EXAMEN EN COMMISSION
La
commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées a examiné le présent rapport au cours de sa
réunion du 21 juin 2000.
M. Paul Masson a d'abord souligné que la découverte, à
Douvres, de 58 corps sans vie d'immigrés clandestins dans un camion,
illustrait, de manière dramatique, l'acuité du problème de
l'immigration clandestine en Europe. Il a ensuite rendu compte du
déplacement qu'il avait effectué pour le compte de la commission
à Rome et à Bari en mai dernier, afin de recueillir des
informations complémentaires sur le dispositif de contrôle aux
frontières italiennes. Il a relevé à cet égard que
l'Italie représentait l'une des portes d'accès
privilégiée de l'immigration en Europe. M. Paul Masson a
estimé que, si l'Italie était pleinement consciente des
responsabilités qui lui incombaient au titre de la surveillance des
frontières extérieures de l'Union européenne, ce pays,
marqué par une longue tradition d'immigration, avait adopté une
démarche prudente en la matière. L'immigration, a-t-il
ajouté, était devenue l'un des sujets du débat politique
intérieur.
Revenant alors sur le dispositif italien de contrôle de l'immigration,
M. Paul Masson a souligné la complexité de
l'organisation des forces et mis en évidence certaines lacunes de leur
législation. A cet égard, il a d'abord relevé que
l'entrée et le séjour des étrangers en situation
irrégulière ne constituaient pas une infraction pénale et
n'étaient dès lors passibles que de sanctions administratives. Il
a ajouté que la loi ne prévoyait pas de mesures
particulières contre les personnes favorisant le transit des
irréguliers et leur sortie d'Italie. M. Paul Masson a noté
que, si la gestion des centres de gestion institués par la loi
était confiée à des organisations caritatives, leur
surveillance incombait aux forces de police. Cette organisation, a-t-il
indiqué, pouvait soulever certains problèmes de coordination. Il
a indiqué que l'Italie devait encore adapter son dispositif pour
répondre aux exigences du contrôle des frontières
extérieures. Il a observé cependant que ce pays avait pris
plusieurs initiatives intéressantes dans le domaine de l'immigration. Il
a cité à cet égard la détermination de quotas
d'immigrés, fixée cette année à 63.000 personnes,
répartis entre différentes nationalités. Il a
également mentionné la conclusion d'accords de
réadmission, en particulier avec l'Albanie, et la coopération
engagée entre l'Italie, la Grèce et l'Albanie. M. Paul Masson a
cependant estimé que la politique de régularisation des
étrangers, qui avait récemment conduit au dépôt de
250.000 dossiers (dont 140.000 avaient été examinés),
constituait un sujet de préoccupation pour ses partenaires
européens, compte tenu de ses conséquences dans un espace de
libre circulation des personnes.
M. Paul Masson a ensuite précisé, à l'attention de M.
Robert Del Picchia, que si une partie importante des immigrés
installés en Italie était originaire du Maghreb, les nouveaux
flux migratoires provenaient principalement de la zone balkanique et, en
particulier, de l'Albanie. Il a souligné, à cet égard, que
les étrangers d'origine albanaise étaient impliqués dans
de nombreux trafics et contrebandes. Il a observé, par ailleurs, que les
accords de réadmission conclus avec le Maroc et la Tunisie avaient
permis de mieux maîtriser l'immigration clandestine en provenance de ces
deux pays.
M. Paul Masson a également indiqué à M. Michel
Caldaguès que le corps des carabiniers italiens ne semblait pas
connaître un malaise comparable à celui observé aujourd'hui
au sein de la gendarmerie française. Il a relevé que ces deux
armes différaient dans leur mode de recrutement, mais aussi dans leurs
conditions d'emploi. Il a précisé que carabiniers et policiers
assuraient, en alternance, la surveillance d'objectifs identiques.
