EXAMEN EN COMMISSION
Au cours
de sa séance tenue dans la matinée du mercredi 9 juin 1999
sous la présidence de M. Alain Lambert, président, la commission
a entendu la communication de M. Yvon Collin, rapporteur spécial des
crédits du transport aérien, sur son rapport consacré
à la restructuration de l'industrie aéronautique
européenne.
Après avoir indiqué qu'au long de la préparation de son
rapport, de multiples événements, fausses pistes et
rebondissements s'étaient produits, significatifs des relations
mouvementées entre les industriels européens et
inquiétants à tout point de vue, M. Yvon Collin, rapporteur
spécial, a exposé les raisons qui l'avaient décidé,
comme membre de la commission des finances en charge des questions d'aviation
civile, à se pencher sur le dossier de la restructuration de l'industrie
aéronautique européenne :
- le souci, du fait de la dépense publique allouée à cette
industrie, de prendre la mesure du cheminement vers une industrie
européenne plus forte ;
- le fait que l'industrie française était, dans ce secteur, une
industrie essentiellement publique dont le sort, en tant que telle, doit
naturellement mobiliser l'attention de la commission.
Il a alors précisé que la nature même des problèmes
l'avait incité à considérer l'industrie
aéronautique au sens le plus large.
Puis il a déploré que le questionnaire adressé le 10 mars
1999 au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie,
cosigné par le président de la commission des finances et
lui-même, n'ait pas reçu de réponse, appelant de ses voeux,
en tant que rapporteur spécial, des solutions qui permettent à la
commission, quelle que soit la configuration politique du moment, d'être
mieux respectée.
Il a alors expliqué que le regain d'intérêt pour l'union
des forces aéronautiques en Europe avait été
suscité selon lui par la fusion entre Boeing et Mac Donnell-Douglas qui
avait donné naissance à une entreprise géante, directement
et seule concurrente d'Airbus et par la prise de conscience, de plus en plus
aiguë, du gaspillage des moyens publics en Europe tenant à la
coexistence de deux programmes d'avions de combat, le Rafale et l'Eurofighter
concomitante avec l'absence de décision sur un programme européen
de transport de troupes, l'avion de transport du futur (ATF).
Ayant rappelé la teneur de la déclaration conjointe du 9
décembre 1997 des plus hautes autorités politiques
européennes, appelant les industriels à jeter les bases d'une
entreprise européenne unique regroupant l'ensemble des actifs de
l'aéronautique au sens large (avions civils et militaires, missiles,
spatial...) et placée sous le signe de l'urgence, il a
déclaré que tout l'objet de son rapport était
d'élucider ses justifications et de présenter ses prolongements.
S'agissant des justifications, le rapporteur spécial a jugé
qu'elles ne manquaient pas, l'industrie aéronautique étant
porteuse d'enjeux importants sur les plans économique et
géostratégique, mais se trouvant soumise à des contraintes
particulières.
Il a alors évoqué des contraintes propres -les coûts
très élevés de développement des produits, la
concurrence très vive sur certains marchés, l'existence pour
certains produits de cycles très accusés et difficiles à
esquiver- et a ajouté que les contraintes liées à
l'environnement de l'industrie aéronautique se durcissaient avec une
acuité toute particulière en Europe :
- la réduction des commandes militaires dans les pays occidentaux qui
affectait le potentiel d'activité des entreprises de façon
particulièrement sévère pour l'Europe, non que la
décrue y soit plus importante, mais parce qu'elle y concernait des
budgets éparpillés et d'un niveau infiniment moindre qu'aux
Etats-Unis ;
- les pressions sur les finances publiques, en Europe, conduisant à un
mode de soutien public moins généreux qu'aux Etats-Unis ;
- la mondialisation qui, s'accompagnant d'une « financiarisation » de
l'économie, posait des problèmes à des entreprises
gourmandes en investissements et dont les courbes de rendement s'inscrivent
dans la durée.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial, a alors estimé que, face
à cet ensemble de contraintes, l'industrie américaine
était beaucoup mieux armée que l'industrie européenne,
avec des positions de marché sans commune mesure et des acteurs mieux
structurés.
A leur propos, il a d'abord évoqué la situation comparée
des pouvoirs publics, rappelant que le modèle américain
était compatible avec une implication très forte des pouvoirs
publics au service des entreprises nationales, mais aussi dans le modelage de
la base industrielle américaine, ce qui tranchait avec les
hésitations observées en Europe.
Puis il a souligné qu'au terme des processus de consolidation intervenus
aux Etats-Unis, le tissu industriel américain apparaissait dominé
par les caractéristiques qui font défaut en Europe et qu'ainsi il
était compact face à une réalité européenne
éclatée, puissant car maillé par des entreprises
géantes et cohérent, ses entreprises disposant d'un meilleur
équilibre dans leurs portefeuilles d'activités.
Il a salué sans réserve, dans ces conditions, l'initiative
politique lancée en Europe mais il a déploré qu'ayant
suscité beaucoup d'espoirs, ses prolongements effectifs puissent laisser
le goût amer des illusions perdues.
Ayant rappelé que deux grands projets étaient censés
cheminer, celui de transformer Airbus en une société commerciale
et celui, plus ambitieux, de doter l'Europe d'une entreprise
aéronautique unique, il les a jugés tous deux pertinents sous la
réserve, dont il a détaillé les justifications, qu'ils
avancent en parallèle.
Il a alors constaté que tel n'était pas le cas, la constitution
d'une grande entreprise aéronautique semblant paralysée.
Ayant jugé ce projet très ambitieux et totalement
justifié, il a considéré que la chimère serait de
croire que, en ce domaine, le « statu quo » pourrait suffire tant
l'avenir de l'industrie aéronautique en Europe dépendait de sa
capacité à unir ses forces.
