ANNEXES GENERALES

I. ANNEXE I : CONCURRENCE FISCALE ET LOCALISATION DES ENTREPRISES À UN NIVEAU INFRAÉTATIQUE

Nous nous sommes intéressés jusqu'à présent à la concurrence fiscale entre Etats en négligeant la fiscalité locale. Pourtant, si la variable fiscale intervient dans le choix de localisation des entreprises, on ne saurait omettre la charge fiscale que peut représenter l'imposition locale sur les entreprises.

L'objet de cette annexe n'est pas de présenter les caractéristiques des régimes d'imposition locaux pesant sur les entreprises dans les différents pays de l'Union européenne mais plutôt d'apporter un certain nombre d'éléments à trois types de questions que l'on peut légitimement se poser :

n Est ce que la concurrence fiscale est plus forte à un niveau infraétatique qu'entre Etats ?

n Est ce que le morcellement de la carte administrative en France et les différences de pression fiscale en résultant, pourraient constituer un frein à l'implantation des investissements directs sur notre territoire ?

n Est ce que les régions transfrontalières françaises sont particulièrement soumises à la concurrence fiscale étrangères ?

A. 1. CONCURRENCE FISCALE ET LOCALISATION DES ENTREPRISES À UN NIVEAU INFRAÉTATIQUE

La concurrence entre collectivités locales est très difficile à cerner empiriquement. Comment évaluer, en effet, que les taux de prélèvement pratiqués par les décideurs locaux relèvent d'une stratégie du moins-disant fiscal ?

1. Quelques résultats sur données américaines

D'un point de vue empirique, le débat relatif à l'effet de la fiscalité locale sur la localisation des entreprises à l'intérieur d'un Etat ou d'une agglomération, sont peu concluants même si certains travaux récents semblent indiquer un impact parfois non négligeable de la fiscalité sur les décisions d'implantation des entreprises.

• La mesure de l'impact de la fiscalité sur les choix de localisation des entreprises au niveau des États est le plus souvent négligée. En effet, la méthode la plus souvent utilisée, notamment par les grandes firmes de consultants, pour évaluer la compétitivité fiscale d'un État, consiste à mesurer la taxation sur la profitabilité des projets marginaux. Or, même si cette méthode fait apparaître des disparités très importantes en terme de taxation selon la localisation géographique, il n'en reste pas moins qu'elle ne donne pas d'indications concernant l'impact de ces disparités sur les décisions des chefs d'entreprise 68( * ) .

Ainsi, une étude récente (Ashworth) citée par le Conseil des impôts ( op.cit .) fait apparaître que, si les écarts de pression fiscale entre États ont diminué d'environ 10 % sur la période 1979-1991 pour la property tax , pourtant, les différences de taxation marginale connaissent des dispersions très importantes selon le secteur d'activité et l'État concerné (tableau 1).

Au niveau des Etats fédérés, la principale imposition directe à la charge des entreprises est la corporate tax (le total de la corporate income tax et de l'income tax représente environ 110 milliards de dollars au niveau des Etats fédérés et 96 milliards au niveau fédéral). L'équivalent de l'impôt sur les sociétés est en effet partagé aux Etats-Unis entre le niveau fédéral et les Etats fédérés. D'une manière générale, les collectivités locales autres que les Etats fédérés bénéficient de ressources limitées en matière d'imposition sur les revenus ( l'income tax et la corporate income tax ne pouvant être levés qu'avec l'autorisation des Etats fédérés) et de taxes sur la consommation, l'essentiel de leurs recettes fiscales étant issues de la Property tax. Le produit de la property tax est d'environ 60 milliards de dollars dont plus du tiers est à la charge des entreprises. L'assiette est avant tout immobilière même si dans certains Etats, la property tax est un impôt plus large que les taxes foncières et s'apparente à un impôt général sur le patrimoine des particuliers et des entreprises 69( * ) .

1. Taux d'imposition effectif sur le Roi 70( * ) property tax

En %

 

Ameublement

Chimie

Plastiques

Composants électroniques

Automobile

Matériel
de transports

Kentucky

2,01

2,30

1,48

1,57

2,08

4,02

Illinois

1,93

2,72

1,55

1,31

1,84

2,16

Indiana

6,46

6,45

5,37

5,31

8,40

7,09

Ohio

5,30

5,50

4,38

4,27

6,67

5,81

Tennesse

3,76

4,20

3,36

3,14

5,08

4,92

West Virginia

6,17

6,03

5,18

5,33

8,07

6,75

Source : Conseil des impôts.

