N°
438
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 22 juin 2000
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la coopération européenne dans le domaine de l' immigration ,
Par M.
Paul MASSON,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Xavier Dugoin, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.
Union européenne. |
|
NTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
La découverte, il y a quelques jours, à Douvres, d'un camion
où ont péri, étouffés, cinquante-huit
immigrés clandestins d'origine chinoise, constitue une nouvelle
illustration douloureuse de l'acuité du problème de l'immigration
clandestine pour les pays européens.
L'Europe doit, aujourd'hui, considérer l'immigration comme un sujet
d'
intérêt commun
. Cette situation est le fruit d'une
évolution de près de deux siècles. En effet, les Etats
membres de l'Union européenne sont devenus, les uns après les
autres, des pays d'immigration.
Le cas de la France et de l'Italie qui se trouvent en quelque sorte aux deux
extrémités de cette évolution constituent à cet
égard des exemples éclairants.
La France est devenue un pays d'immigration avec un siècle d'avance sur
ses voisins. Dès 1851, elle comptait plus d'un pour cent
d'étrangers au sein de sa population totale. Or ce seuil, jugé
significatif par les démographes pour classer un pays comme pays
d'immigration, n'a été franchi qu'en 1950 par l'Allemagne et les
Pays-Bas, en 1985 par l'Italie, en 1990 par l'Espagne et le Portugal.
A l'inverse, l'Italie apparaît parmi les pays
méditerranéens comme celui qui, sur la période 1860-1960,
a nourri la plus forte émigration vers le nouveau monde. Par ailleurs,
pendant les " trente glorieuses ", elle constituait le plus gros
réservoir de main d'oeuvre pour les économies européennes.
Depuis les années 70, l'Italie est progressivement devenue un pays de
transit vers les pays industriels d'Europe du nord avant de se transformer en
pays d'installation définitive.
L'inversion des courants migratoires s'explique principalement par
les
évolutions du taux d'accroissement naturel de la population
européenne
. Lorsque l'Europe a connu au XIXè siècle un
fort excédent de population, d'importantes vagues d'émigration se
sont produites. La migration joue alors comme un " mécanisme
réducteur de tension "
1(
*
)
. Avec le fléchissement de la
fécondité, l'Europe est devenue progressivement territoire
d'immigration : le phénomène s'est d'abord manifesté
en France, avant de se produire en Europe du nord-ouest, en Europe du sud et,
aujourd'hui, en Europe centrale et balkanique.
Le facteur démographique, fondamental, n'explique pas tout. D'autres
éléments ont également une part inégale selon les
pays dans l'inversion du flux migratoire en Europe : le mouvement de
décolonisation, l'appel à la main-d'oeuvre
étrangère au cours des années soixante, les
facilités de circulation liées à la multiplication des
échanges et des moyens de transport. Corollaire de l'immigration
légale, l'entrée des étrangers en situation
irrégulière s'est également considérablement
accrue. Aussi l'Europe se trouve-t-elle aujourd'hui confrontée à
des problèmes communs. La coordination des efforts pour apporter une
réponse plus maîtrisée des flux migratoires et, d'abord,
renforcer le contrôle des frontières s'est imposée
progressivement sous la pression des opinions publiques plutôt
qu'à l'initiative des gouvernements.
Le rapprochement des positions sur ces questions a connu dans la période
récente
deux aboutissements juridiques
:
les accords de
Schengen
signés en 1990 et mis en oeuvre en 1995 et le
traité d'Amsterdam
conclu le 2 octobre 1998 par les quinze
Etats membres de l'Union européenne.
Les accords de Schengen ont institué entre les Etats signataires un
espace de libre circulation des personnes
et reporté les
contrôles aux frontières extérieures de l'espace Schengen.
Dès lors la maîtrise des flux migratoires au sein de cet espace
dépend dans une large mesure de l'efficacité des dispositifs
nationaux de contrôle des pays dotés d'une frontière
extérieure. En d'autres termes, la qualité des contrôles
exercés et, de manière plus générale, la politique
migratoire conduite par chaque Etat, engage sa responsabilité non
seulement vis-à-vis de son opinion publique, mais aussi vis-à-vis
de ses partenaires Schengen. Il est à noter que l'idée initiale
dominante était de supprimer les contrôles dans
un esprit de
liberté.
La circulation des monnaies et des marchandises a
été libérée. Pourquoi, dès lors, faire
obstacle à la libre circulation des personnes. Vint après
l'observation formulée ainsi : " Pas de liberté sans
sécurité ". La nécessité de concilier ces deux
démarches explique la longueur de la négociation des accords de
Schengen et aussi la complexité du système mis en place.
En second lieu, le
pouvoir de décision
dans le domaine de
l'immigration relèvera désormais, en partie, de la
Communauté européenne. Telle est, en effet, la principale
disposition du traité d'Amsterdam. L'application, certes progressive,
des règles communautaires conduira à un transfert de
compétences majeur des Etats vers les institutions de Bruxelles.
Ainsi les questions migratoires s'inscrivent, de plus en plus, dans une
perspective européenne. Cette évolution demeure encore mal
perçue par les opinions publiques comme par les responsables politiques,
alors même qu'elle affecte de manière substantielle l'exercice par
les Etats de leurs prérogatives traditionnelles.
Certes, votre commission des affaires étrangères et de la
défense prend, depuis plusieurs années, la mesure de ces
changements à travers le nombre croissant d'accords soumis à son
examen, tant sur le plan bilatéral (accords de coopération
transfrontalière, accords de réadmission...) que dans un cadre
multilatéral (accords d'adhésion à la convention de
Schengen, traité d'Amsterdam...). Les conséquences de ces accords
doivent cependant également retenir notre attention. C'est pourquoi
votre rapporteur a été mandaté par la commission pour
évaluer les incidences de la nouvelle dimension européenne des
questions migratoires.
Plus d'un an après l'entrée en vigueur du traité
d'Amsterdam, et à la veille de la présidence française, il
apparaît en particulier nécessaire de faire le point sur la mise
en oeuvre des dispositions du traité consacrées à
l'immigration ainsi que sur les ambitions communes que peuvent nourrir les
Quinze sur ce sujet.
Mais, à l'échelle des nations comme à l'échelle de
l'Union européenne, la définition des grandes orientations dans
le domaine migratoire reste assez vaine si elle ne peut s'appuyer sur un
contrôle efficace aux frontières, seul à même de
permettre l'application des principes arrêtés. Dans un espace de
libre circulation des personnes, il importe de porter une attention
particulière aux frontières extérieures. Votre rapporteur
a choisi de prendre pour exemple l'Italie, chargée de la surveillance de
l'une des parties les plus sensibles de la frontière extérieure
au point de contact entre l'Union européenne et la région des
Balkans.
Tels sont les deux volets que le présent rapport évoquera
successivement.
I. LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION CLANDESTINE TRIBUTAIRE DES DISPOSITIFS NATIONAUX AUX FRONTIÈRES EXTÉRIEURES DE L'UNION EUROPÉENNE : L'EXEMPLE ITALIEN
L'un des
points les plus sensibles des frontières extérieures de l'Union
européenne se trouve au point de contact avec la zone balkanique. Les
frontières maritimes italiennes, en particulier, sont soumises à
la forte pression de flux migratoires en provenance de l'Europe du Sud-Est.
L'Italie se trouve ainsi investie d'une responsabilité éminente
dans la lutte contre l'immigration clandestine. Quelle est la situation exacte
de l'immigration en Italie ? Quels moyens ce pays met-il en oeuvre pour
lutter efficacement contre l'immigration clandestine ? Quelles
difficultés, enfin, rencontre-t-il dans cette action ? Telles sont,
à l'évidence, des questions qui intéressent directement
les partenaires européens de l'Italie.
C'est pourquoi votre rapporteur a choisi de se rendre à Rome, mais aussi
et surtout de se déplacer à Bari, dans les Pouilles, la
région la plus immédiatement exposée à la pression
migratoire, afin de se rendre compte sur place de la réalité de
l'immigration clandestine, du dispositif de contrôle et des
problèmes rencontrés. Ce déplacement constituait en
quelque sorte une " première ". Il traduit la volonté
de transparence des autorités italiennes. Votre rapporteur souhaiterait,
à l'occasion de ce rapport, exprimer sa gratitude non seulement à
notre ambassade qui a largement favorisé le bon déroulement de
cette mission, mais aussi à l'ensemble des autorités italiennes
qui, à Rome comme à Bari, lui ont réservé le
meilleur accueil.
A. UNE FORTE PRESSION MIGRATOIRE
L'Italie
présente une vulnérabilité certaine à l'immigration
clandestine, en raison d'abord de l'étendue de ses côtes -quelque
8 000 km- mais aussi de sa proximité avec des Etats marqués
par une profonde instabilité politique et économique. En outre,
l'Italie constitue la porte d'accès privilégiée au coeur
de l'Europe prospère, point d'attraction pour des populations parfois
déshéritées et sans ressources. Enfin, ce pays,
marqué par une longue tradition d'émigration, ne disposait pas
jusqu'à une période récente d'un arsenal législatif
et policier adapté au problème de l'immigration clandestine.
Tous ces facteurs ne pouvaient qu'exposer l'Italie à une pression
migratoire particulièrement forte.
Les données relatives à l'immigration légale permettent
une première approche de l'immigration irrégulière dans la
mesure où les décisions de régularisation successives ont
permis de mieux dégager la réalité de la présence
étrangère clandestine dans la péninsule.
1. L'immigration légale accrue par les mouvements de régularisation
Longtemps pays d'émigration, l'Italie n'est devenue
terre
d'immigration qu'au cours des deux dernières décennies. Depuis
lors, la présence étrangère n'a cessé de
croître. Au 31 décembre 1999, l'Italie comptait
1 251 994
étrangers en possession d'un titre de séjour régulier
,
soit une
augmentation de 21 % par rapport à 1998
principalement liée à la mesure de régularisation
décidée en janvier 1999. Les immigrés représentent
2,5 % de la population italienne (5,1 % en moyenne pour l'Union
européenne). Ces chiffres ne prennent toutefois en compte que les
détenteurs à titre personnel d'un permis de séjour. Les
mineurs de moins de quatorze ans n'en sont pas titulaires (sauf ceux qui, non
accompagnés de leurs parents, sont confiés à des
institutions ou adoptés dans des familles). En outre, l'enregistrement
des permis de séjour -nouveaux ou en instance de renouvellement- a connu
de nombreux retards de caractère administratif. Aussi, d'après
l'association CARITAS, le nombre des étrangers en situation
régulière approcherait en fait
1 500 000 personnes
.
