B. AUDITION DE M. YVES-THIBAULT DE SILGUY
Le jeudi 27 février, Les
délégations des deux Assemblées, au cours d'une
réunion commune, ont entendu, M. Yves-Thibault de Silguy, commissaire
européen.
M. Yves-Thibault de Silguy
se réjouit tout d'abord de cette
nouvelle occasion de s'adresser aux deux délégations. D'abord
parce que le dossier dont il a la charge à Bruxelles - l'Union
économique et monétaire (UEM) - a considérablement
évolué depuis les précédentes rencontres. Mais
aussi parce que, sur un sujet d'une telle importance, les débats
réguliers avec les représentations nationales sont indispensables
et fort utiles.
Le Commissaire européen déclare, en guise d'introduction, que
l'euro verra le jour le 1
er
janvier 1999 et qu'un nombre
significatif d'Etats membres y participeront. La volonté politique des
chefs d'Etat et de gouvernement est inébranlable, les travaux
préparatoires nécessaires sont quasiment achevés, la
mobilisation des milieux économiques et financiers est intense, la
convergence progresse à un rythme suffisant, la croissance est de retour
en Europe : tous ces éléments le conduisent à penser,
sans optimisme excessif, que le calendrier et les conditions du traité
seront respectés, et que la décision sur la liste des pays
participants sera prise au printemps 1998.
M. Yves-Thibault de Silguy souhaite faire porter le débat sur deux
points qui justifient, à son sens, les efforts déployés
par les gouvernements pour respecter le calendrier et les conditions de passage
à l'euro, à savoir l'emploi et la souveraineté.
La lutte contre le chômage, d'abord, est aujourd'hui la priorité
de toute politique économique. Il est donc légitime et même
indispensable d'apprécier l'Union économique et monétaire
à cette aune. L'euro n'est pas la panacée ou une solution
miracle, mais il sera un instrument utile au service des politiques de l'emploi.
En effet, des conditions doivent être remplies pour passer à
l'euro, au nombre desquelles figure l'assainissement budgétaire. Or, la
maîtrise des dépenses de l'Etat est, selon le Commissaire
européen, avec ou sans euro, indispensable pour la création
d'emplois à l'avenir, pour deux raisons, l'une, budgétaire, et
l'autre, financière.
En premier lieu, l'assainissement des finances publiques permet de restaurer
une marge de manoeuvre budgétaire au niveau national, qui peut
être mise à profit pour conduire les politiques en faveur de
l'emploi.
Notant que, selon Oscar Wilde, " l'expérience est le nom que
nous donnons à nos erreurs ", il souligne que la France et les
autres Etats européens sont particulièrement
" expérimentés " en matière de gestion des
dépenses publiques.
En 1970, il y avait six points d'écart, entre la France et les
Etats-Unis, quant au poids des prélèvements obligatoires par
rapport au produit intérieur brut, et le taux de chômage
était légèrement plus faible en France
qu'outre-Atlantique. Cet écart de poids a, depuis lors, quasiment
triplé, pour atteindre seize points, et nous avons, en proportion, deux
fois plus de chômeurs qu'aux Etats-Unis. Même si la relation entre
prélèvements obligatoires et chômage n'est pas strictement
mécanique, il est incontestable qu'un niveau élevé
d'imposition a un effet négatif sur l'économie. Constatation
d'autant plus inquiétante que cet alourdissement de la pression fiscale
n'a pas suffi à compenser la progression des dépenses, et donc
n'a pas endigué le gonflement de la dette publique.
La dette publique française, qui était inférieure à
500 milliards de francs en 1980, dépasse actuellement
3 000 milliards de francs ; en conséquence, le service de
la dette est aujourd'hui le premier poste de dépense de l'Etat, mis
à part des traitements des fonctionnaires. En outre, le financement des
déficits publics accapare à lui seul la moitié de
l'épargne des ménages européens, sommes qui pourraient
être plus utilement consacrées à financer des
investissements productifs.
M. Yves-Thibault de Silguy reconnaît que la compression des
dépenses publiques n'est pas une tâche aisée, car il y a
une inertie naturelle à la baisse des dépenses de l'Etat. Les
parlementaires savent mieux que quiconque qu'il est difficile de décider
des secteurs où réaliser des économies :
réduire les dépenses d'investissement peut s'avérer
contre-productif à long terme, car la compétitivité de
l'économie suppose d'avoir des services publics de qualité et des
infrastructures performantes ; par ailleurs, les dépenses de
fonctionnement ne sont pas indéfiniment compressibles. Il reste que,
selon le Commissaire européen, l'assainissement des finances de l'Etat
permet, grâce à la baisse des taux d'intérêt qu'il
autorise, d'enclencher un cercle vertueux qui allège la charge de la
dette, libère l'épargne et donc stimule l'activité. C'est
la voie dans laquelle s'est engagée la France. Elle commence d'ailleurs
à en engranger les fruits : les taux à trois mois ont
baissé de plus de quatre cents points de base en quinze mois. Cela
représente, pour les acteurs économiques, une économie en
charge d'intérêt supérieure à 100 milliards de
francs par an.
Utile pour relancer l'économie, ce mouvement d'assainissement des
finances publiques est également indispensable pour restaurer et
recréer progressivement des marges de manoeuvre budgétaire, que
l'autorité politique peut utiliser au service de la conduite des
politiques de l'emploi. Les seuls intérêts payés par la
France sur sa dette publique absorbent désormais quasiment
l'équivalent du produit total de l'impôt sur le revenu. Avec des
comptes équilibrés, la France pourrait supprimer les charges
sociales pesant sur les bas salaires, mesure qui aurait un impact
considérable sur l'emploi : le coût horaire d'un ouvrier de
l'industrie deviendrait en France trois fois inférieur à celui de
l'Allemagne, et de 40 % inférieur à celui de l'Italie ou des
Etats-Unis.
Une autre raison, de nature financière, justifie, pour le Commissaire
européen, la création de l'euro eu égard à
l'emploi : il faut faire en sorte que l'économie européenne
puisse bénéficier de taux d'intérêt bas. Tel est, en
définitive, l'objectif recherché avec la mise en oeuvre de
l'Union économique et monétaire. A cette fin, dès sa
création, l'euro doit être crédible, et donc attractif pour
l'épargne, si l'on veut que les taux d'intérêt se situent
à un niveau peu élevé. A quoi servirait, en effet, -
déclare-t-il - de créer une nouvelle monnaie, si ce n'est
pas une bonne monnaie ?
M. Yves-Thibault de Silguy estime donc qu'il faut assortir la
création de l'euro de toutes les garanties nécessaires pour
atteindre cet objectif de crédibilité, ce qui suppose tout
d'abord que les économies qui partageront la même monnaie
partagent également une même qualité de gestion.
