ÉTATS GÉNÉRAUX DE L'UNIVERSITÉ
Suite du débat
sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
Nous reprenons le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur les
états généraux de l'université.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Lesein.
M. François Lesein.
Monsieur le ministre, c'est avec satisfaction que je constate que le
rendez-vous pris au cours de l'hiver dernier est honoré aujourd'hui.
En effet, à la suite des manifestations sociales du mois de décembre dernier,
auxquelles de nombreuses universités avaient pris part, vous aviez promis aux
étudiants d'engager un débat réfléchi sur l'avenir de l'université française et
sur la place des étudiants dans notre société.
Ces étudiants, mais également les membres du corps enseignant, vous seront, je
pense, reconnaissants d'avoir mené cette réflexion. Ils sauront, par ailleurs,
en prenant connaissance de notre débat, qu'ils ont été entendus.
Les mouvements étudiants de l'année dernière ont eu pour mérite d'attirer
notre attention, et la vôtre, sur un fait que nous avions peut-être un peu
tendance à oublier : à l'image de notre société, l'université française est
malade, sous-alimentée du moins, ne serait-ce qu'en matière de budget - mais
peut-être aussi et surtout la flamme intellectuelle ne brille-t-elle plus
autant qu'elle ne l'a fait - malade de certains choix opérés depuis des
décennies, malade de n'avoir pu tenir ses promesses à l'égard des étudiants,
malade enfin de ne plus pouvoir s'affirmer comme la clé de la réussite dans
notre environnement social.
Pendant de nombreuses années, et jusqu'à une époque récente, le passage par la
faculté assurait un emploi à chaque étudiant qui la quittait. En quelque sorte,
« diplôme » était synonyme d'« embauche » et de « garantie de travail ».
A l'heure actuelle, aucun étudiant, qu'il soit en première année ou en
troisième cycle, n'est assuré de trouver un emploi à sa sortie de
l'université.
Pourtant, bien que les jeunes soient conscients de l'extrême difficulté de la
situation que nous connaissons en matière d'emploi, nombreux sont ceux qui
persistent à vouloir être admis en faculté.
Pourquoi cela ?
Parce que, en dehors des diplômes, point de salut ! Cette opinion est gravée
dans les esprits. C'est ainsi. A une époque, le baccalauréat constituait une
garantie en matière d'emploi. Cette époque est révolue et la situation est
peut-être aggravée par l'exigence que 80 p. 100 d'une classe d'âge obtienne le
baccalauréat. Cet objectif a sans doute bouleversé notre système éducatif, en
amont comme en aval !
Monsieur le ministre, depuis un certain temps, il est de bon ton d'affirmer
que l'éducation nationale ne doit pas se montrer sélective à l'égard des jeunes
qu'elle forme. Cette intention est très louable, mais elle est utopique.
En effet, la vraie sélection existe là où elle se révèle le plus difficile à
accepter, c'est-à-dire à l'entrée dans le monde du travail. C'est là qu'on
retrouve la sélection !
La refuser lors du choix des études, c'est conduire assurément de nombreux
jeunes à l'échec. Il faut la remplacer par une véritable orientation, que tous
les partenaires réclament.
Il est effectivement malhonnête de laisser envisager à des étudiants de
première année qu'ils parviendront à coup sûr à obtenir un diplôme de fin
d'études lorsque l'on connaît les statistiques d'échec en DEUG. Il faut une
orientation plus « lourde » que celle que l'on connaît. Je n'ai pas aujourd'hui
de recette. Mais je sais qu'il s'agit là d'une de vos préoccupations, car nous
nous en sommes déjà entretenus en commission.
Si le système universitaire autorise un redoublement, voire deux avec
dérogation, lors des deux premières années d'études - la dérogation étant
accordée souvent avec facilité - il n'est pas rare de rencontrer des jeunes
qui, au terme de trois ou quatre années d'études, ne parviennent pas à obtenir
un DEUG. Ces jeunes doivent donc s'orienter dans une nouvelle voie, avec pour
seul bagage leur baccalauréat.
