3. Une marine française en déclin et menacée

3.1 Une marine affaiblie

A. Le déclin de la flotte sous pavillon français

Ce déclin est paradoxalement intervenu alors que la tendance du commerce mondial est favorable au transport maritime.

La flotte sous pavillon français et celle des compagnies armatoriales françaises doivent être distinguées.

A1. La flotte française se caractérise par une absence de points forts et des menaces sur certains segments

Évolution des effectifs du personnel navigant en activité

Le graphique comporte les effectifs des services portuaires, lesquels représentent aujourd'hui près d'un quart de l'emploi.

Depuis dix ans, le nombre de navires de commerce sous pavillon français s'est réduit de 40 %, et le tonnage de la flotte de 30 %. Durant la même période, la flotte mondiale a été diminuée de 5% en nombre d'unités, alors que le tonnage a progressé de 24 %.

La flotte sous pavillon français, sous registre métropolitain ou sous registre Kerguelen, totalise 210 unités au 1 er janvier 1997. La dégradation de la position française a accompagné celle de la flotte européenne. En l'espace de dix ans, la flotte européenne est passée de 23 % à 14 % de la flotte mondiale, et la flotte française du 19e rang au 27e rang en tonnage.

La flotte de commerce française se caractérise par son rang modeste et par une dispersion sur la plupart des créneaux. Septième flotte européenne avec 6 % du tonnage elle se situe derrière la Grèce (48 %), la Grande-Bretagne (9 %), l'Italie (8 %), l'Allemagne (7 %), le Danemark (7 %) et les Pays Bas (6 %).

Ce classement en tonnage ne doit pas masquer le fait que de nombreuses flottes européennes disposent de points forts. La flotte grecque, troisième mondiale en tonnage, est principalement composée de navires de charges, vraquiers et pétroliers. La Grande-Bretagne et l'Italie possèdent une flotte nombreuse de navires à passagers et de pétroliers. Les flottes danoise et allemande se distinguent par leur capacité en porte-conteneurs.

Il n'en est pas de même pour ce qui concerne la flotte de commerce française, dont la structure est dispersée, comme le révèle le tableau qui suit :

FLOTTE DE COMMERCE FRANÇAISE

Nombre de navires et tonnes de port en lourd (tPL) au 1er janvier 1997

Pavillon français tous registres (y compris TAAF)

nombre

tPL

Navires à passagers et transbordeurs

38

102 298

Pétroliers au long cours

18

3 734 981

Caboteurs pétroliers

30

445 434

Chimiquiers

4

22 471

Navires citernes à vin et à huile

3

15 802

Transporteurs de gaz

7

180 577

Porte-Conteneurs (PC, PC rouliers)

25

759 088

Rouliers

11

24 397

Vraquiers secs

9

938 736

Polythermes

3

13 487

Cargos

11

49 839

Caboteurs < 500 jb

6

2 625

Autres cargos

45

45 020

TOTAL

210

6 275 970

(source : CCAF-1997-)

FLOTTE DE COMMERCE SOUS CONTRÔLE FRANÇAIS

nombre de navires et tonnes de port en lourd (tPL) au 1er janvier 1997

Flotte contrôlée

nombre

tPL

Navires à passagers et transbordeurs

Pétroliers au long cours

13

129 464

Caboteurs pétroliers

Chimiquiers

Navires citerne à vin et à huile

Transporteurs de gaz

Porte-conteneurs

13

10

1 965 839

73 049

9

6

94 371

39 088

(PC, PC rouliers)

Rouliers

Vraquiers secs

Polythermes

Cargos

Caboteurs < 500 jb

Autres cargos

TOTAL

16

4

10

5

24

110

359 954

15 372

959 890

33 510

140 023

3 810 560

(source : CCAF-1997-)

Les principales composantes de la flotte française sont les suivantes :

- les fractions de la flotte les plus nombreuses concernent les petits cargos et les pétroliers caboteurs. Ce transport maritime de courte distance connaît une transformation de sa situation concurrentielle, avec l'ouverture à la concurrence européenne depuis le 1 er janvier 1997. En effet, certains registres européens offrent des conditions d'armement moins coûteuses. Ils peuvent ainsi compromettre le maintien de navires sous registre français sur le créneau du cabotage national ;

