CHAPITRE IV
FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE :
L'ETAT
ÉLABORE DES RÈGLES INADAPTÉES DONT IL NE SUPPORTE PAS LES
CONSÉQUENCES
Une
décentralisation plus achevée ne peut à l'évidence
être atteinte sans l'implication et le travail des agents des
collectivités locales. La mission d'information tient à souligner
la qualité, la richesse et le professionnalisme des agents territoriaux
qui ont su se mobiliser au service de la décentralisation.
Les effectifs de la fonction publique territoriale s'élèvent
à
1,46 million d'agents
en 1996, contre 1,84 million dans la
fonction publique de l'État et 847.000 dans la fonction publique
hospitalière. La fonction publique territoriale représente ainsi
35,2 % de l'ensemble des effectifs de la fonction publique
française.
De 1980 à 1996, les effectifs des agents territoriaux ont
augmenté de 36 %, cette augmentation étant de 14 % pour
la fonction publique de l'État et 21 % dans la fonction publique
hospitalière. Cette différence tient à la jeunesse
relative de la fonction publique territoriale, créée il y a seize
ans.
Près de 30 % des personnels des collectivités territoriales
ou de leurs établissements publics sont des agents contractuels. Cette
proportion élevée provient en partie du fait que les transferts
de compétences de l'État aux collectivités territoriales
n'ont pas donné lieu aux transferts nécessaires de
personnels ; les collectivités ont donc dû faire face dans
l'urgence à des besoins nouveaux.
Alors que les élus locaux devraient avoir à leur disposition les
moyens humains, matériels, financiers et leur permettant de mettre en
oeuvre les politiques publiques locales dans l'intérêt
général, force est de constater que les règles
régissant la fonction publique territoriale à l'heure actuelle ne
remplissent pas les
impératifs d'efficacité et de
souplesse.
La création de la fonction publique territoriale, très
récente comparée à celle de la fonction publique
d'État, n'a pas suffisamment pris en compte les besoins
spécifiques des collectivités locales (I). La construction
statutaire est aujourd'hui caractérisée par des dispositions
statutaires et réglementaires inadaptées et rigides (II),
aggravées par les incertitudes croissantes concernant le volume de
l'emploi public territorial (III).
I. UNE CONSTRUCTION STATUTAIRE LABORIEUSE QUI N'A PAS SUFFISAMMENT PRIS EN COMPTE LES BESOINS SPÉCIFIQUES DES COLLECTIVITÉS LOCALES
Les lois
de décentralisation
195(
*
)
prévoyaient la mise en place
d'un statut de la fonction publique territoriale. Il s'agissait de lutter
contre l'
extrême diversité et la précarité
caractérisant la situation des agents des collectivités
locales et de doter les collectivités locales de moyens humains à
la mesure de leur récente liberté de gestion et de leurs
nouvelles compétences. Dès 1978, notre collègue M.
Christian Bonnet, alors ministre de l'Intérieur, avait
élaboré des dispositions législatives en ce sens.
Trois textes essentiels fondent en 1983-1984 le nouveau statut de la fonction
publique territoriale : la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant
droits et obligations des fonctionnaires, la loi n° 84-53 du 26 janvier
1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique
territoriale, la loi n° 84-594 du 12 juillet 1984 relative à la
formation des agents de la fonction publique territoriale.
Ces lois tendent à créer une fonction publique unique tout en
reconnaissant deux versants paritaires et spécifiques. Elles constituent
un profond bouleversement de la situation statutaire des personnels des
collectivités locales.
Malgré les principes équilibrés affirmés par le
législateur en 1984, la construction statutaire, longue et difficile,
s'est en partie écartée du principe fondamental de
spécificité des collectivités locales.
A. LES PRINCIPES POSÉS EN 1984 : UNITÉ, PARITÉ... SPÉCIFICITÉ
1. L'unité de la fonction publique territoriale
Premier principe affirmé par le législateur en 1984, l'unité de la fonction publique signifie que fonctionnaires de l'Etat et fonctionnaires des collectivités locales sont soumis à des règles communes en ce qui concerne leurs droits et obligations. Elle se traduit par l'existence d'un statut commun pour l'ensemble des personnels communaux, départementaux et régionaux, l'institution d'un Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, la création de centres communs de gestion (centre national et centres départementaux) et l'organisation d'une formation commune à tous les agents des collectivités.