Il est grand temps, monsieur le ministre, de revenir à des objectifs plus
réalistes. L'université ne peut continuer d'être la panacée de
l'enseignement.
C'est ce message, certes délicat, qu'il convient de transmettre aux futurs
étudiants. Il faut revaloriser les métiers manuels dès les plus petites classes
et, surtout, faire comprendre aux collégiens et lycéens, et ce en faisant
preuve de beaucoup de doigté mais en s'y tenant, qu'il n'est en aucun cas
dégradant de ne pas poursuivre d'études supérieures lorsqu'on n'en a pas les
moyens intellectuels.
Parmi les nombreuses dérives dénoncées par les étudiants l'année dernière, le
manque de moyens financiers consacrés aux universités était fermement
critiqué.
Les nombreuses inquiétudes exprimées à ce sujet se sont toutes révélées
entièrement fondées. Les critiques portaient sur le manque de places, de
professeurs et de crédits. Vous y avez en grande partie remédié.
En ce qui concerne le manque de places - vous l'aurez compris dès le début de
mon propos - je pense qu'une première solution consisterait à réduire le nombre
des étudiants intégrant l'université. Il s'agit non pas de les contraindre à
renoncer à l'université, mais de les y encourager par la revalorisation
d'autres filières. Vous en avez parlé ce matin, monsieur le ministre, et j'en
suis très heureux.
Certes, même si une telle solution aboutissait, il y a fort à craindre qu'elle
n'effacerait pas définitivement les problèmes de surnombre.
J'ai conscience - et de nombreux Français avec moi - que la période n'est pas
propice à l'augmentation des dépenses budgétaires. Dès lors, la création,
l'amélioration ou le développement de pôles universitaires ne semblent pas
envisageables.
En revanche, pour un coût bien moindre, nous pourrions, à n'en pas douter,
moderniser le système actuel de fonctionnement des facultés pour arriver à
doubler, ou presque, le nombre des places dans certaines facultés.
En effet, en dehors des périodes d'examen, les locaux universitaires sont
occupés six mois tout au plus. Pourquoi laisser vacantes des salles de cours
qui pourraient accueillir une nouvelle session d'étudiants ? Les campus
américains, eux, sont occupés, pour la plupart, par des sessions d'été.
D'ailleurs, je m'interroge : faut-il investir de nouveau alors que l'on sait
que la chute démographique se fera prochainement sentir ? On a déjà connu ce
problème à l'échelle des collèges et de l'enseignement primaire. Répétera-t-on
la même erreur avec les universités ?
Je voudrais rappeler un exemple d'occupation à temps complet : les entreprises
qui ont réussi leur projet de réduction du temps de travail sont, en majorité,
celles qui ont accepté de rester en fonction toute l'année et de ne plus avoir
de vacances avec des locaux et des personnels inoccupés. Cette idée est
révolutionnaire, me direz-vous ! Mais pourquoi pas ?
Aussi, monsieur le ministre, je vous encourage à mettre en place un planning
qui permettrait d'assurer une occupation à 100 p. 100 des salles de travail, ce
qui augmenterait corrélativement la capacité d'acccueil pour les étudiants.
Un autre point sur lequel je souhaite attirer votre attention concerne
l'information des étudiants.
Les étudiants manquent très souvent d'informations quant aux perspectives de
carrière que laisse envisager leur cycle d'études et quant aux arcanes des
différents examens à passer. Nombreux sont ceux qui découvrent avec retard et
amertune que leur formation ne correspond pas forcément à la carrière qu'ils
entendaient embrasser.
Il serait bon d'informer les étudiants des choix qu'ils auront à faire, et ce
dès la première année.
Pour comprendre la nécessité de ce concept, je ne citerai qu'un exemple, très
significatif.
Un étudiant titulaire d'une maîtrise en droit peut se présenter à l'examen
d'entrée à un centre régional de formation professionnelle à la profession
d'avocat. Cet examen comporte une série d'épreuves écrites obligatoires et
d'épreuves orales facultatives. Facultatives, parce que, si, au cours de sa
formation antérieure, dès la deuxième année, l'étudiant juriste a choisi des
matières spécifiques dans lesquelles il a obtenu la moyenne, il sera dispensé
des épreuves d'admission à l'examen d'entrée au centre.