La moitié des immigrés proviennent de pays proches de l'Italie
(zone balkanique et Afrique du Nord). Les évolutions les plus
récentes se caractérisent par une forte progression des
étrangers venus des pays de l'Est de l'Europe -plus 30 % par
rapport à 1998- et, dans une moindre mesure, des pays du Sud (Asie et
Afrique)- plus 25 % par rapport à 1999.
Une analyse plus fine, par pays d'origine, permet de relever un taux de
progression supérieur à la moyenne d'augmentation pour 1999
(21 %) pour trois pays -Sénégal, Bangladesh, Pakistan (26 -
40 %), et très supérieur pour cinq pays -Albanie, Yougoslavie,
Roumanie, Chine, Nigeria (au-delà de 40 %).
Aussi, derrière le Maroc, l'Albanie et les Philippines, principaux pays
d'origine de l'immigration depuis plusieurs années, apparaissent
désormais des pays tels que la Yougoslavie, la Roumanie,
la Chine
et le Sénégal.
|
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
% augmentation 1999-1998 |
Maroc |
119 481 |
131 406 |
120 531 |
146 491 |
21,53 |
Albanie |
63 967 |
83 967 |
75 650 |
115 755 |
53,02 |
Philippine |
57 071 |
61 285 |
55 846 |
61 004 |
6,42 |
Yougoslavie + Kosovo |
44 259 |
44 370 |
|
54 698 |
57,66 |
Roumanie |
31 673 |
38 138 |
30 673 |
51 620 |
68,29 |
USA |
54 652 |
59 572 |
46 148 |
47 568 |
3,07 |
Chine |
29 073 |
37 838 |
31 436 |
47 108 |
49,85 |
Tunisie |
44 821 |
48 809 |
39 059 |
44 044 |
12,76 |
Sénégal |
31 870 |
34 831 |
29 667 |
37 413 |
26,11 |
Les étrangers accédant en Italie par les régions du sud ne restent guère sur place mais préfèrent gagner l'Italie centrale et septentrionale où ils s'installent de manière durable.
2. Débouché naturel de la " route des Balkans ", un pays très exposé aux flux d'immigration clandestine
Il est
par hypothèse difficile d'appréhender l'immigration
irrégulière. Celle-ci peut toutefois être
appréciée à la lumière de plusieurs données,
et au premier chef par les décisions de non admission.
Ainsi,
48 437 non admissions
ont été
prononcées en Italie (contre 41 752 en 1998, 39 888 en 1997)
-36 937 ont été décidées sur les
frontières, 11 500 prises par les questeurs (préfets de
police italiens).
En outre, il faut aussi prendre en compte le nombre d'étrangers
interpellés en séjour irrégulier. Dans la mesure où
les autorités italiennes ne tiennent pas des statistiques
synthétiques en la matière, il convient de conjuguer les
indications livrées par les expulsions, les injonctions à quitter
le territoire, les demandes d'asile et les demandes de réadmission. Le
nombre des irréguliers interpellés en 1999 s'élève
à
97 808
dont 50 872 proviennent des
débarquements dans le sud de l'Italie (Pouilles, Sicile, Calabre).
Sur ces 97 808 étrangers en situation irrégulière, 12
036 ont été expulsés sur décision administrative
(contre 8 546 en 1997), 520 expulsés sur décision judiciaire
(contre 432 en 1998), 11 399 réadmis dans leur pays de provenance
et 40 489 intimés à quitter le territoire. Aucune garantie
ne permet toutefois de s'assurer que ces derniers ont effectivement
quitté l'Italie. Cette incertitude ainsi que le nombre de demandes
d'asile politique (33 364) laissent penser que la présence
d'irréguliers sur le territoire de la péninsule demeure
importante. Il faut enfin relever le nombre d'étrangers en instance de
régularisation dans le cadre de la politique décidée
à la fin de l'année 1998. En effet, sur 250 559 demandes
présentées, 140 280 ont été, à ce jour,
examinées et donné lieu à la délivrance d'un permis
de séjour.
Les flux d'immigration irrégulière proviennent
principalement :
- de
l'Afrique du Nord
(Marocains, Tunisiens, Algériens,
Égyptiens) et, dans une moindre mesure, de l'Afrique subsaharienne
(Sénégalais, Nigérians, Ghanéens) ;
- de l'
Europe centrale et orientale
-par la voie, principalement, de
débarquement dans les Pouilles.
Cette " route des Balkans " n'est pas seulement empruntée par
les populations d'origine européenne -Roumains, Yougoslaves, Bosniaques,
Moldaves, Macédoniens, Bulgares- mais aussi par des peuples plus
lointains (Turcs et Irakiens, Kurdes) et les filières asiatiques.
L'Albanie et le Monténégro constituent des points de
départ ou de passage obligés pour de nombreux clandestins. Le
principal port du
Monténégro
, Bar (l'ancienne Antivari),
compte, d'après les informations communiquées à votre
rapporteur,
une flotte de quelque 80 bateaux
, dévolue aux seules
activités de trafic.
Les responsables des forces de police rencontrés à Bari ont fait
état, après une période d'accalmie au début de
cette année, d'une
reprise des débarquements clandestins
avec, pour conséquences, les drames ou les incidents qui sont les
corollaires de l'immigration irrégulière. Ainsi le 4 mai dernier,
dans le détroit d'Otrante -entre l'Italie et l'Albanie- un bateau
chargé de clandestins a sombré après avoir heurté
une vedette de la police, causant la mort de 13 personnes.
Par ailleurs, les services de police du ministère de l'intérieur
ont exprimé leur préoccupation face aux
flux migratoires
clandestins, certes sporadiques mais massifs,
en provenance de la
Turquie
-chaque embarcation peut transporter jusqu'à
200 personnes. La Calabre, jusqu'alors relativement épargnée
par l'immigration clandestine, serait la principale zone de
débarquement. Ainsi, le 12 mai, plus de 300 immigrés clandestins
d'origine kurde ont débarqué à Crotone (Calabre) d'un
navire battant pavillon panaméen.
L'augmentation sensible du nombre des expulsions en 1999 traduit le souci
d'afficher une plus grande fermeté dans le contrôle des
frontières. Cette volonté trouve-t-elle un relais dans les moyens
juridiques et policiers mis en oeuvre pour lutter contre l'immigration
clandestine ?
Un effort indéniable a été entrepris au cours des
dernières années pour répondre aux attentes de la
population italienne mais aussi aux préoccupations des Etats voisins de
la péninsule. Cet effort demeure toutefois inachevé.
B. LA PRISE EN COMPTE DES RISQUES SOULEVÉS PAR L'IMMIGRATION CLANDESTINE
Depuis plusieurs années, l'Italie a incontestablement pris une plus juste mesure des risques présentés par l'augmentation incontrôlée de l'immigration clandestine. Elle a dirigé ses efforts dans deux directions : un arsenal juridique plus adapté, un dispositif de forces renforcé.
1. Un arsenal juridique plus adapté
Jusqu'à une date récente, l'Italie se trouvait
vis-à-vis de l'immigration dan un vide juridique relatif. L'unique texte
de référence, la loi Martelli du 28 février 1990,
présentait en effet une souplesse excessive. Il laissait en particulier
aux immigrés clandestins interpellés un délai de deux
semaines, sans détention administrative, pour déposer un recours
administratif contre leur ordre d'expulsion : les intéressés
en profitaient naturellement pour retourner dans la clandestinité. En
outre, il n'était guère appliqué. Si le mécanisme
de refoulement à la frontière fonctionnait correctement
(54 000 personnes en 1996), le taux d'application des décisions
d'expulsion demeurait modeste (14 % en 1996).
Désireuse d'intégrer effectivement l'espace Schengen et de
surmonter les réticences de ses partenaires européens, l'Italie
s'est dotée d'un nouveau texte, la loi-cadre du 6 mars 1998 dont
les dispositions ont été reprises dans un décret
législatif d'application du 25 juillet 1998 (" texte unique sur les
dispositions concernant l'immigration et les normes sur la condition de
l'étranger ").
Le nouveau dispositif s'articule autour de quatre points principaux :
- la
programmation
de la politique migratoire (un décret fixe
chaque année les
quotas maximum
des étrangers pouvant
être admis sur le territoire, pour des raisons de travail) ;
- la redéfinition des
conditions d'entrée et de
séjour
;
- le durcissement des dispositions en matière de
refoulements et
d'expulsions
;
- le
renforcement parallèle des droits des étrangers en
situation régulière
(droit au regroupement familial, au
travail, aux études, à l'assistance sociale, aux prestations
sociales et au logement public...) ; la loi mentionne également le
principe de la participation à la vie publique locale.
En matière de lutte contre l'immigration clandestine (art. 12), il
convient de relever en particulier les quatre dispositions suivantes
2(
*
)
:
- quiconque agit pour
favoriser l'entrée irrégulière
des étrangers
sur le territoire national est puni d'une peine
d'emprisonnement de 3 ans et d'une amende de 30 millions de lires (cette
peine et cette amende sont aggravées lorsque l'infraction est le fait de
trois personnes ou plus, lorsqu'elle a facilité l'entrée de plus
de quatre étrangers ou encore quand elle est justifiée par le
gain).
- quiconque favorise le
maintien sur le territoire
de l'étranger
en situation irrégulière encourt une peine d'emprisonnement
maximum de 4 ans et une amende de 30 millions de lires ;
- le
transporteur
aérien, maritime ou terrestre est obligé
de s'assurer que l'étranger transporté est en possession des
documents requis pour l'entrée sur le territoire, et si ce n'est pas le
cas, de signaler la présence de l'étranger en situation
irrégulière à la police des frontières ;
- les
biens saisis
pendant des opérations de police
destinées à la prévention et à la répression
de l'immigration clandestine peuvent être confiés à
l'autorité de police pour l'exercice de leurs activités.
En outre, la loi a institué des
centres permanents temporaires
pour les immigré illégaux. Ces centres permettent de retenir les
étrangers titulaires d'un permis de séjour italien arrivé
à expiration, ceux qui sont entrés irrégulièrement
et ne disposent d'aucun document d'identité, ceux qui sont
expulsés, ceux qui sont en instance de reconduite. Le
délai
maximum de rétention
est de
30 jours
.