A M. Xavier de Villepin, président, qui s'interrogeait sur la
capacité du ministère de l'intérieur français
à prendre seul en charge le problème de l'immigration, compte
tenu de la dimension internationale de ce dernier, M. Paul Masson a
estimé que le ministère de l'intérieur, malgré la
création d'un poste destiné à assurer le suivi de la
politique internationale en matière d'immigration, ne disposait pas
encore des moyens nécessaires pour répondre, de manière
adaptée, aux évolutions de la question de l'immigration en
Europe. Il a souligné que l'immigration constituait un sujet de
société, qui devait faire l'objet d'une approche globale. Il a
estimé qu'il ne fallait, en aucun cas, dévaloriser une politique
d'immigration dont les conséquences intéressaient directement le
respect de la personne mais aussi l'équilibre de nos cultures et de nos
sociétés. Il a relevé qu'en tout état de cause les
moyens dont disposaient les Etats pour faire face aux phénomènes
migratoires n'étaient pas à la mesure d'un problème qui
connaissait une ampleur accrue, liée à la multiplication des
moyens de transport et des échanges.
M. Michel Caldaguès a estimé pour sa part que, si la politique
migratoire ne pouvait pas être abordée seulement sous l'angle
policier, elle passait cependant par un contrôle efficace aux
frontières. Il a observé, par ailleurs, que l'Etat devait se
décharger, notamment sur les acteurs de la vie économique, des
responsabilités qui lui incombent dans l'organisation des mouvements
migratoires.
M. Paul Masson a alors évoqué les nouvelles
responsabilités de l'Union européenne dans le domaine de
l'immigration. Il a rappelé que le Traité d'Amsterdam avait
ouvert la voie à l'application progressive des règles
communautaires pour les mesures liées à la libre circulation des
personnes ; au terme d'un délai de cinq ans, il accordait ainsi
l'exclusivité de l'initiative à la Commission en laissant au
Conseil la possibilité de décider, à l'unanimité,
l'application du vote à la majorité qualifiée et la
procédure de codécision du Parlement européen pour les
matières liées à l'immigration. M. Paul Masson a
souligné que la Commission plaidait, dans le cadre de l'actuelle
Conférence intergouvernementale, pour une application automatique de la
majorité qualifiée et de la procédure de
codécision. Il a estimé toutefois, qu'à la suite des
entretiens qu'il avait eus avec les représentants de la direction
générale Justice et Affaires intérieures, lors d'un
déplacement à Bruxelles en mai dernier, la Commission ne lui
semblait pas en mesure d'assumer, aujourd'hui, un rôle plus important
dans les questions liées à l'immigration. Il a jugé en
effet que les initiatives prises jusqu'à présent restaient
décevantes.
M. Paul Masson a en particulier relevé qu'il n'existait pas de
mécanisme d'information systématique des Etats membres sur les
politiques nationales conduites dans le domaine de l'immigration.
L'étude comparative des législations, qui avait été
demandée à la Commission sur ce sujet ne semblait pas, a-t-il
ajouté, avoir progressé. Par ailleurs, il a relevé que les
mesures de régularisation décidées par les Etats ne
faisaient pas l'objet d'échanges particuliers.
M. Paul Masson a ensuite estimé que les conséquences des
prochains élargissements sur la sécurité de la
frontière extérieure de l'Union européenne n'avaient peut
être pas été appéciées à leur juste
mesure. Il a observé que les nouveaux Etats membres n'auraient sans
doute pas les moyens techniques et financiers suffisants pour assurer un
contrôle efficace des frontières. Un dispositif de
solidarité financière devra sans doute, tôt ou tard,
être envisagé, même si pour l'heure, a précisé
M. Paul Masson, la Commission en écartait le principe, compte tenu des
contraintes pesant sur le budget communautaire.
