B. ÉQUILIBRE FISCAL ET COOPÉRATION : LA COOPÉRATION EST NON SEULEMENT DIFFICILE À METTRE EN oeUVRE MAIS ELLE PEUT NE PAS ÊTRE SOUHAITABLE7( * )
Ce
premier résultat, formalisé par l'équation (E.14) de
l'Annexe 3, signifie tout simplement que les ménages de l'Union
verraient leur niveau de bien-être s'améliorer s'ils pouvaient
consommer davantage de bien collectif, donc si le taux d'impôt sur le
capital était plus élevé. Tel serait le cas si les Etats
coopéraient, autrement dit si chaque pays choisissait la meilleure
politique fiscale, de son point de vue, mais en tenant compte à la fois
des influences qu'il subit mais aussi des effets de ses choix sur le
bien-être des autres pays. En effet, les sorties de capital physique,
consécutives à l'augmentation du taux de
prélèvement dans un pays, ne sont pas une perte sèche pour
tous les Etats de l'Union car certains d'entre eux vont forcément
bénéficier de cet afflux d'investissements directs.
Par conséquent, si l'on considère que la concurrence fiscale
entre collectivités publiques n'est pas souhaitable, il faut
coopérer. La coopération fiscale peut prendre la forme d'une
consolidation fiscale des espaces en concurrence. Celle-ci existe
déjà à l'intérieur des Etats. La coopération
à l'échelle européenne est plus complexe. La consolidation
fiscale, qui d'un point de vue économique, est la plus efficace, est
actuellement pour des raisons politique impossible à mettre en oeuvre.
Le prélèvement de l'impôt devrait, en effet, être
transféré à un niveau supranational, ce qui remettrait en
cause non seulement le principe de subsidiarité, mais supposerait en
outre l'existence d'une Europe fédérale dont la
légitimité démocratique ne soit pas contestée. Une
solution apparemment moins radicale, mais qui dans les faits conduit au
même résultat, suppose une harmonisation des taux de
prélèvements et des règles de détermination de la
matière imposable dans le cadre d'une coordination
décentralisée.
La théorie économique montre en effet qu'un équilibre
coopératif, par opposition à un équilibre non
coopératif, augmente le niveau de bien-être dans tous les pays par
rapport à celui qu'elles atteignent dans un équilibre non
coopératif. S'il existe une entité supranationale dont la
légitimité démocratique n'est pas contestée -ce qui
n'est pas le cas au niveau européen-, l'équilibre
coopératif est atteint si l'on délocalise le (ou les)
impôts dont l'assiette est très fortement mobile à un
niveau supranational ou si l'on harmonise complètement les
prélèvements.
A un niveau infra-étatique, la consolidation fiscale constitue un moyen
puissant de réduire la concurrence fiscale
La première solution découle naturellement du modèle
standard de concurrence fiscale présenté ci-dessus. La
consolidation fiscale consiste, soit à réduire le nombre de
collectivités publiques en concurrence en imposant une fusion, soit
à élargir la zone de prélèvement de l'impôt.
Cette solution, irréalisable au niveau européen, permet, en
revanche de justifier, d'un point de vue théorique, la
délocalisation d'un impôt comme la taxe professionnelle à
un niveau supracommunal (Madiès, 1997)
8(
*
)
. En effet, plus le nombre de
collectivités locales à l'intérieur d'un même espace
géographique est élevé, plus les externalités
fiscales qui contraignent les décisions fiscales des élus locaux
sont importantes et génératrices de distorsions. C'est ce que
font clairement apparaître les équations (E.7), (E.8) et (E.9) de
l'Annexe 2 : le retour net sur investissement, comme les externalités
fiscales et l'offre du biens publics locaux, sont fonction du nombre de
collectivités ou plus exactement du " pouvoir de marché " qu'a
chaque collectivité sur la matière imposable.
L'équation (E.14) de l'Annexe 3, quant à elle, permet de
déterminer le taux d'impôt choisi par chaque collectivité
à l'équilibre de Nash et montre simplement que l'offre de
services publics locaux est, à la marge, d'autant plus
élevée que le nombre de collectivités locales en situation
de concurrence est faible et donc qu'elles possèdent une part
élevée de matière imposable.
A l'inverse, la diminution du nombre de collectivités permet à
une collectivité isolée de financer davantage de services publics
locaux, pour un coût identique en terme de bien privé, car les
externalités fiscales sont réduites. L'utilité des
individus augmente donc au fur et à mesure que l'on élargit
l'aire de perception de l'impôt local sur les entreprises (à
recettes fiscales inchangées). La raison est tout à fait
intuitive : une collectivité qui augmente seule son taux d'impôt
local, pourrait certes financer davantage de services collectifs mais au
détriment du revenu privé des ménages résidents.
Or, comme on l'a déjà souligné, une partie de la baisse de
revenu privé, due aux délocalisations, est un simple transfert de
pouvoir d'achat vers d'autres collectivités. En réduisant le
nombre de collectivités en concurrence, on internalise une partie de ces
externalités, ce qui permet d'augmenter le bien-être des
ménages.
