ANNEXE 5 -
COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DE LA MISSION D'INFORMATION
DU 3 OCTOBRE 1996
M. Charles Jolibois, président,
a
rappelé que la réunion avait pour objet de débattre les
orientations générales du futur rapport de la mission
d'information.
M. Pierre Fauchon, rapporteur,
a tout d'abord fait le bilan des
auditions, des déplacements et des réponses reçues au
questionnaire envoyé aux juridictions. Il a indiqué que celles-ci
avaient marqué leur intérêt pour cette consultation, tant
par leur taux de réponse élevé (supérieur à
80 % pour les cours d'appel et à 60 % pour les TGI) que par la
qualité de leurs observations souvent accompagnées de riches
annexes.
Au terme de sept mois de travaux, il a dressé le constat d'une justice
semi-paralysée anticipant sur l'embolie prédite par le Garde des
Sceaux pour la fin du millénaire.
Au pénal, les juridictions débordées se protègent
en classant sans suite, au civil, on ne plaide plus que par observations ou
l'on audience à plusieurs années. Ainsi, certains chefs de
juridictions peuvent-ils estimer que "
la justice va se
fracasser
".
Le rapporteur a ensuite passé en revue les solutions soumises à
la mission par ses divers interlocuteurs. Celles-ci envisagent aussi bien
l'évolution de la carte judiciaire que le redéploiement des
moyens ou les réformes de procédure dès lors qu'elles
faciliteraient le traitement des affaires et recentreraient les missions du
juge sans exiger de nouveaux moyens.
Abordant les propositions qui pourraient être celles de la mission, il a
indiqué que celles-ci devraient dépasser non seulement le cadre
de l'exercice budgétaire 1997/1998, mais également celui de la
loi de programme. Trois thèmes lui ont paru devoir retenir l'attention
des membres de la mission : l'évolution de la carte judiciaire, la
réflexion sur le métier de juge et le traitement du contentieux
de masse.
Sur la carte judiciaire,
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a
indiqué qu'elle résultait d'un héritage ancien ne tenant
que faiblement compte de la démographie, de l'économie et des
déplacements de flux. Ainsi les adaptations limitées auxquelles
il a été procédé n'ont-elles pas permis
d'éviter l'apparition de disparités de taille importantes entre
juridictions du même type. Ces disparités n'ont pas
d'inconvénients dans l'absolu sauf lorsqu'elles conduisent au maintien
de juridictions recevant un volume d'affaires insuffisant pour permettre un
traitement approprié d'un contentieux devenu très
diversifié. A l'inverse, à l'autre bout du spectre, certaines
cours d'appel ne peuvent plus faire face à l'afflux du contentieux.
Dès lors qu'une politique de rigueur budgétaire implique de faire
des choix, la question de la suppression de certaines juridictions au
bénéfice du renforcement de certaines autres doit donc être
posée.
En réponse à une question de M. François Giacobbi,
M.
Pierre Fauchon, rapporteur,
a précisé que les audiences
foraines pouvaient permettre de maintenir une présence judiciaire
équivalente, d'autant que les magistrats résident de moins en
moins sur leur lieu d'affectation.
M. Michel Rufin
a attiré l'attention de la mission sur les
spécificités des juridictions pour enfants, pour lesquelles la
proximité apparaît primordiale aux maires. Il a estimé que
les audiences foraines étaient lourdes à organiser car elles
impliquaient le transport du dossier.
Après que
M. Pierre Fauchon
eût souligné que la
diffusion généralisée des statistiques conduit
désormais les juridictions à se comparer entre elles et que les
inégalités de charge de travail pouvaient être à
l'origine d'une démoralisation de certains magistrats,
M. Charles Jolibois, président
, a rappelé que lors
des déplacements de la mission plusieurs barreaux avaient indiqué
que la survie de certains tribunaux dépendait parfois du travail d'un
seul magistrat particulièrement motivé.
M. Guy Allouche
s'est déclaré frappé par la
faiblesse des économies à attendre, selon le Garde des sceaux,
d'une adaptation de la carte judiciaire et s'est inquiété de ses
conséquences en matière d'aménagement du territoire.