Telle est la raison d'être des critères de convergence, que le
Président de la République a, à juste titre,
définis comme de simples critères de bon sens et de bonne
gestion : " il n'est pas de l'intérêt de la fourmi
d'épouser la cigale ". Faire entrer au sein de l'Union
monétaire des pays n'ayant pas encore accompli des efforts suffisants en
matière de convergence économique reviendrait ainsi à
sanctionner ceux qui ont eu un comportement vertueux, en leur imposant un
niveau de taux d'intérêt plus élevé que celui auquel
ils pourraient prétendre. Pour le Commissaire européen, la France
serait certainement au nombre des perdants.
C'est la raison pour laquelle, quand il s'agira d'arrêter la liste des
pays passant à l'euro au 1
er
janvier 1999, la Commission
appréciera, dans sa recommandation au Conseil, au début de
l'année 1998, la capacité des Etats membres à
respecter un " degré élevé de convergence
durable ". Chaque mot compte, souligne-t-il : respecter la
plupart
des valeurs de référence pour la seule année 1997 ne
suffira pas, mais il faudra aussi être en mesure de garantir le
caractère durable de l'assainissement, ce qui écarte a priori les
Etats dont les performances pour l'année 1997 seraient dues
à des mesures dont l'effet est ponctuel. Il s'agit là, à
ses yeux, d'une garantie pour la France. En effet, grâce aux efforts
d'assainissement des finances publiques en cours, la France
bénéficie aujourd'hui de taux d'intérêt qui figurent
parmi les plus bas au monde, et qui sont même souvent inférieurs
à ceux d'outre-Rhin.
Pour M. Yves-Thibault de Silguy, le passage à l'euro impose aussi
la poursuite d'une saine gestion budgétaire après le
1
er
janvier 1999. Aussi, les Etats qui participeront à
l'Union monétaire au 1
er
janvier 1999 seront-ils
liés entre eux par une sorte d'engagement collectif de saine
gestion : il s'agit du " pacte de stabilité et de
croissance ", qui, insiste-t-il, n'ajoute aucune disposition
contraignante
au Traité de Maastricht. Ce pacte fixe comme objectif la
neutralité des finances publiques et prévoit des
procédures afin de prévenir et de corriger d'éventuels
dérapages budgétaires. Ce pacte est, en quelque sorte, le
" règlement intérieur de la maison euro ", qui
permettra d'assurer la stabilité de la monnaie européenne et donc
sa crédibilité, condition sine qua non pour obtenir des taux
d'intérêt bas, qui favoriseront l'investissement, la croissance et
donc l'emploi.
En effet, avec des taux d'intérêt peu élevés, les
entreprises françaises auront un seuil de rentabilité de leurs
investissements plus bas et un coût d'accès au crédit moins
élevé. L'euro permettra également d'améliorer leur
rentabilité en réduisant certains coûts, et donc de
libérer des fonds supplémentaires pour l'investissements et
l'emploi. La création de l'euro supprimera, en effet, les coûts de
conversion et de couverture contre le risque de change au sein de l'UEM et les
frais de tenue des comptabilités en multidevises. Selon les estimations
de la Commission, la seule suppression des coûts de conversion
entraînera, pour l'Europe, une économie de l'ordre de
200 milliards de francs par an. Ce n'est pas un hasard si de grands
groupes multinationaux ont récemment publiquement envisagé de
redéployer leurs investissements et leurs centres de production, afin de
les localiser dans la zone euro ; de grands groupes asiatiques pourraient
être amenés à faire de même. Relocaliser les
investissements en Europe est précisément le but recherché
par l'UEM.
M. Yves-Thibault de Silguy estime que la création de l'euro
permettra donc de stimuler l'activité et d'obtenir un à deux
points de croissance supplémentaires, qui manquent pour créer
à nouveau massivement des emplois. Certes, une partie significative du
chômage en Europe n'est pas due à des raisons conjoncturelles,
mais nécessite des réponses adaptées en fonction de la
situation de chacun des Etats membres. Mais des études montrent que le
chômage diminue sensiblement dans l'Union quand la croissance
dépasse 2,6 %. Sachant que cette dernière devrait
s'établir à 2,3 % en 1997, contre 1,6 %
en 1996, inverser la courbe du chômage n'est donc pas
impossible : il suffirait d'un taux de croissance de 3 % par an
pendant cinq ans pour faire tomber le taux de chômage en Europe de plus
de 12 % à 9 %. Pour y parvenir, il n'y a pas d'alternative
à une relance de l'investissement et de la consommation grâce
à des taux d'intérêt bas.
Outre l'emploi, il existe une seconde raison à la mise en place de
l'euro : la nécessité de retrouver une marge de manoeuvre
sur la scène monétaire mondiale. Pour le Commissaire
européen, c'est là que doit se situer le débat actuel sur
la souveraineté.
L'Europe est la première puissance économique et commerciale au
monde, mais elle joue un rôle extrêmement modeste sur la
scène monétaire mondiale. Un quart de siècle après
la mort des accords de Bretton Woods, le dollar est toujours la
devise-clé du système monétaire international. Il est
utilisé dans 80 % des transactions sur les marchés des
changes, et dans la moitié des transactions commerciales
internationales. Pourtant, les exportations américaines ne
représentent que 18 % des exportations mondiales.
La croissance des échanges mondiaux crée donc structurellement un
besoin d'encaisse en dollars, qui permet aux Etats-Unis de faire financer leurs
déficits par l'étranger. Comme les effets internes des
oscillations du dollar sont assez limités, les autorités
monétaires américaines prêtent, selon le Commissaire
européen, une attention parfois insuffisante aux variations de sa valeur
externe : ainsi que l'avait déclaré l'ancien
Secrétaire d'Etat au Trésor, M. Connolly : " le
dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème ".
De fait, note le Commissaire européen, les fluctuations du dollar
entraînent des effets pervers : quand il est trop bas, nous perdons
des parts de marchés ; quand il est trop haut, la facture
énergétique s'en ressent et nous subissons de fortes tensions
inflationnistes.
Les " dévaluations compétitives " de la lire italienne
et de la livre sterling du printemps 1995 ont coûté, en deux ans,
à l'Europe, deux points de croissance et 1,5 million d'emplois.
M. Yves-Thibault de Silguy estime qu'elles ont pour origine la crise du
peso mexicain, par dollar interposé. Il faut donc pouvoir se
protéger des chocs externes.
Pour le Commissaire européen, l'Union monétaire rendra la France
et les Etats membres moins dépendants des fluctuations monétaires
sur les marchés financiers pour deux raisons :
- d'une part, nos entreprises seront placées à l'abri du
risque de change, pour la majeure partie de leurs exportations, dont 60 %
sont effectuées sur le marché communautaire, où elles
vendront leurs produits dans la même monnaie, l'euro ;
- d'autre part, les variations du cours de l'euro auront
mécaniquement moins d'impact sur le taux d'inflation que n'en ont
aujourd'hui les variations des monnaies nationales. En effet, le degré
d'ouverture de la zone euro, c'est-à-dire la part des importations
rapportée au produit intérieur brut, diminuera avec l'UEM, de
30 % à 10 %. La marge de manoeuvre de la Banque centrale
européenne sera donc aussi importante que celle de la Réserve
fédérale américaine (Fed) aujourd'hui, car la zone euro
aura le même degré d'ouverture que les Etats-Unis. Le risque
d'inflation importée, même en cas de dépréciation de
l'euro, sera beaucoup plus faible qu'il ne l'est aujourd'hui en Europe.
