2. L'intervention de l'État reste indispensable notamment pour les contenus
Ce n'est
pas parce que l'on admet le caractère irréversible et
inéluctable du processus en cours d'internationalisation
entraînant la déréglementation, ce n'est pas parce l'on
dénonce les interventions intempestives de l'État, que l'on nie
toute légitimité à l'intervention de l'État.
Celle-ci reste nécessaire pour une série de raisons de nature
économique et culturelle.
La régulation économique - au travers notamment de la gestion
de l'attribution des fréquences - se double d'une régulation non
moins nécessaire des contenus.
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La rareté des fréquences demeure
L'évolution du numérique ne remet fondamentalement en cause ni la rareté des fréquences, ni celle des canaux disponibles. Par conséquent, demeure la nécessité d'une répartition de cette ressource rare autrement qu'en fonction des seules lois du marché :
- d'une part, le spectre hertzien terrestre connaît des limites physiques,
- d'autre part, le spectre hertzien satellitaire, à l'évidence plus vaste, n'en repose pas moins sur des positions orbitales, dont le nombre n'est pas illimité ;
- s'agissant enfin des réseaux filaires, les réseaux câblés audiovisuels ne peuvent transporter un nombre infini de programmes, et, comme l'on sait, Internet connaît d'ores et déjà un début de saturation.
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Les équilibres économiques sont incertains
Lorsque, en janvier 1996, la commission des finances du Sénat demandait au Conseil supérieur de l'audiovisuel d'évaluer les risques de position dominante consécutifs à l'apparition de la télévision à péage par satellite, elle pressentait que l'émergence de ce marché allait effectivement poser des problèmes du point de vue de la garantie de la concurrence et du pluralisme.
De fait, la succession d'importantes opérations de concentration auxquelles on a assisté de part et d'autres de l'Atlantique, comme la multiplication des rapprochements en Europe, où l'on a vu se faire et se défaire les alliances, ont démontré la vitalité du secteur de la communication mais aussi les menaces que pouvait comporter le développement de la télévision par satellite.
Comme le montre cette étude du Conseil supérieur de l'audiovisuel, l'environnement mondial est incertain. Les rapports de force entre les différents acteurs économiques ne sont pas stabilisés. En outre, on ne sait laquelle des technologies en concurrence et lequel des modes de distribution des images et des sons vont finalement s'imposer ni pour quelle durée ! Dans un tel contexte, il est nécessaire de s'avancer avec précaution, en prenant en considération le caractère international des évolutions en cours.
Telle est bien l'attitude de M. Hervé Bourges dans un article publié dans Le Monde le 26 août 1997. Il éclaire ce dossier des leçons de l'expérience de la Haute Autorité 15( * ) .
Au-delà des propositions très pragmatiques qu'elle contient, cette analyse est de nature à orienter la réflexion sur l'évolution du système français de régulation de l'audiovisuel.
En effet, par son titre même " Pour une régulation économique de l'audiovisuel ", il incite le législateur à considérer le rôle des mécanismes économiques dans la garantie de nos libertés politiques, même si l'on peut toujours s'interroger sur l'opportunité d'introduire des garde-fous spécifiques. Il est indispensable d'assurer à côté de principes d'équilibre économique le respect des règles concernant le contenu.
• Le secteur public reste une référence
Dans les pays développés, on a besoin d'un État fort et stable qui serve de garant :
- à l'action des arbitres mis en place pour réguler les opérations des agents,
- à l'activité du secteur public, véritable " secteur témoin " de l'intérêt général.
A tout moment, les instances publiques de la communication audiovisuelle doivent être en mesure de riposter à la menace résultant de l'internationalisation (en réalité, de l'américanisation) et de la déréglementation du paysage audiovisuel.
En France, les produits américains continuent de dominer les marchés des produits audiovisuels.
La France, si l'on compare sa situation à celle des autres pays européens, ferait plutôt de la résistance et certaines données peuvent paraître favorables. Mais, derrière les apparences, la vérité est dramatique. Pour le cinéma, la part de marché - en termes de nombres d'entrées - des films américains est passée, en quinze ans, de 31 à 54 %, tandis que celle des films français baissait de 50 à 37,5 %.
La domination américaine est également très nette sur le petit écran, même si la tendance semble à l'amélioration. En 1992, plus de 55 % des oeuvres de fiction télévisuelles diffusées sur les chaînes nationales étaient d'origine américaine. En 1996, cette proportion a baissé pour atteindre néanmoins 46,5 %.
De plus, les résultats de notre commerce extérieur sont toujours aussi médiocres, malgré les efforts accomplis. Il suffit de remarquer que les quelque 490 millions de francs de programmes que la France a réussi à exporter en 1996 dans le monde entier, ne représentent que la centième partie de ce que les Américains ont vendu, la même année, à la seule Europe comme produits audiovisuels.
La seule solution consisterait à favoriser le développement d'une industrie française de programmes audiovisuels exportables .
La France peut y parvenir, si elle en a la volonté et si elle s'en donne les moyens opérationnels et financiers.