INTRODUCTION

Au cours des mois de juillet, août, septembre et octobre 1996, la délégation du Sénat pour l'Union européenne a continué à suivre les travaux de la Conférence intergouvernementale. Elle a également abordé la politique commerciale de la Communauté, et s'est prononcée sur la question du maintien de l'heure d'été. Enfin, elle a poursuivi son examen systématique des propositions d'actes communautaires soumises au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution.

I. LA PREPARATION DE LA CONFERENCE INTERGOUVERNEMENTALE

A. AUDITION DE M. MICHEL BARNIER

Le jeudi 3 octobre 1996, la délégation a entendu M. Michel Barnier, ministre délégué aux Affaires européennes, sur les travaux de la Conférence intergouvernementale (CIG).

M. Michel Barnier évoque tout d'abord l'évolution générale de la négociation. Beaucoup d'observateurs, reconnaît-il, expriment leur impatience : mais une négociation à quinze en vue d'un accord unanime ne peut être rapide. Depuis quelques semaines, la négociation sur le fond a véritablement commencé. Le Conseil européen de Dublin sera amené à préciser le niveau d'ambition de la CIG. La France, pour sa part, n'a pas renoncé à ses objectifs et persiste à considérer l'approfondissement de l'Union comme un préalable à son élargissement.

Le ministre expose alors l'état d'avancement des négociations. Les questions institutionnelles, pour lesquelles la France et l'Allemagne travaillent beaucoup en commun, ne sont ni populaires ni toujours compréhensibles pour les citoyens, mais elles conditionnent le fonctionnement d'une Union élargie. A ce sujet, la délégation allemande a récemment rejoint la France pour établir une liaison entre l'extension du vote à la majorité qualifiée, la définition d'une nouvelle pondération des votes au Conseil et la mise en place d'une Commission resserrée. Sur le rôle des Parlements nationaux, un certain progrès peut être observé, notamment en ce qui concerne leur consultation en amont dans le cadre du troisième pilier ; leur accorder un rôle en matière de subsidiarité suscite plus de réticence.

Passant à la politique extérieure et de sécurité commune (PESC), le ministre estime que la nécessité de donner à celle-ci " un visage et une voix " est aujourd'hui mieux reconnue, mais qu'il n'existe cependant pas pour l'instant d'accord ni sur le statut d'un " Monsieur ou Madame PESC ", ni sur l'idée de placer cette personnalité sous le contrôle du Conseil européen. Or la France estime que c'est le Conseil européen qui doit donner l'impulsion politique en ce domaine et que c'est donc du Conseil européen que ce " Monsieur ou Madame PESC " doit tirer sa légitimité et sa crédibilité.

Evoquant le troisième pilier, M. Michel Barnier indique que la France refuse l'approche idéologique consistant à plaider par principe pour le maintien de structures intergouvernementales ou pour le passage au système communautaire, et propose une approche pragmatique. Pour l'immigration, le droit d'asile, les visas, le terrorisme, le trafic de drogue, le grand banditisme, le blanchiment de l'argent, la CIG devrait définir les concepts et les objectifs et définir un calendrier d'application. Pour la France, le mécanisme de décision du troisième pilier rénové doit comporter un double droit d'initiative -Commission et Etats membres- ainsi que la consultation et l'association des Parlements nationaux ; des instruments juridiques nouveaux sont également envisageables. En tout état de cause, la mise en oeuvre d'une plus grande liberté de circulation doit être liée de manière précise à une plus grande sécurité.

Le ministre traite ensuite de la flexibilité, pour laquelle la réflexion franco-allemande se poursuit. La mise en place de coopérations renforcées est déjà une réalité, souligne t-il ; certaines sont dans le Traité (Union économique et monétaire), d'autres en annexe du Traité (protocole social), d'autres encore en dehors du Traité (Schengen). Or le recours à cette formule sera encore plus nécessaire dans une Union élargie. La flexibilité est donc inéluctable : le problème n'est pas de plaider pour ou contre les coopérations renforcées, mais de savoir si elles s'organiseront dans l'Union ou en dehors d'elle.