M. François Giacobbi
a estimé souhaitable de prendre en
compte l'évolution des modes de transport pour actualiser la notion de
proximité.
M. Pierre Fauchon
s'est prononcé pour l'établissement
d'une carte théorique répondant aux besoins actuels, laquelle
permettrait d'envisager un processus d'évolution pour les dix à
vingt ans à venir. Il a estimé qu'en période de
pénurie de moyens, il n'était pas souhaitable d'entretenir des
surnombres. Il a rappelé que le rapport Carrez avait fourni des
éléments de référence précis en la
matière mais que d'autres critères pouvaient être pris en
compte au besoin.
En réponse à
MM. Guy Allouche et Jean-Jacques Hyest
,
MM. Pierre Fauchon, François Giacobbi
et
Charles Jolibois
ont précisé que le nombre des avocats s'était
adapté localement aux variations du flux du contentieux.
M. Pierre Fauchon
a ensuite indiqué que, quelles que soient les
décisions prises en matière de carte judiciaire, des
redéploiements d'effectifs devraient être effectués et que
ceux-ci poseraient la question du principe de l'inamovibilité des
magistrats de siège. Il a indiqué qu'à ses yeux, les
modalités de mise en oeuvre de ce principe constitutionnel pouvaient
évoluer dès lors que le rôle joué désormais
par le Conseil supérieur de la magistrature apportait de nouvelles
garanties de respect de l'indépendance des magistrats. Dans la mesure
où des aides au déménagement pourraient être
envisagées, la mise en oeuvre d'un plafonnement de la durée
d'affectation des magistrats pourrait faciliter les redéploiements et
plus généralement réduire certains freins à la
mobilité qui entraînent des vacances de postes
" frictionnelles ".
MM. Jean-Jacques Hyest
et
François Giacobbi
se sont
déclarés réservés à l'égard des
mesures susceptibles d'affecter l'inamovibilité.
M. Michel Rufin,
soulignant la féminisation croissante du corps des magistrats, a
estimé que celle-ci accroissait l'immobilité, en raison des
contraintes professionnelles des conjoints.
M. Guy Allouche
a jugé que si l'analyse historique des flux
conduisait à une évolution de la carte, par cohérence, la
réflexion devrait également porter sur l'assouplissement de la
mobilité.
M. Charles Jolibois
a indiqué que des soupapes au
" dogme " de l'inamovibilité pourraient permettre
d'éviter la paralysie de certaines juridictions pour des motifs
personnels.
M. Guy Allouche
a approuvé cette conception dès lors que
le contrôle du Conseil supérieur de la magistrature s'exercerait
et que la mobilité se ferait dans l'intérêt de la justice.
M. François Giacobbi
s'est prononcé pour le maintien du
principe de l'inamovibilité et pour des incitations matérielles
à la mobilité établies en concertation avec les magistrats.
M. Jean-Jacques Hyest
a estimé qu'il fallait éviter deux
écueils : l'intervention du pouvoir politique d'une part, le
corporatisme d'autre part.
Il a marqué sa préférence pour des changements de
fonction à l'intérieur d'une même juridiction et pour le
développement des magistrats placés plutôt que pour la
fixation d'une durée maximum d'affectation. Il a souhaité que le
Conseil supérieur de la magistrature prenne ses responsabilités
en matière de mobilité lorsque les circonstances de la vie ne
permettent plus à un magistrat d'exercer ses fonctions.
M. Charles Jolibois
a indiqué qu'il serait également
envisageable de distinguer le cas du chef de juridiction de celui des autres
magistrats.
M. Pierre Fauchon,
prenant acte de ces réflexions, a
estimé que la fixation d'une durée maximale ne porterait pas
atteinte à l'inamovibilité dans la mesure où elle aurait
le caractère d'une règle générale et non d'une
sanction particulière. Il a indiqué que pour lui la question ne
se limitait pas aux chefs de juridiction, dans l'ensemble bien recrutés,
mais qu'elle se posait davantage pour les présidents de chambre, voire
pour les magistrats ne " rendant " pas leurs dossiers.
