2. Les conséquences d'une gestion paritaire du système scolaire : les décharges syndicales et les autorisations d'absence
a) Le dispositif réglementaire existant : un régime de droit commun amplifié par l'effet de masse
L'exercice du droit syndical dans la fonction publique est
régi par les dispositions du décret n° 82-447 du 28 mai
1982, notamment pour les règles relatives aux représentants
syndicaux.
Pour permettre à ces représentants d'exercer leur activité
au sein de leur organisation ou en tant que délégué
syndical pour participer aux réunions paritaires, conseils
d'administration et autres organismes où ils ont été
désignés, le décret prévoit deux séries de
dispositions : les décharges syndicales et les autorisations
d'absence.
Les décharges syndicales
Les décharges syndicales sont calculées, selon l'article 16
du décret précité, en fonction des effectifs des
ministères. Sont pris en compte les agents titulaires et non titulaires
des services centraux et extérieurs des ministères et
établissements publics placés sous la tutelle de ces
ministères. Ces décharges sont attribuées par
ministère selon un barème dégressif :
-
une décharge totale de service pour 350 agents pour
les effectifs ne dépassant pas le chiffre de 25.000 agents ;
- une décharge totale de service pour 500 agents pour les
effectifs compris entre 200.001 et 300.000 agents ;
- une décharge totale de service pour 2.000 agents pour les
effectifs dépassant 600.000 agents.
Ainsi, compte tenu des effectifs du ministère de l'éducation
nationale, les syndicats ont-ils droit à des décharges
calculées sur la base d'une décharge pour 2.000 agents,
alors qu'au ministère de la culture, la proportion est d'une
décharge pour 350 agents.
En fonction de ce barème, les décharges de service sont
attribuées par le ministère qui les répartit entre les
organisations syndicales, en tenant compte de leur
représentativité.
Les organisations syndicales désignent librement parmi leurs
représentants, les bénéficiaires de décharges de
service. Elles attribuent le plus souvent des décharges partielles. Les
listes de noms doivent être communiquées au ministre lorsque les
décharges sont attribuées au niveau national ou au recteur, si
elles sont accordées localement.
Selon les chiffres transmis par la direction des affaires financières du
ministère,
en 1998, les décharges syndicales, y compris celles
provenant des autorisations d'absences transformées,
représentaient 583 postes ETP dans le premier degré et 935
postes ETP dans le second degré. Dans la réalité, le
nombre de bénéficiaires d'une décharge syndicale partielle
ou totale est d'environ 7.000 agents
.
A titre d'exemple, le SNES a indiqué à la commission qu'il ne
disposait d'aucun " déchargé complet ", à trois
exceptions près, et que tous les responsables au niveau
déconcentré ou national souhaitaient conserver une
activité d'enseignement.
La compensation des décharges d'activité des services ne
présente pas un caractère systématique ; elle peut,
par ailleurs, varier d'un corps à l'autre et suivant les
académies.
Pour les personnels administratifs, les décharges sont, a priori,
compensées à taux égal dès lors qu'elles sont
comprises entre 50 % et 100 % du temps de service complet ;
toutefois, compte tenu des contraintes budgétaires, cette compensation
n'est satisfaite que dans 80 % des cas.
Pour les personnels enseignants du premier degré, le remplacement des
personnels déchargés est assuré au niveau du
département en fonction des moyens disponibles dont dispose l'inspecteur
d'académie, directeur des services départementaux de
l'éducation nationale.
Pour les personnels enseignants du second degré, les décharges
d'activité de service sont le plus souvent compensées sous forme
d'heures supplémentaires assurées par d'autres enseignants de
l'établissement ; les décharges accordées aux chefs
d'établissement font en revanche l'objet d'une compensation
systématique sous forme de poste ou de demi-poste provisoire
occupé par un conseiller principal d'éducation.
En ce qui concerne l'enseignement privé, les maîtres des
établissements d'enseignement privés sous contrat et les chefs de
ces établissements bénéficient de décharges
d'activité de service pour l'exercice d'un mandat syndical, suivant les
mêmes règles que celles qui sont définies pour les
personnels correspondant de l'enseignement public (par référence
aux dispositions de l'article 16 du décret du
28 mai 1982). Aucune compensation en emploi par le ministère
n'est prévue.
Pour l'année 1998-1999, les décharges syndicales pour les chefs
d'établissements s'élevaient à 8,823 postes ETP et
à 127,582 postes ETP pour les maîtres.
Les autorisations d'absence
Le décret du 28 mai 1982 aménage trois régimes
distincts pour les autorisations d'absence.
