B. LA FUSION BAE - GEC MARCONI
La
fusion entre BAe et GEC-Marconi, apparue comme une demi-surprise, a
constitué une initiative considérée dans l'ensemble des
pays européens, excepté la Grande-Bretagne sans doute, comme
susceptible de constituer un obstacle sérieux sur la voie d'une
intégration de l'industrie aéronautique européenne.
Cette approche se recommande sans doute de justifications fortes mais il
apparaît cependant excessif de présenter cette fusion comme de
nature à empêcher l'union de l'industrie aéronautique
européenne, même si elle renvoie aux calendes la perspective d'un
groupe électronique européen puissant.
La fusion intervenue en janvier 1999 a consisté en l'absorption par BAe
des actifs d'électronique de défense de GEC regroupés dans
Marconi Electonic Systems.
Structure du groupe GEC avant la fusion
GEC
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MARCONI
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MARCONI
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Électronique industrielle |
Avionique
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Réseaux mobiles
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Picker
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Alenia
Marconi Système (50 %)
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Comstar (50 %) |
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GDA (50 %) |
Du point
de vue financier, les arrangements pris à l'occasion de
l'opération ont amené à rémunérer les
actionnaires de GEC en leur distribuant 36,7 % du capital du nouveau
groupe et en leur payant une soulte de 440 millions de livres selon un
échéancier étalé sur quatre ans.
Ces conditions ont conduit alors à évaluer la transaction
à 7,7 milliards de livres, soit une valorisation de Marconi
jugée extrêmement favorable représentant plus de
18 fois le bénéfice d'exploitation de 1998.
Des considérations strictement financières excluant tout jugement
sur le potentiel de Marconi amènent toutefois à relativiser ce
jugement puisqu'aussi bien la rétribution des actionnaires de GEC devait
être étroitement dépendante du cours des actions
distribuées à eux. Les marchés ayant mal réagi
à une opération entraînant dilution du capital de BAe, le
bénéfice de la fusion pour les actionnaires de GEC s'est
révélé très inférieur à ce qui
était anticipé.
Une observation plus importante doit alors être faite : la fusion a
certes appauvri les actionnaires de BAe, elle n'a, en revanche, pas beaucoup
écorné les capacités financières de l'entreprise
puisque ses débours réels ont été limités
à la soulte évoquée plus haut. Dans ces conditions, les
marges de manoeuvre financières de BAe sont restées quasiment
intactes. On peut même considérer -v. infra- qu'elles ont
été améliorées.
Le bilan financier de l'opération conduit alors à s'interroger
sur les raisons profondes du refus que les dirigeants de GEC ont
opposées à l'offre concurrente de Thomson.
La pertinence de cette interrogation est renforcée par la
considération du volet stratégique de la fusion BAe-GEC.
L'intérêt industriel de cette opération conduit à
examiner les avantages des concentrations verticales entendues par opposition
aux concentrations horizontales.
Selon BAe, les avantages procurés par la fusion avec Marconi se
déclinent autour des éléments suivants :
- l'amélioration de l'efficience opérationnelle à travers
une meilleure gestion des programmes,
- une clientèle élargie,
- un potentiel de croissance accru du fait d'une capacité plus grande
à satisfaire les besoins de la clientèle,
- des gains à l'exportation,
- des réductions de coûts à hauteur chaque année de
275 millions de livres,
- la réunion de capacités technologiques plus importantes,
- et des opportunités de carrière plus grandes pour les
employés.
Il est significatif que la plupart des arguments produits par BAe concernent
non pas les aspects industriels de la fusion mais ses aspects commerciaux.
Les arguments de nature industrielle sont soit assez vagues
-l'amélioration de la capacité technologique-, soit quelque peu
contradictoires. En effet, les réductions de coûts
annoncées ne seraient que différées. Le bilan net de la
fusion serait même négatif au cours des deux années
à venir, les coûts de la fusion devant s'élever à
200 millions de livres contre un gain attendu de 190 millions. Ce
n'est qu'au-delà que les diminutions de charge interviendraient sans que
cette perspective soit assise sur des prévisions telles qu'on puisse
leur accorder quelque crédit.
Rien de cela n'est véritablement étonnant. Les concentrations
verticales ne sont pas assises sur la considération de synergies
industrielles susceptibles de déboucher sur une optimisation des
coûts de production et de recherche. C'est en ce sens que les
propositions de Thomson auraient sans doute mérité un meilleur
sort. Les seules réductions de charges réellement envisageables
concernent en fait les coûts d'administration générale ou,
éventuellement, les frais financiers.
La logique de l'opération est donc ailleurs.
Réside-t-elle dans les perspectives commerciales ouvertes par la
fusion ? Une approche nuancée s'impose. Elle conduit à
mettre en évidence l'importance des positions commerciales de Marconi
qui opère sur des marchés porteurs et a un accès
privilégié au marché américain. On rappelle
à ce sujet que 64 % des 3,7 milliards de livres de chiffre
d'affaires de Marconi Electronic Systems ont été
réalisés à travers des ventes à l'étranger
en 1998 et que, grâce au rachat de l'entreprise américaine Tracor,
Marconi est le sixième électronicien présent aux
États-Unis. Il est à ce titre associé à des
programmes aussi importants que le JSF.
Mais, en contrepartie, les dangers d'une intégration verticale doivent
être soulignés si celle-ci devait se traduire par des
préférences économiquement injustifiées. En outre,
l'aversion américaine à l'égard des concentrations
verticales manifestée spectaculairement avec le refus de la fusion entre
Lockheed - Martin et Northrop - Grumman pourrait nuire aux positions
commerciales du nouveau groupe.
Au fond, le seul intérêt totalement incontestable de
l'opération semble résider dans l'acquisition d'une entité
très profitable ayant atteint un niveau élevé de retour
sur chiffre d'affaires (11,3 % en 1998) moyennant un prix effectif modeste.
Cet aspect des choses, ironie du sort, renforce la portée très
négative de l'initiative de BAe au regard du processus
d'intégration des industriels européens. Il tend à
accroître les écarts de performance financières entre les
partenaires. Mais, l'essentiel est ailleurs. L'intégration des actifs de
GEC-Marconi dans l'entreprise aéronautique unique voulu par les pouvoirs
publics européens n'est pas souhaitable.
L'entreprise aéronautique unique a vocation à regrouper les
forces de l'aéronautique sur la base de concentrations d'actifs
horizontale, par métiers, et non d'introduire dans son
périmètre des électroniciens qui, par leur
intégration dans l'entreprise, apparaîtraient comme des
fournisseurs obligés.
En outre, la très forte vocation américaine de GEC-Marconi rend
tout à fait inenvisageable pour l'entreprise aéronautique mais
aussi pour GEC-Marconi elle-même une telle solution. La filialisation des
activités électroniques de BAe s'imposera.
Sera-t-elle suffisante pour restaurer les conditions du regroupement de
l'aéronautique européenne ?
La réponse à cette question dépend de façon
cruciale des équilibres de l'entité qui en résulterait, ce
qui en fait que rendre plus nécessaire encore l'émergence d'une
entreprise sans suprématie.