Or, aucun étudiant de deuxième année ou de licence ne choisit ses
enseignements en fonction de cet objectif, d'autant qu'il n'a connaissance de
ces possibilités qu'en maîtrise.
Le manque d'information pénalise nos étudiants. Il serait pourtant très simple
d'y remédier.
Par cet exemple, simple mais précis, on constate que, dans certains cas,
l'université n'informe pas assez les étudiants.
Monsieur le ministre, avec un système d'information national, simple à mettre
en place, il serait possible de pallier de nombreuses difficultés rencontrées
par les étudiants en matière d'orientation.
Je ne me bornerai pas à parler de l'hexagone je veux aussi évoquer l'«
université éclatée » en Guyane, à la Martinique et à la Guadeloupe, sans
oublier la Réunion et le Pacifique Sud.
Le contrat prévu jusqu'à l'an 2000 pour rattraper les déficits universitaires
antérieurs sera-t-il conforté, amélioré, reconduit, monsieur le ministre ?
J'insiste sur la création impérative du premier cycle des études médicales
dans ces départements. Sinon, sachez que, avant dix ans, vous n'aurez plus un
seul médecin antillais, guyanais ou natif de l'un des départements
d'outre-mer.
Le troisième cycle existe, c'est vrai, mais le premier cycle se fait en
métrople et les étudiants ne viennent plus.
Avant de conclure, je tiens à attirer une nouvelle fois votre attention sur le
fait que les étudiants et leurs professeurs attendent beaucoup de vous,
monsieur le ministre, comme vous attendez certainement beaucoup d'eux.
Il faudra donc jouer le jeu. Pour cela, il conviendrait, à une heure où de
nombreux jeunes sont inquiets quant à leur avenir, de prendre des mesures
dynamiques qui leur soient favorables, pour éviter que les classes qui leur
succéderont ne soient découragées à l'idée d'intégrer le monde du travail.
Je ne doute pas de votre volonté de relancer notre université, monsieur le
ministre. Certes, des voix se sont élevées pour dénoncer un simple discours de
la méthode - vous l'avez certainement lu dans la presse. Mais vous avez eu
raison de privilégier la concertation et de choisir la prudence. Je ne doute
pas que toutes les réponses et les rapports que vous avez reçus ne soient
autant de cahiers de doléances qui nourrissent bien ce que vous appelez des «
états généraux. »
La plupart des membres du RDSE sont disposés à vous aider dans votre mission,
monsieur le ministre. J'ajouterai, à titre personnel, des souhaits de réussite,
non pas pour donner satisfaction à un ministre, mais pour que nos jeunes soient
mieux armés et plus heureux à l'avenir dans l'Hexagone.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Maman.
M. André Maman.
Monsieur le ministre, je voudrais à mon tour rendre hommage à la méthode que
vous avez définie et obstinément appliquée depuis que le Premier ministre a
fait de la réforme de notre organisation universitaire l'une des priorités de
la politique de son gouvernement.
C'était il y a un peu plus d'un an, et force est de constater aujourd'hui que,
si la réflexion a considérablement progressé sur le sujet toujours sensible de
l'université, c'est que le travail de concertation, d'écoute et d'information
que vous avez mené depuis plusieurs mois a permis à tous les acteurs du monde
éducatif de se rencontrer et, finalement, de se retrouver autour des dix
questions que vous avez formulées devant nous et qui semblent définir la
problématique de la réforme nécessaire de l'université française.
Monsieur le ministre, nous avons besoin de faire évoluer nos institutions
universitaires. Nous avons besoin de lutter contre ce que vous avez appelé, à
juste titre, la « dévaluation implicite de l'université française ». Nous avons
besoin d'adapter aux exigences sans cesse plus rudes de notre temps notre
université, qui est un service public primordial, au sens étymologique du
terme.