Cet effort législatif a contribué au renforcement des moyens mis
en oeuvre pour lutter contre l'immigration clandestine.
2. Un dispositif de forces renforcé
.
L'organisation de la lutte contre l'immigration clandestine
Au niveau central
, la responsabilité de la lutte contre
l'immigration clandestine appartient au
ministère de
l'intérieur
. La nouvelle loi s'est accompagnée d'une
réorganisation administrative avec la création, au ler juillet
1998, d'un
service immigration et police de frontière
qui
regroupe dans une structure unique de la direction de la sécurité
publique l'ancienne division de la frontière et celle des
étrangers.
A l'échelon local
, le contrôle aux frontières est
assuré sous l'autorité des préfets et, par
délégation, des questeurs, par trois forces : la police
d'Etat (polizia statale), les carabiniers, la garde des finances.
La police d'Etat regroupe quelque 4 800 hommes. Ils sont affectés au
service de la
police de frontière italienne
.
Les
carabiniers
(soit, au total, quelque 113 000 hommes) sont,
à l'instar de la gendarmerie française, placés sous statut
militaire. Ils participent à la surveillance des frontières
(notamment avec le concours de carabiniers parachutistes) et sont, dans cette
mission, mis pour emploi auprès de la police d'Etat. Selon une formule
originale, inconnue à la France, carabiniers et policiers assurent,
de manière alternée
, la surveillance dans une même
zone afin, a-t-il été indiqué à votre rapporteur,
que ne puisse s'instaurer aucune sorte de lien entre les représentants
de l'ordre et une organisation criminelle.
La
garde des finances
constitue sans doute la force la plus originale
et, du reste, la mieux dotée en moyens. Forte de quelque 66 000
hommes placés, eux aussi, sous statut militaire, elle est
commandée, sous les ordres du ministre des finances, par un
général. Elle a pour mission principale la protection des
intérêts économiques de l'Etat italien (lutte contre la
fraude fiscale, contre la criminalité organisée et le blanchiment
de l'argent). Dans le cadre du contrôle aéronaval à des
fins fiscales, économiques et douanières, elle dispose de moyens
importants (13 avions, 95 hélicoptères, 88 navires
garde côtes, 275 vedettes, 3 patrouilleurs...) employés, le cas
échéant, dans la lutte contre l'immigration clandestine. La garde
des finances reconvertit également pour ses propres besoins certains des
bateaux saisis. A Bari, elle compte une vingtaine de vedettes ainsi
récupérées sur les trafiquants.
De 1997 à 1998, le nombre des arrestations d'étrangers
effectuées par la garde des finances est passé de 147 à
436 et celui des ressortissants étrangers expulsés, de 7 155
à 15 678. Sur la même période, le nombre de
véhicules terrestres saisis a crû de 64 à 256, alors que
celui des moyens maritimes confisqués a régressé
légèrement de 91 à 84.
.
Un renforcement des moyens
Au début de cette année, le gouvernement italien a annoncé
la mise à disposition de 180 milliards de lires pour le
contrôle des frontières et la lutte contre l'immigration
clandestine. Sur cette somme, 62 milliards de lires seront plus
particulièrement consacrés à la côte des Pouilles,
afin de lutter plus efficacement contre les débarquements clandestins
provenant de l'Adriatique.
Ces nouveaux moyens permettront notamment de nouvelles dotations (12
véhicules 4 x 4 blindés munis de caméras à vision
nocturne, 12 fourgons mobiles pour la photosignalisation et l'immédiate
identification des clandestins).
En outre, le centre national pour la gestion de toutes les empreintes digitales
existantes est devenu opérationnel depuis le début du mois de mai.
Enfin, les services de police seront équipés du
système
d'identification portable,
système
informatisé de recueil de l'empreinte à plat de l'index,
accompagné de la photo prise in situ ainsi que des
éléments d'identité fournis par la personne faisant
l'objet du contrôle. Ces informations sont envoyées en temps
réel au fichier central de la police criminelle pour vérification
de l'identité de la personne et la réponse est apportée
dans un délai de quelques minutes. Cet appareil portable peut être
utilisé dans toutes les conditions et sur l'ensemble du territoire
national. Ce système, expérimental à ce jour, avec
cinquante appareils, devrait progressivement équiper l'ensemble des
services. Il permet d'identifier rapidement les personnes interpellées,
notamment celles qui utilisent d'autres identités et de signaliser
uniquement celles qui ne sont pas connues dans le fichier central.
C. UN BILAN EN DEMI-TEINTES
1. Une politique migratoire en voie de clarification
Désormais soutenues par une législation moins inadaptée et un dispositif de forces conforté, les autorités italiennes ont affiché une nouvelle politique migratoire avec l'organisation des flux migratoires et la lutte contre l'immigration clandestine.
a) L'organisation des flux migratoires sur la base de quotas
Sur la
base de la nouvelle législation, le président du Conseil a
signé en février dernier un décret fixant à
63 000 le quota d'immigrants
autorisés à entrer
régulièrement en Italie pour l'année 2000 (contre
58 000 en 1999).
Ce chiffre tient compte des besoins en main-d'oeuvre estimé par le
ministère du travail et de la prévoyance sociale dans un
texte
de programmation triennal 1998-2000
, ainsi que du rapport entre le taux
d'emploi et le taux de chômage des extra-communautaires.
Les flux d'immigration proviendront principalement de pays ayant passé
des accords de coopération avec l'Italie. Le décret retient la
répartition suivante :
- 6 000 Albanais
- 3 000 Tunisiens
- 3 000 Marocains
- 6 000 étrangers n'appartenant pas à des pays de l'Union
européenne mais originaires d'Etats liés à l'Italie par
des accords de coopération dans le domaine de l'immigration ;
- 15 000 étrangers provenant de tout autre pays extra-communautaire.
Dans le respect de ces quotas, un permis de séjour peut être
accordé non seulement aux étrangers munis d'un contrat de travail
et d'un visa délivré par l'ambassade, mais aussi, depuis
l'adoption du décret du 4 août 1998 aux
bénéficiaires d'un " parrainage " de la part d'un
particulier résident ou d'une société italienne
garantissant à l'intéressé un domicile et une aide
économique mensuelle de 600 000 lires (un même
" parrain " ne pourra toutefois garantir l'accès à plus
de deux personnes étrangères par an).
Parallèlement, l'Italie a affiché sa détermination
à combattre l'immigration clandestine.
b) Une détermination nouvelle pour combattre l'immigration clandestine
En
premier lieu, les autorités italiennes ont souhaité
étendre le nombre de pays avec lesquels l'Italie a signé des
accords de réadmission
.
L'Italie est, comme l'Allemagne et l'Espagne, liée avec le
Maroc
par un accord de réadmission. Elle est en revanche le seul pays à
avoir signé avec la
Tunisie
un accord de cette nature. Enfin,
l'accord conclu avec l'
Albanie
va plus loin que les traditionnels
accords de réadmission : il permet aux forces italiennes
d'arrêter et de renvoyer en Albanie tous les immigrés en situation
irrégulière provenant de ce pays.
Les accords signés avec les pays du Maghreb ont, d'après les
interlocuteurs de votre rapporteur, au ministère de l'intérieur,
permis une réduction notable des flux en provenance de ces pays.
Par ailleurs, l'Italie est à l'origine de l' "
initiative
Adriatique
" qui réunit l'ensemble des pays riverains sur les
questions de sécurité intérieure. Les représentants
du ministère de l'intérieur ont également indiqué
à votre rapporteur qu'un
accord trilatéral
Albanie-Grèce-Italie
était en cours de négociation
afin d'assurer une meilleure coordination des actions de surveillance entre les
forces de police des trois pays.
En outre, l'Italie a pris l'initiative de
reconduites
systématiques
notamment par le biais de
charters
. Ainsi,
depuis le ler janvier 1999, 10 charters ont été organisés
parmi lesquels un charter pour la République de Chine populaire.
Cependant, le dispositif juridique et institutionnel, de même que
l'organisation des forces présente encore d'évidentes
faiblesses.
2. Les faiblesses
a) Les lacunes du dispositif juridique et institutionnel
.
Les failles de la loi du 6 mars 1998
La nouvelle loi sur les étrangers présente
deux lacunes
importantes
.
En premier lieu, l'entrée et le séjour des étrangers en
situation irrégulière ne constituent pas en eux-mêmes une
infraction pénale
. Tout au plus, l'étranger qui, à
la requête des agents de la force publique ne peut présenter sans
motif légitime le passeport ou un autre document d'identité peut
se voir infliger une peine contraventionnelle pouvant aller jusqu'à
6 mois d'emprisonnement et 800 000 lires d'amende. L'entrée et
le séjour irrégulier ne sont dès lors passibles que de
sanctions administratives
: les décisions d'expulsion ou
l'injonction à quitter le territoire.
Bien qu'en progression, l'expulsion est nettement moins utilisée que
l'injonction à quitter le territoire. Or, faute de contrôle
effectif, celle-ci
demeure le plus souvent lettre morte
(en 1999, sur 97
808 étrangers en situation irrégulière, 12 036 ont
été expulsés sur décision administrative, 520 sur
décision judiciaire, 40 489 ont reçu une injonction à
quitter le territoire).
En second lieu, contrairement aux engagements souscrits dans le cadre de la
convention de Schengen (art. 27 § 1), le dispositif législatif ne
prévoit
pas de mesures particulières contre les personnes
favorisant le transit des irréguliers et leur sortie
d'Italie. La
coopération judiciaire souffre de cette lacune dans la mesure où
un passeur qui développe une activité depuis l'Italie n'est pas
pénalement répréhensible sauf s'il fait l'objet d'un
mandat d'arrêt international délivré par un magistrat d'un
autre Etat membre de l'Union européenne.
.
Les centres de rétention
L'organisation et le fonctionnement des centres de rétention
soulèvent plusieurs questions.
En premier lieu, si neuf centres ont été ouverts sur le
territoire italien (Milan, Rome, Turin, Brindisi, Lecce, Bari, Trapani,
Agrigente, Trieste), certains ont dû être fermés pour motif
de salubrité et font l'objet de travaux. Dès lors, le nombre de
centres disponibles apparaît aujourd'hui
insuffisant
au regard des
besoins (à titre indicatif, 4 000 personnes avaient
séjourné en 1999 dans les centres de rétention).