L'Europe aura donc la faculté d'utiliser ses instruments de politique
monétaire sans être tenue de conserver en permanence l'oeil
rivé sur Wall Street.
Par ailleurs, l'euro deviendra progressivement une grande devise internationale
de transaction, stable, assise sur des économies bien
gérées et disposant d'un vaste marché financier
particulièrement liquide. Il attirera l'épargne internationale,
notamment les investisseurs asiatiques qui éviteront un " lancinant
tête à tête avec les bons du trésor
américain ". De même, nos partenaires commerciaux
- notamment d'Europe centrale et orientale, d'Afrique et du pourtour
méditerranéen - l'utiliseront certainement comme monnaie de
facturation internationale.
L'euro va donc permettre à l'Europe de redonner de la voix :
première puissance économique et commerciale, elle va en effet
retrouver un rôle monétaire, et ce rééquilibrage
permettra la reprise du dialogue macro-économique et monétaire
mondial pour promouvoir plus de stabilité monétaire
internationale. M. Yves-Thibault de Silguy indique qu'il sait que le
Président Clinton a chargé certains membres de son entourage de
commencer à étudier cette possibilité.
Concluant son exposé, M. Yves-Thibault de Silguy réaffirme
qu'il faut faire l'euro pour l'emploi, mais aussi pour retrouver la
maîtrise de notre destin, c'est-à-dire pour rendre au politique et
aux citoyens la capacité de décider et de faire des choix,
plutôt que de suivre les grandes tendances financières
internationales.
S'agissant du calendrier de l'UEM, le Commissaire européen apporte les
précisions suivantes :
- d'une part, la décision des chefs d'Etat ou de gouvernement sur
la liste des pays qui passeront à l'euro au
1
er
janvier 1999 sera prise " aussitôt que
possible en 1998 " ; la Commission et l'Institut monétaire
européen devront chacun présenter un rapport et la Commission des
recommandations, qui seront établis à partir des chiffres
définitifs de 1997, connus fin février 1998 au plus tard, et
ne seront donc pas disponibles avant mi-mars ; six semaines seraient
ensuite nécessaires pour un déroulement satisfaisant des
procédures parlementaires nationales et européennes, conduisant
à une décision vers la fin avril au plus tôt ; cette
question de calendrier sera examinée à la réunion
informelle des Ministres des finances et des Gouverneurs des banques centrales,
qui se tiendra à Noordwijk, aux Pays-Bas, du 4 au 6 avril
prochain ;
- d'autre part, il reste moins de cinq cents jours ouvrables avant la
naissance de l'euro, délai suffisant mais pas excessif pour assurer une
préparation satisfaisante ; il semble que les entreprises
françaises aient pris un peu de retard par rapport à leurs
concurrentes européennes ; or, il ne fait pas de doute que les
premiers prêts seront ceux qui tireront le plus grand profit du passage
à l'euro.
M. Robert Pandraud, président
, souligne les difficultés
politiques que va entraîner ce calendrier pour la France, puisque la
décision sur le passage à l'euro serait prise dans les semaines
suivant la réélection de l'Assemblée nationale et que cet
acte majeur de la nouvelle législature allait vraisemblablement
alimenter la campagne électorale.
Il fait part à M. Yves-Thibault de Silguy de la
nécessité d'expliquer, en langage clair, comment le citoyen va
réaliser ses transactions et ce que l'euro va lui apporter
concrètement. On l'a déjà tellement bercé
d'illusions, depuis qu'on lui vante les mérites de la politique
économique européenne, que les discours et les promesses n'ont,
pour lui, plus guère de crédibilité : M. Jacques
Delors avait promis beaucoup de créations d'emplois avant
Maastricht ; il est parti, mais les citoyens attendent toujours les
créations d'emplois.
M. Jacques Genton, président
, après avoir souligné
l'intérêt du Parlement français tout entier pour ces
questions fondamentales et l'utilité des travaux des deux
délégations pour les instances européennes, souhaite qu'au
Sénat, le débat sur ce sujet, prévu pour la fin de
l'année dernière, puis ajourné, puisse se dérouler
dans quelques semaines en séance publique.
Il s'interroge, d'autre part, sur l'efficacité des coopérations
renforcées, évoquées par la Commission européenne,
pour atteindre l'objectif de rapprochement des fiscalités, dans la
mesure où les Etats membres qui trouvent intérêt aux
différences fiscales ne voudront pas y participer, et a demandé
si ce mécanisme pouvait être réellement praticable en
matière fiscale.
En réponse,
M. Yves-Thibault de Silguy
rappelle qu'il
n'existe pas de préalable fiscal à l'UEM, mais qu'il appartient
bien aux négociateurs de la Conférence intergouvernementale
d'améliorer l'efficacité des institutions. Il indique que la
Commission souhaitait un accroissement du champ des décisions prises
à la majorité qualifiée pour surmonter les blocages
résultant, inévitablement, de l'exigence de l'unanimité,
blocages qui risquent de devenir plus dommageables dans une Communauté
élargie. Il prend acte des propositions franco-allemandes sur les
coopérations renforcées et constate que, dans le premier pilier,
la liste des questions dans lesquelles la délibération unanime
est nécessaire ne sont pas si nombreuses et que, parmi elles, figurent
les questions fiscales et sociales. Si personne ne souhaite une telle
extension, il faut, alors, renoncer à l'idée même de
coopération renforcée dans le premier pilier.
Il indique que l'UEM incitera, par elle-même, à certaines
harmonisations fiscales et sociales : avec des prix exprimés en
euros dans tout les Etats participants, les différences, par exemple en
matière de taux de TVA, seront en effet immédiatement
perceptibles pour les consommateurs et les producteurs, qui en tireront les
conséquences. Il observe ensuite qu'on ne pourrait lutter contre la
" flibuste fiscale " sans rapprocher les fiscalités.
Mme Nicole Catala, député
, ayant observé que,
pour la Délégation, les coopérations renforcées
devaient permettre une Europe à " géométrie variable ", et
n'avaient pas pour objet de contourner l'exigence de l'unanimité,
M. Yves-Thibault de Silguy souligne que si " géométrie
variable " il doit y avoir, c'est bien, dans son esprit, afin de
surmonter
le blocage qu'un seul Etat peut exercer en cas de décision à
l'unanimité, mais, dans ce cas, il faut tôt ou tard
répondre à la question des domaines dans lesquels ces
coopérations renforcées pourront s'exercer.