M. Paul Masson a surtout regretté l'absence d'une vision commune d'une
politique migratoire. Il a estimé qu'une surveillance efficace des
frontières extérieures constituait le premier fondement de toute
politique migratoire. Il a jugé ensuite que la Commission
européenne devait pleinement appliquer le principe de
subsidiarité dans le domaine de l'immigration, en utilisant, en
particulier, les dispositions qui, dans le cadre des accords de Schengen,
permettaient de favoriser la coopération bilatérale aux
frontières. Il a ajouté que, si les contrôles aux
frontières intérieures étaient supprimés, les Etats
conservaient néanmoins la capacité de maintenir des
contrôles de part et d'autre de la frontière. Enfin, il est revenu
sur la nécessité, pour les Quinze, de fixer les grandes lignes
d'une politique migratoire qui pourrait reposer sur l'acceptation d'une
immigration régulière, encadrée sur la base de quotas,
parallèlement à l'organisation d'une coopération plus
étroite pour lutter contre l'immigration clandestine. Il a
regretté que les Etats membres ne se dotent pas des moyens
nécessaires pour faire face à un problème qui pourrait se
révéler très déstabilisant à l'avenir.
M. Xavier de Villepin, président, a partagé les
préoccupations du rapporteur relatives à l'absence d'une vision
commune européenne dans le domaine de l'immigration.
M. Robert Del Picchia a relevé que les efforts considérables
faits par l'Autriche pour assurer le contrôle de la frontière
extérieure, dont elle a la responsabilité, n'avaient pas permis
d'endiguer complètement les flux de d'immigration clandestine. Il a
souligné, en particulier, la difficulté d'assurer le
contrôle des camions, compte tenu de l'importance du trafic aux
frontières. Il s'est interrogé, dans ces conditions, sur la
capacité pour les futurs Etats membres, dont les moyens paraissaient
insuffisants, d'assurer un contrôle efficace des frontières et sur
les moyens alternatifs qui pourraient être envisagés pour
intégrer les Etats candidats, sans affecter la sécurité de
la frontière extérieure de l'Union européenne.
M. Xavier de Villepin, président et M. Jean Bernard sont revenus sur le
drame de Douvres. M. Jean Bernard a observé que les " lois
Pasqua " avaient eu un effet dissuasif sur l'immigration clandestine et
qu'on avait pu observer, en particulier, une réduction du nombre des
demandes de visas pour entrer dans notre pays.
M. Michel Caldaguès a regretté, pour sa part, une prise de
conscience encore insuffisante des problèmes soulevés par
l'immigration. Il a indiqué à cet égard que les tribunaux
tendaient à se prononcer davantage sur les conditions de
rétention des étrangers plutôt que sur la
régularité de la situation de ces derniers en France.
M. Paul Masson a alors apporté les précisions suivantes : il
a d'abord déploré que l'immigration clandestine fasse chaque jour
de nouvelles victimes. Il a estimé que ce phénomène
constituait la nouvelle forme d'un esclavage moderne, contraire au respect des
droits de la personne. Revenant sur la situation des Etats candidats à
l'Union européenne, il a observé qu'il faudrait sans doute
envisager un système d'adhésion progressive, permettant de
subordonner l'intégration au sein de l'espace de libre circulation des
personnes au respect vérifié des conditions assurant la
sécurité de la frontière extérieure, tout en
favorisant une assistance financière et technique.
M. Paul Masson a observé, par ailleurs, qu'un contrôle efficace
supposait des vérifications complémentaires sur les routes, comme
cela était pratiqué dans le land de Bavière. Il a
ajouté que la libre circulation des personnes ne devait pas affecter la
sécurité intérieure. Il a estimé par ailleurs que
le droit d'asile devait être accordé sur la base de
critères rigoureux. Selon M. Paul Masson, l'immigration n'était
acceptable que si elle était contrôlée, en soulignant
qu'une maîtrise des flux migratoires passait par une coopération
accrue avec les Etats d'origine, ainsi que par une politique de fermeté.
Une position équilibrée en la matière, a-t-il conclu,
devait être observée de manière durable.
La commission a alors décidé d'autoriser la publication de la
présente communication sous forme d'un rapport d'information.