Ensuite, la gestion des centres est confiée à des
organismes
caritatifs
, tandis que la sécurité du périmètre
extérieur relève du contrôle des forces de police. Les
risques de contradiction des deux logiques -humanitaire et sécuritaire-
ne permettent pas toujours une coordination satisfaisante des efforts
nécessaires à la bonne organisation des centres.
Enfin, le délai légal maximal de rétention est de
30 jours
3(
*
)
. Cette
période est en principe utilisée pour s'assurer de
l'identité des personnes en situation irrégulière. Mais,
comme l'ont indiqué certains des interlocuteurs de votre rapporteur lors
d'une visite au centre de rétention de Rome,
cette
vérification n'est pas toujours possible
. Il ne reste plus
dès lors d'autres possibilités que de libérer les
étrangers en leur notifiant une intimation à quitter le
territoire. Le plus souvent les intéressés demeurent en fait en
Italie... avant de se faire arrêter et de se retrouver, de nouveau, dans
un centre de rétention.
.
Le point faible des accords de réadmission
Les accords de réadmission rencontrent quant à eux quatre
limites. D'abord, ils ne sont opérants que si
l'identité des
étrangers
en situation irrégulière peut être
vérifiée. Or la plupart des personnes interpellées ne
disposent pas de passeport ou le déchirent s'ils en ont un.
Ensuite, la réadmission dans des pays de transit ne peut vraiment
fonctionner que si ces derniers sont liés aux pays d'origine par des
accords de réadmission. Ainsi, outre l'Italie, la Grèce est le
seul pays avec lequel l'Albanie ait signé un accord de
réadmission. Dans ces conditions, les autorités de Tirana peuvent
difficilement reprendre les ressortissants d'Etats tiers.
Par ailleurs, l'Italie subit une pression migratoire en provenance de
l'ancienne Yougoslavie
avec laquelle il demeure très difficile de
nouer des liens durables. En effet, l'isolement de Belgrade condamne l'Italie
à n'entretenir de relations qu'avec les autorités du
Monténégro qui ne représentent pas un Etat souverain et
n'ont pas, en principe, de compétence en matière d'immigration
-prérogative de la fédération. Dès lors, il ne peut
être question d'accords entre les deux parties mais seulement
d'" arrangements ". L'Italie compte ainsi un officier de police au
port de Bar, chargé notamment de signaler les embarquements suspects au
départ du Monténégro.
Une autre difficulté enfin réside dans la réticence de la
Turquie
à signer des accords de réadmission alors
même que ce pays tend à devenir un point de départ
privilégié des flux d'immigration clandestine.
b) Les ambiguïtés de la politique italienne
La
succession des décisions de régularisation au cours des
dernières années paraît quelque peu contradictoire avec la
fermeté récemment affichée par les autorités
italiennes pour endiguer l'immigration clandestine.
Trois vagues de régularisation -
désignées dans le
langage courant comme " sanatoria " (de " sanare " :
assainir, couvrir)- se sont succédé : la première, au
milieu des années 80, la seconde, à la suite de la loi Martelli
du 28 janvier 1990, la dernière enfin, dans le prolongement de la
loi du 28 mars 1998.
Ce dernier mouvement de régularisation a conduit au dépôt
de 250 000 dossiers parmi lesquels 140 000 ont été
examinés et ont donné lieu à la délivrance d'un
permis de séjour.
*
L'expérience italienne dans le domaine de l'immigration
inspire des
observations nécessairement nuancées
. La
volonté d'oeuvrer efficacement contre l'immigration clandestine
apparaît indéniable. Elle n'est pas exempte, cependant, de
certaines
ambiguïtés
dont témoignent les failles du
dispositif législatif ou encore une politique de régularisation
particulièrement généreuse. On ne peut comprendre ces
ambiguïtés sans se référer au passé d'un pays
dont les enfants, pendant plusieurs générations, se sont
expatriés en grand nombre pour chercher ailleurs, en Europe ou en
Amérique, des conditions de vie meilleures.
Cet héritage explique, malgré l'inversion des flux migratoires au
cours de la deuxième moitié du siècle, une certaine
réserve des autorités vis-à-vis des questions migratoires.
Il est à cet égard très significatif que la question des
centres de rétention soit confiée à des organisations non
gouvernementales de caractère caritatif. La conciliation de cette
approche avec les aspects répressifs qu'implique nécessairement
l'efficacité de la lutte contre l'immigration clandestine
représente, à l'évidence, un exercice difficile.
L'Italie doit encore, sans doute, s'inventer une culture de l'immigration.
Cependant la question de l'immigration, longtemps absente du débat
politique, constitue désormais un thème de campagne
électorale, reflet des préoccupations croissantes de la
population italienne vis-à-vis de flux migratoires qui seraient mal
encadrés. On peut d'ailleurs relever la concomitance des récentes
mesures prises contre les divers trafics sur la côte et les
élections régionales de mai dernier.
L'exemple italien présente toutefois des
atouts
. En premier lieu,
votre rapporteur a pu le constater notamment à Bari, l'action des forces
de police est, dans une certaine mesure, polyvalente. Elle vise principalement
au démantèlement de réseaux. La lutte contre la mafia a,
de ce point de vue, façonné les méthodes appliquées
à d'autres formes de criminalité. Cette approche apparaît
particulièrement pertinente dans la mesure où les trafics sur la
côte adriatique combinent plusieurs formes -immigration clandestine,
prostitution, drogue, contrebande de cigarettes- comme l'attestent les saisies
de la garde des finances. L'effort consacré au
démantèlement des réseaux peut donc porter tous ses
fruits. A titre d'exemple le déploiement de forces
supplémentaires, dans le cadre de l'opération
" Primavera " conduite ce printemps, à partir de Brindisi,
avait une visée assez large. Si elle cherchait d'abord à mettre
fin à la contrebande de cigarettes dirigée par des Italiens avec
l'appui d'hommes de main monténégrins, elle n'en a pas moins eu
aussi des effets dissuasifs sur les filières d'immigration clandestine
dans la région.
L'exemple italien peut être évoqué sur un autre plan :
l'
association du Parlement aux décisions prises en matière
d'immigration dans un cadre européen
.
Votre rapporteur a pu rencontrer, lors de son déplacement à Rome,
M. Evangelisti, président du
comité parlementaire de
contrôle de l'application et du fonctionnement de la convention
Schengen.
Ce comité, composé de dix députés et
dix sénateurs, dispose d'un pouvoir
d'avis conforme
sur
l'ensemble des décisions prises par le gouvernement italien dans le
cadre des accords de Schengen. L'exécutif a contesté ces
prérogatives à l'occasion de l'intégration de l'acquis de
Schengen dans le cadre de l'Union européenne après la signature
du traité d'Amsterdam. Au moment de la visite de votre rapporteur, une
motion réclamait le maintien de l'intégralité des
compétences dévolues à cette structure. Ce texte,
signé par tous les présidents de groupes des deux
assemblées, avait toutes les chances d'être adopté. Un tel
organisme ne serait naturellement pas transposable dans notre système
institutionnel. Cependant, l'information des parlementaires français sur
des matières qui touchent de si près aux intérêts de
notre pays, comme à la vie quotidienne des citoyens, pourrait être
amélioré de manière notable.
*
Comment
l'Italie peut-elle renforcer son action contre l'immigration clandestine ?
Le renforcement de la
coopération internationale
constitue l'une
des voies possibles. Sur le
mode bilatéral
, cette
coopération est déjà engagée sur la base de
l'article 39 de la convention d'application de l'accord de Schengen qui
prévoit des " accords bilatéraux " entre les parties
ayant une frontière commune. Ainsi, la France et l'Italie ont
signé, le 3 octobre 1997, un accord de coopération
transfrontalière en matière policière et douanière
dont l'un des principaux apports réside dans l'institution de
centres
de coopération policière et douanière
(CCPD). A la
différence des commissariats communs installés à Modane et
à Vintimille, auxquels ils doivent se substituer, ils associent dans un
même lieu toutes les forces de sécurité
intéressées par le contrôle des frontières -et pas
seulement la police aux frontières. Ils permettent ainsi un
échange rapide et efficace d'informations comme votre rapporteur a pu le
vérifier dans une structure analogue établie à Offenburg
pour faciliter la coordination des efforts à la frontière
franco-allemande. Votre rapporteur s'est également rendu à Modane
où un CCPD est en cours d'installation et à Vintimille où
la transformation du commissariat commun se heurte à l'étroitesse
des locaux. Il apparaît aujourd'hui indispensable de lever cet obstacle
de caractère matériel afin de permettre l'application d'un accord
dont votre rapporteur a souligné tous les mérites
4(
*
)
.
La coopération pourrait-elle être développée dans un
cadre plus large,
à l'échelle de l'Union
européenne
? A plusieurs reprises, les interlocuteurs italiens
de votre rapporteur ont souhaité que l'Union apporte un concours
financier à la surveillance des frontières extérieures
dont la péninsule a la garde. L'élargissement des attributions
des institutions bruxelloises dans le domaine de l'immigration conduit à
s'interroger sur la mise en place d'un éventuel mécanisme de
solidarité financière et, plus largement, sur les actions
conduites par l'Union dans le cadre de ce nouveau champ de compétences.
La Commission, interrogée sur ce point, paraît
particulièrement réticente pour s'engager dans une telle
procédure.
Mais le renforcement de la lutte contre l'immigration irrégulière
suppose essentiellement une simplification du dispositif de lutte contre les
divers trafics dont souffre la péninsule. On a vu combien sont
nombreuses et variées les forces qui, à un titre ou à un
autre, peuvent intervenir en la matière. Il faudrait une très
forte volonté gouvernementale pour introduire la réforme de ces
institutions héritées d'un corporatisme ancestral et relevant de
nombreuses autorités ministérielles. Il ne semble pas que
l'action gouvernementale soit, par priorité, orientée vers cette
lutte, cependant prioritaire pour l'Europe, même si les résultats
des récentes élections conduisent à penser que l'opinion
publique prend conscience de l'importance du problème.
II. VERS UNE POLITIQUE COMMUNE DE L'IMMIGRATION EN EUROPE ?
A. UN CADRE INSTITUTIONNEL PROFONDÉMENT RENOUVELÉ
Le traité d'Amsterdam a transféré aux institutions communautaires (Commission, Conseil) une partie des compétences qu'exerçaient les Etats dans le domaine de l'immigration. S'il modifie ainsi la nature d'une coopération organisée jusqu'alors dans un cadre intergouvernemental , il apparaît aussi comme l'aboutissement des initiatives engagées au cours des vingt dernières années pour tenter d'élaborer une réponse commune face au défi de l'immigration.
