7. Ukraine - Intervention de M. Raymond FORNI, député (Soc) (Mardi 27 janvier)
Le 29
janvier 1997, l'Assemblée a examiné l'engagement souscrit par
l'Ukraine lors de son adhésion au Conseil de l'Europe de mettre en place
un moratoire sur les exécutions, ayant reçu des informations
officielles sur la poursuite des exécutions dans le pays. Dans sa
Résolution 1112 (1997), l'Assemblée avertissait les
autorités ukrainiennes " qu'elle prendrait toutes les mesures
nécessaires pour veiller au respect des engagements
contractés ", y compris, si cela était nécessaire, la
non ratification des pouvoirs de la délégation parlementaire
ukrainienne à sa prochaine session de janvier 1998.
Le Rapporteur a été chargé de vérifier si les
dispositions de la Résolution 1112 (1997) avaient été
satisfaites. A Kiev, elle a reçu des informations officielles du
Vice-Ministre de l'Intérieur, selon lesquelles 13 exécutions
avaient eu lieu entre le 1er janvier et le 11 mars 1997 (ce qui porte le bilan
officiel pour 1996 et 1997 à 180 exécutions). Etant donné
que toute information relative aux exécutions est
considérée secret d'Etat en Ukraine, le Rapporteur ne s'est vu
communiquer que des informations fragmentaires : elle n'est donc pas
certaine qu'il existe réellement un moratoire sur les exécutions
en Ukraine.
La délégation parlementaire ukrainienne a déjà
été avertie par l'Assemblée par trois fois depuis plus de
deux ans des conséquences qu'aurait toute nouvelle violation de
l'engagement de mettre en place un moratoire sur les exécutions le 9
novembre 1995, et notamment la violation de la Résolution 1112
(1997).
Le présent rapport propose donc, en l'absence de toute notification
officielle par le Président de la République et le
Président du Parlement d'Ukraine, informant le Conseil de l'Europe de la
mise en place d'un moratoire
de jure
sur les exécutions, que
l'Assemblée décide de ne pas valider les pouvoirs de la
délégation parlementaire ukrainienne.
Les pouvoirs de la délégation ne pourront être
validés ultérieurement que lorsque les autorités
ukrainiennes auront fourni la preuve documentée et irréfragable
qu'un moratoire sur les exécutions a été mis en place en
Ukraine.
M. Raymond FORNI, député (Soc)
intervient dans le
débat en ces termes :
" Je n'ai rien de commun avec l'orateur précédent, je suis
gêné d'intervenir après lui, car les raisons de ma position
sont fondamentalement différentes de celles de M. Jirinovski.
Permettez-moi d'abord de rendre hommage au rapport courageux, lucide et
impartial de Mme Wohlwend. En dépit des entraves, des mensonges, des
tergiversations ukrainiennes, notre collègue est allée jusqu'au
bout de sa recherche. Ses doutes, ses craintes, ses indignations, nous les
faisons nôtres. Je suis un peu triste que certains d'entre nous, maniant
la langue de bois ou le langage diplomatique de salon, se contentent
aujourd'hui d'un constat, certes douloureux à leurs yeux, sans aller
jusqu'à ce qui paraît évident. Pourtant, une sanction doit
être prise et la non-ratification des pouvoirs est la seule qui vaille en
l'état de notre règlement. Cette non-ratification qui n'exclut
pas l'Ukraine mais la sanctionne pour un manquement grave doit être
décidée aujourd'hui par le Conseil de l'Europe.
Dans la construction des nations, dans la construction de l'Europe, il a
toujours été admis que les traités internationaux ont
valeur supérieure aux normes nationales. Violer ces traités, que
nul ne vous obligeait à signer, que nul ne vous contraignait à
ratifier, c'est prendre évidemment le risque de se mettre au ban des
nations. L'Ukraine a pris ce risque ; elle doit assumer son choix. Savoir
si l'on est pour ou contre la peine de mort n'est pas la question. Ce qui est
en cause c'est la promesse donnée et la parole trahie.
Du rapport que nous avons examiné, nous devons déduire à
l'évidence que l'Ukraine fait fi de ses engagements internationaux. Il
faut donc lui rappeler que l'adhésion au Conseil de l'Europe n'a pas
seulement pour but de faire bénéficier de droits: elle impose
aussi le respect d'un certain nombre de devoirs. D'autant que, et Mme Wohlwend
le rappelle, des avertissements nombreux ont été
délivrés à trois reprises au moins et des mises en garde
solennelles ont été signifiées! Elles n'auront servi
à rien, sauf à démontrer que, de son propre chef, de sa
propre volonté, l'Ukraine se place délibérément en
dehors des institutions internationales.
A partir de ce constat, quelle attitude pouvons-nous, devons-nous
adopter ? Trois attitudes sont possibles: ne rien faire, différer
notre décision ou prendre précisément la décision
qui s'impose.
Ne rien faire, si ce n'est renvoyer à une autre instance, en cherchant
d'autres solutions, telle l'élection des juges qui est en cours ?
Comme si c'était encore possible! Ce serait, à mes yeux, faire
preuve non seulement de légèreté, mais aussi de
lâcheté en refusant tout simplement de décider, en prenant
le risque d'enfoncer un peu plus notre assemblée parlementaire dans les
sables mouvants de l'indifférence. Ce serait, selon moi, porter un coup
de plus, un coup qui risquerait, si l'on n'y prenait garde, d'être
mortel, à terme, pour une institution dont le rôle, la place, la
fonction, l'essence même sont la défense des droits de l'homme.
Nous participerions à un plan diabolique - certains l'évoquent -
qui viserait, ni plus, ni moins, à rayer le Conseil de l'Europe de la
liste des institutions européennes qui pèsent et qui comptent. Je
ne saurais, nous ne saurions, bien entendu, mêler notre voix à
celles-là !
Différer notre décision, en laissant une dernière
chance ? Cette chance, depuis deux ans, nous l'avons offerte à
de nombreuses reprises ; Nous avons même proposé l'aide du
Conseil de l'Europe pour aller dans le sens imposé à l'Ukraine,
choisi par l'Ukraine au moment de son adhésion. Cette chance, elle ne
l'a pas saisie. Pis, elle a été méprisée,
balayée par des autorités d'Etat dont l'indignité n'a
d'égale que l'art de l'esquive. Il n'est plus possible de se laisser
bafouer, plus possible d'être passifs.
C'est pourquoi, la troisième solution, selon moi, est celle qui
s'impose: suspendre en refusant de ratifier les pouvoirs de la
délégation ukrainienne. La sagesse impose ce choix, c'est la
dignité dont doit faire preuve notre Assemblée.
Telle est, mes chers collègues, la position qui est la mienne. Au moment
où nous allons nous prononcer, je pense que chacun aura à coeur
d'harmoniser à la fois le droit et la morale. Je remercie
Mme Wohlwend de nous avoir indiqué la route. "
A l'issue du débat,
les conclusions figurant dans le rapport 7993
sont adoptées et les pouvoirs de la délégation ukrainienne
sont ratifiés.
Après amendements, la résolution 1145 ainsi que la directive 538
figurant dans le rapport 7974 sont adoptées.