G. EXAMEN DU RAPPORT D'INFORMATION DE M. PIERRE FAUCHON SUR " LA REFORME DU TROISIEME PILIER DE L'UNION EUROPEENNE : VERS LA CONSTRUCTION D'UN ESPACE JUDICIAIRE EUROPEEN "
Le mardi 3 juin 1997, la délégation a examiné le rapport d'information de M. Pierre Fauchon sur " la réforme du troisième pilier de l'Union européenne : vers la construction d'un espace judiciaire européen ".
M. Pierre Fauchon précise tout d'abord les grandes lignes de la réforme du troisième pilier qui devrait être décidée à Amsterdam :
- tout d'abord, les accords de Schengen seront intégrés au traité sur l'Union européenne, sous la forme d'un protocole annexé qui organisera une " coopération renforcée " sur la base de " l'acquis de Schengen " (le Royaume-Uni et l'Irlande restant en dehors de ce processus) ;
- ensuite, des matières relevant du troisième pilier seront communautarisées ; il s'agit des règles ayant trait à la libre circulation des personnes : politique d'asile et d'immigration, règles pour le franchissement des frontières intérieures et extérieures ;
- enfin, il est prévu de renforcer le troisième pilier, pour donner plus d'efficacité à la coopération judiciaire et policière dans la lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme, la drogue, le blanchiment des capitaux.
M. Pierre Fauchon indique qu'il a concentré son rapport sur le renforcement du troisième pilier. Il souligne que la criminalité transfrontalière s'appuie sur l'absence de riposte commune des Etats. Ainsi, certains Etats s'abstiennent de combattre des groupes terroristes qui ont une base logistique sur leur territoire, mais qui commettent leurs attentats dans un autre Etat membre ; de même, la législation de certains Etats membres rend très difficile, ou très longue, la levée du secret bancaire et, dans certains cas, leurs autorités ne paraissent pas empressées de participer à la lutte contre le blanchiment des capitaux ; de même encore, la lutte contre le crime organisé est entravée par l'exigence d'une double incrimination pour une extradition ; autre exemple : le " cavalier seul " d'un Etat membre suffit à gêner la lutte anti-drogue dans l'ensemble de l'Union.
Le rapporteur estime ensuite que les réponses intergouvernementales ne sont pas à la hauteur du problème. Les structures de coordination foisonnent et les niveaux de négociation sont trop nombreux ; dans un même domaine, les différentes mesures à prendre relèvent souvent de procédures de décision différentes ; l'exigence d'unanimité aboutit à une extrême lenteur des travaux. Ainsi, alors que le troisième pilier fonctionne officiellement depuis trois ans et demi, aucune des conventions adoptées n'est encore en vigueur, faute d'une ratification par l'ensemble des Etats membres. Le Conseil a certes adopté un certain nombre d'actions communes, mais celles-ci se ramènent, pour l'essentiel, à des échanges d'informations et de connaissances techniques, et à des programmes d'échanges de fonctionnaires ; enfin, les procédures prévues par le traité pour se rapprocher de la méthode de décision communautaire n'ont pas été utilisées.
Puis M. Pierre Fauchon estime qu'une lutte efficace contre la délinquance internationale passe par une harmonisation des dispositions pénales applicables aux formes de criminalité ayant une dimension transfrontalière, et par la création d'un ministère public européen, qui pourrait engager des actions sur tout le territoire de l'Union. Les infractions resteraient jugées par les juridictions compétentes des Etats membres ; la Cour de justice serait là pour assurer l'unité d'interprétation des dispositions pénales communautaires, résoudre les différends éventuels concernant leur application et trancher les conflits de compétence.
Le rapporteur propose ensuite un schéma pour l'élaboration d'un droit pénal commun, soulignant la nécessité de s'appuyer notamment sur les commissions compétentes des Parlements nationaux. En effet, poursuit-il, le droit pénal est un domaine où il ne s'agit pas d'agréger des intérêts, mais de trancher des questions de principe ; il est donc particulièrement utile que les parlementaires nationaux puissent confronter leurs points de vue et s'exprimer collectivement. Une telle consultation permettrait également de vérifier le bien-fondé de l'idée fréquemment alléguée selon laquelle les questions concernées relèvent de prérogatives nationales intangibles. Cette association des Parlements nationaux pourrait prendre la forme d'un comité consultatif préparatoire qui serait rattaché à la COSAC, celle-ci étant l'unique organe où sont représentés tous les Parlements nationaux, avec également une délégation du Parlement européen. A ce comité participeraient des parlementaires nationaux et européens issus des commissions compétentes, auxquels s'adjoindraient des experts des Etats membres et des personnalités désignées par la Commission européenne. Ce comité devrait en particulier approfondir les problèmes posés par la création d'un ministère public unique et la définition unifiée des délits.