1. La prise en compte progressive des questions liées à l'immigration dans le système institutionnel européen
Les
Etats européens commencent à prendre conscience de la
nécessité de mieux coordonner leurs efforts en matière
d'immigration au milieu des années 70. La conjoncture du moment n'est
naturellement pas étrangère à cette évolution. Elle
associe la fin de la croissance, la ralliement des Etats à l'objectif de
" l'immigration zéro " et, parallèlement,
l'intensification de l'immigration irrégulière.
Désireux de coopérer pour mieux protéger leurs
frontières, les pays européens souhaitent cependant placer leur
action en dehors du cadre communautaire. Ils récusent en effet
l'intervention de la Commission européenne, organe supranational, dans
des matières qui relèvent des prérogatives nationales.
Aussi les premières initiatives ont-elles pour point commun de
s'affranchir du système institutionnel et européen.
En 1975, les ministres de l'Intérieur des Douze, réunis à
Rome, affirment leur volonté de renforcer la coopération
policière et lancent le
processus dit
de Trevi
,
conçu comme un forum de rencontres informel organisé à
trois niveaux -ministres, hauts fonctionnaires et experts.
Surtout, en 1985, la France, l'Allemagne et les pays du Bénélux
instituent, avec l'accord de Schengen, un espace de libre circulation des
personnes et définissent la notion de
frontières
extérieures
(entre un Etat partie à cet accord et un pays
tiers). La suppression des contrôles fixes aux frontières
intérieures a pour corollaire, comme le confirmera la convention
d'application de l'accord de Schengen, conclue en 1990, un renforcement de la
coopération policière au regard, en particulier, de l'immigration
clandestine. L'" espace Schengen " est devenu une
réalité à compter de 1995 ; il s'est progressivement
étendu à l'ensemble des Etats membres de l'Union
européenne à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande. Cette
coopération, développée indépendamment du
traité communautaire, a finalement été
réintégrée en 1999 dans le cadre de l'Union
européenne à la suite de l'entrée en vigueur du
traité d'Amsterdam.
.
L'Acte unique (17 février 1986)
Les développements de l'intégration européenne devaient,
tôt ou tard, conduire les instances bruxelloises à marquer leur
intérêt pour les questions migratoires. Ainsi l'objectif
d'achèvement du marché intérieur fixé par l'Acte
unique, signé en 1986, appelait parallèlement à favoriser
la libre circulation des personnes et, par ce biais, à prendre en
considération l'immigration. Il ne faut pas s'étonner dès
lors que l'Acte unique mentionne les questions d'immigration -alors que le
traité de Rome ne les évoquait pas. Il le fait cependant de
manière très prudente car il se borne à rappeler la
volonté des Etats de coopérer, notamment en matière de
condition d'entrée, de circulation et de séjour des
ressortissants des pays tiers. En outre, il pose pour principe qu'aucune
disposition de l'Acte unique
n'affecte le droit des Etats membres de prendre
les mesures jugées nécessaires en matière de
contrôle de l'immigration des pays tiers
. Le principe de la
coopération intergouvernementale n'est donc aucunement remis en cause.
Dans le prolongement de l'Acte unique, deux groupes de travail ont
été institués afin de prendre en compte les
conséquences du grand marché intérieur sur la circulation
des personnes :
- d'une part, le
groupe ad hoc " immigration ",
créé le 20 octobre 1986 au sein des structures du Conseil, a
pour vocation d'élaborer des principes communs sur la base du travail de
six sous-groupes (admission et expulsion, visas, faux documents, asile,
frontières extérieures et réfugiés) ;
- d'autre part, le
groupe de travail ad hoc " Trevi
92
"
mis en place dans le cadre du processus de
Trevi, est, quant à lui, plus particulièrement tourné vers
la coopération policière.
L'Acte unique apparaît comme le prémice d'une évolution
dont le traité de Maastricht constitue le véritable point de
départ :
le retour de l'immigration dans le giron du
système institutionnel européen.
.
Le traité de Maastricht (7 février 1992)
Le traité de Maastricht ouvre une première brèche dans la
souveraineté des Etats. Une grande partie de la négociation a
porté sur l'importance qui serait donnée à la Commission
en ces matières. Le Bénélux, l'Allemagne, mais aussi
l'Italie souhaitaient une compétence européenne totale sur
l'immigration. La Grande-Bretagne et la France étaient très
réservées. Un compromis a été pu être obtenu
à la suite des propositions présentées par M. Jacques
Delors et par les Britanniques.
Le traité institue un nouveau titre consacré à la
coopération dans les domaines de la justice et des affaires
intérieures. Il inscrit au rang des " questions
d'intérêt commun " pour l'Union européenne :
- " les conditions d'entrée et circulation des ressortissants des
pays tiers sur le territoire des Etats membres " ;
- " les conditions de séjour des ressortissants des pays tiers sur
le territoire des Etats membres y compris le regroupement familial et
l'accès à l'emploi " ;
- " la lutte contre l'immigration, le séjour et le travail
irréguliers des ressortissants des pays tiers sur le territoire des
Etats membres ".
Ce nouveau titre est appelé à former le
" troisième pilier "
-aux côtés des
politiques communautaires (" premier pilier ") et de la politique
étrangère et de sécurité commune
(" deuxième pilier ")- de la construction européenne.
Ce choix s'explique par la volonté réitérée de
placer les questions d'immigration et, plus généralement, la
coopération dans le domaine de la justice et de la
sécurité intérieure hors du cadre communautaire. Si le
traité reconnaît pour certains sujets -et notamment pour
l'immigration- une capacité d'initiative à la Commission
concurremment à celle des Etats,
le pouvoir de décision
appartient au Conseil appelé à se prononcer à
l'unanimité
.
Quels sont les moyens d'action dont dispose le
Conseil
aux termes du
traité ? Les Etats membres doivent d'abord renforcer leurs
échanges sur la politique migratoire.
A cet égard, le Conseil peut s'appuyer sur deux organismes, qui lui sont
rattachés, destinés à favoriser l'information des Etats
membres : le
Centre d'informations, de réflexion et d'échanges
en matière d'asile
(CIREA) et le
Centre d'information, de
réflexion et d'échanges en matière de franchissement des
frontières et d'immigration
(CIREFI).
Créé en juin 1992, le CIREA a pour vocation d'étudier les
différences d'appréciation entre les pays membres de l'Union
européenne dans la reconnaissance du statut de réfugiés.
Il se compose des représentants des organes nationaux chargés de
l'octroi du statut de réfugié et de la protection des
réfugiés statutaires.
Créé en décembre 1992, le CIREFI s'est vu, quant à
lui, assigner trois missions principales :
- rassembler des informations sur l'immigration légale, l'immigration
illégale et les situations de séjour irrégulier,
l'entrée d'étrangers par des filières de passeurs,
l'utilisation de documents faux ou falsifiés ;
- analyser les informations collectées, tirer les conclusions et, le cas
échéant, formuler des conseils ;
- encourager l'échange d'informations en matière de reconduite
aux frontières (pays de destination, aéroports de départ
ou d'arrivée, entreprises de transport, itinéraires, tarifs,
possibilités d'affréter des avions, problèmes liés
à l'obtention des documents de retour).
Au-delà du seul échange d'information, les Etats membres peuvent
adopter des
actions communes
(" dans la mesure où les
objectifs de l'Union peuvent être mieux réalisés par une
action commune que par les Etats membres agissant isolément ") ou
établir des conventions.
Même si les questions liées à l'immigration demeurent
régies par la coopération intergouvernementale, la
Commission
s'est vue reconnaître
dans ce domaine, rappelons-le, une
capacité d'initiative partagée avec les Etats
. Elle s'est
ainsi dotée d'une " task force " -rattachée au
secrétariat général de la Commission- chargée
d'élaborer des propositions pour les matières du troisième
pilier.
En 1994, la Commission a présenté une
première
communication sur la question de l'immigration
. Ce texte n'aura pas de
suites immédiates compte tenu de l'inexpérience de la Commission
dans ces matières et de la réticence des Etats à accepter
l'intervention de l'institution bruxelloise dans un champ de compétence
qui leur est réservé. Il marque néanmoins la
volonté de la Commission de prendre l'initiative sur les sujets du
troisième pilier. La communication de 1994 représente du reste
aux yeux de la Commission une référence : le commissaire en
charge des affaires intérieures et de la justice n'a-t-il pas
déclaré récemment, devant la délégation du
Sénat pour l'Union européenne, que la Commission en
préparait une actualisation pour l'automne prochain ?
.
Un bilan modeste dominé par les déclarations
d'intention
Les initiatives adoptées en matière d'immigration ont
principalement concerné trois domaines :
-
l'asile
Le groupe
ad hoc
immigration a préparé la
convention de
Dublin
relative au droit d'asile. Ce texte a pour objet de préciser
les conditions de détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une
demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres de l'Union.
Signée en 1990 par tous les Etats membres, à l'exception du
Danemark, la convention n'est entrée en vigueur qu'en 1997, au terme
d'un processus de ratification particulièrement laborieux.
Le Conseil des ministres (justice et affaires intérieures) avait par
ailleurs adopté plusieurs résolutions sur le droit d'asile. Il a
ainsi recommandé, en 1992, des sanctions pour les compagnies
aériennes transportant des illégaux, même s'il y a demande
d'asile ultérieure.
-
les politiques d'admission
Les douze Etats membres ont également souhaité rapprocher les
orientations en matière d'admission de ressortissants de pays tiers. Ils
ont ainsi adopté successivement plusieurs résolutions : sur
le regroupement familial (ler juin 1993), sur la limitation de l'admission
à des fins d'emploi de ressortissants de pays tiers sur le territoire
des Etats membres (20 juin 1994)...
En outre, utilisant le nouveau mode d'action permis par le traité de
Maastricht, ils ont adopté une action commune pour un modèle type
de titre de séjour (16 décembre 1996).
-
l'éloignement et la lutte contre l'immigration clandestine
.
Dans ce domaine, les Douze ont adopté une recommandation relative
à l'exécution des mesures d'éloignement (obtention des
documents de voyage nécessaires pour le retour, le transit sur le
territoire d'autres Etats membres et la possibilité d'exécuter
des reconduites en commun dans l'ensemble de l'Union européenne).