- les articles 12 et 13 accordent, sous réserve des
nécessités du service, des autorisations d'absences pour assister
à des congrès syndicaux ou des réunions d'organismes
directeurs dans la limite, pour un même agent, de dix jours par an, pour
des réunions des syndicats nationaux, des fédérations et
des confédérations. Cette limite est portée à
20 jours s'il s'agit de congrès syndicaux internationaux, ou
d'unions régionales ou départementales de syndicats ;
- pour les congrès, réunions statutaires, comités
directeurs non visés à l'article12, il est prévu par
l'article 14 du décret des journées d'autorisation
spéciales d'absence dans la limite d'un contingent global
déterminé, pour chaque ministère, à raison d'une
journée d'autorisation d'absence pour 1.000 journées de
travail effectuées par les agents du ministère.
A la différence des décharges syndicales, ce barème n'est
pas dégressif, ce qui avantage les syndicats de l'éducation
nationale compte tenu des effectifs du ministère, mais ce droit à
absence n'est accordé que sur justificatif.
Ce contingent de journées est réparti entre les organisations
syndicales compte tenu de leur représentativité ;
- Enfin, l'article15 prévoit que les représentants syndicaux
siégeant au Conseil supérieur de la fonction publique, au sein
des comités techniques et des commissions administratives paritaires,
des comités d'hygiène et de sécurité, des groupes
de travail convoqués par l'administration, des conseils
d'administration, se voient accorder une autorisation d'absence sur
présentation de la convocation.
La durée de cette autorisation inclut, outre le temps de réunion,
les délais de route ainsi qu'un temps égal à la
durée de la réunion pour permettre aux intéressés
d'assurer la préparation et le compte rendu des travaux.
b) Un dispositif difficile à contrôler et aux conséquences lourdes pour l'organisation scolaire
Malgré un encadrement juridique strict fixé par le décret
du 28 mai 1982, il semble que la pratique en matière de
décharges syndicales, se développe au-delà de ce qui est
autorisé.
Ces " arrangements " se négocient la plupart du temps au
niveau académique, voire même à celui de
l'établissement. Ils résultent de la difficulté
d'organiser l'emploi du temps de certains délégués
syndicaux bénéficiant d'une décharge syndicale partielle.
Ceux qui atteignent un certain niveau de responsabilités dans leur
syndicat, se trouvent en réalité dans l'impossibilité
matérielle d'assurer les quelques heures d'enseignement qu'ils doivent
effectuer.
Dans l'intérêt des élèves, et souvent sous la
pression des parents, l'inspecteur d'académie ou le chef
d'établissement décide parfois de transformer la décharge
partielle en décharge totale. Il s'agit donc d'une décharge
" clandestine " qui a des incidences financières puisque le
représentant syndical doit être remplacé pour le temps de
service qu'il n'effectue plus.
Le mécanisme des journées d'autorisation spéciales
d'absence est également source de perturbations importantes pour
l'organisation scolaire, car elles entraînent des absences courtes, pour
lesquelles le remplacement est très difficile à mettre en place.
En 1982, Alain Savary, alors ministre de l'éducation nationale, a
tenté, avec les syndicats, de réduire le nombre de ces
autorisations. L'accord conclu a porté sur la transformation de
50 % des autorisations spéciales d'absence en décharges de
service.
En 1995, de nouvelles négociations engagées par
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale,
ont abouti à la transformation de 25 % supplémentaires
d'autorisations d'absence en décharges syndicales pour les personnels
enseignants. Le solde -soit 25 %- des autorisations spéciales
d'absence représente 103.688 journées.
Le représentant de la FEN a ainsi indiqué à la commission,
qu'à la rentrée 1998, la Fédération et ses
syndicats nationaux, au titre des deux moyens (décharges et
transformations en autorisations d'absence) bénéficiaient de
440 décharges de services, dont 88 au titre de la
Fédération. S'y ajoutent 12.230 journées
d'autorisations d'absence au titre du millième, réparties en
2.447 journées fédérales et 9.783 au niveau des
syndicats nationaux.
Devant la commission, les représentants des organisations syndicales ont
exprimé la crainte que cette pratique des 75 % ne soit remise en
cause par le ministère et ont exprimé le souhait que celle-ci
soit officialisée, étant entendu que dans certains
ministères, comme celui de la culture ou de la jeunesse et des sports,
la totalité des journées d'autorisations spéciales ont
été transformées en décharges syndicales.
