II. LA CONCURRENCE FISCALE AFFECTE L'ÉQUITÉ HORIZONTALE ET VERTICALE DES SYSTÈMES DE PRÉLÈVEMENT
Dès lors que les Etats peuvent taxer une variété de bases imposables, plus ou moins mobiles, se trouve posée la question de l'incidence de l'impôt. En effet, le risque est grand que les gouvernements soient tentés d'exonérer les bases les plus mobiles quitte à taxer davantage les bases les moins mobiles. Si l'on considère, en outre, que les agents économiques déterminent leur choix de localisation en tenant compte non seulement des différentiels de pression fiscale mais aussi des services collectifs, la concurrence fiscale peut contraindre les gouvernements à taxer les revenus et les activités en se référant davantage au " principe d'équivalence ".
A. LA CONCURRENCE FISCALE FAIT PESER UNE CHARGE FISCALE EXCESSIVE SUR LES BASES LES MOINS MOBILES
La littérature sur la concurrence fiscale suggère que la concurrence fiscale pourrait se traduire à terme par une exonération des bases les plus mobiles pendant que les bases immobiles seront plus lourdement taxées, ce qui pose un problème d'équité horizontale des systèmes fiscaux. En effet, comme le montre l'équation (E.12) de l'Annexe 3 dans le modèle standard présenté ci-dessus et l'illustration graphique figurant dans l'encadré 1, le capital industriel étant supposé mobile, la charge fiscale liée à l'impôt sur le capital va reposer en définitive sur le facteur travail supposé immobile.
1.
Taxation du capital et charge fiscale excédentaire :
une illustration graphique
Le
graphique 1, tirée du modèle de Oates et Schwab (1991), va nous
permettre d'illustrer ce résultat en prenant soin toutefois de noter que
cette illustration graphique est réalisée en équilibre
partiel (et non plus général). Cela pose un certain nombre de
problèmes en terme d'incidence que nous développerons plus loin.
Sur cette figure, apparaissent l'offre et la demande de capital dans un pays
donné. L'offre est parfaitement élastique car aucun pays n'a la
possibilité d'influer sur le retour net sur investissement, r
(concurrence fiscale pure et parfaite) et la courbe de demande est
décroissante car, par hypothèse, le rendement marginal du capital
est décroissant.
On suppose qu'initialement le pays en question décide de ne pas taxer le
capital. Le stock de capital est alors égal à K* et il est
déterminé, à l'équilibre, par la règle
d'égalisation de la productivité marginale du capital et de son
coût, r. La production de bien privé est alors égale
à la surface abcd (l'intégrale de la productivité
marginale du capital).
Le revenu provenant de la vente de cette production se répartit alors de
la façon suivante : le capital recoit ebcd, soit rK*. Les rendements
d'échelle étant supposés constants, les profits sont nuls
à l'équilibre et en vertu de la règle d'épuisement
du produit, le facteur travail reçoit le résidu, soit abe.
Si l'on suppose maintenant que ce pays décide de taxer le capital en
prélevant une taxe unitaire égale à t, alors la demande de
capital se déplace vers le bas (fk - t). Le nouvel équilibre
s'établit en K** et la valeur de la production de bien privé
diminue et son montant est égal à aifd. Le revenu du capital
avant impôt est donc égal au revenu net efgd plus les impôts
hige. Le retour net sur investissement diminue donc de la surface gbcf du fait
de l'impôt. Celle-ci est égale au produit de r par la variation du
stock de capital (K* - K**). Les K* - K** unités de capital sont
toutefois investies ailleurs et rapportent donc r dans les autres pays.
Par conséquent, l'impôt sur le capital, bien que taxant ce
facteur, n'a pas d'effet sur les revenus du capital. Comme on va le voir, la
charge fiscale est translatée sur le facteur immobile, le facteur
travail
11(
*
)
. Le salaire
diminue, en effet, des surfaces hige et ibg, soit hibe.
La surface hige est égale au montant d'impôt payé par le
capital qui est translaté sur le facteur travail. La surface ibg
représente a contrario la baisse des salaires qui n'est pas
compensée par le supplément d'impôt payé par le
capital. Autrement dit, pour n'importe quel taux d'impôt positif, la
baisse des salaires ne compense pas le gain de recettes fiscales.
1. Charge fiscale excédentaire et taxation du capital
Dans ces conditions, il serait préférable de taxer directement le
facteur travail plutôt qu'indirectement comme cela est le cas quand on
impose une taxe sur le capital prélevée à la source. En
effet, l'offre de travail étant supposée parfaitement
inélastique et les ménages étant parfaitement
sédentaires, l'imposition des revenus du travail a un effet
équivalent, du point de vue de l'efficacité économique,
à un impôt forfaitaire (ou de capitation).