- la flotte de navires à passagers se compose d'une trentaine d'unités Elle est confrontée à l'évolution technologique des navires à grande vitesse. De plus, au 1 er janvier 1999, elle connaîtra le même processus d'ouverture à la concurrence européenne que celui du cabotage marchand ;

- le nombre de grands pétroliers est de 18, en application notamment de la loi d'approvisionnement énergétique de 1992 Cette loi fixe à 5,5% le rapport entre la capacité de transport maritime (exprimée en tPL) sous pavillon français dont doit disposer tout propriétaire d'unités de distillation atmosphérique et les quantités en tonne de pétrole brut que les raffineries traitent. Les compagnies exploitantes de pétroliers sous pavillon français sont Euronav (groupe Worms et Cie), Mobil, Bergesen (groupe danois).

- un pôle de compétence s'est constitué autour des activités spécialisées à fort contenu technologique : navires câbliers, navires de recherche géosismique. Les navires de ce type sont exclusivement des navires sous pavillon français, et leur effectif à bord est composé de nombreux marins et ingénieurs français.

Le contenu en emplois de la flotte française :

(source : Enquête Annuelle Entreprise-1995-)

Pour l'ensemble de la branche, la répartition entre l'emploi de sédentaires et de navigants est de 38 % et 62 %, pour un total de 10 000 personnes.

A2. L'armement

Le chiffre d'affaires est réparti, par activité, à 56 % pour la ligne régulière, 24 % pour le passage, 8 % pour le vrac sec, 11 % pour le pétrole, et 1 % pour le gaz. Les compagnies nationales s'appuient largement sur des trafics tiers, qui représentent des ventes de services aux non résidents.

Activité de l'armement français :

(navires sous pavillon français et navires contrôles ou affrétés)

Vrac liquide : hydrocarbures et gaz.

Vrac sec

Marchandises diverses

Part du tonnage

24 %

51 %

25 %

dont à l'importation

32 %

28 %

29 %

dont à l'exportation

3 %

2,50 %

27 %

dont trafic tiers

65 %

69,50 %

44 %

Navires sous pavillon français

23 %

82 %

52,50 %

Navires affrétés ou contrôlés

77 %

18 %

47,50 %

(source : Enquête professionnelle -1996-)

La part des trafics tiers devance celle des trafics en provenance ou à destination de la France sur les trois grandes composantes : vrac liquide, vrac sec, marchandises diverses du transport maritime international. Les navires affrétés ou contrôlés, c'est-à-dire les navires possédés par des armateurs français mais non immatriculés sous pavillon français, traitent une grande partie des transports, à l'exception des vracs liquides en raison de l'application de la loi d'approvisionnement énergétique de 1992.

L'impact des trafics tiers doit être modéré par celui des "trafics captés" par les ports des pays voisins de la France. En effet, les marchandises à destination ou en provenance de la France peuvent transiter par les ports étrangers et accéder au territoire par d'autres modes de transport en pré ou post acheminement.

Les principaux armateurs français sont les suivants :

- La CMA-CGM et la compagnie Delmas sont les deux premiers armements de ligne pour les porte-conteneurs. La reprise de la Compagnie Générale

Maritime par la Compagnie Maritime d'Affrètement classe cette première au 15 e rang mondial. Elle associe deux positionnements commerciaux opposés : la CMA exploite principalement des lignes modulables entre l'Europe et l'Extrême Orient, tandis que la CGM tire l'essentiel de son activité sur les relations Nord/Sud et les échanges avec les DOM TOM.

À ce jour, aucune alliance avec d'autres armements n'est prévue. CMA/CGM possède cependant des accords ponctuels sur certaines lignes pour des partages de capacité. La Compagnie Delmas est un armement positionné sur les lignes Nord/Sud. Elle se place au 23 e rang mondial, en capacité de transport. Cette position prend en compte la compagnie néo-zélandaise ANZDL, dont Delmas partage le contrôle avec la compagnie néo-zélandaise Briersley.

- Pour le grand vrac sec, l'armement Louis Dreyfus première compagnie française au « tramping » 22 ( * ) , est largement assise sur des trafics tiers. Elle possède 5 unités sous pavillon français (registre métropolitain ou Kerguelen) sur une quarantaine d'unités. Cinquième armement mondial dans le transport de vrac sec, il représente 2 % de la flotte mondiale. Deux armements français sont présents sur le segment des moyennes et petites unités de transport en vrac, le Groupe Société de Bourbon prenant le relais du groupe Worms, qui est présent désormais dans les plus petites tailles avec la Compagnie Morbihanaise de Navigation, et la compagnie Medafret.

