III. QUELQUES THÈMES DE RÉFLEXION SUR LE MOYEN TERME
A. L'ÉVOLUTION DES SALAIRES
Selon la plupart des modèles macroéconomiques,
l'évolution du pouvoir d'achat des
salaires
dépend de la
variation du
chômage
: une augmentation du chômage
entraîne ainsi une moindre progression du pouvoir d'achat des salaires
(et une baisse du chômage, une progression plus forte des salaires).
Cette relation (dite " de Phillips "), particulièrement
" robuste " du point de vue de l'économétrie, et qui
traduit le fait que le niveau du chômage inhibe les revendications des
salariés (ou qu'au contraire une détente sur le marché du
travail les stimule), joue un rôle de premier plan dans les
modèles macroéconomiques. Ainsi s'explique l'
atonie de la
demande interne
, et finalement celle de la croissance, que mettent en
évidence les projections.
Il serait donc intéressant de simuler les effets à moyen terme
que pourrait avoir une politique salariale accommodante, de nature à
desserrer la contrainte que fait peser le chômage (non sans s'être
interrogé sur les
moyens
d'une "
politique salariale
accommodante
" dans un domaine où les mécanismes de
marché paraissent déterminants
10(
*
)
).
La réponse apportée par le modèle MOSAÏQUE comme par
la plupart des modèles est, à cet égard, assez
paradoxale
: alors que dans les projections de
référence, la croissance est freinée par le faible
dynamisme des salaires, une
variante
de hausse plus rapide des salaires
n'aurait pas d'incidence positive sur l'activité ; au terme d'un
certain délai (2 à 3 ans), elle aurait même des effets
récessifs
.
Ceux-ci s'expliquent par le fait que, d'après le modèle, une
augmentation des salaires a spontanément un effet
inflationniste
à très court terme. Dès lors, la réaction de la
consommation à l'accroissement des revenus salariaux des ménages
est limitée par la hausse des taux d'épargne, consécutive
au surcroît d'inflation. Par ailleurs, la hausse des prix dégrade
la
compétitivité
et ralentit les exportations. Enfin,
l'investissement des entreprises est également freiné par
l'augmentation plus rapide des salaires, en raison de la dégradation de
leur taux de marge.
Comment dès lors expliquer que nombre d'économistes, et souvent
de modélisateurs eux-mêmes, soient enclins à
considérer qu'une progression un peu plus rapide des salaires -
c'est-à-dire égale à celle de la
productivité du
travail
, ce qui permet la
stabilisation du partage
salaires/profits
- serait favorable à la croissance ? Deux réponses peuvent
être avancées :
- tout d'abord, les modèles n'ont jamais observé historiquement
de période d'inflation aussi faible que celle constatée
actuellement, ni de situation financière des entreprises
macroéconomiquement aussi " confortable ". Peut-être
surestiment-ils ainsi les effets inflationnistes que pourrait avoir, dans les
circonstances actuelles, un surcroît d'augmentation des salaires. Si
les
prix
ne suivaient pas
aussi rapidement
l'augmentation des
salaires
que ne l'indiquent les modèles, ses
effets positifs
sur l'activité seraient dès lors
accrus
;
- par ailleurs, les effets récessifs - selon les modèles - d'une
augmentation plus rapide des salaires transitent notamment par les pertes de
compétitivité qui en résultent. Ceci illustre le
phénomène d'interdépendance des économies
européennes et explique un aspect de la " prime aux politiques
nationales
restrictives
" dans le cadre européen - deux
thèmes sur lesquels votre Délégation a souvent
insisté - : si un pays veut relancer sa croissance
économique, une part importante des effets
favorables
de sa
politique ne va pas apparaître chez lui, mais chez ses
voisins
; par contre, il en supportera
intégralement
les effets
défavorables
. (Ainsi pourraient s'expliquer
rétrospectivement les difficultés rencontrées par
l'Allemagne, à la suite des augmentations de salaires de 1995).
Dès lors, chaque pays européen a
individuellement
intérêt à ce que les salaires évoluent chez lui
à la fois
moins vite
que chez ses
voisins
, et moins vite
que la productivité du travail, afin de " gagner " en
compétitivité et en croissance.
Mais,
collectivement c'est une illusion
: si tous les pays
pratiquent une politique salariale restrictive (et ont des comportements plus
compétitifs que coopératifs), ils en supportent bien tous le
coût.
Alors que si l'augmentation des salaires était un peu plus rapide dans
tous
les pays européens, tous bénéficieraient d'un
surcroît d'activité
11(
*
)
:
dans cette hypothèse en
effet, la question des
pertes de compétitivité au niveau
intra-européen
ne se pose plus et, compte tenu du faible
degré d'ouverture de l'ensemble européen, les conséquences
de pertes de compétitivité par rapport au reste du monde sont
marginales.
L'espace européen connaît aujourd'hui une situation de sous-emploi
et d'
excédent courant
: une augmentation un peu plus rapide
des salaires dans tous les pays européens pourrait ainsi rapprocher de
l'optimum économique. Comment y parvenir est cependant une question qui
déborde du champ de la réflexion économique.