Ayant observé que le rôle moteur joué par la
coopération franco-allemande dans la construction européenne
laissait aujourd'hui place à l'expression de sensibles divergences sur
la monnaie unique,
M. François Guillaume,
député
, s'interroge sur les moyens de les réduire.
Selon lui, la première difficulté se rapporte à
l'interprétation faite, à Paris et à Bonn, des
critères de convergence, qui admet, ici, une certaine flexibilité
d'application, mais impose, là-bas, un respect rigide. Une
deuxième difficulté concerne la liste des participants
originaires à la monnaie unique. Si la France est favorable à la
présence de l'Italie, pays fondateur de l'Union européenne,
l'Allemagne a exprimé des réticences, et pas seulement dans des
cercles restreints, mais de plus en plus largement dans l'opinion, ce
scepticisme ne semblant pouvoir être contenu que par la volonté du
Chancelier Kohl. Une troisième difficulté porte sur la fixation
du niveau souhaitable de l'euro par rapport aux autres monnaies, lesquelles
d'ailleurs fluctuent largement, ce qui rend l'exercice particulièrement
malaisé. S'agissant de la parité avec le dollar,
M. François Guillaume observe que les recommandations du dernier
G 7 avait tendu à stabiliser la parité du dollar,
après une forte remontée récente. Il critique cette
recommandation, estimant que la bonne parité du dollar pourrait
s'établir à 6 francs ou 6,50 francs, alors même
que les taux de chômage diffèrent grandement d'une zone à
l'autre. Il estime que la dernière difficulté résultait de
la conception même de la Banque centrale européenne, laquelle doit
être tout à fait indépendante pour l'Allemagne, la France
exprimant des réserves devant une politique trop strictement
monétariste qui méconnaîtrait les impératifs de
développement et de croissance.
M. Yves-Thibault de Silguy
doute de l'existence de divergences
entre les décideurs politiques, même si quelques
déclarations d'un responsable de la Bundesbank ou d'un prix Nobel
d'économie sont avantageusement relayées par la presse. Il
souligne qu'au Conseil des ministres, au Conseil européen ou dans les
conversations qu'il a eues avec les responsables politiques des deux pays, il
n'a ressenti aucune divergence sur les quatre questions évoquées
par M. François Guillaume.
Quant aux critères de convergence, ils n'ont pas été
modifiés par rapport à la définition qu'en donne le
Traité : ni durcis, ce qui conduirait à exclure abusivement
certains pays de l'UEM ; ni assouplis, ce qui signifierait un
relâchement des efforts de consolidation budgétaire, avec des
conséquences fâcheuses en termes de taux d'intérêt et
d'emploi. Leur respect ne vise qu'à garantir un " degré
élevé de convergence durable ", non seulement le budget
réalisé de 1997, mais aussi le budget voté de 1998, devant
ainsi être pris en compte pour le passage à l'euro.
S'agissant du nombre des participants originaires à la monnaie unique,
il souligne que les critères sont économiques et non
géographiques. L'Italie, l'Espagne et le Portugal, soumis aux
mêmes critères, seront traités de la même
façon que les autres pays. Il a regretté une certaine propension
de l'Europe du Nord à négliger les efforts faits par les pays du
Sud, dans un consensus national remarquable, et dont certains résultats,
comme ceux du Portugal, sont " à faire pâlir " les pays
du Nord.
S'agissant du niveau de l'euro par rapport aux autres monnaies, le Commissaire
européen observe qu'il est impossible de fixer a priori sa valeur par
rapport à celle du dollar, les suites de la déclaration du
G 7 en apportant à nouveau la démonstration. Il rappelle
que, l'équivalent de la richesse annuelle de la France
s'échangeant chaque jour sur les marchés financiers, la marge de
manoeuvre dont dispose un pays pour fixer et maintenir la valeur de sa monnaie
est extrêmement faible. Selon lui, la valeur d'une monnaie est le reflet
de la santé économique, les préoccupations de
stabilité monétaire étant prioritaires non seulement en
France, mais aussi sur le plan international. Après avoir rappelé
qu'à la réunion du G 7 tenue à Halifax en
juillet 1995, le souhait avait été exprimé d'un
renforcement de la coordination macro-économique et monétaire sur
le plan international, il a insisté à nouveau sur le fait que la
création de la monnaie unique ramènera le degré
d'ouverture de la zone euro à ce qu'il est actuellement pour les
Etats-Unis, permettant ainsi à l'Europe d'être moins sensible
à la valeur externe de sa monnaie (
benign neglect
), et
dégagera la Banque centrale européenne de certaines pressions
liées à l'inflation importée.
Abordant la question de la Banque centrale européenne,
M. Yves-Thibault de Silguy nie l'existence de divergences entre la
France et l'Allemagne sur sa nécessaire indépendance. Cette
indépendance, comme celle du Système européen de banques
centrales, est indispensable à la crédibilité de la
politique monétaire. Il souligne néanmoins que la Banque centrale
européenne, de par sa nature même, ne pourra se réduire
à n'être qu'une copie de la Bundesbank.
M. Christian de la Malène
estime qu'il s'agit bien là
du débat essentiel relatif à l'euro, et déclare qu'il
n'est nullement convaincu par le langage tenu par le Commissaire
européen lorsqu'il assure que la Banque centrale européenne
rendra son rôle au politique dans la gestion de la monnaie
européenne. Ce discours est, en effet, totalement contredit par
l'Allemagne, pour laquelle la mission de la Banque centrale se résume au
maintien de la stabilité des prix et à la lutte contre
l'inflation. Le gouvernement français affirme qu'il faudra mettre
l'accent sur la croissance ; l'Allemagne considère, au contraire,
que l'euro n'a rien à voir avec le fait d'encourager ou non la
croissance économique, et nous avons même eu beaucoup de
difficultés à lui faire accepter que ce mot fût
accolé à celui de stabilité dans l'intitulé du
pacte en négociation. Ce décalage de conception entre les deux
pays pose un réel problème et le gouvernement français,
pas plus que le Commissaire européen, n'a pour l'instant apporté
de réponse claire à cette question majeure : qui tranchera
sur les finalités de l'euro ?
M. Yves-Thibault de Silguy
rappelle que la Banque centrale
européenne sera dirigée par un directoire composé d'un
représentant de chacune des banques centrales des Etats membres
partageant l'euro. Il est certain qu'une coordination devra s'établir
entre le Président de la Banque centrale européenne et les chefs
d'Etat ou de gouvernement, qui devront arrêter, chaque année, les
" grandes orientations de politique économique ". Le Conseil
européen devra jouer son rôle politique, mais également le
Conseil " Ecofin " qui devra exprimer de réelles
orientations
politiques et non se contenter de simples échanges de vues.