Nous avions donc besoin de ce vaste débat. Le mérite de cette méthode fondée
sur la concertation et le dialogue est d'avoir su donner vie à ces dix
questions essentielles, dans un climat - et ce n'est pas le moindre de vos
mérites - que l'on peut objectivement considérer comme apaisé, puisque j'ai
observé que beaucoup sont prêts aujourd'hui à envisager des réformes dont ils
rejetaient hier et l'idée et le principe.
Tous ensemble, nous avons progressé dans la définition de ces questions. Il
nous appartient désormais d'apporter des réponses pertinentes à ces
interrogations, même si nous ne pouvons malheureusement guère spéculer sur les
contours exacts du budget pour 1997.
A cet égard, j'aurais aimé dire un mot sur les problèmes - également
essentiels - de l'équilibre de nos filières universitaires, de la recherche ou
du contenu des programmes. Mais, par manque de temps, je me bornerai à faire
quelques observations sur trois sujets qui me tiennent à coeur, en tant que
parlementaire, bien sûr, mais aussi en tant qu'ancien enseignant : il s'agit de
l'échec scolaire, de l'orientation et, enfin, et de la formation
professionnelle, les deux premiers me paraissant intimement liés.
Aujourd'hui - tous les observateurs en conviennent - l'université française
est fondamentalement malade de son premier cycle. Plus de la moitié de nos
étudiants s'y concentrent, et quatre sur dix d'entre eux n'accéderont jamais au
deuxième cycle. Ce chiffre est à la fois dramatique et symptomatique.
Il est dramatique pour les étudiants eux-mêmes, qui, faute d'avoir été
informés et orientés avant leur entrée à l'université, se retrouvent purement
et simplement écartés à jamais de la voie du succès universitaire, et donc
d'une carrière épanouissante.
Il est symptomatique, car il témoigne du grand paradoxe de notre système, qui,
refusant obstinément toute idée de sélection, la pratique pourtant, et cela
sous la pire des formes puisque nous sommes confrontés en l'espèce, monsieur le
ministre, à ce qu'il faut bien nous résoudre à appeler la « sélection par
l'échec », c'est-à-dire la sélection la plus injuste, la plus aveugle, celle
qui frappe, quasi systématiquement, les plus démunis socialement ou les plus
faibles.
Nous ne pouvons naturellement pas nous satisfaire plus longtemps de ce
formidable gâchis par notre pays. Pour remédier à ce drame, il faut donc mettre
en place une politique d'orientation, fondée sur une information complète et
systématique des lycéens - c'est-à-dire qu'il faut remonter au moins trois ans
avant l'entrée à l'université - car cette politique d'information, que j'ai
toujours suggérée depuis que je suis entré au Sénat, doit commencer dès le
lycée.
Il faut également que les parents, dont nous n'avons pas beaucoup parlé,
bénéficient largement de cette information.
En effet, nous devons observer que, contrairement à certaines idées reçues,
l'offre universitaire s'est considérablement diversifiée et qu'aujourd'hui ce
sont plus de 280 diplômes nationaux différents qui sont délivrés chaque
année.
Les parents, même lorsqu'ils sont eux-mêmes des produits du système
universitaire, ignorent souvent tout de ces formations nouvelles et se trouvent
placés dans l'impossibilité d'apporter à leurs enfants l'aide dont ils ont
besoin. C'est pour cette raison d'évidence qu'il conviendrait que les parents
fussent associés à cette vaste politique d'information.
Mais l'information seule ne suffira pas. Aussi faudra-t-il, comme d'autres
l'ont proposé avant moi, et je souscris pleinement à cette idée, faire de la
première année du premier cycle une année d'orientation articulée autour de
travaux dirigés, de conseils méthodologiques et de rencontres entre étudiants
et enseignants, afin que se dégage une convivialité plus forte. Les jeunes se
plaignent de la solitude dont ils souffrent dès qu'ils entrent à
l'université.
Cette année faite de prises en charge et d'échanges constructifs permettrait
certainement aux étudiants de trouver leurs marques dans un environnement
nouveau, dont ils ignorent souvent, par manque d'apprentissage, les méthodes et
la culture, et parfois même, par manque d'informations élémentaires, la
topographie.
