domaine de
l'investissement. On constate, y compris maintenant, un certain retard.
Pensez-vous que beaucoup d'entreprises, dans le mouvement qui est
amorcé, pourront rester majoritairement françaises ? Evidemment
cela ne s'adresse pas à une très grande entreprise comme la
vôtre, mais on peut se poser la question pour beaucoup d'autres.
Sur la deuxième question, vous avez dit des choses très justes et
que je partage sur l'expatriation. Mais on constate dans les chiffres qu'il y a
plutôt moins de Français de l'étranger
qu'antérieurement, en raison peut-être du reflux d'Afrique. On
peut se demander si le manque de formation des Français et une certaine
non-adaptation aux profils que vous avez définis ne vont pas encore
creuser l'écart dans le mauvais sens.
M. Hubert Durand-Chastel
. - Monsieur le Président, vous avez
indiqué qu'il fallait ne pas être trop créateur à
l'étranger. Et vous avez indiqué qu'il fallait avoir une culture
de l'art de vivre français. N'y a-t-il pas contradiction entre ces deux
points ?
Concernant l'eau, c'est un service public. La technologie française est
particulièrement connue et appréciée à
l'étranger. Vous pouvez avoir dans un pays un contrat qui est
juridiquement parfait avec une concession à très long terme, mais
les circonstances politiques, économiques ou commerciales changent et il
se peut qu'au cours de ces changements un contrat intéressant puisse
rencontrer des difficultés. N'est-on pas tenté à
l'étranger d'accuser le concessionnaire qui, bien que partenaire d'une
compagnie nationale, est en fait connu comme représentant une des plus
grandes sociétés mondiales, votre société par
exemple ?
Comme il s'agit de contrats publics et que l'eau est, en particulier, un bien
qui dans certaines constitutions est préservé (on ne peut pas
couper l'eau dans certains pays à des clients qui ne paieraient pas leur
dette), est-ce que cette mondialisation ne constituerait pas une très
grande difficulté pour vous en raison du caractère souverain d'un
service public ?
M. François Gerbaud
. - Monsieur le Président vous avez
fait un tableau que vous avez vous-même qualifié de pointilliste.
C'est un pointillisme étonnant et nous vous en remercions.
Ma question qui est une demande d'explication complémentaire. Vous avez
dit que l'Euro serait un facteur de réduction des incertitudes et nous
vous rejoignons. Il faut qu'il tienne par des conditions économiques,
soit à un niveau de parité économique réaliste et
qu'il ne soit pas sur une monnaie surévaluée. Voulez-vous dire
par là que les critères de Maastricht sont trop ambitieux et que
vous n'êtes pas forcément pour l'Euro mark ?
Vous avez à un moment donné de votre propos évoqué
l'ancrage dans notre biculture, c'est-à-dire la conjugaison d'une
culture locale et d'une culture de groupe. Par culture de groupe, est-ce que
vous vous dénationalisez un peu ou pas ?
Enfin, vous avez insisté, et vous avez raison, sur le rôle de
régulation de l'Etat. Mais comment concevez-vous ce rôle dans une
Europe actuelle dont vous contestez l'hégémonie des commissions ?
M. Jean-François Le Grand
. - Vous avez évoqué un
certain nombre de services nouveaux et vous les avez balayés rapidement.
Pourriez-vous préciser quels sont les gisements d'emplois qui en
découlent ?
Par ailleurs, je relisais hier un écrit de Jacques Rueff évoquant
les différents équilibres et la nécessaire
régulation qui doit exister dans un cadre institutionnel
approprié. Il faut un ordre politique, moral, et des prescriptions de
cette nature. Vous y avez en partie répondu. Est-ce qu'au niveau
européen on dispose d'ores et déjà de ces
mécanismes régulateurs ? Si oui sont-ils suffisants, et sinon
sont-ils à créer et quels types de régulation
demanderiez-vous à l'Europe de créer ?
M. Pierre Hérisson
. - Peut-on avoir le point de vue d'un
Président d'une grande entreprise, mais qui s'assimile à une
fédération de PME, sur la retraite à 55 ans ?
Et puis, une question : peut-on penser qu'il est raisonnable, puisque vous
parlez de l'école française de l'eau et de la culture dans ce
domaine, d'y assimiler un relais qui peut, peut-être, paraître
déconnecté, mais qui est la défense de la francophonie
à travers ce que vous faites sur le plan planétaire, et
précisément les interventions ou du moins les marchés que
vous portez à l'étranger ? En d'autres temps cette technique
a été adoptée par les tailleurs de pierre et la langue
internationale des tailleurs de pierre à travers le monde est le
français.