M. Patrick Hoguet, député
, fait observer que l'une
des conséquences inévitables de la mise en oeuvre de l'euro sera
la nécessité de réduire les différences entre les
politiques intérieures, notamment dans le domaine des finances publiques
et de la fiscalité. Il se demande de quelle façon il serait
possible d'impliquer les Parlements nationaux dans le fonctionnement de l'UEM.
Il serait souhaitable qu'ils soient collectivement associés, de
façon consultative, à ces travaux et que le Président de
la Banque centrale européenne soit entendu par eux. Enfin, il souhaite
savoir quel degré de contrainte pèsera sur les Etats ne
participant pas à l'euro dès sa création et comment ceux
qui y participeront seront protégés contre les
dévaluations compétitives.
M. Robert Pandraud, président
, s'interroge sur le risque de voir
les monnaies des pays ne participant pas à l'euro subir un
phénomène de désaffection et donc une forte chute. Il
doute par ailleurs que le Président de la Banque centrale
européenne puisse se rendre devant l'ensemble des Parlements nationaux.
M. Yves-Thibault de Silguy
estime que l'on peut parfaitement
envisager une présentation, par le Président de la Banque
centrale européenne, de la politique monétaire devant les
Parlement nationaux, ce qui ferait partie de son devoir et de son rôle.
Il ajoute que les Parlements nationaux pourraient être prochainement
consultés sur de nombreux textes : projet remanié de pacte
de stabilité et de croissance, statut juridique de l'euro,
réserves obligatoires et répartition du capital de la Banque
centrale européenne, statistiques, textes qui lui paraissaient
susceptibles de relever, en France, de l'article 88-4 de la Constitution. Il a
indiqué que, sans modifier le Traité, afin de ne pas
" rouvrir la boîte de Pandore ", des opportunités
existaient, dans l'année économique européenne à
venir, pour une information et une consultation des Parlements nationaux.
La question des contraintes qui seront imposées aux pays ne participant
pas dès l'origine à l'euro est essentielle ; il conviendra,
à cet égard, que tant la Commission que l'Institut
monétaire européen préparent très soigneusement les
différentes étapes de la monnaie unique, durant la période
qui s'ouvre ce printemps et qui va jusqu'au printemps 1998. Tout effet
d'annonce devra être évité. La liste des pays prêts
à entrer dans la voie de la monnaie unique devra être mûrie
et des " formules de passage " devront être établies
pour ceux qui rejoindront l'euro ultérieurement : calendrier
prévisionnel, renforcement progressif de la convergence,
modalités de réduction du déficit et de l'endettement,...
Le Commissaire européen souligne que les pays pour lesquels une
entrée immédiate dans l'euro ne sera pas possible
réalisent beaucoup d'efforts pour assainir leur situation
économique et que les marchés sont susceptibles de réagir
à ces efforts en en anticipant les conséquences positives.
Le Commissaire européen estime donc que les Etats membres n'appartenant
pas à la zone euro ne devraient vraisemblablement pas connaître de
phénomène de fuite devant leur monnaie. Il rappelle, en premier
lieu, que la monnaie de ces pays devra respecter des marges de fluctuation
vis-à-vis de l'euro - assez larges au départ - et que
des accords de réduction de ces marges pourront être conclus en
fonction des programmes de convergence. Il fait remarquer, en second lieu, que
la Banque centrale européenne disposera de réserves deux à
trois fois supérieures à celles de la Bundesbank, ce qui devrait
faciliter d'éventuelles interventions sur les marchés financiers
pour défendre les monnaies des Etats membres qui seraient
attaquées. Il souligne, en dernier lieu, que les Etats membres
concernés, désireux de rentrer dans la zone euro, n'auront de
cesse de satisfaire aux critères de convergence et donc
d'éliminer progressivement les causes éventuelles de
défiance à l'égard de leur monnaie.
La seule véritable difficulté, quant à la gestion des
monnaies des Etats membres n'appartenant pas à la zone euro,
réside, selon lui, dans la gestion
" politico-médiatique " de la période qui les
sépare de l'entrée dans la zone euro. Il convient, rappelle-t-il,
d'éviter de mettre les Gouvernements devant le fait accompli et
d'élaborer des solutions susceptibles de faire l'objet d'un consensus,
à la fois au sein des Etats membres concernés et au sein de
l'opinion publique européenne.
Après avoir rappelé que le Royaume-Uni était appelé
à renouveler la Chambre des communes, au plus tard le
1
er
mai prochain,
M. Xavier de Villepin
demande au Commissaire européen son sentiment quant à
l'évolution de la position du parti travailliste vis-à-vis de
l'euro. Il rappelle, à cet égard, que, si le parti conservateur
n'est pas favorable à la monnaie unique, le parti travailliste, en
revanche, semble plus prudent et que sa position risquait d'évoluer en
fonction des pressions exercées par la City.
Abordant la question des efforts déployés par les pays du sud de
l'Europe pour respecter les critères de convergence, il fait observer
que l'Italie, en dépit de réels efforts, n'était pas
parvenue à résorber une dette publique qui s'élève
désormais à 1 300 milliards de dollars, et
représente ainsi la troisième dette au monde après les
Etats-Unis et le Japon. Autant dire qu'avec une dette de près de
125 % du PIB, l'Italie est très loin de respecter le critère
relatif à la dette publique, qui ne doit pas dépasser 60 %
du PIB.
Compte tenu de cette difficulté, M. Xavier de Villepin s'interroge,
d'une part, sur les critères utilisés par Eurostat pour inclure
la dette des chemins de fer italiens dans la dette publique italienne et
souhaite savoir si cette décision aura des répercussions, en
France, sur la prise en compte éventuelle de la dette de la SNCF au sein
de la dette publique. Faisant observer qu'une fois l'Italie entrée dans
la zone euro, sa dette serait libellée en euro, il s'est
inquiété des conséquences d'une telle situation sur la
crédibilité de la monnaie unique.
S'agissant de la position du Royaume-Uni
, M. Yves-Thibault
de Silguy
souligne l'intensité des débats politiques
relatifs à l'entrée dans la monnaie unique. Il précise que
ces débats se focalisent sur une question essentielle : la perte de
la souveraineté britannique.
Il indique comment le Gouvernement actuel présente sa stratégie
vis-à-vis de l'euro, dans une situation où les trois quarts des
conservateurs ne sont pas favorables à la monnaie unique. Le
Gouvernement britannique considère que, soit l'euro ne pourra pas voir
le jour le 1
er
janvier 1999, parce que les Etats membres ne
respecteront pas les critères, soit l'euro verra le jour en raison d'une
interprétation souple de ces critères, ce qui fragilisera la zone
euro et conduira,
de facto
, le Royaume-Uni à refuser d'en
faire partie.