A l'exception de la convention de Dublin, aucun des textes adoptés par
le Conseil résolutions ou actions communes- n'ont de valeur
contraignante. Ils se bornent pour l'essentiel à fixer des orientations
générales ou des principes d'action laissant aux Etats toute
liberté sur la conduite à tenir.
Parallèlement à l'effort de rapprochement des orientations dans
le domaine législatif, les Douze ont également cherché
à développer les actions concrètes d'échange et de
formation. Ils ont ainsi adopté, le 19 mars 1998,
le programme
Odysseus.
-
Le programme Odysseus
Le programme Odysseus, doté sur la période 1998-2002 de
12 millions d'euros, prévoit trois séries d'actions :
formation et stages, échange de fonctionnaires ou de magistrats,
études et recherches. Parmi la cinquantaine de projets
réalisés à ce jour, on peut citer à titre d'exemple
des
actions de formation
relatives aux problèmes soulevés
par l'immigration et aux stratégies pour les résoudre, ainsi
qu'au rapatriement des étrangers et à leur réadmission dan
les pays d'origine. Certaines actions ont été élargies aux
pays candidats. En revanche, un récent rapport d'évaluation
externe des projets de coopération conduits sur la base du titre VI de
l'Union européenne regrettait, qu'à l'exception du Maroc, aucun
pays d'Afrique ou d'Asie n'ait été associé aux actions de
formation. Les orientations du programme sont arrêtées par le
Conseil mais les fonds sont gérés par la Commission. Par ce
biais, celle-ci pouvait exercer, avant même les modifications
apportées par le traité d'Amsterdam, une influence sur certaines
actions conduites dans le domaine de l'immigration.
*
Le bilan
des actions conduites dans le domaine de l'immigration, à Douze puis
à Quinze, peut, dans l'ensemble, paraître modeste. Il est vrai que
le cadre plus souple et, sans doute, plus adapté, ouvert par
l'accord
de Schengen
, mis en oeuvre en 1995, en dehors du cadre institutionnel
européen, a été systématiquement
privilégié par les Etats membres pour renforcer leurs liens dans
les questions relatives au contrôle des frontières.
Le traité de Maastricht (art. K9) avait ouvert la perspective d'une
communautarisation pour les questions liées à l'immigration.
En effet, le Conseil pouvait décider,
à
l'unanimité
, d'étendre l'article 100 C du traité
instituant la Communauté européenne à toutes les questions
couvertes par le troisième pilier, à l'exception de la
coopération judiciaire en matière pénale et de la
coopération policière.
Or, l'article 100 C s'articulait autour de trois points principaux : le
Conseil détermine à l'unanimité les pays tiers dont les
ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des
frontières extérieures des Etats membres ; à compter
du 1
er
janvier 1996, le Conseil statuera sur cette question à
la majorité qualifiée et non plus à
l'unanimité ; enfin, l'article, et donc le vote à la
majorité qualifiée, est applicable à d'autres sujets s'il
en est décidé ainsi en vertu de l'article K9.
Ces dispositions de l'article 100 C, dans la mesure où elles pouvaient
affecter, d'après le juge constitutionnel français, " les
conditions essentielles de la souveraineté ",
avaient requis une
réforme de la Constitution
. Le nouvel article 88-2 de la
constitution prévoit ainsi que " sous réserve de
réciprocité et selon les modalités prévues par le
traité sur l'Union européenne, (...) la France consent aux
transferts de compétence nécessaires (...) à la
détermination des règles relatives au franchissement des
frontières extérieures des Etats membres de la Communauté
européenne ".
Faute d'un réel consensus à 15, le Conseil n'a jamais
décidé d'appliquer l'article 100 C aux domaines relevant du
troisième pilier.
Le pas sera franchi par le traité
d'Amsterdam
.
2. Le traité d'Amsterdam : les fondements d'un processus de communautarisation
La
principale innovation du traité d'Amsterdam réside, en effet,
dans l'introduction dans le traité instituant le Communauté
européenne d'un nouveau titre (titre IV) consacré aux visas,
à l'asile, à l'immigration et aux autres politiques liées
à la libre circulation des personnes. Le dispositif retenu repose sur
une
application en deux temps
des règles communautaires pour les
mesures liées à la libre circulation :
- dès l'entrée en vigueur du traité, il reconnaît
à la Commission une
capacité d'initiative partagée
avec les Etats membres, mais il maintient le vote à l'unanimité
du Conseil après consultation du Parlement européen ;
- au terme d'un délai de cinq ans, il accorde, d'une part,
l'exclusivité de l'initiative à la Commission et
, d'autre
part,
la possibilité
pour le Conseil de décider à
l'unanimité l'application du
vote à la majorité
qualifiée
et de la procédure de codécision du
Parlement européen à " tout ou partie " des mesures
liées à la libre circulation des personnes.
Le Conseil constitutionnel a décidé que le passage de
l'unanimité à la majorité qualifiée sur
décision du Conseil " sans aucun acte de ratification ou
d'approbation nationale "
affectait les conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale
. Par ailleurs, le champ des
questions soumises à la majorité qualifiée et à la
procédure de codécision dépasse de beaucoup la seule
" détermination des règles relatives au franchissement des
frontières extérieures " prévue par la
précédente révision constitutionnelle.
C'est pourquoi
une nouvelle modification de la Constitution s'est avérée
nécessaire
. Ainsi, aux termes de l'article 85-2 de notre
constitution, complété, " peuvent être consentis les
transferts de compétences nécessaires à la
détermination des règles relatives à la libre circulation
des personnes et aux domaines qui lui sont liés ".
Le
processus de communautarisation des mesures liées
à la libre
circulation des personnes dans le cadre du titre IV
Mesures concernées |
Procédure applicable |
|
|
dès l'entrée en vigueur du traité |
Après une période de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur du traité |
1.
Libre circulation des personnes
|
décision prise à l'unanimité du Conseil
sur
proposition de la Commission ou à l'initiative d'un Etat membre et
après consultation du Parlement européen (art. 67§1).
|
initiative exclusive de la Commission
- application automatique du vote à la majorité qualifiée et de la codécision du Parlement européen |
En
outre, le traité d'Amsterdam procède à
l'intégration de l'acquis de Schengen
dans le cadre de l'Union
européenne. L'acquis de Schengen comprend, rappelons-le, non seulement
l'accord de Schengen du 14 juin 1985 et la convention d'application de
l'accord de Schengen du 19 juin 1990, mais aussi l'ensemble des
décisions et déclarations du Comité exécutif
Schengen. A l'exception du système d'information Schengen, la
coopération nouée à l'origine sur une base
intergouvernementale obéira désormais, pour les questions
liées au franchissement des frontières intérieures et
extérieures, aux procédures fixées par le titre IV du
traité instituant la Communauté européenne.
Par ailleurs, un régime dérogatoire a été
accordé à trois Etats membres : le Royaume-Uni, le Danemark
et l'Irlande. Ainsi, les mesures prises dans les matières visées
par le titre IV ne sont pas applicables au Royaume-Uni et à l'Irlande
qui peuvent toutefois demander à participer à l'adoption et
à l'application de certaines d'entre elles. Le Danemark ne participe pas
à l'adoption des mesures prises sur la base du titre IV, mais quand
celles-ci constituent un prolongement des accords de Schengen -auxquels le
Danemark est partie-, ce pays peut décider de les transposer dans son
droit interne.
Tel est le cadre général passablement complexe dans lequel les
questions migratoires sont désormais traitées par l'Union
européenne.
Ce cadre, cependant, la Commission souhaiterait le voir modifié à
l'occasion de l'actuelle Conférence intergouvernementale sur la
réforme des institutions.
.
Une modification du cadre juridique à l'occasion de
la future réforme institutionnelle ?
La Commission européenne, dans son avis rendu sur la Conférence
intergouvernementale, plaide pour une application
automatique
de la
majorité qualifiée et de la procédure de codécision
à l'ensemble du titre IV au terme du délai de cinq ans donc
à partir du 1
er
mai 2004. La mise en oeuvre de cette
procédure est subordonnée, on le sait, dans le dispositif actuel,
à un vote unanime du Conseil.
Pour certains représentants de la Commission rencontrés par votre
rapporteur, la communautarisation dans les affaires relatives à
l'immigration constitue désormais un fait irréversible. Les Etats
membres pourraient trouver avantage à l'adoption de dispositions
communes à l'échelle de l'Union européenne -même
s'ils divergent, par ailleurs, encore sur le contenu de ces mesures- et se
rallieraient ainsi à la majorité qualifiée.
L'Union européenne est-elle prête à prendre une
responsabilité accrue dans la politique migratoire ? La Commission,
en particulier, pourra-t-elle jouer le rôle moteur que lui assigne son
droit d'initiative exclusif -au terme du délai de cinq ans ?
L'exercice d'un pouvoir de décision accru dans le domaine de
l'immigration suppose au préalable que l'Union dispose des structures
adaptées mais aussi, et surtout, d'une vision claire des orientations
qu'elle entend suivre. Tels sont les deux points sur lesquels il convient
maintenant de s'interroger.
B. LES DIFFICULTÉS LIÉES À LA MISE EN OEUVRE PRATIQUE DU VOLET DU TRAITÉ D'AMSTERDAM CONSACRÉ À L'IMMIGRATION
1. Une capacité de conception qui reste à conforter
La
Commission européenne est appelée à jour un rôle
croissant dans les questions liées à l'immigration. La Commission
exerce en la matière une initiative, aujourd'hui partagée avec
les Etats membres, demain, exclusive. Il faut donc qu'elle se prépare
à assumer le rôle moteur qui lui reviendra dans ce domaine. En
outre, dans la mesure où l'acquis de Schengen lié au
franchissement des frontières extérieures et intérieures
des Etats membres a été rattaché au titre IV, la
Commission a aussi une part de responsabilité pour que le processus
engagé par les accords de Schengen se poursuive et se prolonge.
Ces nouvelles responsabilités ont conduit à la mise en place
d'une
direction générale justice et affaires
intérieures
au sein des services de la Commission. L'unité
A/2 est plus particulièrement chargée des questions
d'immigration. Cette structure déjà existante n'a pas connu de
réelle augmentation d'effectifs -quelque 26 fonctionnaires- après
l'adoption du traité d'Amsterdam, malgré l'extension de ses
attributions.