S'agissant de la subsidiarité, M. Michel Barnier estime que les positions se sont quelque peu rapprochées. L'intégration au Traité, sous forme de protocole, de la déclaration adoptée par le Conseil européen d'Edimbourg est envisagée. La France plaide pour une intervention des Parlements nationaux, et, à propos des directives, pour un retour à la conception que l'on avait initialement de celles-ci.

Puis le ministre présente les objectifs du texte soumis à la CIG par la France au sujet des services publics. Il s'agit, précise t-il, de rééquilibrer le Traité en tenant compte de la jurisprudence de la Cour de Justice et des déclarations adoptées par le Conseil européen. Sans doute y-a-t-il des oppositions à ce que l'on précise et complète l'article 90 du Traité, ainsi que le souhaite la France, mais cette idée progresse, malgré la vigueur de l'opposition britannique.

Abordant la question d'un éventuel chapitre sur l'emploi, M. Michel Barnier déclare que la France persiste à refuser l'incantation et la bureaucratie, mais est favorable à ce que le Traité inscrive plus nettement l'emploi parmi les objectifs de la Communauté et à ce que l'on réoriente les fonds structurels dans ce sens.

Il précise que la réflexion se poursuit sur l'évolution de la Cour de Justice. A l'échelon national, le Premier ministre réfléchit aux propositions du Parlement sur le contrôle de constitutionnalité du droit dérivé ; de plus, le Premier ministre fera connaître prochainement ses suggestions pour améliorer les relations entre le Gouvernement et le Parlement dans cette nouvelle phase de la construction européenne.

S'agissant enfin des DOM-TOM, il indique que l'Espagne a présenté, seule, un document à la CIG au sujet des régions ultrapériphériques. Ce document, qui est approuvé par le Portugal, ne répond pas sur certains points aux problèmes des DOM. En ce qui concerne les pays et territoires d'outre-mer, la CIG s'oriente vers une déclaration annexée au Traité qui traduirait l'engagement des quinze en faveur d'un régime rénové.

M. Jacques Oudin , relevant les propos du ministre sur un troisième pilier rénové, se demande si le premier pilier ne devrait pas évoluer pour se rapprocher de la formule ainsi suggérée. Soulignant la nécessité de mieux respecter le principe de subsidiarité, il insiste vivement sur le rôle qui devrait revenir aux Parlements nationaux dans ce domaine, notamment dans le cadre d'un renforcement de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC). Enfin, il se déclare favorable à une réflexion sur les moyens d'éviter que des règles communautaires ne se trouvent en contradiction avec des règles constitutionnelles nationales.

M. Nicolas About interroge le ministre sur l'avenir des grands projets d'infrastructures, l'attitude des Pays-Bas à l'égard des projets de communautarisation de la lutte contre le trafic de drogue, l'inscription dans les objectifs du troisième pilier de la lutte contre la pédophilie et le tourisme sexuel, l'état du débat sur la défense européenne et l'évolution de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), l'inscription du service minimum parmi les principes du service public à consacrer dans le Traité.

M. Christian de La Malène se déclare dubitatif sur le respect de la priorité donnée à l'approfondissement sur l'élargissement. Il juge relativement probable que la CIG aboutisse à un aménagement très limité, mais présenté comme un triomphe permettant l'élargissement. Abordant la question de la subsidiarité, il souligne que l'intégration de la déclaration d'Edimbourg dans le Traité ne constituerait pas un progrès, cette déclaration ne prévoyant pas, et même excluant pratiquement, un véritable contrôle de l'application de ce principe ; cette affirmation le conduit à plaider pour une implication des Parlements nationaux dans le contrôle de la subsidiarité.

M. Gérard Delfau s'inquiète à son tour de la possibilité qu'un résultat très limité de la CIG soit considéré comme suffisant pour autoriser l'élargissement. Il se déclare réservé sur la notion de flexibilité, estimant nécessaire que l'Italie et l'Espagne participent pleinement à la construction européenne, pour que le couple franco-allemand ne soit pas le seul " noyau dur " de celle-ci. Après avoir souligné l'intérêt de la proposition française sur les services publics, il regrette, s'agissant de l'action pour l'emploi, que les grands travaux européens semblent s'enliser. Enfin, il interroge le ministre sur les déclarations allemandes concernant un éventuel " Maastricht III ".

