I - ALLOCUTION D'OUVERTURE DE M. René MONORY, Président du Sénat.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je suis très heureux d'ouvrir vos travaux parce que, pour nous, c'est une fierté d'avoir cette Délégation pour la Planification. Vous savez combien j'ai dit et répété en accédant à la Présidence de cette Maison, que je souhaitais l'ouvrir à toutes les formes de réflexion, sur les pays étrangers et sur la prospective. Le message a été entendu, car la plupart des colloques qui se déroulent ici, qu'ils soient ou non d'inspiration sénatoriale, sont en général très près de la prospective. Et même parfois, ceux qui se défendent de faire de la prospective, en font naturellement sans s'en rendre compte, car c'est une activité irremplaçable.

C'est pourquoi je suis très fier de cette Délégation et je souhaite même peut-être dans l'avenir - on en a déjà parlé au Bureau : il y aura certainement une évolution dans nos structures - la renforcer encore sous certaines formes, en l'ouvrant peut-être un peu plus à toutes les tendances... C'est un outil précieux qu'il faudra protéger, conserver, développer. D'ailleurs, nous sommes un peu uniques en notre genre puisque l'Assemblée Nationale n'a pas, à ma connaissance, une Délégation aussi active que la nôtre.

Le terme de "mondialisation" qui est maintenant très souvent utilisé, paraît susciter parfois quelques inquiétudes. Pour ma part, je n'ai aucune inquiétude car la mondialisation est inéluctable. On n'arrête pas la recherche, la création, la dynamique des pays. Il faut s'adapter et ne pas se demander comment arrêter le cours des choses. Il faut au contraire se demander comment les suivre et même les dépasser.

Certes, cette mondialisation n'est pas favorable à toutes les catégories d'activités ou de production. Certaines vont en souffrir alors que d'autres vont se développer. Quand on regarde les chiffres actuels, on constate que l'excédent de notre balance commerciale, dont nous sommes fiers aujourd'hui, se fait beaucoup plus avec les pays émergents qu'avec les pays développés. Cela ne veut pas dire qu'il faille sous-estimer ou négliger les pays développés, mais il est vrai qu'il y a une place à prendre. J'entends souvent le Président de la République dire que l'on doit aller chercher la croissance là où elle se fait. Or, aujourd'hui, ces pays émergents vont prendre de plus en plus d'importance dans le développement mondial. La croissance du monde a approché les 3 % en 1996, et devrait rester, d'après les prévisions du CEPII et de l'OFCE, de cet ordre dans les années à venir.

A cela, s'ajoute le fait que nous ne sommes plus uniquement quelques pays à nous partager cette croissance mondiale. Par conséquent, il est impératif de nous adapter, sinon nous ne ferons pas assez de croissance. C'est malheureusement ce qui nous est arrivé. En effet, depuis 1980, les chiffres révèlent que l'on a oscillé entre 1,4 et 1,5 % de croissance, c'est-à-dire la moitié de celle réalisée par nos voisins, qui ont connu, eux, une croissance de 2,5 ou 3 %. La seule vraie croissance que nous ayons connue, a eu lieu sur une période très courte, entre 1988 et 1989, à la suite des privatisations assez bien réussies en France et au moment de la réunification allemande.

Ne nous faisons pas d'illusions, si nous nous en tenons à ce rythme de croissance, nous rencontrerons des problèmes.

A cet égard, une petite anecdote. Une personne avec laquelle j'évoquais ce sujet récemment, m'a livré cette réflexion toute simple : "Vous avez invité dix personnes à votre table. Vous avez un gâteau pour dix. Ils arrivent à treize. Il y a deux solutions : ou vous partagez le gâteau en treize ou vous faites rapidement un gâteau supplémentaire de trois parts".

C'est une piste de réflexion : la croissance du monde est régulière et de plus en plus forte, mais si, pour notre part, nous continuons à ne pas faire d'effort pour avoir notre part de richesse supplémentaire, nous aurons moins à nous partager. On nous taxe de vouloir réduire les déficits, certes, mais c'est une bonne chose, à mon avis. On nous dit que le pouvoir d'achat n'augmente pas, mais il ne peut pas augmenter sans créer au préalable de la richesse.

Sans vouloir interférer dans vos travaux, je dirai que la première question à poser est la suivante : comment faire de la richesse ? Si l'on ne crée pas davantage de richesse sur le plan mondial et en France, on ne réussira pas à donner satisfaction à ceux qui, légitimement, souhaitent accroître leurs revenus.

