I. UNE PROJECTION DE L'ÉCONOMIE MONDIALE À L'HORIZON 2005, réalisée l'aide du modèle multinational MIMOSA, commun au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) et à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
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Présentation par M. Henri STERDYNIAK (OFCE)
et Mlle Laurence BOONE (CEPII)
M. Henri STERDYNIAK.-
Monsieur le Président, Messieurs les
Sénateurs, Mesdames et Messieurs, je voudrais commencer par remercier M.
le Sénateur BARBIER pour la confiance qu'il nous accorde depuis de
nombreuses années en nous invitant une fois par an à venir
présenter une prévision de l'économie mondiale. Il nous
arrive parfois de nous retourner sur les travaux que nous avons menés
dans le passé, et nous nous apercevons que nous avons commis certaines
erreurs - il y a par exemple de grandes évolutions politiques que nous
n'avons pas prévues -, mais dans l'ensemble, le résultat n'est
pas si mauvais que cela. Malheureusement, il apparaît que nous avons
généralement péché, contrairement à ce qui
avait été dit au moment où nous présentions nos
travaux, en nous montrant trop optimistes par rapport à ce qui s'est
effectivement réalisé, en particulier quant à
l'évolution du chômage en Europe.
J'espère que cette fois-ci, il en sera autrement et que la
réalité sera plus rose que le compte un peu gris que je vais
vous présenter.
Cette année, nous avons choisi d'appeler notre rapport "
La croissance
est ailleurs
", car cela nous semble un sentiment aujourd'hui diffus,
mais
dominant en Europe.
Les zones en développement rapide - l'Asie et certains pays
d'Amérique latine - sont lointaines. Les Etats-Unis ont
réussi depuis cinq ans un rétablissement remarquable,
marqué par le retour et le maintien du plein emploi et sur ces cinq ans,
leur croissance a été supérieure de 5,5 points à
celle de l'Europe.
Au contraire, l'Europe n'a pas récupéré le déficit
de croissance qui s'est creusé dans les années 1991-1993. Les
zones qui entourent l'Europe, se sont enfoncées dans la stagnation
économique, comme l'Afrique, connaissent une très grande
instabilité politique, comme l'Algérie, les Balkans ou la Russie,
ou sont engagées dans une phase délicate de transition.
L'Europe ne peut guère se consoler en regardant le sort du Japon qui
semble, lui aussi, avoir perdu le secret de la croissance et dont le leadership
dans l'innovation économique est de plus en plus remis en cause.
Ce rapport présente une prévision de l'économie mondiale
à l'horizon 2005. Le poids marquant en est une croissance relativement
faible dans les pays de l'OCDE et une croissance mondiale qui provient
essentiellement du dynamisme des zones hors OCDE. Le monde croît, sur les
huit années à venir, à un taux de 3,1 % l'an. La
croissance de l'OCDE et celle de l'Union européenne ne sont que de
2,1 % l'an.
L'Europe, à notre avis, n'est pourtant pas une zone condamnée au
déclin. Il n'y a pas de facteur - nous en discuterons tout à
l'heure - qui amènerait à penser que son potentiel de croissance
est brutalement affaibli, mais il y a un écart qui s'est creusé
et qui se creuse toujours entre son potentiel de croissance et sa croissance
effective. L'Europe souffre de son incapacité à mettre en oeuvre
une stratégie coordonnée de croissance, de redistribution et
d'ouverture. La croissance européenne est engluée dans un cercle
vicieux, marqué par un chômage important, de faibles hausses du
pouvoir d'achat des salaires et des revenus des ménages, des demandes
intérieures atones, des déficits publics élevés et
en même temps, des politiques budgétaires restrictives.
Malgré des éléments favorables, qu'il ne faut pas oublier,
comme la disparition de l'inflation, l'excédent extérieur, la
bonne situation financière des entreprises, la dynamique de la
croissance ne revient pas en Europe dans notre scénario.
Une question récurrente se pose donc : comment retrouver le dynamisme
économique ?