Enfin, M. Pierre Fauchon aborde l'état actuel des négociations de la CIG. Il indique que trois grandes orientations étaient retenues pour améliorer l'efficacité du troisième pilier :
- tout d'abord, une redéfinition de son domaine : allégé des questions de libre circulation, le troisième pilier recevrait de nouvelles compétences (la lutte contre la corruption de dimension internationale ; les politiques et règles en matière de lutte contre la criminalité organisée ; la lutte contre le racisme et la xénophobie ; la lutte contre le trafic de drogue en tant qu'objectif à part entière ; la lutte contre la traite d'êtres humains et les crimes contre les enfants) ;
- ensuite, un renforcement des instruments disponibles : le Conseil pourrait adopter des décisions-cadres visant à rapprocher les législations, y compris en matière pénale, et établir des conventions qui, dès lors qu'elles auraient été adoptées par une majorité des Etats membres, s'appliqueraient à ces mêmes Etats ; par ailleurs, Europol serait doté de compétences opérationnelles ;
- enfin, des dispositions permettraient, sous certaines conditions, à une partie des Etats membres d'organiser entre eux des " coopérations renforcées " pour la mise en oeuvre des objectifs du troisième pilier.
Le rapporteur estime que ces orientations comportaient des aspects positifs, mais que le compromis proposé par la présidence néerlandaise comportait certaines lacunes :
- les " décisions-cadres " prévues concernent uniquement l'harmonisation des dispositions pénales ; la procédure pénale n'est pas concernée et la base pour la création d'un ministère public européen continue à faire défaut ; la coopération judiciaire reste donc contenue dans un cadre intergouvernemental ;
- le texte précise que les décisions-cadres " ne contiennent pas de dispositions dont le contenu pourrait entraîner un effet direct " ce qui limite la portée unificatrice qu'elles pourraient avoir ;
- surtout, le texte ne précise pas si les décisions-cadres sont adoptées par le Conseil à la majorité qualifiée ou à l'unanimité ; la même incertitude subsiste sur les modalités de l'autorisation de mettre en place des coopérations renforcées ;
- enfin, le texte reste muet sur la consultation des Parlements nationaux, qui n'est mentionnée que " pour mémoire ".
Le rapporteur souligne que la France a proposé des amendements au texte de la présidence néerlandaise. Ces amendements prévoient notamment de donner clairement compétence au Conseil pour adopter à la majorité qualifiée " des mesures visant à l'harmonisation progressive des incriminations et des sanctions dans les domaines de la criminalité organisée transnationale, du terrorisme, de la consommation et du trafic de drogue ". Ces mesures établiraient " les prescriptions minimales applicables progressivement sans préjudice des conditions et dispositions plus contraignantes en vigueur dans ces Etats ".
Le rapporteur se félicite de l'accent mis par les négociateurs français sur l'harmonisation des dispositions pénales, mais regrette que cette démarche n'ait pas été étendue à la procédure pénale, où des raisons tout aussi fortes militent en faveur d'un minimum d'harmonisation. Il approuve la volonté du Gouvernement de permettre une expression collective des Parlements nationaux sur les questions relevant du troisième pilier, qui s'effectuerait dans le cadre de la COSAC. Il précise que, dans ce cas précis, la COSAC devrait être composée de manière à assurer la représentation des commissions compétentes.
Concluant son propos, M. Pierre Fauchon estime qu'on ne parviendra à lutter avec l'efficacité requise contre la criminalité transnationale que par une véritable unification du droit et des procédures : à la "communautarisation " de fait du crime peut seule répondre la communautarisation de la répression. Puis il exprime la crainte que la CIG ne marque qu'un progrès limité dans ce sens, alors qu'un " saut qualitatif " serait nécessaire pour se retrouver à la hauteur des problèmes à résoudre. Il ajoute que, si cette crainte était confirmée, alors il conviendrait d'envisager le lancement de " coopérations renforcées " pour entamer la mise en place effective d'un espace judiciaire européen.
Après un large débat, la délégation a autorisé la publication du rapport d'information de M. Pierre Fauchon .
Le rapport de M. Pierre Fauchon :
" Vers la construction d'un espace judiciaire européen "
a été publié sous le n° 352 (1996-1997).