Le tableau 2 fait lui apparaître les dispersions de taux de taxation effective de l'ensemble de l'imposition locale dans six États et, toujours, selon le secteur d'activité. On relèvera ainsi qu'un fabricant d'automobiles verra le rentabilité d'un investissement supplémentaire amputée dans une proportion de 1 à 2,5 du fait de la taxation locale, selon qu'il décide de s'installer dans l'Illinois (4,97 % de taux d'imposition effectif global) ou en Virginie de l'ouest (taux de 12,63 %). Les écarts de taux sont cependant sensiblement plus faibles que dans le cas où on ne prend en compte que la property tax (écart de 1 à 4,5 par exemple pour l'industrie automobile).

2. Taux d'impôt effectif sur le Roi

Ensemble de la fiscalité locale (États fédérés et collectivités)

En %

 

Ameublement

Chimie

Plastiques

Composants électroniques

Automobile

Matériel
de transport

Kentucky

7,69

8,20

8,15

7,58

6,92

14,21

Illinois

7,38

9,72

8,07

5,90

4,97

16,92

Indiana

10,58

9,87

9,42

10,02

10,92

15,90

Ohio

10,11

11,07

10,24

9,86

10,15

16,75

Tennesse

8,28

9,77

8,77

8,66

8,90

18,26

West Virginia

12,49

12,65

10,89

11,51

12,63

22,05

Source : Conseil des impôts.



• La difficulté de mesurer la sensibilité des activités industrielles à la fiscalité locale au niveau des États a conduit bon nombre d'économistes à déplacer leur champ d'investigation au niveau des agglomérations. Ainsi Fox (1981) montre que l'accroissement de 1% du taux de property tax dans l'agglomération de Cleveland a pour effet de réduire, dans le long terme, la base imposable au titre de cet impôt d'environ 4,5%. En revanche, une augmentation de 1% des services publics destinés aux entreprises augmente cette base imposable de 2,78%.

Ces résultats semblent confirmés par des travaux plus récents comme ceux de Wassmer (1990) et Bartick (1991). Ce dernier est le premier, à notre connaissance, à établir, à partir d'un large échantillonnage de données statistiques locales sur différentes villes dans différents États, des corrélations robustes entre les écarts de pression fiscale et leur impact sur la situation des entreprises (mesurée à partir du niveau de l'emploi, de l'investissement et de la production).

Il a notamment mesuré l'élasticité moyenne de la réaction des entreprises aux variations de la fiscalité locale. Celle-ci étant de 0,25, cela signifie, que toutes choses égales par ailleurs, une différence de 10% au niveau des impôts locaux se traduit par un écart de 2,5% au niveau de l'activité des entreprises. Bartick, dans une étude complémentaire, note par ailleurs que la property tax peut influer de façon significative sur l'implantation ou la délocalisation d'activités d'un quartier à l'autre d'une même ville. D'après ses calculs, l'élasticité moyenne de l'activité au taux de prélèvement atteindrait un niveau élevé de -1,91. Enfin, Benson et Johnson (1989) trouvent une corrélation positive entre le niveau d'activité et le taux d'impôt local sur les entreprises mais l'impact d'une variation du taux d'impôt local est nul dans l'immédiat et ne se fait sentir que quatre ou cinq ans après.

Cet optimisme, partagé par le Conseil des impôts (1997, p. 237), ne doit pas faire oublier les conclusions d'autres études économétriques, en partie recensées par Newman et Sullivan (1988), qui, si elles sont parfois plus anciennes, suggèrent l'absence d'impact mesurable des variables budgétaires et fiscales locales, soit une influence marginale, à la limite des seuils généralement admis de significativité des tests, et donc difficilement interprétables. A titre d'exemple, Coffin (1982) a étudié le développement économique de la ville d'Indianapolis avant et après l'adoption d'exonération des bases imposables au titre de la property tax et il montre que l'effet galvanisateur de cette incitation fiscale s'estompe après deux ans. Wolkoff (1985), de son côté, montre qu'une réduction de 50% de la property tax (grâce à une politique ambitieuse d'abattement) a un effet négligeable sur le coût du capital et par conséquent sur le développement économique local.

Dans ces conditions, certains économistes comme Mc Hone (1987) ou Anderson et Wassmer (1995) justifient l'existence de régimes fiscaux dérogatoires en terme de dilemme du prisonnier et d'effets de mimétisme. Anderson et Wassmer examinent plus précisément la politique d'incitation fiscale choisie par cent douze municipalités appartenant à la métropole de Detroit sur la période 1974-1982. Outre les résultats obtenus que nous développerons, l'intérêt majeur de leur contribution tient à la méthodologie utilisée. Il s'agit moins, pour ces deux auteurs, de discriminer entre les facteurs qui concourent à la localisation des entreprises (Wassmer, 1994) que de s'attacher à analyser les caractéristiques des municipalités qui, à partir du moment où l'Etat auquel elles appartiennent les autorise à utiliser ce type d'incitation, vont être les premières à l'adopter. Se pose alors la question de savoir si les municipalités qui n'ont pas adopté tout de suite ce type d'incitation vont le faire dans les années qui viennent. L'efficacité de ce type de programme est lié à la réponse apportée à ces questions.