Ce dispositif est-il à la mesure des missions désormais
assignées à la Commission ? On doit formuler une
réponse prudente :
à ce jour, la Commission ne
paraît pas encore prête à exercer pleinement sa
capacité d'initiative
.
En premier lieu, le traité d'Amsterdam a dissocié les questions
migratoires attachées au premier pilier, de la coopération
policière, demeurée dans le troisième pilier. Ces deux
aspects sont pourtant étroitement liés et une approche commune
-comme dans le cadre de la coopération Schengen- serait apparue à
coup sûr comme un gage d'efficacité. Or,
la structure de la
direction générale, au lieu de corriger les conséquences
de la scission, reproduit cette séparation dans l'organisation des
services.
Aujourd'hui, deux unités différentes au sein des
deux directions séparées traitent, la première de
l'immigration clandestine et du séjour irrégulier ; la
seconde de la coopération policière. Une telle division n'avait
pourtant rien d'inéluctable, dans la mesure où, même si le
titre IV et le troisième pilier relèveront, à terme, de
régime de décision différents, ils laissent, l'un comme
l'autre, une capacité d'initiative à la Commission. Du moins ce
cloisonnement pourrait-il certes trouver un remède dans une
étroite coordination des deux services.
Toutefois -et telle est la deuxième réserve que suscite
aujourd'hui l'organisation de la direction générale- la
coordination souhaitable suppose que chacun des services ait une
vision
claire de son rôle et de ses missions
. Or, si l'unité
chargée de l'immigration et de l'asile, peut s'appuyer sur les
programmes d'action décidés par les Conseils européens,
l'
unité chargée de la coopération policière
paraît moins assurée de ses responsabilités
. De
manière plus générale, la prise en charge par la
Commission des questions traitées dans le cadre des accords de Schengen
suscite une certaine perplexité. En effet, au-delà du travail
juridique qu'a représenté la répartition de
l'" acquis de Schengen " entre les différents articles du
traité instituant la Communauté européenne et du
traité relatif à l'Union européenne,
l'
intégration
de
Schengen dans le cadre de l'Union
européenne ne semble pas avoir, pour l'heure, du moins, de prolongement
pratique
.
Le processus de coopération Schengen paraît ainsi aujourd'hui
en suspens.
Cette situation peut certes être mise sur le compte d'une
période de transition sans doute nécessaire ; si elle devait
cependant perdurer, elle ne laisserait pas de susciter de graves
inquiétudes quant à l'avenir d'une coopération dont la
poursuite paraît pourtant indispensable.
Les instances d'élaboration d'une politique de coopération dans
le domaine de l'immigration ne sont pas encore parvenues au stade de la
maturité. Pourtant, le Conseil de l'Union européenne a d'ores et
déjà pris en la matière plusieurs initiatives d'importance
-notamment lors du Conseil européen de Tampere. Quelles sont les
ambitions de l'Union européenne dans ce domaine et quel premier bilan
peut-on d'ores et déjà dresser des actions entreprises ?
2. De grandes ambitions mais des initiatives fragmentaires
Après la signature du traité d'Amsterdam, le
Conseil
européen a été conduit à préciser les axes
qu'entendaient suivre les Quinze dans les questions liées à la
libre circulation des personnes.
Ainsi, le
Conseil européen de Vienne
(décembre 1998) avait
approuvé le
plan d'action
élaboré par le Conseil et
la Commission, relatif à l'établissement d'un espace de
liberté, de sécurité et de justice. Ce document fixe les
priorités et les mesures à prendre dans des délais de deux
ou cinq ans. Il retient, en particulier, selon les voeux de la partie
française, plusieurs principes directeurs : le respect du
calendrier du traité d'Amsterdam relatif à l'adoption de
certaines décisions dans un délai de cinq ans, le principe de
subsidiarité, la nécessité d'une approche solidaire de
l'Union face aux enjeux de sécurité et de maîtrise des flux
migratoires, la responsabilité politique qui revient aux gouvernements
de chaque Etat membre en matière de sécurité
intérieure, la recherche de l'efficacité opérationnelle.
Toutefois, le véritable coup d'envoi de la mise en place d'un espace de
liberté, de sécurité et de justice a été
donné par le
Conseil européen de Tampere
(Finlande) des 15
et 16 octobre 1999, premier sommet des chefs d'Etats et de gouvernement
à se consacrer uniquement à cette question.
Dans le domaine de l'immigration qui nous intéresse ici, le Conseil de
Tampere a retenu quatre orientations majeures :
1° le
développement du partenariat avec les pays d'origine
afin de favoriser en particulier le codéveloppement ;
2° l'adoption à terme, d'une
procédure d'asile
commune
et d'un statut uniforme, valable dans toute l'Union pour les
personnes qui se voient accorder l'asile ;
3° un
traitement équitable
pour les ressortissants des pays
tiers ;
4° une
gestion plus efficace des flux migratoires
.
Ce dernier volet en particulier implique sept axes d'action :
- le lancement, en coopération étroite avec les pays d'origine et
de transit, de
campagnes d'information
sur les possibilités
réelles d'immigration légale ;
- la poursuite de la mise en place d'une
politique commune en matière
de visas
et de faux documents et la mise en oeuvre, le cas
échéant, de " bureaux communs chargés de la
délivrance des visas UE " dans les pays tiers ;
- l'adoption par le Conseil de dispositions législatives
prévoyant des
sanctions contre les filières d'organisation de
l'immigration clandestine
;
- le développement d'une
coopération plus étroite entre
les services de contrôle aux frontières
, notamment sous forme
de programmes d'échange et de transfert de technologies, en particulier
aux frontières maritimes ;
-
l'acceptation de l'intégralité de l'acquis de Schengen par
les pays candidats
et le rappel de l'importance d'un contrôle aux
futures frontières extérieure de l'Union effectué par des
" professionnels dûment formés " ;
- une aide aux pays d'origine et de transit afin de faciliter les
retours
volontaires
;
- la conclusion d'
accords de réadmission
ou l'insertion de
clauses-type dans d'autres accords conclu entre la Communauté
européenne et des pays tiers.
A la suite du Conseil européen de Tampere, le commissaire responsable de
la justice et des affaires intérieures, M. Vitorino, a été
chargé d'établir un
" tableau de bord "
destiné à permettre le suivi des progrès
réalisés dans le domaine de la justice et des affaires
intérieures.
Sept mois après le Sommet de Tampere, il est possible de dresser un
premier bilan de la mise en oeuvre des principes d'action arrêtés
à Tempere.
a) Le partenariat avec les pays tiers : des moyens financiers insuffisants
Le
groupe de haut niveau " asile et immigration ", institué par
le Conseil, a étudié les moyens de lutter contre les facteurs
à l'origine de l'immigration -pauvreté, conditions de vie...
-dans le cadre de plans d'action destinés à ce jour à cinq
pays (Afghanistan, Iraq, Maroc, Somalie, Sri Lanka).
Un sixième plan d'action devrait prochainement concerner les Balkans -en
fait l'Albanie et le Kosovo.
D'après les informations recueillies par votre rapporteur, la
portée de ces plans d'action est aujourd'hui limitée pour trois
raisons principales : d'une part, ces plans concernent encore un
nombre
de pays trop limité
. D'autre part, il apparaît très
difficile de mettre en oeuvre une aide dont les Etats tiers
bénéficiaires ne sont pas spécialement demandeurs. Enfin,
les Etats membres de l'Union ne se sont pas vraiment mobilisés,
d'après la Commission, en faveur d'une mise en oeuvre concrète
des plans d'action. La Commission a certes obtenu que le budget pour
l'année 2000 prévoit un
instrument financier
dévolu
à la coopération avec les pays tiers dans le domaine de
l'immigration -financement des campagnes d'information, aide au retour
volontaire... Cependant si les besoins annuels en la matière
étaient estimés à 15 millions d'euros, le montant
finalement inscrit au budget s'élève à 5 millions
d'euros. L'organisation d'actions sur le territoire d'Etats tiers afin de
lutter contre l'immigration clandestine requiert des fonds
complémentaires.
Sur la base de ces financements, l'Union prévoit des initiatives d'une
portée encore limitée. Des campagnes d'information relatives aux
possibilités d'immigration légale, comme le prévoit le
Sommet de Tampere, pourraient ainsi avoir lieu à la fin de
l'année prochaine.
b) Le rapprochement encore embryonnaire des législations nationales
La
Commission a proposé une directive relative au
regroupement
familial
, la première proposée en application du titre IV du
traité d'Amsterdam. Votre rapporteur ne reviendra pas sur ce texte qu'il
a commenté dans une proposition de résolution
présentée au nom de la délégation pour l'Union
européenne.
5(
*
)
Par ailleurs, le
projet de règlement EURODAC
permettant la
constitution d'une base de données relatives aux empreintes digitales ne
concernera que les demandeurs d'asile afin de vérifier si une personne a
déjà présenté une demande d'asile. Certes, les
empreintes des étrangers appréhendés à l'occasion
du franchissement irrégulier d'une frontière extérieure
seront également relevées et transmises à l'unité
centrale, mais seulement afin d'y être comparées avec les
empreintes jointes aux demandes d'asile déposées
ultérieurement. Elles ne pourronnt être conservées plus de
deux ans. Cette disposition pourrait favoriser l'identification de
certains clandestins. Elle vise, cependant, avant tout, à limiter les
demandes d'asile abusives. Son utilisation à des fins policières
n'a pas été confirmée.
c) La difficile reconnaissance de la clause de réadmission par les pays partenaires de l'Union
Une
référence au principe de réadmission figurera
désormais dans le
nouvel accord signé entre les Quinze et les
71 pays de la zone Afrique, Caraïbes, Pacifique
. En effet, au risque
de retarder la conclusion de la négociation, l'Union européenne a
obtenu en février dernier, malgré l'hostilité de ses
partenaires, l'introduction d'une clause de réadmission des
immigrés clandestins dans leur région d'origine.
De l'avis de certaines des parties prenantes à la négociation,
les discussions relatives à la réadmission ont surtout permis de
mesurer l'importance accordée à la maîtrise des flux
migratoires dans le cadre d'une négociation internationale couvrant de
multiples aspects. La fermeté affichée par les Quinze sur ce
chapitre résulte pour l'essentiel de la pression exercée par les
ministres de l'intérieur ; les ministres chargés de la
coopération ou du développement, confrontés au risque
possible d'un échec des négociations, auraient été
apparemment enclins à une moindre rigueur.