- Pour les vracs liquides, on citera Van Ommeren, très présent dans le transport de produits pétroliers, ainsi que Socatra. Le principal transporteur de produits chimiques est la compagnie Navale Française.

- La Compagnie Générale de Géophysique, avec trois navires capables de rassembler des informations sur les fonds marins en trois dimensions, occupe 10 % du marché mondial.

B. Des activités de proximité concurrencées

B1. Le cabotage

La France souffre d'un handicap en équipement naval de petites unités.

Chiffres indicatifs de l a flotte susceptible d'être dédiée au cabotage :

Pays

Nombre

tPL(xl000)

Remarques

Allemagne

650

866

dont 140 ferries el 109 pétroliers

Grèce

515

563

dont 200 ferries

Royaume Uni

470

972

dont 118 RO/RO

Italie

362

619

dont 140 ferries et 109 pétroliers

Finlande

323

100

Suède

280

150

Pays Bas

248

680

Espagne

209

868

dont 54 ferries

Danemark

127

88

dont 57 ferries

France

90

731

dont 18 grands RO/RO

Irlande

49

134

Autriche

29

100

Belgique

27

55

dont 4 grands combinés

Portuga[

15

75

(source : Mercer consultant, Base ISF -1995-)

Le cabotage s'effectue sur les liaisons Corse/Continent, trans-Manche, les relations interportuaires, les liaisons inter-îles en Atlantique et les échanges dans les DOM TOM :

- les liaisons Corse/Continent sont effectuées par les compagnies SNCM, CMN, Corsica Ferries, Someca. Le transport de passagers, l'approvisionnement énergétique et en biens de consommation sont les activités majeures ;

- les principaux commerces interportuaires sont les transports des produits pétroliers et d'engrais, et les services d'approvisionnement industriel,

- les liaisons inter-îles en Atlantique fournissent l'approvisionnement en eau, en pétrole et autres besoins par des services réguliers. Cet approvisionnement s'accompagne d'un service de transport de passagers, dont l'activité est décuplée en saison touristique ;

- les liaisons dans les DOM-TOM nécessitent l'utilisation de nombreux navires 49 unités de plus de 200 jb, dont 5 sous pavillons étrangers au 1 er juillet 1996, sont établies Outre mer ;

- le trafic trans-Manche est le marché le plus important pour la France. Les statuts des navigants suivant le registre du navire sur lequel ils travaillent, la concurrence du tunnel et le cours de la livre anglaise en conditionnent l'évolution. Le fret trans-Manche est une activité en développement, encore accru depuis l'ouverture du tunnel. Alors que la hausse moyenne entre 1990 et 1993 était de 5 %, elle a atteint 17 % en moyenne pour 1994 et 1995. En d'autres termes : le trafic transmanche - maritime et autres - a globalement augmenté. Et la part du trafic réalisé par la route - et donc par le tunnel - augmente.

(sources : SNCF, DPNM, Eurotunnel, DGAC, SES -1996-)

B2. Le passage

L'armement français de passage affronte une concurrence de plus en plus vive. Les deux liaisons principales sont les liaisons trans-Manche et Corse/continent.

(source : CCAF-1996-)

Le transport de passagers est de loin le plus grand employeur de navigants de la flotte de commerce française. Cette activité emploie 55 % des marins français, en 1995, hors services portuaires. Les effectifs sont parfois doublés lors de la haute saison pour certaines compagnies. Les personnels à fonction hôtelière représentent environ 75 % de l'effectif.

Le poids économique du passage est important dans certaines régions. Cette activité est, en effet, concentrée sur des zones bien déterminées. La compagnie bretonne B.A.I. employait, en 1995, 2654 personnes en haute saison (sédentaires et navigants). À côté des grands armements, de nombreuses autres compagnies sont présentes sur l'ensemble du littoral français : 15 en Manche, 40 en Atlantique, une cinquantaine en Méditerranée.

Elles répondent, pour une part d'entre elles, à des obligations de service public, pour l'autre part, à une demande saisonnière et touristique sur les liaisons îles/continent.