Information avant, orientation après, telles me paraissent être, mes chers
collègues, les deux phases qui permettront à notre pays de faire l'économie de
cet immense naufrage pédagogique qui marque chaque année, pour notre jeunesse,
le passage du premier au deuxième cycle.
Je forme des voeux, monsieur le ministre, pour que les états généraux de
l'université constituent un premier pas vers ces changements, qui me paraissent
être le préalable nécessaire à toute réforme de notre système.
Je voudrais également dire deux mots des problèmes relatifs à la formation
professionnelle, c'est-à-dire de la nécessité d'établir une passerelle stable
et ouverte à tous entre le monde du travail et celui de l'enseignement
supérieur.
Il me semble que notre pays souffre d'un certain retard dans la façon dont il
appréhende les rapports qui devraient exister entre les entreprises et
l'université. Comme vous l'avez remarqué vous-même, monsieur le ministre, ce
retard s'explique sans doute par une certaine tradition académique française
qui a toujours exagérément choyé le conceptuel au détriment du concret.
Je crois, de ce point de vue, que l'expérience américaine, dont je connais
bien les vices et les vertus, pourrait nous permettre de dégager quelques voies
simples qui permettraient au système français d'évoluer positivement tout en
conservant son âme.
Il faudra repenser les rapports entre universités et entreprises, en
multipliant les rencontres et les contacts. Il faudra également imaginer, dans
certaines filières, des programmes dont le contenu sera susceptible de varier
en fonction des réalités économiques du moment.
Toutes ces questions relatives à la nécessité de renforcer le lien entre le
monde universitaire et le monde économique ont été évoquées avant moi, je n'y
reviendrai pas.
En revanche, je voudrais insister sur une idée très simple et peu onéreuse.
Elle a trait au rôle que peuvent jouer les amicales d'anciens étudiants. Il y
en a des milliers aux Etats-Unis, et elles jouent un rôle fondamental dans
l'établissement et le maintien d'un pont permanent entre les entreprises dans
lesquelles sont entrés les anciens étudiants et les universités qu'ils ont
fréquentées.
J'ai toujours regretté qu'en France l'université - bien que l'on y passe en
moyenne quatre ans - soit un lieu vers lequel on ne revient plus, avec lequel
on n'a plus aucun contact, alors qu'il me paraît essentiel que l'université
soit le centre des activités culturelles, scientifiques et industrielles, de
toutes les activités vitales de la nation. C'est une chose que l'on a pas
comprise ou que l'on ne veut pas établir, ce qui m'a toujours un peu surpris.
Les étudiants, les entreprises et, naturellement, les universités elles-mêmes
en tireraient le plus grand profit.
Cette pratique, conviviale sur le plan social, et très efficace sur le plan
économique, n'est pas développée en France, sauf pour les grandes écoles dont
nous admirons les résultats et apprécions l'efficacité. Pourquoi ne pas
l'étendre à d'autres établissements que les grandes écoles ?
Il est regrettable qu'une telle pratique ne soit pas développée, car les
étudiants auraient, je pense, tout à gagner à voir se créer et s'animer de
telles structures.
Nous en convenons tous, la réforme de l'université française est une nécessité
absolue pour notre pays. Le débat que vous avez su initier, monsieur le
ministre, a eu le mérite de nous le rappeler, et tous les collègues
non-inscrits se joignent à moi pour vous en remercier.
Je ne saurais cependant, monsieur le ministre, terminer mon intervention sans
appeler votre attention sur la situation dans laquelle se trouvent nos
compatriotes expatriés.
En effet, toutes les difficultés qui ont été mises en lumière tout au long de
ce débat et auxquelles un étudiant hexagonal a du mal à échapper se multiplient
naturellement dès lors que l'on est éloigné de la France.
Les informations sont plus difficiles à recueillir, les communications sont
souvent hasardeuses et les démarches les plus simples deviennent soudainement
beaucoup plus complexes.
Aujourd'hui, pour un jeune bachelier expatrié - et nous en avons beaucoup dans
le monde - l'entrée dans une université française s'apparente encore trop
souvent à un véritable parcours du combattant.