Du reste, la portée pratique du dispositif finalement adopté
laisse sceptique. Il fixe un cadre très général :
le principe même de la réadmission ne deviendra effectif
qu'à la suite de la signature d'accords bilatéraux avec les pays
intéressés
.
Dans cette perspective, le Conseil doit désormais trouver un accord sur
le mandat confié à la Commission pour négocier des accords
de réadmission avec le Maroc, la Russie, le Sri Lanka et
l'Afghanistan.
d) L'acceptation de l'intégralité de l'acquis de Schengen par les pays candidats à l'adhésion : l'un des points les plus délicats des négociations en cours
Aux
termes du protocole intégrant l'acquis de Schengen dans le cadre de
l'Union européenne, l'acquis -auquel trois Etats membres ont obtenu de
ne pas souscrire-
doit être intégralement accepté par
les pays candidats
.
L'acquis a d'abord été présenté à l'ensemble
des pays candidats avant de faire l'objet d'un dialogue bilatéral sur la
base d'un questionnaire adressé à chacun des Etats
intéressés. Ce dialogue a permis de passer en revue
(" screening " dans le jargon communautaire) les exigences que
présente l'acquis et d'identifier un certain nombre de " points
critiques ". Des missions d'investigation, associant la Commission et des
experts des Etats membres, se sont rendues sur place et ont permis
d'établir, pour chaque pays, un rapport remis à un
groupe
d'évaluation collective
créé à l'initiative de
la France.
Les pays candidats ont été invités à indiquer au
début de cette année s'ils comptaient prendre en compte
l'ensemble de l'acquis dès l'adhésion ou s'ils souhaitaient
demander une période transitoire. La Commission a préparé,
quant à elle, des " positions de négociation "
vis-à-vis de chacun des Etats du premier groupe de pays candidats. Elle
s'est réservée, jusqu'à la conclusion des
négociations, une sorte de " sursis à statuer " sur le
respect par les Etats membres des conditions posées par l'acquis de
Schengen.
Les questions liées à la libre circulation des personnes et au
contrôle des frontières constitue aujourd'hui le volet sans doute
le plus difficile des négociations d'adhésion
.
La capacité des nouveaux Etats membres à assumer les
responsabilités de la surveillance des frontières
extérieures de l'Union demeure un sujet de préoccupation
largement partagé.
C'est pourquoi le Conseil, comme la Commission, s'efforce, sur ce chapitre,
d'entourer l'adhésion du plus grand nombre de garanties. Le processus
d'adhésion à la convention d'application de l'accord de Schengen
prévoyait deux étapes successives :
l'entrée en
vigueur
subordonnée au constat que tous les instruments de
ratification des signataires ont été déposés ;
la mise en vigueur
liée à une décision unanime du
Comité exécutif Schengen (aujourd'hui le Conseil des ministres de
l'Union), instance de décision suprême où siégeait
un ministre de chaque Etat membre qui constate que les conditions
préalables à l'application de l'accord de Schengen sont remplies
par le candidat.
Ce système devrait s'appliquer aux pays candidats. Dès lors
l'adhésion ne se traduira pas automatiquement par la mise en oeuvre
immédiate de la libre circulation des personnes. Celle-ci demeurera
subordonnée au respect des conditions définies par la convention
d'application des accords de Schengen, notamment au regard du contrôle
des frontières extérieures.
Toutefois, cette précaution même paraît encore insuffisante
aux yeux de certains Etats membres de l'Union. L'intégration effective
de la Grèce au début de cette année, au sein de l'espace
Schengen, alors même que ce pays ne paraît pas en mesure d'assurer
un contrôle efficace de ses frontières -devenues désormais
frontières extérieures de l'espace Schengen- semble avoir
donné l'alerte. Plusieurs Etats membres craignent que la pression des
nouveaux Etats membres, conjuguée à des considérations
d'opportunité politique, ne conduise à anticiper le respect
effectif des conditions posées à Schengen. Ainsi certains Etats
-en particulier la France- entendent lier l'adhésion et l'application
vérifiée des conditions posées pour la libre circulation
des personnes.
C. LES RAISONS D'UN PREMIER BILAN DÉCEVANT
La mise en oeuvre des conclusions de Tampere demeure, pour l'heure, décevante. Elle se heurte en fait à trois difficultés de fond : la faiblesse des moyens, le manque d'expérience de la Commission en matière d'immigration, l'absence d'une véritable vision commune des Etats membres sur les orientations de la politique migratoire.
1. Une information encore très empirique sur les politiques existantes
Sur la
voie de l'élaboration d'initiatives communes dans le domaine de
l'immigration, une étape a été peut-être
négligée : l'
échange d'informations sur les
politiques migratoires
que conduisent les Etats membres eux-mêmes.
Comment coopérer si les Etats ignorent les législations et les
politiques de leurs voisins ? D'après la Commission, il n'existe
pas de mécanisme d'information systématique des Etats sur leurs
politiques migratoires, même si les deux groupes que constituent le CIREA
et le CIREFI jouent par ailleurs un rôle utile d'échanges. Les
mesures de régularisation des " clandestins ", en particulier,
sont ainsi prises sans aucune concertation. Elles ont cependant une incidence
directe sur les autres Etats membres dans la mesure où la
régularisation permet aux bénéficiaires de circuler
librement au sein de l'espace Schengen.
La Commission devait, à la demande du Conseil, élaborer une
étude comparative des législations européennes dans le
domaine de l'immigration
. Il ne semble pas que ces travaux aient beaucoup
avancé. L'amélioration mutuelle des connaissances dans ce domaine
apparaît cependant comme un préalable à une meilleure
coordination des efforts et à la mise en oeuvre d'initiatives
communes.
2. L'absence de solidarité financière
La libre
circulation des personnes au sein de l'espace Schengen -désormais
étendu à l'Union européenne (à l'exception du
Royaume-Uni et de l'Irlande) et le report des contrôles aux
frontières extérieures introduit une donne radicalement nouvelle
dans les conditions du contrôle des frontières. Les pays
dotés de frontières extérieures assurent non seulement la
sécurité de leur territoire mais aussi celle de l'ensemble de
l'Union. Ils assument une responsabilité importante vis-à-vis de
l'Union. Les développements précédents consacrés
à l'Italie ont permis de mesurer l'importance de cette
responsabilité, exercée, à ce jour, sur le seul fondement
de leurs moyens nationaux. Est-il normal que la défense de
l'intérêt commun en matière de sécurité
pèse sur les seuls Etats que le hasard de la géographie a
placé aux marches de l'Union ?
Ne pourrait-on envisager, du moins sur le plan financier, un " partage du
fardeau ". Tel est du moins le souhait dont certaines forces italiennes
chargées du contrôle des frontières se sont fait
l'écho auprès de votre rapporteur. Au-delà même de
l'argument de principe, il pourrait être de l'intérêt bien
compris de l'Union d'envisager la mise en oeuvre de mécanismes de
solidarité financière lorsque l'élargissement aura fait
des pays d'Europe centrale et orientale les gardiens des frontières
extérieures de l'Union. Il ne faut pas se le dissimuler, ces pays auront
sans doute rejoint l'Union européenne avant de posséder le
dispositif de contrôle requis : les ressources des Etats candidats
sont comptées, les frontières dont ils ont la charge apparaissent
vulnérables. A leurs portes en effet, les Etats issus pour la plupart de
l'éclatement de l'Union soviétique, souffrent de
l'instabilité des institutions et des économies ; leurs
populations peuvent se laisser séduire par la vision désormais
rapprochée du " modèle " européen.
Lors du Conseil européen de Tampere, la Grèce avait d'ailleurs
souhaité que soit reconnu dans les conclusions du sommet le principe
d'une solidarité financière pour le contrôle des
frontières extérieures de l'Union. Cette proposition n'avait
toutefois pas été retenue, compte tenu du cadre rigoureux auquel
se trouvent soumises les dépenses communautaires.
Il n'en reste pas moins que la question d'un soutien financier
spécifique se posera de nouveau au moment où les futures
adhésions devront se concrétiser.
3. Les orientations d'une politique de l'immigration restent à définir
Le
Conseil européen de Tampere a couvert un ensemble de questions
liées à la libre circulation des personnes, mais il n'a pas
vraiment fixé des perspectives dans le domaine des politiques
migratoires : faut-il favoriser certaines formes d'immigration, notamment
au regard des évolutions démographiques de l'Union et des besoins
manifestés par certains secteurs économiques ? Convient-il
de fixer à l'échelle de l'Union, des quotas par
nationalité ? Autant de réponses qui restent, pour l'heure,
sans réponse.
L'absence d'accord sur les principales orientations de la politique migratoire
constitue un obstacle certain à l'adoption de mesures prévues
pour le titre IV du traité d'Amsterdam. Les difficultés
rencontrées dans la négociation de la directive relative au
regroupement familial ou du règlement EURODAC auraient été
plus rapidement surmontées si le cadre global d'une politique
d'immigration avait été posé.
De ce point de vue, l'extension du vote à la majorité
qualifiée pour les matières liées à la libre
circulation des personnes ne constitue pas une panacée. Elle ne saurait
lever les difficultés liées non pas aux procédures de
décision mais à une réflexion encore lacunaire sur ce que
doit être la présence étrangère en Europe.
4. Le programme de la présidence française
Appelée à assumer la présidence de l'Union
européenne au cours du deuxième semestre 2000, la France devrait
mettre l'accent sur le triptyque " codéveloppement, maîtrise
des flux migratoires, intégration " et organiser trois
séminaires sur ces sujets. En outre, notre pays s'est assigné
pour objectif d'avancer sur trois dossiers :
- l'adoption d'une décision cadre relative à l'
harmonisation
des sanctions contre les passeurs
;
- l'élaboration d'une directive destinée à fixer un
régime contre les transporteurs
;
- l'obtention d'un accord en vue de permettre l'
exécution des
décisions d'expulsion
pour des motifs d'ordre public sur le
territoire de tout Etat membre.
Si ces initiatives apparaissent utiles et opportunes, elles ne peuvent tenir
lieu d'une politique générale de l'immigration dont la
définition aurait pu pourtant constituer un sujet de réflexion
pour la présidence française. Sans doute les Quinze doivent-ils
désormais s'attacher à fixer des objectifs communs dans ce
domaine. Cet accord, soulignons-le encore, permettrait d'établir un
cadre général d'action et de concrétiser plus rapidement
certaines mesures particulières dont l'adoption aujourd'hui tend
à traîner en longueur.