2. Une évolution du marché publicitaire en perspective
Les
analyses divergent sur le sens et la portée des évolutions en
cours des médias audiovisuels. Entre ceux qui pourraient pêcher
par excès d'enthousiasme, notamment sur la révolution que
pourrait entraîner Internet, et ceux qui privilégient une certaine
stabilité du marché et des habitudes, il n'est pas facile de
trancher.
Si le déplacement des masses financières entre les
différents compartiments du marché pourrait être moins
rapide que certains ne le prévoient, on peut toutefois anticiper un
infléchissement des mécanismes du marché vers des
techniques plus personnalisées et un souci accru de la
rentabilité de l'investissement publicitaire. Il est peu vraisemblable
que cette tendance, si elle se confirmait, n'affecte pas le fonctionnement des
chaînes.
Vers des stratégies publicitaires plus diversifiées ?
On se dirige, semble-t-il, vers une diversification des campagnes
publicitaires. Ainsi, les analyses de Carat TV sur l'évolution des
investissements des 200 plus gros annonceurs de 1994 à 1997 montrent un
développement de stratégies plurimédias, par rapport au
" tout télé
". Ce phénomène, qui
s'explique largement par la multiplication de l'offre à laquelle on a
assisté ces dernières années, paraît cependant avoir
rencontré ses limites.
D'abord, selon certains publicitaires,
le média presse a,
aujourd'hui, retrouvé un regain d'intérêt de la part des
annonceurs
. La première raison de cette évolution est
le
souci croissant du ciblage
des messages publicitaires. Les entreprises ont
un marketing de plus en plus individualisé et segmenté. Or, la
presse magazine, notamment, est le média le plus fin pour l'approche
sociodémographique ou socioculturelle. De fait, cette évolution
rejoint la tendance à la fragmentation des audiences en raison de la
multiplication des chaînes numériques de télévision.
La deuxième raison pourrait s'appeler
l'impératif de
marque
. Face à
des consommateurs plus matures, ayant davantage
d'exigences, mais aussi de volatilité
, les entreprises ont compris
que la marque est un élément capital pour faire face à la
concurrence. Un média comme la presse permet de bien faire ressentir les
valeurs de la marque ; ce constat expliquerait que la presse pourrait
retrouver une place stratégique dans l'offre média.
Parallèlement,
le marketing relationnel, le " one to one ",
va prendre de plus en plus d'importance en raison des nouvelles
technologies
. La progression du hors-médias confirme cette
redistribution des investissements publicitaires des annonceurs, au profit
d'actions plus concentrées que celles que permettent les grands
médias nationaux :
on passe du marketing de masse au marketing
ciblé.
Une autre tendance de fond est la lassitude d'un consommateur saturé de
messages, spontanément infidèle, zappeur, de moins en moins
sensible à la publicité conventionnelle. Beaucoup de solutions
traditionnelles fondées sur l'utilisation des médias classiques
ne fonctionnent plus. Il apparaît de plus en plus nécessaire de
concevoir de nouvelles stratégies pour les marques, qui combinent
l'ensemble des moyens de communication.
Internet, un marché émergent aux États-Unis,
embryonnaire en France
Ce n'est pas encore la déferlante publicitaire espérée par
les créateurs de sites Web. Selon l'Internet Advertising Bureau (IAB),
association fondée pour promouvoir son développement, la
publicité sur Internet et les services en ligne a
représenté en 1997, aux États-Unis, un total de
907 millions de dollars, soit 5,5 milliards de francs. Cette
estimation, établie à partir d'une enquête menée par
la firme Coopers & Lybrand (auprès de 200 compagnies
gérant 1 000 sites Web représentatifs), est d'autant
plus intéressante que 90 % des investissements publicitaires
sur le Net proviennent aujourd'hui des États-Unis. Rappelons que le
marché publicitaire américain représente 47 % des
investissements publicitaires mondiaux contre 3,5 % pour le marché
français.
La publicité sur Internet a donc plus que triplé par rapport
à 1996, année où l'IAB avait situé le niveau de
cette " e-pub " à 266,9 millions de dollars.
Compilés par le conseil médias Carat, qui est membre de l'IAB,
les chiffres du marché français sont évidemment beaucoup
plus modestes. En 1997, 180 annonceurs français ont, selon cette
société de conseil médias, réellement investi
l'espace média Internet, en achetant des bandeaux ou via des actions de
sponsoring, pour un montant total de 25 millions de francs, contre
4,5 millions en 1996. On est loin de certaines estimations fantaisistes
qui prennent en compte la création de sites Web promotionnels par les
entreprises. Pour 1998, Carat Multimédia tablerait sur une fourchette de
50 à 70 millions de francs, mais en précisant que tout
dépendra du démarrage du commerce électronique en France
et de la réaction du secteur bancaire.
Par souci méthodologique, l'Internet Advertising Bureau se refuse
à livrer des prévisions mondiales pour 1998. De son
côté, un organisme d'études, Jupiter Communications,
évoque le montant de 2,3 milliards de dollars pour 1998,
près de 4 milliards en 1999 et presque 6 milliards en l'an
2000.
Dès aujourd'hui, le marché de la pub on line s'organise. Des
régies spécialisées comme Yahoo (premier site
français), Interdéco Multimédia (régie de tous les
sites du groupe Hachette), Realmedia (groupe américano-suisse axé
sur la presse quotidienne), Rol (régie spécialisée dans
les fournisseurs d'accès) ou bientôt Doubleclick. Cette
dernière entreprise très importante aux États-Unis,
rassemble chaque mois dans ce pays un milliard de bannières sur 75
supports différents.
L'effet Internet : mode ou tendance lourde ?