Aujourd'hui, les réactions des uns et des autres sont plutôt keynésiennes : augmentation des salaires, réduction du temps de travail, etc. Cela ne me paraît pas être la bonne méthode.

A l'heure actuelle, notre pays souffre du manque d'investissement. Comment peut-on relancer l'investissement, alors que la situation économique le permet, alors que les entreprises ont l'argent pour le faire ? Aujourd'hui, même si la France est endettée, elle ne l'est pas plus que les autres. Il faut trouver le moyen de faire redémarrer cet investissement.

Pardonnez-moi une comparaison qui n'est pas mondiale, mais je dis toujours que la décentralisation doit amener les collectivités à oeuvrer pour la croissance. Il n'y a aucune raison que les collectivité locales, qui jouent un rôle important dans le financement des investissements, ne mènent pas une politique axée sur le développement de la richesse. Il ne s'agit pas simplement d'administrer ou d'aider les plus malheureux, il faut le faire bien sûr, mais plus le gâteau sera large, plus la tâche sera aisée.

C'est la politique que j'ai choisie dans mon département : de 1984 à 1996, j'ai multiplié par cinq l'investissement, alors que les frais de fonctionnement n'ont augmenté que de 60 %. Le Département a de l'argent, il investit, il n'emprunte pas, il baisse ses impôts, ce qui montre bien que l'investissement n'est pas sans importance dans la richesse d'un pays.

Ce dont nous souffrons, en Europe en général, en France en particulier mais aussi en Allemagne - j'en ai parlé récemment avec les proches du Chancelier KOHL -, je le répète, c'est d'un manque d'investissement. Tous les pays qui investissent peu ont une croissance faible et un chômage élevé. En revanche, les pays qui investissent beaucoup ont une croissance élevée et un taux de chômage en baisse.

Je crois donc que dans les prochaines années, il est essentiel, pour notre pays, que nous recherchions les moyens de développer la croissance, de développer la richesse. Il est tout de même dramatique de constater que depuis quinze ans, nous n'avons pas dépassé en moyenne 1,50 % de croissance, alors que dans le même temps, la moyenne mondiale était de 2,80 à 3 % ! C'est-à-dire qu'en moyenne, notre croissance a été inférieure de moitié, chaque année, à la croissance mondiale.

C'est un sujet important sur lequel il faut se pencher.

Par ailleurs, un autre point ne doit pas être négligé, l'essor de l'intelligence et de l'imagination.

Je me déplace souvent à l'étranger car j'estime qu'il est important de voyager - j'appelle cela faire une piqûre de rappel - et d'aller aussi bien dans les pays pauvres que dans les pays riches. Cela permet de voir ce qu'attendent de nous les pays en développement et d'observer les évolutions extrêmement rapides des grands pays développés. Or, ces évolutions rapides n'existent que par l'investissement et par l'innovation.

Personnellement, je suis persuadé que si nous sommes performants dans ces domaines, nous pourrons accroître rapidement notre développement, car il faut innover et trouver des produits nouveaux.

En matière d'emploi, nous devons nous battre non seulement pour les emplois que nous connaissons - et nous devons faire tout notre possible pour les faire évoluer - mais aussi pour les emplois nouveaux, que nous ne connaissons pas et qui sont à notre porte. Or chaque jour, il se crée des emplois nouveaux, à un rythme très rapide. Des emplois que nous ne connaissions pas il y a deux ans, connaissent un grand succès à l'heure actuelle. Nous avons donc beaucoup de travail à faire. Tout en préservant l'existant, il ne faut pas rester tourné vers le passé, il faut vivre avec l'avenir. C'est cela, la prospective.

C'est pourquoi, Monsieur BARBIER, je vous remercie vivement d'animer cette délégation.

Je voudrais en profiter pour vous dire tout le plaisir que j'ai à être avec vous aujourd'hui et de savoir que vous allez travailler sur ces thèmes importants.

Croyez-moi, le Sénat doit être un lieu de réflexion. Nous avons la chance d'avoir des élections qui sont moins fréquentes et moins politisées que celles des députés, ce qui nous laisse le temps de la réflexion. Si nous n'en profitions pas, nous serions coupables.

Je souhaite que vous continuiez dans la même voie, je vous remercie infiniment et je suis persuadé que de vos travaux sortiront des idées qui seront fort utiles et aideront la France à trouver sa vraie place dans le monde, à mon avis, l'une des premières, si elle veut bien s'en donner les moyens, quitte à consentir certains sacrifices.

(Applaudissements)

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