Mme Danièle Pourtaud juge à son tour intéressante la proposition française relative aux services publics, mais se demande si elle est suffisante, indiquant qu'à ses yeux la notion de service public devrait avoir dans le Traité autant d'importance que celle de libre concurrence. Elle exprime la crainte que, au fil de la négociation, la proposition française ne se ramène au compromis proposé par la Commission européenne, qui ne donne pas de véritable base juridique au service public. Enfin, elle interroge le ministre sur le devenir de la Charte européenne des services publics et sur la position des différents Etats membres.

M. Daniel Millaud estime qu'une déclaration annexée au Traité ne saurait résoudre les problèmes des territoires d'outre-mer, car de telles déclarations n'ont pas de valeur contraignante. Il juge nécessaire que le Traité lui-même soit modifié, indiquant que le Président de la République s'est lui-même prononcé de la manière la plus claire, dans une lettre au président du gouvernement de la Polynésie française, en faveur d'une révision de la quatrième partie du Traité.

M. Paul Masson demande des précisions sur une proposition qu'aurait avancée l'Allemagne de créer un " premier pilier bis " chargé des problèmes du droit d'asile, des visas et de l'immigration, et sur l'approbation qu'aurait donné la France à cette proposition.

En réponse à ces interventions, M. Michel Barnier apporte les précisions suivantes :

- on ne peut envisager d'appliquer au premier pilier les nouvelles méthodes de décision envisagées pour le troisième pilier ; l'opposition à une telle évolution du premier pilier serait très forte parmi les quinze. De plus, c'est parce que les domaines couverts sont différents (dans un cas, les marchandises, dans l'autre, les citoyens) que l'on envisage une méthode spécifique pour le troisième pilier. En revanche, la proposition française d'association des Parlements nationaux au contrôle du respect de la subsidiarité concerne le premier pilier ;

- les Allemands évoquent un " premier pilier bis " tandis que la France parle d'un " nouveau troisième pilier " ; l'essentiel est d'adopter une démarche pragmatique : définition des objectifs, détermination des moyens, fixation du calendrier ;

- le Gouvernement défend avec ténacité l'idée d'une COSAC rénovée permettant une expression collective des Parlements nationaux, de nature consultative, sur les matières du troisième pilier et sur l'application du principe de subsidiarité ;

- une relance des grands projets d'infrastructures est rendue difficile par la priorité presque unanimement accordée à l'UEM. En effet, ces projets supposent d'importantes contributions budgétaires des Etats membres. Mais les études se poursuivent et des progrès sont possibles ;

- la protection des mineurs fait partie des domaines actuellement débattus dans le cadre du troisième pilier ;

- la politique européenne de défense ne relève pas exclusivement de la CIG : la rénovation de l'OTAN est l'enjeu essentiel ;

- la proposition française au sujet des services publics est ambitieuse. Elle vise à rééquilibrer le Traité et à amener par là la Commission européenne à prendre en compte les intérêts stratégiques à long terme ;

- d'autres CIG, et donc en premier lieu un " Maastricht III ", auront lieu au siècle prochain. Mais les Etats membres disposent avec la CIG en cours d'une occasion unique pour approfondir leur union avant l'élargissement. La France garde donc une vision ambitieuse, car un élargissement s'effectuant dans le cadre des institutions actuelles serait un marché de dupes ;

- la flexibilité, c'est-à-dire l'organisation de coopérations renforcées, s'appliquera principalement au deuxième pilier ; pour le premier pilier, elle existe déjà pour l'Union économique et monétaire et son extension à d'autres matières ne sera possible que sous le contrôle de la Commission. L'Espagne et l'Italie ne seront nullement marginalisées : elles ont au contraire vocation à participer pleinement aux coopérations renforcées envisageables pour le deuxième pilier ;

- les instructions données par le Chef de l'Etat concernant la révision des dispositions applicables aux PTOM seront naturellement mises en oeuvre par le Gouvernement.

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