7. La politique d'investissement de l'État

7.1 Des investissements globalement suffisants

Une description a été faite dans le chapitre I « Diagnostic » du désengagement progressif de l'État en matière d'investissements portuaires, depuis la période de forts équipements caractéristique des années 1970 jusqu'à la période actuelle. Outre la chute des crédits budgétaires, celle-ci est marquée par la participation des crédits d'investissements à des dépenses d'entretien en raison de l'insuffisance des dotations d'entretien Cela freine le financement par l'État des contrats de Plan État-régions 1994-1998, le taux d'exécution de ceux-ci étant divisé par deux par rapport à la norme sur cinq ans.

Rappelons que l'enveloppe financière de l'État prévue par les Contrats de Plan pour les ports de métropole et d'outre-mer est de 756 MF théoriquement sur cinq ans (soit en moyenne 151 MF par an), les collectivités locales participant pour un montant équivalent (700 à 800 MF).

Les tableaux ci-après sont le plus récent relevé des investissements prévus pour les ports par les contrats 1994-1998. Comme indiqué ci-dessus, nous constatons qu'à fin 1996 soit au 3/5 de la période, l'État a financé seulement 29 % de ce programme, et qu'il lui faudrait un effort massif pour combler, même partiellement son retard (les tableaux présentent une simulation très ambitieuse d'achèvement des financements à fin 1999).

La décroissance de la participation de l'État aux investissements répond à une politique macroéconomique d'effort budgétaire, mais correspond-elle à une stratégie cohérente d'équipement des ports ?

La Cour des comptes considère que l'équipement des ports de la façade Atlantique, qui résulte d'un intense effort d'investissement entre les années 1960 et le début des années 1980, est suffisant sauf exception (Port 2000 au Havre). Par contre, elle relève deux difficultés : l'entretien des infrastructures existantes et, dans certains cas, leur sous-utilisation. Au dire des ports, les crédits réservés à l'entretien sont insuffisants (leur estimation des besoins pour les PIN est de 1,7 milliard de francs sur 10 à 15 ans) : malheureusement, les comptabilités analytiques disponibles sont peu précises, ce qui ne facilite pas l'évaluation objective de ces besoins. En outre, elle relève que les relations entre l'État et les collectivités locales ne sont pas toujours coordonnées, en sorte que les infrastructures de base (à la charge de l'État) peuvent être mal entretenues, alors que les superstructures peuvent dans le même temps être somptuaires. Sur leur sous-utilisation, la Cour relève un manque d'études préalables au moment du choix des investissements et parfois d'études a posteriori, ainsi que des estimations largement contradictoires (exemple : écarts de rentabilité de 1 à 5 pour l'approfondissement du chenal de Rouen). Fondamentalement, on est constamment soumis au cercle vicieux : l'investissement doit-il être calibré sur les trafics existants ou prévisibles ? S'agissant des accès terrestres, se pose pour l'État un certain nombre d'arbitrages nécessaires : ainsi, la SNCF doit-elle préserver son compte d'exploitation « suivant le trafic » vers les ports belges ou doit-elle aider les ports français ? 73 ( * )

De cette analyse découle l'existence d'un problème d'obsolescence de sous-utilisation et ainsi que de maintenance des équipements dont il conviendrait de faire une analyse critique pour déterminer si les efforts ne devraient pas se concentrer sur ceux d'entre eux qui sont le plus utiles à l'activité des ports. Les investissements en équipements nouveaux devraient faire plus souvent l'objet d'études de rentabilité, étant néanmoins admis que les prévisions de trafics sont plus difficiles à établir et plus aléatoires que dans le domaine des transports terrestres. D'ailleurs, la nouvelle Direction du Transport maritime, des Ports et du Littoral (DTMPL, ex-DPNM) s'est dotée récemment à cet effet d'une Mission des études économiques, de la recherche et des statistiques.

Dans cette recherche de sélectivité des investissements, apparaît la question de l'éventuelle concentration des efforts de l'État sur les ports qui sont vraiment d'importance stratégique nationale, à savoir une sélection réaliste des actuels ports autonomes (c'est l'exemple du projet Port 2000 au Havre).

Cela n'enlève rien à l'intérêt des autres ports, notamment dans leur dimension régionale par rapport à leur spécialisation utile sur un certain nombre de niches de trafic (céréales, charbons, fruits, bois, etc.). Mais en ce qui les concerne, l'intervention de l'État, au demeurant de faible niveau relatif par rapport à d'autres équipements de transport, devrait se faire dans le cadre de la politique d'aménagement du territoire et à ce titre, l'investissement portuaire devrait être comparé dans ses coûts et ses avantages avec d'autres projets d'aménagement du territoire (autoroutes, projets urbains...).