Enfin, je vous ai entendu dans une grande émission de
télévision et nous sommes plusieurs parlementaires à
être convaincus que nous devons apporter notre soutien entre autres
à l'Ecole Française de l'Eau et à cette activité
qui apporte ses technologies sur le plan international. Je ne pense pas que
vous nous aidiez beaucoup quand vous dites que dans le prix de l'eau, pour
moitié, il y a des impôts élevés et des taxes. Il
est vrai qu'il y a la T.V.A., mais au taux réduit de 5,5 % et les taxes
accrochées au prix de l'eau sont bien pour développer et financer
les équipements -entre autres de la distribution et de l'assainissement
de l'eau.
M. Jean-Marie Messier
. - La France sur les marchés des capitaux.
Dans le domaine des capitaux, on a laissé le centre de décision
européen se déplacer à Londres. Dans le domaine des
télécommunications, on est en avance et nous avons un bon
système de régulation et toutes les chances sont réunies
dans la composition de l'ART et de ses équipes. Dans un domaine comme
celui-là, dans lequel il y aura aussi une logique européenne, on
devrait avoir pour objectif d'éviter que le centre
privilégié européen ne se déplace à nouveau
à Londres. En tout cas c'est quelque chose à quoi nous nous
attacherons concernant mon groupe.
Sur l'insuffisance des fonds propres des entreprises françaises.
Oui, naturellement, il faut qu'on cherche tous les moyens pour donner aux
entreprises françaises une marge de manoeuvre supplémentaire en
matière de fonds propres. Je crois que de ce point de vue l'institution
des fonds d'épargne retraite est une contribution à la solution
et, ne serait-ce qu'à ce titre, c'est un acte positif à long
terme pour le capitalisme français.
D'autre part, et c'est un des points qui doit soutenir une politique
délibérée et volontariste de taux bas. Les entreprises
françaises qui ont une base de fonds propres limités ont moins de
handicap par rapport à leurs concurrents si elles peuvent financer
certains investissements par des taux bas. Il y a convergence entre le constat
de carence des fonds propres des entreprises françaises et une politique
monétaire volontariste en matière de baisse des taux.
Et le troisième élément : l'une des
nécessités pour que les entreprises françaises et les
centres de décision restent français, c'est la concentration sur
les métiers sur lesquels on est fort. Une entreprise qui est leader
mondial dans son métier trouvera les éléments pour
défendre son centre d'intérêt et son centre de
décision en France.
Sur la présence humaine française à l'étranger,
il y a toujours aujourd'hui un problème de non-adaptation à ce
dont nous avons besoin pour envoyer un certain nombre de cadres ou non-cadres
à l'étranger. Pour l'instant, de manière très
pragmatique, on constate des carences extérieures auxquelles on essaie
de répondre par la multiplication des formations internes. La
création il y a 2 ans de l'Institut de l'Environnement Urbain est une
des formes de réponse internalisée à ce constat de
carence, mais malheureusement ce constat reste très fort dans notre pays.
Sur la question de l'art de vivre français et la défense de la
francophonie,
je vais répondre de manière un peu provocante. Pour moi on peut
défendre l'art de vivre français en anglais et diffuser une
chaîne centrée sur la culture française et l'art de vivre
français, sur les spécificités d'un certain nombre de nos
industriels dans le domaine du luxe, du tourisme, en produisant un produit de
communication grand public en anglais pour les marchés américains
et asiatiques. C'est contribuer au rayonnement de la culture française
et au développement de la communication française.
De ce point de vue, notamment dans toutes les réflexions sur les
évolutions de la production, je crois totalement à cette
idée. Aujourd'hui on doit être capable d'utiliser l'anglais pour
défendre l'art de vivre français.
A la question sur les concessions, sur les changements et les
difficultés liées au caractère des services publics,
notamment dans le domaine de l'eau, et du caractère souverain de ces
services publics,
il est vrai que c'est une de nos difficultés. C'est aussi une des
raisons qui renforcent complètement la nécessité pour nous
d'appliquer la règle du
think global but act local
. Dans la
quasi-totalité des cas, nous avons des partenaires nationaux des pays
concernés. L'une des difficultés très concrètes que
nous avons connue ces derniers mois, qui n'est pas totalement
réglée et qui recoupe tout à fait l'analyse que vous
faisiez, s'est posée dans une province d'Argentine où nous nous
sommes trouvés en face d'une opposition et d'un pouvoir politique qui
ayant changé a utilisé le caractère non national de notre
groupe pour remettre en cause les termes d'une concession.