Toutefois, il fait état des facteurs susceptibles d'influencer la
position du Gouvernement britannique au pouvoir lors de la mise en place de
l'euro. Rappelant que la City représente désormais 20 % du
PIB anglais, il souligne que la position adoptée par la City
vis-à-vis de l'euro risque de peser largement sur l'attitude du
Gouvernement. Certes, actuellement, aucun indice ne permet de préjuger
de la position de la City, mais celle-ci s'investit largement, du point de vue
technique, dans le projet euro, au point qu'une bonne part de l'apport
technique sur les conditions et les conséquences de l'introduction de
l'euro, notamment en matière de sécurité juridique des
contrats, est venue de Grande-Bretagne. Le Commissaire européen fait
remarquer que deux questions suscitaient un intérêt majeur de la
part de la City et pouvaient convaincre le marché financier anglais du
caractère inéluctable de l'euro. Il fait observer, en effet, que
la City semblait s'intéresser au système Target, autrement dit,
aux modalités de refinancement en euro des banques par la future banque
centrale européenne. Il est généralement admis que seules
les banques établies dans des Etats membres de la zone euro pourront
bénéficier de refinancement en euro, et que celles ne relevant
pas de la zone euro devront verser une contribution financière pour
bénéficier de ce système. Il précise que la City ne
voit pas d'un très bon oeil une telle contrainte. Il estime, par
ailleurs, que la City refuserait de rester à l'écart du mouvement
de concentration bancaire que devrait vraisemblablement engendrer l'euro.
L'ensemble de ces facteurs expliquent, selon lui, la volonté de
M. Tony Blair, leader du parti travailliste, de laisser ouvert le
débat de l'euro, afin, le cas échéant, de mettre en avant
les intérêts de la City pour faire accepter, par son opinion
publique, l'entrée dans la zone euro.
Quelle que soit la position du Gouvernement britannique au pouvoir en avril
1998, il précise que celui-ci n'échappera pas à un
référendum sur la monnaie unique. Il indique que les opinions
sont actuellement extrêmement divergentes quant au résultat d'un
tel référendum, certains estimant qu'il ne pouvait
déboucher que sur un refus clair et net de l'euro, tandis que d'autres
faisaient état du caractère incertain du résultat.
Soulignant l'ironie du calendrier, le Commissaire européen fait observer
, en dernier lieu, qu'il reviendra au Royaume-Uni de présider le Conseil
qui décidera de la liste des Etats membres remplissant les conditions
nécessaires pour l'adoption de la monnaie unique.
M. Robert Pandraud, président
, fait observer que si les citoyens
du Royaume-Uni et, sans doute, du Danemark, peuvent se prononcer sur le passage
à la monnaie unique par la voie d'un référendum, en
revanche, en France, la seule procédure envisageable serait l'article
88-4 de la Constitution, ce qui, toute révérence gardée
à l'égard de cette procédure, nous situe bien
en-deçà dans l'échelle démocratique, compte tenu du
caractère purement consultatif de l'intervention du Parlement. Il a
estimé, quant à lui, que le Traité de Maastricht ayant
été ratifié par voie référendaire, un
référendum sur l'application de ce Traité n'aurait aucun
sens. Une déclaration de politique générale portant sur la
politique européenne de la France, sur laquelle le Premier ministre
engagerait la responsabilité du Gouvernement, lui apparaîtrait, en
revanche, une procédure appropriée et très opportune.
M. Yves-Thibault de Silguy
précise que seuls deux Etats membres
ont obtenu, lors de la négociation du Traité de Maastricht, des
clauses d'exemption leur permettant de se prononcer sur leur participation
à l'euro : le Royaume-Uni et le Danemark.
Abordant la question de l'entrée de l'Italie dans la zone euro,
M. Yves-Thibault de Silguy fait part de sa totale opposition quant
à un quelconque pré-examen des conditions de participation
à la zone euro de cet Etat membre, faisant valoir qu'actuellement, toute
analyse de la situation d'un pays au regard des critères de convergence,
ne pouvait qu'exiger une lecture stricte de ces critères,
décourageant ainsi les Etats membres ne les respectant pas encore, une
lecture souple du Traité ne pouvant que nuire à la
crédibilité de l'euro.
Considérant ce débat comme prématuré et totalement
inutile, il rappelle que la décision quant au choix des participants
à la zone euro ne serait prise qu'au début de
l'année 1998, en fonction du degré de convergence des Etats
membres au regard des cinq critères établis par le Traité
de Maastricht, et en prenant en compte le caractère durable de cette
convergence, notamment compte tenu des budgets votés pour l'année
1998.
Il insiste toutefois sur les efforts considérables
réalisés par l'Italie pour respecter les critères, faisant
valoir que le Gouvernement de M. Romano Prodi n'avait pas
hésité à instaurer " une taxe Europe " pour
réduire le déficit budgétaire italien.
Mme Nicole Catala, député,
fait remarquer que la France
subissait également une " taxe ", et non des moindres, pour
respecter les critères, à savoir son taux de chômage.
M. Yves-Thibault de Silguy
s'insurge contre une telle affirmation,
faisant valoir qu'aucun déficit public n'était créateur
d'emplois et que la construction européenne n'était pas synonyme
de chômage. Keynes est mort, répond-il à M. Michel
Caldaguès qui évoque l'auteur de la " Théorie
générale ", et il ne sert plus à rien, dans un monde
ouvert, de jouer sur les déficits publics pour influencer la conjoncture.
Abordant la question des modalités de calcul des déficits
publics, le Commissaire européen précise les conséquences
de la prise en compte ou non des dettes des organismes gérant les
chemins de fer. Après avoir rappelé qu'Eurostat est un organisme
totalement indépendant de la Commission, il précise les
critères utilisés par cet office pour apprécier si une
mesure telle que le versement à l'Etat par France Télécom
de 37 milliards de francs destinés à assurer le financement
des retraites de ses fonctionnaires, peut être considérée
comme un allégement, ou non, des déficits publics. Une reprise de
la dette n'est généralement pas considérée comme
affectant le déficit courant d'un Etat membre.
Il fait donc observer que la reprise de la dette de la SNCF par l'Etat
français ne devrait avoir aucune conséquence sur
l'appréciation du déficit courant français au regard des
critères du Traité de Maastricht. Toutefois, le niveau
d'endettement français étant largement inférieur au niveau
atteint, par exemple, par l'Italie, le respect du critère relatif
à la dette publique ne devrait pas soulever de difficulté en
France.
M. Robert Pandraud, président
, ayant souligné que la
gestion de la dette était tout aussi importante que son montant et
déploré les dysfonctionnements constatés en France
à cet égard,
M. Yves Van Haecke
,
député,
souhaite revenir, compte tenu des
inquiétudes que suscite aujourd'hui cette question, sur les relations
futures entre le dollar et l'euro. Rappelant que les économies
européennes s'efforçaient aujourd'hui de faire remonter le cours
du dollar, il fait observer que l'attraction exercée par l'euro sur les
placements internationaux conduira, à l'inverse de nos efforts actuels,
à une baisse du dollar. S'agissant par ailleurs, du nombre de
participants initiaux à la monnaie unique, M. Yves Van Haecke
juge peu souhaitable de trop restreindre le champ géographique de
celle-ci, au risque de la réduire à une " super zone
Mark ", et se prononce en faveur d'une participation des pays du sud,
tels
que l'Italie et l'Espagne, qui fera de l'euro une véritable monnaie
européenne.