Le tableau suivant (source CIES) reprend les autorisations de programme correspondant à la part de l'État pour les PA et les PIN entre 1987 et 1996.

Part de l'État dans les autorisations de programme

MF courants

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

PA

157,6

166,8

173,6

160,0

142,0

122,3

109,6

139,4

90,0

71,8

PIN

65,7

60,9

66,4

96,3

58,8

57,3

35,7

55,4

31,1

63,4

Total

223,4

227,7

240,0

256,3

200,8

179,6

145,3

194,9

121,0

135,2

% PA/ total

71 %

73 %

72 %

62 %

71 %

68 %

75 %

72 %

74 %

53 %

On observe que, sauf exception, le pourcentage réservé aux PA correspond approximativement à leur part de trafic, ce qui est cohérent avec la classification actuelle 74 ( * ) . Une éventuelle concentration des financements sur les plus grands ports serait d'un impact réel (enjeu maximum 135 MF en 1996), mais relatif comparé à d'autres grands investissements de transport.

Enfin, ces considérations ne remplacent pas une analyse de rentabilité économique qui devrait contribuer à une augmentation significative des financements, lorsque la rentabilité prévisionnelle d'un projet est forte.

7.2 Les grands projets en cours

7.2.1 Le Havre - Port 2000 : un pari sur la progression du trafic conteneurisé.

Actuellement le trafic de conteneurs augmente de 7 - 8 % par an dans le monde et ce principalement sur les liaisons est-ouest, sur lesquelles pratiquement 100 % des échanges se font par voie conteneurisée. En Europe, l'essentiel du trafic de conteneurs se répartit sur le range Le Havre-Hambourg (prévisions de trafic appuyées sur les études des consultants Océan Shipping Consultant et Drewry Shipping Consultants). On assiste à une nette augmentation de la taille des navires (des navires de 6 500 EVP circulent actuellement et des navires de 8 000 EVP sont à l'étude), ainsi qu'à une concentration des armements et consortia.

Il en résulte une massification des flux :

- sur les navires,

- en concentrant les trafics sur certains ports,

- en augmentant les trafics de transbordement,

en massifiant les transports terrestres.

L'ensemble des grands ports européens privilégie donc actuellement trois grands axes :

- approfondir leurs accès maritimes,

- proposer des prestations aux navires de plus en plus en aval des ports,

- développer des transports terrestres massifiés, en insistant notamment sur la création de centres de distribution ou de chantiers ferroviaires performants (déplacements du lieu de constitution des trains, création de navettes ferroviaires ou fluviales, création de liaisons terrestres plus rapides entre les terminaux i conteneurs d'un même port...).

C'est dans ce cadre qu'est né le projet « Port 2000 ». Il consiste en une réorganisation des terminaux à conteneurs du port du Havre afin d'en augmenter la capacité et de regrouper des terminaux géographiquement dispersés. Il s'inscrit dans la même logique que les projets, actuellement envisagés dans toutes les études de transport terrestre, de trains de grandes longueurs ou de liaisons ferroviaires dédiées.

Actuellement, sa localisation précise et donc sa contexture sont en cours d'examen. Sept solutions sont envisagées, réparties en trois familles :

- à l'intérieur du port actuel sans extension de bassin,

- à l'intérieur du port actuel avec extension de bassin,

- à l'extérieur du port actuel.

De même, le mode de gestion des terminaux n'est pas encore défini. Trois hypothèses sont envisagées :

- confier la gestion aux opérateurs actuels,

- faire un appel d'offre pour s'ouvrir à d'autres opérateurs,

- dédier certains espaces à des armateurs.

Un certain nombre d'études ont été lancées pour ce projet. Parmi elles, les études économiques et financières ont conclu à la création de 2 000 à 3 000 nouveaux emplois (portuaires et induits) dans la région du Havre, pour un taux de rentabilité du « Port 2 000 » de l'ordre de 10 à 13 % selon les hypothèses envisagées. Elles ont également montré que le port du Havre devrait pouvoir retrouver prochainement, au minimum, ses parts de marché de 1990-1991, soit 9 % du trafic sur le range nord, soit environ la taille critique nécessaire au maintien du port parmi les grands. Le trafic conteneurs du port du Havre augmente actuellement de 12 % par an.