Interprété de façon plus large et davantage conforme
à la réalité, ce résultat signifie que si les
entreprises ont choisi d'installer leur activité dans une
agglomération donnée en fonction de critères de
localisation autres que la fiscalité locale, une stratégie
concevable de réduction des surenchères consiste à
élargir le territoire de perception de l'impôt local sur les
entreprises au territoire jugé pertinent en matière de
développement économique local, une solution étant la
création d'un groupement économique sur un
périmètre supra-communal.
L'argument soulevé n'est toutefois pas nouveau - il s'inscrit dans la
conception traditionnelle du fédéralisme financier qui
préconise d'ajuster les " territoires " d'usage et de financement des
services publics locaux - mais il permet d'envisager toutes les formes
possibles d'intégration fiscale interterritoriale (taxe professionnelle
de zone, taxe professionnelle d'agglomération et pourquoi pas taxe
professionnelle départementale) à défaut d'avoir voulu un
jour imposer la fusion de communes comme cela a été le cas
ailleurs.
Le Conseil des impôts (1989, 1997) a souligné que
l'élargissement de la circonscription fiscale pourrait être
recherché à un niveau infra-départemental et a
examiné le cas des zones d'emploi définies par l'INSEE ainsi que
celui des circonscriptions administratives, arrondissements ou cantons
9(
*
)
.
Les simulations, opérés à produit fiscal constant,
à partir d'un taux unique calculé au niveau de ces
différents groupements montrent clairement
(1) Que " l'éventail des taux de taxe professionnelle est proportionnel
au nombre et à la taille des collectivités locales : la
réduction des écarts de taux sera d'autant plus grande que le
taux sera calculé dans des circonscriptions en nombre limité ;
(2) Que dans le cas des arrondissements et des zones d'emploi, les taux
s'établiraient en règle générale à un niveau
plus faible que dans le cas d'une remontée de la taxe professionnelle au
niveau départemental. "
La concurrence fiscale avantage les petits pays, ce qui rend difficile tout
processus d'harmonisation concernant la fiscalité sur les entreprises et
les revenus du capital
A défaut de pouvoir délocaliser l'impôt sur le
bénéfice des sociétés au niveau européen,
la seule solution possible consiste à harmoniser les taux et les
règles de détermination de l'assiette de façon à
rapprocher les taux marginaux effectifs. Cependant, dès lors que la
concurrence fiscale concerne deux pays de taille différente, l'analyse
économique montre que les petits pays constituent des " paradis fiscaux
" (" tax havens "). Par conséquent l'harmonisation fiscale sera
difficile à mettre en oeuvre.
Un certain nombre de travaux, parmi lesquels ceux de Bucovetsky (1991) et
Wilson (1991), montrent que si la concurrence fiscale s'exerce entre pays de
taille différente, les petits pays n'ont pas intérêt
à coopérer car ils verraient leur bien-être se
détériorer. Cela s'explique simplement dans le modèle de
ces deux auteurs par le fait que la différence de taille
(exprimée en terme de population) implique que
l'élasticité de l'offre de capital industriel n'est plus la
même selon qu'un pays a une population plus ou moins importante.
Autrement dit, les délocalisations (exprimées en nombre
d'unités de capital par tête perdues par une pays donné)
sont d'autant plus importantes qu'un pays est petit.
La concurrence fiscale s'exercant de façon plus aigue sur les petits
pays que sur les grands, les premiers sont incités à choisir des
taux d'impôt plus faibles que les seconds. De façon
symétrique, les grands pays sont moins sensibles au coût (en terme
de diminution du revenu privé) d'une augmentation du taux d'impôt
sur les entreprises car les pertes de capital industriel par tête sont
plus faibles. Le taux d'impôt d'équilibre est donc plus
élevé dans les grand pays, ce qui confère une
externalité positive aux petits pays qui deviennent plus attractifs pour
les investisseurs privés.
Toutes choses égales par ailleurs, (1) les petits pays sont
incités à taxer plus faiblement le capital que les grands, (2)
à l'équilibre, les petits pays sont généralement
importateurs nets de capital et le bien-être des ménages est plus
élevé dans les petits pays que dans les grands, (3) une
harmonisation des taux de prélèvement est par conséquent
diffcile à mettre en oeuvre car elle pénalise les petits pays.
Devant la difficulté de coopérer, il peut être souhaitable
de mettre en place un taux d'impôt minimum sur les entreprises
plutôt que d'imposer une convergence vers un taux moyen européen,
même si celui-ci provoque des délocalisations d'investissements
directs dans le reste du monde. On peut en effet penser que, non seulement les
coûts de mobilité des entreprises tendront à diminuer dans
le futur à l'échelle européenne, mais, qu'en outre ces
coûts sont plus faibles entre pays européens qu'entre les pays
européens et le reste du monde. On rappellera que le rapport Ruding
avait préconisé une harmonisation poussée des taux de
l'impôt sur les sociétés en suggérant un taux
minimal de 30 % afin d'éviter une concurrence destructrice entre
Etats-membres
10(
*
)
.