D. L'ÉVALUATION DES EFFETS DES ALLÉGEMENTS DE CHARGES SUR LES BAS SALAIRES MIS EN oeUVRE DEPUIS 1993

• Il n'existe à ce jour aucune évaluation précise de l'impact réel sur l'emploi des allégements de charges sur les bas salaires mis en oeuvre depuis 1993 : au contraire de mesures pour l'emploi très ciblées ou contractuelles, pour lesquelles une mesure des effets est possible, le dispositif d'allégement de charges sur les bas salaires se prête mal à une évaluation.

En effet, les employeurs eux-mêmes ne peuvent déterminer si les emplois qu'ils ont créés ou maintenus depuis l'entrée en vigueur du dispositif auraient été créés en l'absence de l'allégement (" effet d'aubaine "), s'ils se sont substitués à des emplois mieux rémunérés (" effet d'éviction ") ou si le dispositif leur a permis de conquérir des parts de marché au détriment d'entreprises concurrentes (" effet de cannibalisme ").

C'est pourquoi les expertises chiffrées relatives aux effets sur l'emploi des allégements de charges sur les bas salaires, réalisées notamment dans le cadre d'un rapport du CSERC 28( * ) au Premier ministre en 1996, puis en 1997 dans le cadre de l'instance d'évaluation de la loi quinquennale, sont en fait des évaluations théoriques des effets potentiels de ce dispositif, qui ne diffèrent en rien des évaluations réalisées avant son entrée en vigueur.

• Néanmoins, l'enrichissement du contenu en emplois de la croissance au cours des dernières années pourrait résulter en partie de la mise en oeuvre des allégements de charges sur les bas salaires : en théorie (cf. infra), la mise en oeuvre des allégements de charges sur les bas salaires à partir de la loi du 27 juillet 1993 et de la loi quinquennale du 20 décembre 1993, devait en effet se traduire par un ralentissement de la substitution capital / travail, donc par une décélération de gains de productivité, c'est-à-dire par un enrichissement du contenu en emplois de la croissance .

Or, l'économie française connaît effectivement, depuis le début des années 1990, un ralentissement des gains de productivité par rapport à leur tendance baissière de long terme 29( * ) . Cette inflexion des gains de productivité, que les statisticiens datent selon les cas de la fin de 1992 ou de 1993, aurait permis à l'économie française de créer ou de préserver, à croissance du PIB inchangée sur la période 1993-1997, près de 300 000 emplois supplémentaires à la fin de 1997.

Il semblerait d'ailleurs que cet enrichissement du contenu en emplois de la croissance se soit prolongé en 1998 : l'emploi est particulièrement dynamique, au contraire des reprises précédentes où les entreprises attendaient plusieurs semestres avant d'embaucher.

• La part qui revient aux allégements de charges sociales pour expliquer cette inflexion du contenu en emplois de la croissance demeure toutefois difficile à établir, d'autant plus que les modalités de ces allégements ont été particulièrement instables 30( * ) .

L'enrichissement du contenu en emplois de la croissance résulte sans doute en premier lieu de l'accélération du développement du travail à temps partiel à partir de 1992, sous l'effet notamment de l'abattement de charges spécifique institué en septembre 1992, puis du biais des allégements de charges sur les bas salaires en faveur du travail à temps partiel : jusqu'à la " proratisation " des allégements en fonction du temps de travail en 1997, il était plus avantageux pour un employeur d'embaucher deux salariés à mi-temps qu'un salarié à temps complet.

Par ailleurs, trois phénomènes temporaires pourraient avoir concouru au ralentissement des gains de productivité depuis 1992 :

- le niveau élevé des taux d' intérêts réels jusqu'à la fin de 1995, qui renchérissait les investissements, donc freinait la substitution capital / travail ;

- le ralentissement de la croissance elle-même entre 1991-1996 : les périodes de croissance lente seraient en effet peu propices à l'innovation et à la diffusion du progrès technique ;

- le développement de la flexibilité du marché du travail, et plus particulièrement de l'intérim : par rapport aux reprises précédentes, les entreprises semblent avoir en effet embauché plus tôt parce qu'elles pouvaient plus aisément recourir à une main-d'oeuvre temporaire.

Il est néanmoins vraisemblable que les allégements de charges sur les bas salaires ont amplifié, sinon catalysé , l'enrichissement du contenu en emplois de la croissance : selon le directeur de la DARES 31( * ) , M. Claude Seibel, les allégements de charges seraient ainsi à l'origine de 80 000 emplois supplémentaires à la fin de 1997, et de 120 000 emplois supplémentaires à la fin de 1998 32( * ) .

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