Si les Etats pouvait prélever un impôt de capitation sur tous les
individus résidents pour financer l'offre de biens collectifs
destinés aux ménages, alors (1) ils n'auraient aucun
intérêt à taxer le capital physique, (2) les biens
collectifs seraient financée exclusivement par l'impôt de
capitation, (3) le montant par tête de l'impôt de capitation
serait précisément égal au coût marginal du bien
collectif de sorte que l'offre de biens collectifs serait optimale. En
évitant toute distorsion des incitations auxquelles sont soumis les
individus dans leurs choix microéconomiques, l'impôt de capitation
présente donc l'avantage de s'apparenter à " un véritable
prix des services publics". Les contribuables payent pour les services publics
commme ils paient, en tant que client, pour un bien ou un service marchand
indépendamment de leur revenu ou de leur situation personnelle. Mais un
tel impôt censitaire suppose que les bénéfices des services
publics sont répartis de manière plus ou moins uniforme sur
l'ensemble de la population adulte résidente, ce qui est loin
d'être évident dans de nombreux cas (éducation,
santé, ...).
On montre plus généralement que l'incidence de l'impôt sur
le capital industriel dépend de l'élasticité relative de
l'offre de capital et de l'offre de travail. L'élasticité de
l'offre de capital dépend, nous l'avons vu (équation E.8 de
l'annexe 2), de la taille du pays et plus précisément de la part
de capital investi dans ce pays.
On notera qu'un impôt peut réduire la base imposable même si
celle-ci n'est pas mobile. L'exemple le plus simple est l'imposition des
revenus du travail qui décourage l'offre de travail. Dans ce cas, c'est
l'élasticité de l'offre de travail qui détermine le "
coût " de la dépense publique supplémentaire. On remarquera
cependant que, si le travail n'est pas mobile, le nombre d'heures perdues par
le pays qui taxe les revenus du travail est une perte sèche pour
l'économie tout entière, alors que, si les travailleurs sont
mobiles, la base imposable se déplace vers d'autres pays, ce qui permet
d'éviter une perte d'efficacité au niveau global.
Si l'offre nationale de travail est imparfaitement élastique, si les
pays en concurrence possèdent une part très faible du stock
global de capital, et si leurs recettes fiscales proviennent uniquement d'un
impôt sur le capital physique prélevé à la source et
d'un impôt sur les revenus du travail, alors on montre que le taux
d'impôt sur le capital est nul à l'équilibre ou plus
exactement qu'il il tend vers zéro quand le nombre de pays en
concurrence est proche de l'infini. En effet, quand le nombre de pays est
très élevé, la concurrence fiscale est très vive et
l'offre de capital qui s'adresse à chaque pays peut être
considérée comme infiniment élastique tandis que
l'élasticité de l'offre de travail est (par hypothèse)
imparfaitement élastique. Ainsi, conformément aux enseignements
de la théorie de la fiscalité optimale, les gouvernements ne
taxent, à l'équilibre, que le seul facteur travail et renoncent
par conséquent à taxer le capital.
Si, en revanche, la concurrence fiscale oppose plusieurs pays de grande taille
qui possèdent chacun une part importante du stock global de capital,
alors l'offre de capital qui vient s'investir dans chaque pays ne peut plus
être considérée comme parfaitement élastique. En
effet, la politique fiscale menée par chaque gouvernement va influer sur
le retour net du capital industriel au niveau de l'économie dans son
ensemble. Ainsi, un pays qui augmenterait son taux d'impôt sur le capital
exporterait des capitaux qui iraient s'investir dans des pays concurrents.
Cependant, compte tenu de la taille du pays d'origine, cela entraînerait
une baisse de la rémunération nette du capital partout dans la
zone. A l'inverse, un pays qui baisserait son taux d'impôt serait
importateur net de capital, ce qui entraînerait une augmentation de la
rémunération nette du capital dans tous les pays. Par
conséquent, un grand pays, parce qu'il a un pouvoir de marché sur
le marché du capital, fait face à une courbe d'offre de capital
qui est croissante et non plus parfaitement élastique comme cela est le
cas sur la figure 1 (encadré 1). On montre alors, qu'à
l'équilibre, l'impôt sur le capital physique prélevé
à la source par chacun des gouvernements, est positif (et non plus nul)
mais son taux est relativement trop faible par rapport au taux de
prélèvement sur les revenus du travail. Les recettes fiscales
issues de ces deux impôts ne permettent pas de toute façon de
financer efficacement l'offre de bien public.
La concurrence fiscale conduit à exonérer les bases les plus
mobiles ce qui a deux conséquences importantes : (1) cela reporte la
charge fiscale sur les bases les moins mobiles, ce qui peut être en
contradiction avec le principe d'équité horizontale des
systèmes fiscaux, (2) cela peut accroître le risque fiscal. En
effet, le financement des dépenses publiques repose sur une moins grande
variété de bases et le système fiscal est davantage
sensible à un choc exogène du fait d'une " moins grande
mutualisation du risque ".