Ces cas-là existent, ils sont inquiétants. Heureusement ils ne
sont pas aujourd'hui dominants. Et dans un cas comme celui-là,
l'Argentine a aussi bien réagi au niveau central en prenant conscience
que si cela se passait mal dans l'une de ses régions, c'était la
remise en cause de l'image du pays à l'extérieur.
Sur l'Euro.
Je ne crois pas que les critères de Maastricht soient inadaptés.
Je crois que nos politiques monétaires actuelles sont inadaptées
et insuffisamment volontaristes. Je crois que le Gouverneur de la Banque de
France et le gouvernement de la Bundesbank pourraient avoir un discours plus
agressif vis-à-vis des marchés internationaux. Le problème
n'est plus celui de la parité du franc et du mark, mais la parité
de l'Euro vis-à-vis des autres monnaies.
Les aléas et les variations sont faibles, on est à 2 ans de la
création de l'Euro, on peut donc tenir aujourd'hui ce discours plus
offensif.
Non seulement je considère que ce serait une erreur d'avoir un Euro
mark, mais l'évolution de la situation en Angleterre aujourd'hui,
indépendamment même du résultat des prochaines
élections, devrait nous permettre d'avoir plus de convergence sur ces
problèmes monétaires avec l'Angleterre et peut-être
rééquilibrer le débat vis-à-vis de nos amis
allemands.
Sur le problème de l'ancrage local.
Oui, c'est essentiel. Dénationaliser ou pas, moi je souhaite vraiment
que le groupe dont j'ai la charge soit un acteur efficace sur les
marchés mondiaux. Je suis un chef d'entreprise nationaliste. Je
considère dans le développement des
télécommunications que j'aurais renoncé à certaines
alliances si elles avaient dû se faire au prix de la perte de notre
contrôle majoritaire. Et quand j'ai pour la première fois
évoqué ce sujet avec le Président de Britsh
Télécom, c'est la première chose que nous nous sommes
dite. Oui, il est intéressant qu'il y ait une structure ensemble, mais
la Générale des Eaux restera maîtresse de son destin. Si
vous êtes prêt à l'accepter, la discussion est bienvenue,
sinon je préfère renoncer à la discussion avec vous
plutôt que de renoncer à ce contrôle majoritaire sur nos
activités.
Tout en vous ayant tenu ce discours fort sur notre ancrage mondial, je n'ai pas
de problème à revendiquer ce caractère nationaliste.
Sur la régulation européenne qui recoupe aussi une autre
question qui a été posée, il est vrai que j'ai beaucoup
insisté à la fois sur ces besoins de régulation et les
défauts et les insuffisances de régulation sociale concurrence
actuelle. Je ne sais pas quelle est la bonne solution. En tant que chef
d'entreprise, je ressens un équilibre qui n'est pas encore satisfaisant
au niveau européen, qui est à la fois extrêmement
présent dans certains secteurs, mais qui n'a peut-être pas
l'organisation ou le recul nécessaire pour répondre aux besoins
de régulation que j'ai identifiés.
La solution institutionnelle, je ne vous l'ai pas apportée aujourd'hui ;
je vous ai apporté une frustration forte, à la fois la
reconnaissance du besoin de régulation et l'insatisfaction dans la
manière dont il est exercé au niveau européen aujourd'hui.
Quelques précisions sur les gisements d'emplois dans les services
nouveaux.
Si je prends le secteur des Télécom, nous allons y créer
dans les quelques années qui viennent 10 000 emplois directs en France,
c'est-à-dire à peu près 30 000 emplois directs et
indirects. A l'échelle d'un groupe comme le nôtre et à
l'échelle de la nation, c'est significatif.