M. François Giacobbi
s'est prononcé en faveur de
l'intervention du Conseil supérieur de la magistrature pour
résoudre ces situations.
M. Pierre Fauchon
a estimé que les encouragements à la
mobilité pouvaient être développés et que,
n'était le problème du recrutement et des limites liées
à l'inamovibilité, le nombre des magistrats placés devrait
être doublé ou triplé.
Il a ensuite indiqué que le télétravail pourrait
être développé, qu'une meilleure gestion des mouvements
était nécessaire, ainsi que la compensation intégrale des
temps partiels.
M. Jean-Jacques Hyest
a rappelé l'échec d'une tentative
d'aménagement de la " transparence ", laquelle impose un
délai de publication de la vacance avant que n'intervienne la nomination.
M. Pierre Fauchon
a ensuite abordé le volet des aides à
apporter aux magistrats. Il s'est prononcé pour la multiplication au
sein des cours d'appel et des TGI des assistants, dans leur statut actuel,
compte tenu des réactions favorables rencontrées lors des
déplacements dans les juridictions.
M. François Giacobbi
s'y est déclaré
très favorable. Il a toutefois estimé, avec
M. Guy
Allouche
, que leur rémunération actuelle était
insuffisante.
En matière de gestion, compte tenu de la pénurie de moyens et
malgré le souhait, rappelé par
M. François
Giacobbi,
des magistrats ou greffiers en chefs de conserver en propre cette
compétence,
M. Pierre Fauchon
s'est interrogé sur la
possibilité de confier la gestion administrative des juridictions
à des fonctionnaires non judiciaires placés sous
l'autorité des magistrats.
M. François Giacobbi
s'est rallié à cette
proposition.
En matière d'informatique,
M. Pierre Fauchon
a rappelé
que s'il ne fallait pas attendre d'importants gains de productivité de
la poursuite de l'informatisation, celle-ci devait être orientée
vers une harmonisation des matériels et des procédures et vers
l'amélioration des bases documentaires mises à la disposition des
magistrats. Il s'est prononcé pour le retour à une gestion du
petit matériel informatique déconcentrée au niveau des
juridictions.
A propos de réformes de structure,
M. Pierre Fauchon
a
rappelé que la question du domaine du juge unique restait très
débattue parmi les interlocuteurs de la mission, lesquels se prononcent
en tout état de cause pour le maintien de la collégialité
en appel. Après que
M. Guy Allouche
eut rappelé
l'opposition du groupe socialiste au développemement du juge unique,
M. Pierre Fauchon
a estimé peu souhaitable d'étendre son
domaine.
MM. François Giacobbi et Michel Rufin
se sont
prononcés pour le maintien de la collégialité en appel et
l'unicité du juge en première instance.
M. Guy Allouche
a estimé indispensable le maintien de la
collégialité en appel et a indiqué qu'à
l'expérience le juge unique était adapté pour certaines
affaires mais que certains magistrats souhaiteraient pouvoir consulter un
collègue et auraient constaté que le nombre des appels serait
plus important à l'égard des décisions prononcées
par un juge unique, lesquelles seraient moins bien acceptées par le
justiciable.
M. Charles Jolibois
a déclaré accepter le principe du
juge unique en première instance sauf exception.
M. Jean-Jacques Hyest
a rappelé qu'en première instance
au civil la moitié des affaires porte sur le contentieux familial
renvoyé au JAF.
Il s'est interrogé sur la possibilité d'élever le seuil
de compétences des tribunaux d'instance et s'est déclaré
réservé sur une distinction juge unique en première
instance/collégialité en appel, tant sur le principe qu'en raison
du risque de multiplication des appels. Au pénal, il a estimé
difficile d'aller plus loin.
A l'issue de ces interventions
M.
Pierre Fauchon
a conclu au
statu quo en la matière.
M. Pierre Fauchon
ayant fait part à la mission des propositions
de la conférence des premiers présidents de Cour d'appel pour
harmoniser les modes de saisine et la présentation des conclusions des
parties ainsi que pour simplifier la motivation des décisions en
permettant un renvoi à ces conclusions,
MM. Charles Jolibois
et
Jean-Jacques Hyest
se sont montrés réservés sur un
tel renvoi.
