CHAPITRE III
COTISATIONS SOCIALES ET COÛT DU TRAVAIL
EN EUROPE
La
fiscalité sur les entreprises françaises se caractérise
par le poids relativement élevé des prélèvements
assis sur les facteurs de production (travail et capital) par rapport à
ceux assis sur les résultats, et au sein des premiers, par le poids
important des prélèvements sur les salaires.
L'une des spécificités françaises est le niveau
élevé des cotisations sociales patronales. Celles-ci sont souvent
accusées de nuire à l'efficacité économique et de
peser sur le coût du travail, notamment des moins qualifiés. Or la
maîtrise des coûts salariaux est un enjeu d'importance car ils sont
un déterminant essentiel de la demande de travail des individus les
moins qualifiés et de la compétitivité des entreprises.
C'est ce qui explique les politiques d'allégement de charges sociales
mises en oeuvre récemment en France.
Après avoir comparé le poids des cotisations sociales en France
et dans les autres pays de l'Union européenne, nous nous
intéressons à l'impact des cotisations sociales sur le coût
du travail et sur l'emploi. Nous nous interrogeons enfin sur les effets
à attendre d'une réduction globale des taux de cotisations
sociales au niveau européen.
I. LE POIDS DES COTISATIONS SOCIALES DANS LES PAYS DE L'UNION EUROPÉENNE
En 1996, les cotisations sociales représentent en moyenne pour l'ensemble des pays de l'Union européenne 12,2 % du PIB, en hausse de 0,7 points par rapport à 1990. Ce ratio est compris entre 1.6 % au Danemark et 19.7 % en France.
Tableau 1. Cotisations sociales en dans les 15 pays de l'Union européenne
% du PIB
|
90 |
93 |
94 |
95 |
96 |
Belgique |
14,8 |
15,8 |
15,3 |
15,2 |
14,9 |
Danemark |
1,5 |
1,6 |
1,6 |
1,6 |
1,6 |
France |
19,3 |
19,6 |
19,1 |
19,3 |
19,7 |
Allemagne |
13,7 |
15,1 |
15,3 |
15,5 |
15,5 |
Grèce |
11,2 |
12,3 |
12,4 |
12,6 |
12,4 |
Irlande |
5,2 |
5,4 |
5,2 |
4,9 |
4,5 |
Italie |
12,9 |
13,8 |
13,0 |
13,1 |
14,8 |
Luxembourg |
11,8 |
12,3 |
11,8 |
11,8 |
11,9 |
Pays-Bas |
16,7 |
18,1 |
18,4 |
18,3 |
17,1 |
Portugal |
8,4 |
8,7 |
8,9 |
9,4 |
9,0 |
Espagne |
12,1 |
13,1 |
13,0 |
12,3 |
12,1 |
Royaume-Uni |
6,2 |
6,0 |
6,2 |
6,3 |
6,2 |
Autriche |
13,5 |
14,8 |
15,2 |
15,3 |
15,3 |
Finlande |
9,9 |
12,0 |
12,6 |
12,7 |
12,4 |
Suède |
15,1 |
13,7 |
13,8 |
14,4 |
15,0 |
Moyenne UE |
11,5 |
12,2 |
12,1 |
12,2 |
12,2 |
Source : OCDE (1998)
Sur la
période 1990-1996, le ratio cotisations sociales / PIB est en
très légère
hausse dans l'ensemble des pays
(à l'exception de l'Irlande et de la Suède) mais il semble
s'être stabilisé - et, dans certain cas, il a même
régressé - un peu partout à partir de 1993-1994.
On peut toutefois distinguer trois types de pays selon que le poids des
cotisations dans le PIB est plus élevé, moins élevé
ou dans la moyenne communautaire.
Les pays où le poids des cotisations sociales est plus
élevé que la moyenne communautaire (> 12,2 % du PIB)
sont :
la France, la Belgique, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas, la
Grèce, la Finlande, l'Autriche et la Suède.
Les pays qui se situent dans la moyenne communautaire sont
: Le
Luxembourg et l'Espagne.
Les pays où le poids des cotisations sociales est inférieur
à la moyenne communautaire sont :
le Danemark, l'Irlande, le
Portugal et le Royaume-Uni
.
La contribution relative des employeurs et des employés
(en
pourcentage du total des recettes fiscales)
au financement de la
Sécurité sociale varie fortement selon les pays
(graphique 1)
: la part des cotisations employeurs est beaucoup plus forte que la part
salariée en
Belgique, en Italie, en France et en Espagne
. La
situation inverse est observée au
Danemark,
en
Irlande
et
aux
Pays-Bas
. La part des cotisations salariés est
particulièrement élevée aux Pays-Bas ; celle des
cotisations employeurs est particulièrement élevée en
France.
Dans la quasi-totalité des pays on observe, sur la période
1990-1996, une
hausse des cotisations salariés (
tableau
2
)
, mais de faible ampleur.