Deux solutions contradictoires sont proposées :
- soit on choisit de libérer les forces de marché, en diminuant
progressivement le poids de l'Etat, les prélèvements
obligatoires, l'Etat-Providence, la législation sociale. On accepte
à court terme un développement des inégalités
sociales, la dégradation de la situation des chômeurs, des
travailleurs non qualifiés et de celle des couches moyennes qui
profitent largement de l'Etat-Providence. On espère ainsi retrouver le
modèle américain qui semble avoir mieux réussi ;
- soit au contraire, on cherche à consolider le modèle social
européen en acceptant des niveaux élevés de
prélèvements obligatoires et de subventionner massivement des
régions, des secteurs économiques et des catégories de
travailleurs en difficulté.
Entre ces deux grands scénarios, l'Europe n'a pas choisi. Elle n'adopte
pas, dans notre prévision, une stratégie économique
offensive. Les politiques économiques sont dictées par le souci
de respecter à tout prix les grands équilibres. Aussi l'Europe ne
retrouve-t-elle pas, dans notre prévision, le chemin de la croissance.
Nous allons commencer par vous présenter trois points qui nous semblent
cruciaux pour la conjoncture de l'année 1997 et des toutes prochaines
années.
1. Les conséquences de la montée du dollar
L'Europe s'est plainte pendant longtemps du bas niveau du
dollar. En avril 1995, le dollar était à un niveau de
1,35 mark et depuis, il s'est apprécié, d'abord lentement,
puis beaucoup plus rapidement dans la dernière période, et le
niveau qu'il atteint actuellement - 1 dollar pour 1,7 mark - correspond,
miraculeusement, au niveau que l'on considère souvent comme le niveau de
parité de pouvoir d'achat, celui qui assure que,
grosso modo
, les
prix à la consommation sont les mêmes aux Etats-Unis et en Europe.
Au total, le dollar a augmenté depuis avril 1995, de 27 %.
Le dollar est soutenu par un niveau de taux d'intérêt plus
élevé qu'en Europe ; il est soutenu aussi par le dynamisme
américain qui fait qu'un certain nombre de capitaux sont attirés
par la rentabilité élevée de ces entreprises.
Par contre, les Etats-Unis continuent à présenter un
déficit courant, de l'ordre de 2 points de PIB, alors que l'Union
européenne dans son ensemble, a un excédent de 1 point de PIB.
Il est très difficile de prévoir ce que va être la
réaction des marchés, donc l'évolution des taux de change.
Il nous a semblé qu'une poursuite d'une bulle spéculative du
dollar n'était pas l'hypothèse la plus probable, en particulier
si, comme le retient notre projection, nous assistons à un croissance
plus nette en Europe dans les années 97-98, à un certain
ralentissement aux Etats-Unis et puis à la fin des doutes sur l'Union
économique et monétaire.
Aussi dans notre prévision, le dollar se stabilise-t-il à un
niveau intermédiaire, de l'ordre de 1 dollar pour 1,5 Mark,
soit 5,3 F.
Cette hausse du dollar va avoir un impact favorable sur les économies
européennes. C'est la raison pour laquelle nous avons
étudié, avec le modèle MIMOSA, l'impact de
l'appréciation du dollar ; une appréciation du dollar qui est,
grosso modo
, de 10 % en 1997 par rapport au niveau de 1996 (voir
Tableau 3, Thème 2).
Cette appréciation du dollar se traduit par une hausse du niveau de
production en Europe qui est, en 1997, d'environ 0,5 point de PIB. Il y
donc un léger mieux en Europe, qui, dans notre simulation, est
concentré sur l'année 1997. Ce mieux est appréciable, mais
cela ne résout pas pour autant les problèmes européens,
qui ne résident pas exclusivement dans le niveau du dollar.
On observe également que cela entraîne un léger choc
inflationniste en Europe, de l'ordre de 0,4 point l'an en 1997 et en 1998, et
du coup, une réaction des autorités monétaires qui
augmentent un peu les taux d'intérêt, de l'ordre de 0,4 à
0,5 point, ce qui tend à limiter l'effet de l'appréciation du
dollar. C'est ce qui explique que nos chiffres sont un peu plus bas que ceux
d'autres études qui ne prennent pas en compte cette hausse des taux
d'intérêt.