M. Yves-Thibault de Silguy
souligne la difficulté de la
question des relations avec le dollar, sur laquelle la Commission
européenne travaille actuellement, et insiste sur l'impossibilité
de dicter leur conduite aux marchés financiers, compte tenu de l'ampleur
des mouvements de capitaux.
M. François Guillaume
rappelle que les " accords du
Plaza ", en 1985, puis, deux ans après, les " accords du
Louvre " avaient permis des variations sensibles du dollar.
M. Yves-Thibault de Silguy
, après avoir rappelé
l'absence de répartition équilibrée entre les flux
commerciaux et le montant des transactions réalisées sur une
monnaie, met en exergue l'absence d' " existence monétaire "
de l'Union européenne, un peu similaire à la situation qui
prévaut en matière de politique étrangère,
où l'Union ne joue aucun rôle, alors qu'elle est le principal
bailleur de fonds dans certaines régions, ainsi en Bosnie et en
Palestine. Le Commissaire européen estime ensuite que la mise en place
de l'euro permettra à notre commerce extérieur d'échapper
aux fluctuations du dollar, et ce, d'autant plus largement que la France
réalise 60 % de ses échanges avec ses partenaires
européens. Faisant valoir que les pays d'Afrique, des Caraïbes et
du Pacifique (ACP) et les pays d'Europe centrale et orientale pourraient
libeller progressivement leurs transactions en euro, cette solution
étant également envisagée pour des échanges
pétroliers et par de grandes entreprises, M. Yves-Thibault de
Silguy juge ainsi que la majeure partie du commerce extérieur
européen pourrait se faire en euro, réduisant ainsi par
là-même le rôle du dollar. Il estime, au demeurant,
impossible de fixer dès aujourd'hui les valeurs respectives de ces deux
monnaies, compte tenu des incertitudes pesant sur les trois facteurs
déterminants à cet égard que sont la politique
budgétaire, la politique monétaire et l'évolution
salariale. Le Commissaire européen considère enfin que la mise en
place de l'euro conduira sans doute à une attitude de neutralité
bienveillante ("
benign neglect
") à l'égard de
ses fluctuations, ainsi qu'à une reprise du dialogue multilatéral
qui s'avérera de plus en plus nécessaire.
M. Robert Pandraud, président
, souhaite savoir comment sera,
à l'avenir, assurée la représentation de l'Union
européenne dans les organismes monétaires internationaux. Il
s'interroge également sur le sort des réserves en or et en
devises, détenues aujourd'hui par la Banque de France.
M. Yves-Thibault de Silguy
précise tout d'abord que la
question de la représentation de la zone euro dans les enceintes
monétaires internationales n'est, à ce jour, pas encore
tranchée, mais ne concernera, en tout état de cause, que quelques
organismes. S'agissant des enceintes telles que le G7, dans lesquelles sont
présents les banquiers centraux, M. Yves-Thibault de Silguy
relève qu'on ne savait pas encore qui adjoindre au Président de
la Banque centrale européenne : le Président du futur
" Conseil de stabilité et de croissance ", un membre de la
Commission ou le Président du Conseil en exercice, ce dernier choix
n'apparaissant pas forcément le plus heureux, la présidence de
l'Union pouvant fort bien revenir à un Etat membre ne participant pas
à la monnaie unique. Le Commissaire estime indispensable d'assurer sur
ce point une " unité de voix du politique face au
monétaire ".
S'agissant, par ailleurs, des réserves de la Banque de France, le
Commissaire européen, après avoir précisé que cette
question relevait sans doute plus certainement de la compétence de son
gouverneur, rappelle qu'en vertu des dispositions du Traité, la Banque
centrale européenne sera dotée d'un capital de 50 milliards
d'écus fournis par les Etats membres, selon une clé de
répartition qui sera déterminée par le Conseil, avec
possibilité d'avoirs supplémentaires. Distinguant l'utilisation
des réserves pour l'accomplissement d'engagements internationaux, qui
est, selon lui, indépendante de l'euro et relève donc de la
compétence de chaque banque centrale nationale, de celle faite dans le
cadre de la conduite des politiques monétaires, M. Yves-Thibault de
Silguy précise que, dans ce dernier cas, les réserves seraient
gérées par les banques centrales nationales agissant par
délégation de la Banque centrale européenne. Le
Commissaire, ayant qualifié ce mode de gestion de
" décentralisée ", le Président Robert Pandraud
estime que, dans le cas d'espèce, il s'agirait davantage d'une
déconcentration.
M. Patrick Delnatte, député
, s'interroge sur la
volonté de tous les Etats membres d'aller vers la convergence de leurs
politiques économiques et budgétaires, comme le montre l'exemple
britannique. Il souhaite savoir quelles mesures compensatoires peuvent
être envisagées dans l'hypothèse de dévaluations
compétitives, dont il souligne le risque.
En réponse,
M. Yves-Thibault de Silguy
fait valoir qu'il est
difficile d'anticiper les catastrophes, mais que celles-ci lui paraissaient
fort peu probables, car tous les Etats européens, sauf le Royaume-Uni,
désirent entrer dans l'euro ou, en tout cas, s'agissant du Danemark,
adhèrent à la nécessité d'une convergence des
politiques économiques. Quant à la politique économique
britannique, personne ne peut nier qu'elle est raisonnable et convergente. A
propos d'éventuelles compensations, il met en lumière leur
extrême difficulté. Ainsi, sa proposition d'introduire une
conditionalité macro-économique dans l'attribution des fonds
structurels n'a-t-elle pas été retenue. Il s'interroge, plus
généralement, sur la réalité de l'impact
prêté à ces dévaluations compétitives,
soulignant que les difficultés, réelles, rencontrées par
certains secteurs résultaient sans doute davantage de fragilités
structurelles face à la mondialisation. Il rappelle également que
les pays du sud, en particulier l'Italie, avaient accompli de tels efforts de
convergence que le problème pourrait bientôt disparaître. Il
ajoute aussi que l'Italie payait aujourd'hui très chèrement la
nécessité d'un rééquilibrage de ses comptes,
obérés par les conséquences d'un certain laxisme
antérieur.
A
M. Christian de la Malène
, qui a observé que l'Europe
coûte cher à l'Italie,
M. Yves-Thibault de Silguy
répond que l'Europe conduit seulement ce pays à devenir vertueux,
M. Xavier de Villepin
faisant valoir qu'il fallait prendre garde aux
conséquences politiques de cette situation.
