B. LES RÉSULTATS DES ÉTUDES MICROÉCONOMIQUES : UNE FORTE SENSIBILITÉ DE L'EMPLOI AU COÛT DU TRAVAIL POUR LES SALARIÉS LES MOINS QUALIFIÉS
•
Les études économétriques réalisées en
France à partir de
données d'entreprises
25(
*
)
font en revanche apparaître que
le rythme des investissements de rationalisation y est sensible au coût
du travail, c'est-à-dire que " l'élasticité de
substitution entre capital et travail " est significative
26(
*
)
. Ce résultat tend à
suggérer que l'absence de sensibilité de la substitution capital
/ travail au coût du travail à l'échelle
macroéconomique est une
illusion statistique
.
• Les études conduites sur données d'entreprises qui
distinguent le travail par niveau de qualification suggèrent par
ailleurs que
la sensibilité de l'emploi au coût du travail
serait beaucoup
plus élevée
-de l'ordre du double- pour le
travail peu qualifié
que pour le travail moyen, et serait
très faible, voire nulle, pour le travail hautement qualifié, qui
serait ainsi " complémentaire " du capital.
C. LA SYNTHÈSE DES ÉTUDES EMPIRIQUES OPÉRÉE DANS LES MODÈLES MACROÉCONOMIQUES JUSTIFIE A PRIORI DES ALLÉGEMENTS DE CHARGES CIBLÉS SUR LES BAS SALAIRES
•
Les modèles macroéconomiques constituent normalement un cadre
cohérent pour confronter et relier les mécanismes
économiques, tels qu'ils sont estimés à partir
d'études économétriques.
S'agissant de l'évaluation de l'impact de la baisse du coût du
travail, les modèles économiques constituent toutefois un
instrument
très
limité
.
En effet, l'impact effectif de la baisse du coût du travail
dépend largement, comme cela vient d'être évoqué,
des
réactions
et des
anticipations
des consommateurs et
des entrepreneurs, en particulier de leurs opinions sur la
pérennité de la mesure, ce que les modèles ne peuvent
évidemment prendre en compte.
Par ailleurs, les modèles appréhendent assez mal les dynamiques
de prix relatifs mises en jeu par une baisse du coût du travail.
De surcroît, les modèles économiques sont des
représentations très agrégées de l'économie,
qui ne permettent guère de jauger l'effet de mesures qui, comme les
allégements de charges sur les bas salaires, sont ciblées et ont
des effets très différenciés selon les secteurs
d'activité.
Enfin, les utilisateurs de modèles macroéconomiques de
simulation de l'économie française sont confrontés
à un dilemme pour évaluer l'impact de la baisse du coût du
travail sur l'emploi. En effet, les équations habituelles de ces
modèles sont fondées sur des estimations
économétriques réalisées à l'échelle
macroéconomique, donc ne comportent pas, ou très peu, d'effet de
substitution capital / travail (cf. supra A.1). Dès lors, ou bien les
modélisateurs " laissent tourner leurs équations ", ce
qui est cohérent, mais donne des résultats peu
vraisemblables ; ou bien, et c'est l'option qu'ils retiennent le plus
souvent, ils introduisent arbitrairement une valeur vraisemblable pour
l'élasticité de substitution du capital au travail, au risque de
préjuger de ce qu'ils souhaitent évaluer.
• Sous ces réserves, les modélisations économiques
suggèrent les résultats suivants :
- Un allégement
uniforme
des charges sociales patronales,
compensé
par la hausse d'autres prélèvements,
pourrait présenter des effets favorables, mais
modestes
sur
l'emploi (ce point sera discuté au III) ;
- Les allégements de charges
ciblés
sur les bas
salaires, compensés par la hausse d'autres prélèvements,
c'est-à-dire un transfert de charge des cotisations sociales sur les bas
salaires vers d'autres modes de financement de la cotisation sociale, seraient
très favorables à l'emploi.
Le transfert de
dix milliards de francs
de cotisations sociales
assises sur les bas salaires vers d'autres sources de financement de la
sécurité sociale se traduirait ainsi, sous des hypothèses
vraisemblables d'élasticité de substitution du travail peu
qualifié au capital, par la création nette de
10 000
à
50 000 emplois
à
moyen-long terme
, selon
les modèles et les financements alternatifs retenus. Les
allégements de charges actuels, ciblés sur les bas salaires ou
les salariés les moins qualifiés (73 milliards de francs en
1997, dont 44 milliards de francs pour la ristourne dégressive),
permettraient ainsi, s'ils étaient maintenus, la création de
75 000 à 375 000 emplois
à l'horizon de dix ans
à
déficit public constant
ex-ante
27(
*
)
.
• Ces évaluations appellent plusieurs précisions :
- il s'agit là de créations
nettes
d'emplois,
c'est-à-dire d'un
solde
entre la création d'un nombre
supérieur d'emplois à bas salaires et la disparition ou la
non-création d'un nombre inférieur d'emplois hautement
qualifiés ;
- l'impact de ces allégements de charges sur l'emploi est
très
lent
(à mesure que les entreprises renouvellent leurs modes de
production et que les consommateurs modifient leur habitudes) : le plein
effet de la mesure ne serait atteint qu'à l'horizon d'une dizaine
d'années. Ces mesures ne sauraient donc se substituer entièrement
à des dispositifs de soutien conjoncturel de l'emploi ;
- les emplois à bas salaires potentiellement créés par les
allégements de charges ciblés ne bénéficieraient
pas nécessairement en premier lieu aux
salariés
non
qualifiés
. En effet, dans le contexte d'un marché du travail
globalement dégradé, ces emplois sont susceptibles d'être
pourvus par des salariés qualifiés
" déclassés ". Ainsi, les politiques
d'allégement de charges sur les bas salaires ne sauraient se substituer
entièrement aux dispositifs visant à aider individuellement des
personnes en difficulté (par exemple des jeunes sans diplôme).