A la demande de
MM. Jean-Jacques Hyest
et
Michel Rufin
,
M. Pierre Fauchon
a indiqué que l'on pouvait espérer
des gains de productivité en simplifiant les procédures civiles,
notamment en matière de saisie immobilière. Au pénal, au
sujet du traitement direct des infractions, le rapporteur a rappelé que,
si cette méthode accélérait utilement la réponse
donnée à la délinquance, elle ne résolvait pas
l'engorgement des formations de jugement.
En matière de transfert de compétences,
MM. Pierre Fauchon,
François Giacobbi, Jean-Jacques Hyest, Michel Rufin
et
Charles
Jolibois
ne se sont pas montrés favorables aux propositions de
renvoi à un officier d'état civil ou à un notaire de
certains divorces.
M. Guy Allouche
a indiqué que dans ce cas
le renvoi à un juge unique était acceptable. De même sur la
conduite en état d'ivresse,
MM. Jean-Jacques Hyest, Pierre Fauchon et
François Giacobbi
ont estimé que dès lors que des
amendes pouvaient être prononcées le maintien de la
compétence du juge était préférable.
La mission a insisté pour que soit réduit le nombre des
participations de magistrats à des commissions extrajuridictionnelles.
S'agissant des mesures susceptibles de réduire les abus de recours
à la justice,
M. Pierre Fauchon
a soumis à la mission
plusieurs propositions.
MM. François Giacobbi, Jean-Jacques Hyest et Charles
Jolibois
se sont prononcés pour l'extension de la
représentation obligatoire par un avocat. La mission a estimé
souhaitable l'amélioration de l'information des justiciables, notamment
demandeurs de l'aide juridictionnelle, sur les conséquences d'un
échec de la procédure qu'ils intentent.
M. Charles Jolibois
s'est prononcé pour le renforcement des
motifs de rejet de l'aide juridictionnelle.
M. François Giacobbi
a souhaité voir renforcer les sanctions en cas de recours abusif,
M. Jean-Jacques Hyest
se prononçant pour l'application stricte du
texte existant.
La mission s'est prononcée pour l'interdiction des demandes nouvelles
en appel et la création d'un filtre des pourvois en cassation.
M. Pierre Fauchon, rapporteur
, a souhaité que la mission fasse
des propositions pour le traitement du contentieux de masse, lequel est
à l'heure actuelle examiné dans de mauvaises conditions qui se
répercutent également sur le suivi des affaires complexes. Il a
estimé que la création d'un niveau préalable de
" médiation " permettrait de traiter une fraction importante
de ce contentieux sous le contrôle des magistrats.
Se référant aux propositions de la conférence des
premiers présidents de Cour d'appel, ainsi qu'à ses constatations
lors des déplacements de la mission, il a estimé que ces
médiations pourraient être effectuées par des personnes
correspondant au profil des magistrats à titre temporaire.
M. Michel Rufin
a rappelé que lors de l'examen d'un
précédent projet de loi, M. le président Jacques
Larché avait craint qu'un tel dispositif ne favorise la multiplication
de cabinets de médiateurs-conciliateurs ne donnant pas toutes les
garanties nécessaires en la matière.
M. Pierre Fauchon
a
indiqué qu'il ne souhaitait pas voir confier cette mission à des
éléments extérieurs aux juridictions et qu'il pensait
davantage aux juges de paix tels qu'ils fonctionnaient au début du
XIXème siècle et envisageait l'intervention des avocats dans
cette procédure avec une extension corrélative de l'aide
juridictionnelle pour en assurer le succès.
Sous ces conditions,
MM. François Giacobbi, Michel Rufin et
Jean-Jacques Hyest
ont accueilli favorablement cette proposition.
Concluant cette réunion,
M. Charles Jolibois, président
,
a rappelé le souci des magistrats de voir établie la
" facture " de toute nouvelle réforme et d'éviter la
mise en oeuvre sans moyens d'innovations qui ne permettraient pas
d'améliorer le traitement du flux.