Deux cas de figure peuvent se présenter. Soit les localités qui adoptent cette politique d'exonération des bases imposables à la property tax sont les plus fragiles économiquement et, dans ce cas, ce type de mesure est efficace car il répond au souci du législateur de réhabiliter ces zones, soit on observe un comportement stratégique des municipalités qui proposent ce type d'exonération pour ne pas être en reste. Anderson et Wassmer postulent alors que vraisemblablement les municipalités qui adoptent ces exonérations dans un objectif stratégique ne le font pas immédiatement après que ce type d'incitation soit permise et attendent de voir.

Le modèle utilisé est un modèle de durée analogue à celui utilisé en économie du travail pour étudier la durée d'une grève ou du chômage. 71( * ) L'estimation d'une fonction de hasard permet en effet de discriminer entre les deux cas de figure présentés plus haut. Si l'on trouve que la probabilité pour une municipalité d'adopter cette politique d'exonération fiscale décroît avec le temps, alors on peut raisonnablement penser que, toutes choses étant égales par ailleurs, les municipalités qui sont les plus défavorisées sont celles qui adoptent les premières ce type de mesure. En revanche, si cette probabilité croît avec le temps, on peut conclure que les municipalités ont un comportement stratégique et l'objectif recherché par les autorités de l'État considéré est dévoyé.

Anderson et Wassmer commencent par définir le taux de hasard à une période t comme le probabilité conditionnelle qu'une municipalité accorde une EBI sachant qu'elle ne l'a pas fait jusqu'alors. Bien évidemment, la durée pendant laquelle elle ne propose pas d'EBI varie en sens inverse de cette probabilité. Ce taux de hasard à une date t , n'est pas, a priori, une fonction constante du temps. En effet, comme nous l'avons souligné, une municipalité adoptera, toutes choses étant égales par ailleurs, d'autant plus vraisemblablement l'EBI que d'autres l'on fait avant elle. Cette probabilité sera " régressée " sur un ensemble de variables indépendantes selon trois spécifications différentes. Le premier modèle utilisé est un modèle à la Weibull qui permet de prendre en compte un taux de hasard, s, qui croît, décroît ou est constant dans le temps. Le second est le modèle exponentiel qui n'est finalement qu'un cas particulier du modèle de Weibull dans le sens où le paramètre s est égal à un. Le troisième, enfin est un modèle log logistique. 72( * )

Les variables indépendantes retenues, en l'absence d'un modèle théorique sous-jacent, peuvent être classées en trois ensembles :

- Un ensemble de variables qui contrôlent les caractéristiques de la localité et de l'électeur-médian (revenu médian de la municipalité, population, distance à la ville-centre) ;

- Un ensemble de variables qui contrôlent les autres aides accordées par cette municipalité mais aussi par ses concurrentes ;

- Un ensemble de variables qui contrôlent les taux d'impôts locaux, la composition et la répartition de la base imposable entre les activités industrielles et commerciales d'une part et les ménages d'autre part.

Sans entrer dans le détail des résultats, on peut toutefois énoncer deux types de résultats concernant l'estimation des paramètres s (probabilité d'adoption) et l (délai médian d'adoption d'une mesure d'incitation fiscale par une localité). Ainsi la valeur médiane de l est comprise entre 15 et 19 ans selon la spécification retenue. La comparaison des modèles exponentiel et de Weibull est éclairante car les deux auteurs montrent que ce dernier permet de donner une estimation de s différente de 1 (s = 0,671 avec un écart type de 0,0923) et par conséquent de rejeter le modèle exponentiel. La conclusion immédiate est que les taux de hasard, non seulement ne sont pas constants dans le temps, mais augmentent avec le temps (s < 1). Autrement dit, les municipalités ont un comportement stratégique qui consiste à imiter leurs concurrentes en proposant des exonérations d'impôt, même si elles n'ont pas besoin de le faire.

Les études sur données américaines semblent montrer (1) que les entreprises sont sensibles aux différentiels locaux de fiscalité - même si les résultats obtenus sont fragiles -, (2) que les entreprises mettent en concurrence toutes les municipalités en cherchant à bénéficier des mêmes avantages financiers quelles que soient les caractéristiques du lieu d'implantation. Par conséquent, les municipalités les plus riches vont avoir un comportement mimétique qui va les conduire à adopter et à offrir aux entreprises le même type d'incitation fiscale que les municipalités les plus pauvres.

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