Le coût du projet est estimé, pour la première phase (soit deux postes à quai), selon les hypothèses considérées entre 950 millions et 1,3 milliard de francs. Ce chiffre ne comprend pas le coût des mesures compensatoires qui n'ont pas encore été définies. À terme, « Port 2000 » pourrait compter 8 postes à quai. Le budget « études » représente à lui tout seul 25 millions de francs, versés principalement par le port autonome du Havre.

Notons qu'il existe d'ores et déjà, autour du Havre, des effets « Port 2000 ». La simple existence du projet semble avoir dynamisé le trafic portuaire (et donc le secteur para-portuaire), tout en lui permettant de marquer son rang par rapport aux ports concurrents. De son côté, la rive sud et notamment la ZIPEC (Zone industrielle, portuaire et commerciale) de Honfleur tend à se développer. Enfin, les études actuellement menées sur les milieux de l'estuaire n'auraient peut-être jamais vu le jour sans l'existence du projet, faute de financement.

La procédure de débat public

« Port 2000 », élaboré par le Port autonome du Havre, est le premier projet à faire l'objet de la procédure dite « Barnier » prévue par la loi n° 95-101 du 2 février 1995. La commission nationale du débat public, présidée par

Monsieur H. Blanc, et composée de 18 membres, a été saisie conjointement par le Ministre des Transports et le Ministre de l'Environnement. Ce débat interviendra dans le contexte de choix d'aménagement importants. En effet, le projet Port 2000 voisine, pour ne pas dire recoupe (sur certaines zones), un projet assez avancé de réserve naturelle, situé de part et d'autre de l'estuaire de la Seine. En outre, un projet de Directive territoriale d'aménagement (DTA) est en cours d'élaboration et concernera l'ensemble du secteur.

7.2.2 Le Projet Euroméditerranée à Marseille : un projet urbain avant tout.

Centré autour du port de Marseille, le projet Euroméditerranée a pour objectif essentiel de créer les meilleures conditions pour faire de la région une zone pilote pour le développement (ou redéveloppement ?) du sud de la France. Ceci prend tout son sens dans la perspective des échanges internationaux autour de la Méditerranée et vers l'Extrême-Orient et l'Asie.

Le but du projet est d'attirer des entreprises à vocation internationale, françaises ou étrangères, et donc des emplois à Marseille. L'accent est mis sur le commerce et les services, ainsi que sur les activités tournées vers la Méditerranée et l'Afrique. Des études ont avancé les chiffres de 10 000 à 15 000 emplois créés d'ici 2015 dans l'espace « Euroméditerranée », auxquels s'ajoutent environ 8 000 emplois dans le reste de l'agglomération. De surcroît, environ 1 000 emplois devraient être générés dans le secteur du génie civil, pendant la mise en oeuvre du projet.

Pour cela, des zones urbaines, notamment situées à la limite du port et de la ville sont réaménagées, mélangeant habitations, emplois, services publics et activités culturelles. Un véritable quartier des affaires doit être créé. Sur les 20 prochaines années, environ un million de m 2 devraient être aménagés.

Les partenaires financiers :

État

50 %

Région Provence-Alpes-Côtes-d'Azur

10 %

Département des Bouches-du-Rhône

10 %

Ville de Marseille

25 %

Communauté de Communes Marseille Métropole

5 %

Budget : 1,7 milliard de francs pour la période 1994-1998 (pour la suite, des investissements privés devraient entrer en ligne de compte), soit :

Études, acquisitions de terrains, plans

800 MF

Infrastructures de base

360 MF

Construction, réhabilitation de bâtiments

130 MF

Parc urbain, phase 1

205 MF

Université (environnement, développement de filières)

65 MF

Centre d'affaires international

140 MF

Le projet a le statut d'opération d'intérêt national, et fait donc l'objet d'un acte du Parlement. Une organisation de pilotage a été créée en vue de la constitution éventuelle d'un établissement public.

Le port de Marseille participe à ce projet en transférant la gestion de 8 ha de « friches portuaires » au profit d'Euroméditerranée (moyennant 40-50 millions de francs d'indemnités) et en déplaçant certaines activités (par exemple, les trafics « Corse » et « Maghreb » ont été inversés, afin de rapprocher le trafic « Corse » du centre ville). Les coûts sont supportés par Euroméditérranée.

* 73 Cf : audition de M. Erik Linquier (groupe Ports).

* 74 De même, les crédits d'entretien et d'exploitation (hors personnel) attribués par l'État aux ports autonomes correspondent approximativement à leur part de trafic.

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