Au-delà d'un certain effet d'attraction culturelle, qui engendre une
sorte de mimétisme - au niveau de maquettes de journaux par exemple -,
Internet devrait apporter un changement radical.
Internet aurait pour conséquence d'abattre toutes les
frontières traditionnelles, celle du média et du
hors-médias, celle des mass media et des médias adressés,
celle, enfin, de la communication et de la distribution. Avec Internet, tous
ces domaines s'imbriquent : la publicité, le marketing se fondent
dans le commerce électronique. D'ores et déjà, on peut
parler, comme certains publicitaires, de métissage
.
Quel est l'avenir de la publicité en ligne ? Les avis divergent.
Pour Maurice Lévy, le président-directeur général
du groupe Publicis, elle devrait représenter 10 % du marché
à moyen terme. Pour Jacques Séguéla, au contraire, la
publicité interactive (mais l'expression inclut la publicité par
satellite) pourrait atteindre le niveau des investissements publicitaires
télévisés à l'horizon 2010. Une autre estimation,
sans doute plus réaliste, pour la seule publicité en ligne, celle
de Carat Multimédias, considère que son marché pourrait
égaler celui du Cinéma en 2001, soit 500 millions de francs.
Comme support publicitaire, Internet pourrait représenter une
véritable révolution culturelle. Il serait possible en effet de
mesurer quantitativement le lien existant exactement entre l'annonce
publicitaire et les ventes. Auparavant les annonceurs et les publicitaires ne
disposaient pas d'instruments de mesure directs et précis. En passant
une annonce électronique une " bannière ", selon
la terminologie en vigueur , l'annonceur va maintenant pouvoir en mesurer
l'efficacité simplement par le décompte des connexions nouvelles
sur son site commercial. Si la bannière ne donne aucun résultat,
les régies publicitaires sont en mesure de la changer en quelques
minutes. Mieux, certains logiciels seraient capables de sélectionner
automatiquement les bannières qui donnent les meilleurs scores. Enfin,
Internet permet de compiler des informations sur les utilisateurs, de les
suivre dans leur navigation pour leur proposer des annonces ciblées sur
leurs centres d'intérêt.
Ainsi, la filiale française d'America OnLine - AOL - se lance
dans l'aventure publicitaire en confiant la commercialisation de ses espaces
à Régie On Line, - ROL - une filiale du groupe
français ImagiNet-PlaNet. Cette entreprise, qui assure
déjà la régie publicitaire d'une quarantaine de sites
francophones, a mis au point un système de tarification simple ;
l'annonceur paie en fonction du nombre d'utilisateurs d'AOL qui auront
cliqué sa publicité. A titre indicatif, un bandeau publicitaire
pour une campagne d'un mois coûtera entre 12 000 et
16 000 francs, tandis qu'une icône en forme de logo de
l'annonceur, avec un lien direct au site de ce dernier par cliquage,
coûte environ 350 francs pour 1 000 connexions.
Régie On Line, comme la plupart des autres régies, a
également défini " des bouquets ciblés "
permettant de sélectionner les centres d'intérêts des sites
sur lesquels sont diffusées les publicités.
Même si, aux États-Unis, AOL a réalisé un chiffre
d'affaires publicitaire de l'ordre de 300 millions de dollars en 1996, ce
qui est loin d'être négligeable, le marché français
reste tout à fait balbutiant avec 5 à 6 millions de chiffre
d'affaires pour 1996 dont seulement 1,2 million de francs pour ROL.
A titre d'exemple, on peut mentionner qu'une campagne de 15 jours sur 8
à 10 sites coûte entre 150 et 200 000 francs.
Les annonceurs et leurs agences seront donc en mesure d'évaluer
exactement l'efficacité de leurs investissements publicitaires. La
concurrence ne peut donc qu'être plus rude, pour les agences comme pour
les médias.
De toute façon, l'avenir de la publicité dépend des
solutions techniques et commerciales qui finiront par s'imposer sur les
marchés. Si, d'ici une dizaine d'années, l'ordinateur et la
télévision se sont rejoints, et si les écrans diffusent
alternativement des programmes et des services, - comme cela semble devoir
être le cas aux États-Unis avec le branchement systématique
du câble sur Internet -, on a toutes les raisons de croire que le
marché de la publicité en ligne se développera et que la
segmentation des marchés publicitaires, telle qu'elle existe
aujourd'hui, aura disparu. Beaucoup d'annonceurs utiliseront dans une
même campagne les différents leviers offerts.
Deux lectures
sont
possibles
pour comprendre une telle
évolution : d'un côté, ceux pour qui
les
investissements publicitaires des annonceurs devraient être fortement
amplifiés par ces nouvelles opportunités
de communication et
l'ouverture de nouveaux marchés ; de l'autre, ceux qui, au
contraire, s'inquiètent de
l'accroissement des dépenses qui
pourraient résulter du recours à des techniques plus
sophistiquées
et de ce que " l'accès à des
marchés de masse à des coûts économiquement bas se
raréfie ".
Parallèlement, on peut interpréter le recours accru aux
possibilités de
communication " one to one ", soit comme un
progrès dans la mesure de l'efficacité des messages, soit comme
une cause d'intensification de la concurrence,
susceptible
d'entraîner des transferts de dépenses entre les supports et
éventuellement une diminution des marges.
En tout état de cause, les effets de substitution entre supports, qui
peuvent jouer entre les différents types (presse,
télévision ou radio, hors-médias ou Internet)
dépendront de l'évolution globale du marché et donc de la
croissance de l'économie. Plus celle-ci sera forte, plus le
développement d'Internet comme support publicitaire a des chances
d'être rapide et de s'effectuer sans nuire, directement ou indirectement
aux autres médias.