L'évolution des cotisations sociales à charge des employeurs est
plus mitigée. On observe une
diminution des cotisations dans la
majorité des pays
et une stagnation de la moyenne communautaire.
Si la part des
cotisations employeurs
dans le PIB a fortement crû
de 1970 à 1980 (+1,8 point sur la période), elle s'est
stabilisée sur la période 1980-1988 (+0,1 point) et
est
en voie de régression
sur la période 1990-1996 (- 0.07
point).
Cela va dans le sens de ce que préconise la Commission
européenne. D'ailleurs, la baisse des cotisations patronales de
sécurité sociale apparaît tant au niveau des
priorités pour l'emploi définies au
Conseil de Essen en
1994
qu'au niveau des lignes directrices retenues au
sommet pour
l'emploi de Luxembourg en novembre 1997
comme un des axes principaux de la
politique de lutte contre le chômage.
Tableau 2. Evolution des cotisations employeurs et
salariés
de 1970 à 1995 dans les 15 pays de l'UE
% du PIB
|
Cotisations employeurs |
Cotisations salariés |
||||
|
70 - 80 |
80 - 88 |
90 - 96 |
70 - 80 |
80 - 88 |
90 - 96 |
Belgique |
+2,5 |
+1,0 |
-0,2 |
+ 0,6 |
+1,0 |
0,0 |
Danemark |
-0,1 |
-0,2 |
-0,0 |
- 0,7 |
+0,6 |
+0,1 |
Espagne |
+4,0 |
-0,2 |
-0,1 |
+1,3 |
-0,7 |
- 0,1 |
France |
+2,6 |
+0,1 |
+0,3 |
+2,2 |
+1,0 |
+0,1 |
Grèce |
+0,7 |
+1,1 |
+0,4 |
+1,0 |
+0,6 |
+0,9 |
Irlande |
+1,8 |
+0,3 |
-0,3 |
+0,4 |
+0,5 |
-0,3 |
Italie |
+0,7 |
+0,1 |
+1,1 |
+0,1 |
+0,3 |
+0,4 |
Luxembourg |
+2,0 |
-0,8 |
-0,3 |
+1,3 |
-0,2 |
+0,2 |
Pays-Bas |
+2,0 |
-0,1 |
-0,4 |
+1,4 |
+1,9 |
+0,5 |
Portugal |
+1,7 |
+0,6 |
+0,0 |
+0,9 |
+0,0 |
+0,2 |
Allemagne |
+1,9 |
+0,1 |
+0,8 |
+1,3 |
+0,2 |
+0,8 |
Royaume-Uni |
+0,9 |
+0,1 |
-0,2 |
+0,0 |
+0,8 |
+0,2 |
Moyenne CE |
+1,8 |
+0,1 |
-0,0 |
+1,0 |
+0,5 |
+0,5 |
Source : OFCE et CEPII (pour la période 1980-1988) et OCDE (pour la période 1990-96)
Graphique 1 : Cotisations de sécurité sociale à la charge des salariés et des employeurs en 1996 dans les 15 pays de l'UE.
(en %
du total des recettes fiscales)
Du point de vue de l'analyse économique, la distinction entre
cotisations salariés et employeurs est sans fondement, du moins à
long terme. Autrement dit, on pourrait transformer du jour au lendemain des
cotisations employeurs en cotisations salariés à condition,
toutefois, d'augmenter le salaire brut et les cotisations salariés du
même montant.
Très schématiquement, ce qui intéresse les employeurs,
c'est le coût total du travail, charges sociales comprises. Les
salariés, en revanche, sont sensibles au salaire net des cotisations
sociales et certainement net aussi de l'impôt sur le revenu. Cet
" écart de point de vue " entre employeurs et salariés
est appelé par les économistes : coin salarial ou coin
fiscalo-social
18(
*
)
.
On montre facilement que l'équilibre sur le marché du travail est
le même, quelle que soit la répartition entre cotisations
salariés et employeurs (prédominance des cotisations
salariés ou prédominance des cotisations employeurs). En effet,
dans les deux cas, le coût du travail dont dépend la demande de
travail émanant des entreprises, et le salaire net, dont dépend
l'offre émanant des travailleurs sont les mêmes.
Seule la
position du salaire brut est différente.
D'un point de vue macroéconomique, les cotisations employeurs peuvent
être vues aussi comme un impôt sur les salariés, du moins
à long terme. L'argumentation macroéconomique est la suivante :
la hausse des cotisations employeurs diminue la compétitivité des
entreprises et fait baisser les profits, ce qui nuit à l'activité
économique. Toutes choses égales par ailleurs, le taux de
chômage augmente, ce qui fait baisser les salaires par un effet Phillips.
La hausse des cotisations sociales employeurs doit se répercuter
entièrement sur les salaires
19(
*
)
.