Sur la retraite à 55 ans,
je disais que je me considérais un peu comme un patron d'une
fédération de PME. En matière sociale, c'est encore plus
vrai. Pour moi le seul vrai lieu du dialogue social est le plus
décentralisé possible. Aujourd'hui nous essayons de multiplier
des accords intelligents d'aménagement et de réduction du temps
de travail et surtout ne pas poser, ni au niveau d'une entreprise ni au niveau
du groupe, la question de la retraite à 55 ans. Personnellement, je sais
que pour mon groupe ce n'est pas tenable, ce n'est pas envisageable. Je
considère en plus qu'il vaut mieux essayer de consacrer son
énergie à des politiques d'aménagement de réduction
du temps de travail, qui est un volet un peu offensif en matière
d'emplois, plutôt que d'aborder cette question. Je suis résolument
sur le frein face à toutes revendications de ce type où qu'elles
soient dans le groupe.
Cela n'empêche pas de prendre des initiatives en matière sociale.
Quand j'ai présenté mes voeux aux dirigeants du groupe, je leur
ai dit que cette année 1997 devait être dans notre groupe
l'année du dialogue social en leur donnant une clé : on en a un
peu assez de dire qu'il faut nous donner plus de marge de manoeuvre en
matière sociale. Cela ne doit pas vous dispenser de vous poser la
question "à marge de manoeuvre donnée, que puis-je faire de mieux
et de plus que ce que je fais actuellement ?"
Le constat que nous avons dressé il y a quelques jours avec ces
5 000 jeunes recrutés dans le groupe, est une illustration
qu'à marge de manoeuvre donnée on peut faire mieux et plus que ce
qu'on fait actuellement. C'est une question d'affichage effectif dans les
niveaux de priorité de la direction de nos entreprises.
Sur le prix de l'eau,
j'insiste beaucoup dans mes interventions publiques sur le fait que quand on
regarde l'évolution du prix de l'eau, il y a trois composantes : la
rémunération du distributeur (elle augmente en gros quelque part
entre l'inflation et l'index des services). Il y a la part liée à
l'assainissement direct, et on sait bien qu'aujourd'hui on a un problème
d'environnement majeur en constatant que la moitié des eaux usées
ne sont pas encore retraitées. Et il y a la partie taxes et redevance
dont je souligne qu'elle a augmenté de 234 % en 5 ans. Vous avez dit
qu'elle sert aussi au financement des ouvrages d'assainissement. C'est vrai en
partie. La taxe sur les voies navigables et les ouvrages d'assainissement, le
lien n'est pas direct.
Je crois qu'en fait dans ce débat sur le prix de l'eau, mon intention
est de continuer à insister sur le fait que nous avons encore des
efforts majeurs à faire en matière d'assainissement dans ce pays,
et là où ils seront faits, ils ne peuvent pas être sans
influence sur le prix de l'eau, que ce soit directement sur l'assainissement ou
au travers d'un certain nombre de redevances.
Au-delà il y a un dernier argument sur lequel j'ai l'intention
d'insister de manière générale. Un débat se
pervertit très vite. Aujourd'hui le débat est la hausse du prix
de l'eau. La conclusion est que le prix de l'eau est très cher. Et nous
avons nous, distributeurs d'eau, toujours eu un gros défaut, nous
parlons en mètres cubes en disant que le prix moyen de l'eau, c'est 15
francs/m3. La plupart de nos concitoyens ne savent pas traduire le m3 en litre.
Quand ils vous disent c'est 15 francs le m3, ils vous disent que l'eau est plus
chère que le vin. C'est cela la réalité. Ce que j'essaie
de faire, c'est d'abord que nous commencions nous par parler comme le
consommateur, c'est-à-dire parler du prix de l'eau en litre. Là,
c'est 1,5 centime le litre. C'est 200 ou 300 fois moins cher que la bouteille
d'eau minérale qui est là.
Je veux essayer de casser l'idée : puisque le prix de l'eau augmente,
c'est qu'il est très cher. Il faut donner pour cela des
références. Pour moi, c'est le prix de l'eau par litre, c'est la
comparaison avec l'eau minérale, alors que souvent la qualité du
produit est très proche. Et c'est un dernier élément qui
me paraît important : nos activités dans le domaine de l'eau
rendent un vrai service.
L'expression autour de laquelle je voudrais recentrer le discours maintenant
est : la réalité du prix de l'eau, c'est 1,5 centime/litre,
service compris 24 heures sur 24 chez vous, récupérée,
nettoyée. Il me semble qu'en disant cela, on se fait mieux comprendre
qu'en ayant de grands débats sur les taxes et redevances.
M. le Président
. - Merci de votre présence à un
moment de très grande intensité dans la vie de votre
société. Avec votre permission, nous penserons à nouveau
à vous quand nous aurons de graves questions dans l'esprit.