Sur le principe de la transformation des autorisations d'absence en
décharges de service, la commission reconnaît bien volontiers que
ceci présente des avantages d'un point de vue de l'organisation des
emplois du temps des enseignants puisque la répartition de ces
décharges est notifiée pour la rentrée scolaire.
Néanmoins, il faut souligner qu'à travers cette opération
les organisations syndicales obtiennent un volant supplémentaire de
personnes disponibles pour faire fonctionner la structure syndicale, alors
qu'initialement le système des autorisations spéciales d'absence
était prévu pour permettre aux enseignants, représentants
syndicaux, d'assister à des congrès ou des réunions, dans
la limite d'un plafond annuel de journées qui n'était sans doute
pas toujours atteint.
Le volant supplémentaire ainsi accordé est d'autant plus
généreux à l'éducation nationale, que les
autorisations d'absence transformées sont calculées, sans
barème dégressif, au prorata du nombre de journées
travaillées dans chaque ministère.
Le tableau ci-après donne, pour les organisations syndicales, la
répartition des décharges de service selon qu'elles proviennent
des décharges syndicales proprement dites, ou de la transformation des
autorisations d'absence.
DOTATIONS EN POSTE ETP AU TITRE DES DÉCHARGES
SYNDICALES
ET DES AUTORISATIONS D'ABSENCES TRANSFORMÉES
(ANNÉE 1998-1999)
Fédérations syndicales |
Décharges
|
Autorisations absences (75 %) Art. 14 |
TOTAL
|
Fédération des syndicats autonomes |
42,273 |
28,700 |
70,973 |
Confédération syndicale de l'éducation nationale |
50,104 |
25,700 |
75,804 |
Confédération française démocratique du travail |
141,163 |
89,283 |
230,446 |
Fédération de l'éducation nationale |
260,566 |
179,819 |
440,385 |
Fédération autonome de l'éducation nationale |
28,272 |
19,850 |
48,122 |
Fédération syndicale unitaire |
486,515 |
325,649 |
812,164 |
Confédération générale du travail - Force ouvrière |
91,636 |
58,313 |
149,949 |
Confédération générale des cadres |
19,196 |
12,674 |
31,870 |
Confédération générale du travail |
78,316 |
46,972 |
125,288 |
Confédération française des travailleurs chrétiens |
8,998 |
5,615 |
14,613 |
NB : Les décharges sont calculées en fonction des critères de représentativité de chacune des organisations syndicales qui composent ces fédérations. Elles intègrent également les organisations syndicales spécifiques à l'enseignement supérieur.
c) Les conséquences négatives de la gestion paritaire sur l'organisation scolaire
Outre
les décharges syndicales et les autorisations d'absence au titre du
millième, les enseignants participant aux organismes paritaires de
gestion ont droit automatiquement, au titre de l'article 15 du
décret du 28 mai 1982, à une autorisation d'absence
pour assister aux réunions. Celle-ci vaut également pour la
participation au conseil supérieur de la fonction publique, aux
comités d'hygiène et de sécurité, aux groupes de
travail convoqués par l'administration... L'autorisation d'absence est
de droit, puisque l'enseignant concerné est tenu d'y assister. Aucune
limitation n'est fixée et le calcul du temps est, on l'a vu, très
généreux puisqu'il inclut le temps de trajet, de
préparation et de compte rendu des travaux !
La multiplicité des instances paritaires au sein de l'éducation
nationale mobilise un nombre considérable d'enseignants, avec des
incidences lourdes en matière de gestion scolaire, compte tenu de la
difficulté qu'il y a à remplacer ces journées ou ces
demi-journées d'absence.
D'après les indications fournies à la commission, la tenue des
commissions paritaires (une par corps) et des formations paritaires, à
la direction des personnels enseignants, chargées de la gestion des
personnels, représenterait un mois et demi à deux mois de
présence et mobiliserait 222 professeurs.
La commission ne peut que s'inquiéter des incidences de la
déconcentration du mouvement et de la participation
nécessairement accrue des représentants syndicaux à cette
gestion déconcentrée.
Dans chacune des trente académies, les commissions paritaires de chacun
des corps et les formations paritaires devront se réunir comme celles
qui siégeaient à l'échelon national, étant entendu
que ces dernières continueront à se réunir à
l'occasion du mouvement intra académique.
Aucun calcul n'a été fait pour évaluer le nombre d'heures
passées par les représentants des personnels enseignants dans ces
réunions paritaires et pour chiffrer l'augmentation qui résultera
de la gestion déconcentrée du mouvement.