La demande est croissante. Elle subit d'importants effets saisonniers. L'élasticité prix/demande est forte. Les prix proposés sur le trafic trans-Manche, pour répondre à la concurrence, sont tombés à une livre anglaise pour un aller-retour dans la journée. La clientèle journalière est principalement attirée par l'achat de produits détaxés à bord ou de produits à meilleur marché d'un côté ou de l'autre de la Manche.

Le passage est une activité très concurrentielle, comme l'illustre le cas du trans-Manche. La concurrence est ouverte à tous pays. Quatre acteurs -dont trois sur les liaisons courtes- sont présents. Le groupe B.A.I. (français) est positionné sur les liaisons longues, depuis la Bretagne. Les trois autres, P&O (RU) et Stena (Suède), dont le regroupement est en cours, et Sea France (contrôlé par la SNCF), sont en concurrence sur les liaisons courtes, en particulier celle de Calais/Douvres. Le tunnel et l'avion avivent encore la compétition. Pour l'ensemble des modes de transport, le nombre de passagers progresse. La répartition entre les modes se fait au détriment de la voie maritime et au bénéfice du tunnel, la part de l'aérien restant constante.

(source : Cruise and Ferry-1996-)

L'armement français est plus coûteux que celui de ses concurrents. Plusieurs facteurs accentuent ses handicaps : le regroupement de P&O et Stena qui sont les principaux concurrents de Sea France, la transformation des normes techniques de sécurité sur les ferries, qui imposent des investissements, la prochaine suppression de la détaxe (la vente des produits détaxés représente 30 % du chiffre d'affaires).

La question est de savoir s'il faut un opérateur français public parmi les concurrents du tunnel, et de plus filiale de la SNCF. De la réponse à cette question découlera la politique des pouvoirs publics. L'avenir de la compagnie dépend en grande partie des décisions de l'Union européenne. Le maintien de la détaxe (« duty free ») pourrait être défendu par la France. La validation par la Commission de l'accord entre P&O et Stena pourrait avoir pour contrepartie la précision de certaines conditions émanant de Sea France (part du trafic, limitation de capacité, tarification adaptée) 23 ( * ) .

La liaison Corse/continent est une autre illustration de l'intensité de la concurrence. Les liaisons de passagers Corse/Continent sont effectuées par la SNCM, la CMN, et Corsica Ferries. L'Office des Transports de la Corse, qui fixe les impératifs de dessertes, de fréquences et de moyens, compense les déficits des comptes d'exploitation.

Les concessions quinquennales arriveront à échéance le 31 décembre 2001.

Or, l'ouverture du trafic aux navires des États membres de l'Union européenne entre deux ports français interviendra au 1 er janvier 1999. Si le degré de concurrence s'accroît alors que la demande est constante, la rentabilité de l'exploitation de ces lignes supposera soit une augmentation de la participation de l'Office des Transports de la Corse, soit une amélioration de la productivité. Corsica Ferries dessert la Corse depuis l'Italie avec des navires sous registre de pays de libre immatriculation et depuis Nice avec des navires à grande vitesse sous pavillon français ce qui renforce la compétition et aggrave les résultats de la SNCM, déjà négatifs 24 ( * ) Au-delà de 2001 (fin de la concession pour la SNCM et la CMN), l'Office des Transports Corse ne sera plus tenu de choisir ces compagnies. L'avenir des deux compagnies marseillaises s'annonce très sombre sans un redressement de leurs résultats, d'ici ces prochaines échéances.

(source : CMN, SNCM-1996-)

* 22 Transport « à la demande ». II s'agit d'établir au cas par cas, la route ou la durée de mise à disposition du navire et son mode d'exploitation. Il comprend toutes les activités maritimes en dehors de la ligne régulière et du transport de passagers.

* 23 Pour mémoire, la dotation en capital d'Air France s'est faite conditionnellement à certains impératifs, dont la fixation, par British Airways, du tarif plancher sur les vols Paris-Londres jusqu'au 1 er avril 1998, Sea France serait alors dans la même situation que British Airways vis à vis de la décision de la Commission.

* 24 Les résultats nets de la SNCM étaient, en 1995, de - 95 MF et en 1996 de - 124 MF. Les résultats prévisionnels pour 1997 et 1998 sont de - 31 MF et - 30 MF.

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