J'espère donc, monsieur le ministre, que nos jeunes expatriés ne seront pas
oubliés et que la vaste politique d'information que j'appelais tout à l'heure
de mes voeux franchira la porte de tous nos établissements scolaires à
l'étranger, ainsi que celle de toutes nos ambassades.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne peut
qu'approuver la démarche qui a conduit aux états généraux de l'université ainsi
que la définition, dans les dix questions retenues, de l'essentiel des
problèmes qui se posent actuellement au monde universitaire.
On peut presque estimer que la question a été abordée dans sa globalité au
cours de ces états généraux, que j'ai personnellement suivis de près.
Certaines universités se sont passionnées pour cette technique puisqu'elles
ont décidé de prolonger dans les années à venir de tels états généraux et d'en
faire une structure permanente.
Il convient également de noter que les conclusions de ces états généraux ont
été, non pas des cahiers de doléances - c'est là un élément tout à fait
important - mais un recueil et un examen lucide des propositions émanant non
seulement du ministre, mais des universités elles-mêmes.
Il a été de bon ton, tout au long de ce débat, de souligner la crise de
l'université, qui est surtout une crise de croissance due à la démocratisation
de l'université et à la « massification » à laquelle elle doit faire face. Au
départ, l'université n'était en effet pas faite pour faire du quantitatif. Elle
était faite pour faire du qualitatif.
La situation a été, conjoncturellement, je l'espère, aggravée par le
développement du chômage, qui a induit un allongement de la durée des études
et, dans une certaine mesure aussi, le développement d'« études refuges »
destinées à retarder autant que faire se peut l'entrée dans le monde du
travail.
Cette situation a été compliquée, en outre, par une absence autrefois de
prospectives au niveau des ministères de l'éducation nationale et de
l'enseignement supérieur. En effet, la plupart du temps, les problèmes
universitaires ont été réglés à chaud, à l'issue de crises, après de longues
périodes de répit. Pour la première fois, on va essayer de régler les problèmes
de l'université non pas à chaud, mais à froid, à l'issue d'une longue période
de concertation.
On a trop longtemps manqué de prévisions sur les perspectives de débouchés ou
sur les besoins à moyen terme du marché du travail. On a également trop
longtemps manqué de prévisions sur les perspectives de recrutement dans
l'enseignement, ce qui a entraîné, comme chacun le sait, des effets d'accordéon
entre les années où nous ne recrutions pas et celles où nous recrutions, ce qui
est particulièrement néfaste pour les perspectives dans certaines branches de
formation.
Trop longtemps, le ministère n'a pas analysé non plus les coûts réels des
études supérieures.
On ne peut que se féliciter que cet aspect des choses ait été, au cours des
dernières années, pris en charge par l'observatoire des coûts et par la mise en
place du système analytique de répartition des moyens, baptisé à l'époque San
Remo, qui a permis d'améliorer la connaissance en profondeur du coût réel de
l'étudiant. Beaucoup de progrès restent à faire dans ce domaine : notamment, il
ne faut pas systématiquement prendre comme élément de référence le taux actuel
d'encadrement des diverses formations, qui est précisément une cause de
discrimination.
On peut aussi regretter que l'université classique ait eu à faire face à des
difficultés qui auraient dû, dans une certaine mesure, être prises
naturellement en charge par le système des grandes écoles.
On doit constater que l'essentiel des nouveaux étudiants est allé vers
l'université faute de capacités d'accueil dans les grandes écoles. Le
pourcentage des élèves des grandes écoles, par rapport à celui d'il y a vingt
ans, a, je crois, diminué, malgré l'augmentation du nombre des élèves.
Après ces quelques remarques générales, permettez-moi, monsieur le ministre,
d'aborder quelques éléments techniques, toujours en tant qu'universitaire.
Tout d'abord, on n'a pas suffisamment dit que les universités ne sont ni
comparables ni égales. Elles n'ont pas le même âge : les unes sont anciennes et
fort connues ; d'autres sont nouvelles et ont des difficultés à se faire
connaître. Les unes sont grandes, comptant parfois plus de 30 000 étudiants ;
les autres sont petites, accueillant 5 000, 6 000, 7 000 étudiants. Certaines
sont pluridisciplinaires, d'autres bidisciplinaires voire monodisciplinaires.