Ayant longuement exposé les évolutions intervenues dans le
paysage français pour, malgré quelques réserves, s'en
féliciter, il a précisé l'évolution du dialogue
entre les entreprises européennes, les conditions de sa
dégradation, et déploré son échec finalement
constaté.
Il a alors jugé que cet échec ne devait pas être
considéré comme le résultat inéluctable d'un projet
marqué dès l'origine par une ambition excessive, citant les
très importants points d'accord obtenus sur le périmètre
des activités à transférer à la future entreprise,
les grandes orientations de sa gestion et sur son organisation.
Après avoir détaillé les raisons de la discorde entre les
entreprises et ses conséquences inacceptables, il a souligné que
l'échec des industriels était aussi l'échec des pouvoirs
publics européens, les entreprises n'ayant en effet pas répondu
à leur appel.
Il a alors précisé que cet échec était, pour les
pouvoirs publics, la manifestation d'une incapacité à prendre
certaines décisions formant autant de préalables à la
constitution d'une grande entreprise aéronautique européenne,
qu'il a alors énoncées, mais aussi à reconnaître le
sérieux de leurs intentions. Ayant précisé son analyse, il
a souligné l'importance des moyens d'action des pouvoirs publics en
Europe et, finalement, précisé les conditions lui semblant
indispensables pour sortir de l'impasse actuellement constatée.
M. Alain Lambert, président, a fait état de son irritation face
à l'absence de communication des documents nécessaires à
l'information du Parlement. Jugeant que cette situation était
indépendante de l'orientation politique des gouvernements, il s'est
demandé si elle ne provenait pas souvent d'un mauvais vouloir des
administrations, estimant qu'il conviendrait à l'avenir d'user de tous
les moyens disponibles pour le surmonter.
Un large débat s'est alors ouvert en commission.
M. François Trucy, après avoir salué le travail du
rapporteur spécial et souligné l'importance des emplois indirects
associés à l'industrie aéronautique et la diversité
de ses sites sur le territoire français, a demandé à quel
niveau l'on pouvait évaluer le soutien public à la recherche aux
Etats-Unis. Puis il s'est ouvert de ses interrogations sur le type de
négociations à conduire en Europe pour aboutir à une
industrie aéronautique unifiée.
M. Maurice Blin ayant félicité le rapporteur spécial de
son souci de clarification, a d'abord souligné la place exceptionnelle
de la France dans l'industrie aéronautique européenne, sortie
encore renforcée de la fusion entre Aérospatiale et Matra Hautes
Technologies, mais aussi ses faiblesses en termes de rentabilité.
Ayant dit son accord avec les analyses du rapporteur spécial sur la
modification du statut d'Airbus, il a rappelé que le consortium avait
rencontré des difficultés financières malgré ses
succès commerciaux et que l'on pouvait espérer du changement de
son statut une amélioration de ses performances. Il s'est alors
interrogé sur les perspectives de l'ATF et du futur gros-porteur civil,
l'A3XX.
M. Jacques Oudin a remercié le rapporteur spécial de son travail
et souhaité un effort conjoint des rapporteurs concernés pour
évaluer globalement les fonds publics alloués à
l'industrie aéronautique. Il s'est enfin interrogé sur le sort de
l'avion supersonique du futur.
M. Paul Loridant a rappelé que, rapporteur de l'Office parlementaire
d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, il avait pu
percevoir l'importance au XXIe siècle des enjeux attachés
à la maîtrise de l'espace et la nécessité d'unir
davantage les efforts des acteurs européens dans ce domaine.
En réponse aux intervenants, M. Yvon Collin, rapporteur spécial,
s'est félicité de la fermeté des propos du
président de la commission rappelant qu'il en allait non pas d'une
volonté politique de gêner tel ou tel gouvernement, mais de la
crédibilité des institutions de la République. Puis il a
confirmé l'importante contribution de l'industrie aéronautique
à l'emploi et à l'équilibre du territoire.
Il a alors précisé que la NASA consacrait environ 1 milliard de
dollars par an à soutenir la recherche aéronautique et beaucoup
plus que cela si l'on prenait en compte le secteur spatial, comparant ces
chiffres avec les plus de 30 milliards de dollars consacrés par le
Pentagone aux crédits de recherche aéronautique.
Il a déclaré partager totalement les analyses de M. Maurice Blin,
précisant que les gains liés à la transformation d'Airbus
pouvaient être considérés comme assez conjecturaux
dès lors que d'autres regroupements d'actifs ne l'accompagneraient pas.
Il a souligné le caractère transitoire des difficultés de
Boeing et l'erreur grave qui consisterait à négliger les
capacités de cette entreprise.
Il s'est associé au jugement selon lequel l'industrie française
rénovée et forte de ses savoir-faire occupait une position
exceptionnelle en Europe.
Il a souscrit à l'intérêt d'une étude permettant
d'évaluer le bilan complet des soutiens publics apportés aux
industriels du secteur, remarquant que la majeure partie des financements
résidait dans le budget de la défense.
Puis il a précisé que le projet concernant le supersonique du
futur semblait avoir pris en France un réel retard et insisté sur
le fait que la diversification des programmes aéronautiques en Europe
dépendait de façon cruciale de l'union des entreprises et de
l'harmonisation des décisions gouvernementales citant l'ATF, l'A3XX et,
dans le prolongement des propos de M. Paul Loridant, le domaine spatial.
La commission alors décidé la publication de l'étude
présentée par M. Yvon Collin, rapporteur spécial, sous la
forme d'un rapport d'information.