Mme Nicole Catala, député
, demande au Commissaire
européen comment seraient organisés les rapports entre les pays
participant à la monnaie unique et ceux qui appartiennent à
l'Union européenne, mais ne font pas partie du système
monétaire européen, ainsi la Grèce. Elle rappelle
également que le Président de la République avait
laissé entrevoir aux pays d'Europe centrale et orientale la
possibilité d'adhérer très prochainement à l'Union
européenne, alors que la monnaie unique n'entrerait en vigueur
qu'en 2002, d'où un décalage susceptible de susciter des
difficultés.
Elle fait valoir l'ambivalence des rapports entre monnaie et économie,
soulignant que la fonction d'instrument de politique économique de la
monnaie se limitait, dans le Traité de Maastricht, à la
stabilité des prix, et elle s'interroge sur le hiatus entre cette vision
des choses et la politique américaine qui a su concilier, avec un grand
succès, déficit budgétaire important et utilisation du
dollar comme instrument de politique commerciale. Elle souhaite savoir si la
position de la France, qui milite en faveur de la participation de pays du sud
de l'Europe, était analysée comme traduisant la volonté de
faire de l'euro un instrument de combativité commerciale .
Elle exprime un grand scepticisme à l'égard de l'optimisme
affiché par le Commissaire européen en ce qui concerne le
rôle croissant de l'euro dans les transactions internationales, observant
la place du dollar dans les échanges agroalimentaires.
M. Robert Pandraud, président
, fait valoir que les
économistes se sont presque toujours trompés lors des cinquante
dernières années et il en tire la conclusion qu'il est à
peu près impossible d'avoir des certitudes. Il souligne que le
redressement de la balance commerciale française avec l'Italie entre
1994 et 1995, et en fin d'année 1995, en dépit des
évolutions monétaires, s'inscrit en contradiction avec les
théories économiques.
En réponse,
M. Yves-Thibault de Silguy
note que
l'état de la balance commerciale avec l'Italie montre que la France a
une économie compétitive, et il rappelle que le passage à
la monnaie unique interviendrait le 1
er
janvier 1999 et non en
2002, qui est simplement l'année de la mise en circulation des billets
et des pièces en euros. S'agissant des relations entre les Etats membres
participant à l'euro dès l'origine (pays "
in
")
et les autres (pays " pre -
in
"), il note que tous
ces
derniers ont vocation à entrer dans la zone euro, et qu'ils avaient
intérêt, en conséquence, à remplir les
critères de convergence. Il reconnaît que les pays d'Europe
centrale et orientale ne peuvent pas entrer immédiatement dans la zone
euro, et que cela pose un problème d'une grande complexité,
compte tenu en particulier de leurs structures de financement très
différentes des nôtres.
En se déclarant conscient que la fixation des parités
d'entrée dans l'euro suscitera des risques de spéculation, il
considère qu'il est nécessaire d'amorcer un processus consensuel,
afin de ne pas créer de surprise.
Quant au rôle assigné à la politique monétaire par
le Traité de Maastricht, il admet qu'il reflète plutôt la
conception allemande selon laquelle cette politique a pour objet
d'éviter l'inflation et non de contribuer à une politique
commerciale. Pour autant, il estime que cette conception n'était pas
différente de celle des Etats-Unis, surtout depuis une trentaine
d'années. Dans ce contexte, l'euro pourra, en prenant un essor
comparable au deutschemark et en s'y substituant, constituer progressivement
une alternative crédible au dollar, celui-ci perdant son monopole,
grâce auquel les Etats-Unis pouvaient jusqu'à présent
financer leurs déficits.
M. Xavier Deniau, député
, s'enquiert des
modalités du contrôle auquel sera soumise la Banque centrale
européenne.
M. Yves-Thibault de Silguy
répond que son statut sera
analogue à celui des banques centrales nationales ; nommés
par le pouvoir politique, ses dirigeants conduiront la politique
monétaire de manière indépendante, sans recevoir
d'instruction de celui-ci.
Cela étant, il précise que les responsables de la Banque centrale
européenne devront rendre compte de leur politique monétaire au
Conseil européen et au Parlement européen, l'absence
d'instruction du pouvoir politique constituant, comme l'illustre l'exemple
allemand, le gage d'une politique monétaire apte à
maîtriser l'inflation.
M. Pierre Fauchon
, après avoir constaté que les
déclarations du Commissaire européen permettent
d'apprécier positivement le déroulement d'un processus historique
pour l'Europe, se déclare toutefois inquiet du divorce entre l'opinion
et les responsables politiques. Se référant aux analyses de la
presse, qui se fait l'écho du pessimisme de l'opinion, il estime que
celle-ci, à tort ou à raison, imputait les sacrifices qui lui
sont demandés et la montée du chômage à la
création de l'euro. Ainsi que l'atteste l'évolution de l'opinion
publique allemande, devenue de moins en moins monolithique sur ce
problème, il existe un grave péril que l'Europe ne soit ressentie
comme étant seulement une construction de nature technique.
Abordant ensuite le livre blanc " croissance, compétitivité,
emploi ", présenté par la Commission européenne en
1993, il regrette que l'idée de grands travaux européens ait
été abandonnée, alors que, selon lui, il serait
parfaitement possible de la concrétiser sans obérer les finances
de la Communauté, en raison du crédit dont elle jouit sur les
marchés financiers.
M. Yves-Thibault de Silguy
fait valoir que les craintes de
l'opinion face à l'euro étaient une spécificité
française, car il ne les avait pas rencontrées dans les autres
Etats membres, telle l'Irlande, où le taux de chômage atteint
pourtant 16 %. Il estime que le problème s'explique, en France, par
un insuffisant effort de communication, faisant ainsi observer qu'il est
davantage invité par la BBC britannique que par les médias
français. C'est pourquoi il juge caricaturaux les liens établis
entre le taux de chômage et la création de l'euro.
M. Robert Pandraud, président
, estime qu'il appartient
également à la Commission européenne d'accomplir un effort
de communication afin de mieux expliquer ses travaux à l'opinion
publique. Il souligne enfin la fâcheuse coïncidence du calendrier de
l'UEM avec les échéances électorales françaises.
M. Yves-Thibault de Silguy
, abordant la question de la date de la
décision relative à la liste des Etats membres qui participeront
à l'euro dès le 1
er
janvier 1999, rappelle que le
Traité la fixait le 30 juin 1998 au plus tard, mais qu'il
était nécessaire, pour des raisons techniques tenant à la
nécessaire préparation des banques centrales nationales et de la
Banque centrale européenne, de l'avancer au plus tôt, sans qu'il
soit techniquement envisageable de remonter avant la fin du mois d'avril. En
tout état de cause, le Conseil informel réunissant les Ministres
des finances et les Gouverneurs des banques centrales, qui se tiendra les 4, 5
et 6 avril prochain à Noordwijk, devra établir un calendrier
très précis, pour ne pas laisser les marchés financiers
dans l'incertitude.