Enfin, certaines peuvent faire de la recherche, d'autres n'en ont pas
véritablement les moyens, les capacités ou les concours.
Or toutes ces universités sont en fait traitées de la même façon par une
centralisation qui, au cours des années, s'est renforcée et développée, et est
devenue plus excessive. Je crois bon de rappeler la volonté toujours affirmée
de l'autonomie des universités, mais souvent contrariée par un renforcement des
contrôles ou une rigidité trop grande dans les procédures.
Par conséquent, il faut consentir une plus grande autonomie aux universités,
notamment en ce qui concerne le fonctionnement statutaire. Je crois qu'il n'est
pas normal que toutes les universités, quelle que soit leur taille, quelle que
soit leur spécificité, doivent fonctionner de la même façon. De même, est-il
normal de multiplier les conseils comme cela s'opère ici ou là ?
En fait, cette autonomie statutaire est la seule qui permette le développement
du partenariat des universités avec, par exemple, les collectivités
territoriales, les partenaires économiques et sociaux et - pourquoi pas ? -
celles dont on n'a pas parlé au cours des états généraux et qui sont en dehors
des universités mais qui dispensent aussi de l'enseignement supérieur : les
grandes écoles, les classes préparatoires, les classes de techniciens
supérieurs.
Un mot en ce qui concerne les personnels.
Il faut rendre hommage à la plus grande partie d'entre eux. Les enseignants du
supérieur ont témoigné d'un sens du service public et d'un dévouement assez
remarquable au cours de toutes ces transformations qui ont touché l'université.
Je tiens à saluer les présidents, les vice-présidents, les directeurs, les
doyens, les membres des bureaux, les responsables de filières et les directeurs
d'IUT ; qui se sont donnés à fond en faveur de l'adaptation et de la
transformation de l'université.
Vous le savez aussi bien que moi, monsieur le ministre, il n'est tenu que très
peu compte de ce dévouement et de ces qualités pédagogiques dans le déroulement
de carrière de ces enseignants. Il est souhaitable, à côté de la promotion par
la recherche, d'envisager une autre promotion, qui est la reconnaissance des
services rendus, parfois dans des conditions très difficiles, par toute une
série d'universitaires et de personnels administratifs, techniques, ouvriers ou
de service.
En ce qui concerne les filières, enfin, on a dit beaucoup de choses au cours
du débat. On a notamment évoqué le taux d'échec dans le premier cycle
universitaire.
Je voudrais tout de même attirer votre attention, mes chers collègues, sur le
fait que cet échec est en France - mais les données ne sont pas les mêmes -
très largement comparable à ce qu'il est à l'étranger.
Faut-il rappeler qu'en Allemagne, où l'étudiant passe ses examens non pas à la
fin de l'année universitaire mais à la fin de ses études, le pourcentage
d'échecs est comparable à celui que l'on enregistre en DEUG ? Cela ne veut pas
dire que les étudiants qui ont échoué à l'université, souvent d'ailleurs parce
qu'ils n'ont pas passé leurs examens, ne trouvent pas à s'insérer dans la vie
professionnelle. On reconnaît en effet aux jeunes qui ont passé trois ou quatre
années à l'université des talents, une maturité et des connaissances, certes
non sanctionnés par un diplôme, mais utilisables dans la vie
professionnelle.
Cela dit, il existe un moyen de remédier à l'échec. Il s'agit, tous les
universitaires le savent, d'assurer, dans les filières classiques, dans les
DEUG, le même encadrement pédagogique que dans les IUT et dans les BTS. Je vous
garantis qu'alors le taux d'échec diminuera considérablement. Quand on
travaille au sein d'un petit groupe de vingt-cinq ou de trente étudiants, que
l'on est suivi, que l'on passe des examens toutes les semaines, il n'y a
pratiquement plus d'échec. Evidemment, cela a un coût ; chacun sait qu'un
étudiant en IUT coûte beaucoup plus cher qu'un étudiant en filière
classique.
On a envisagé la mise en place de DEUG plus généraux. Cela pose un problème
qui n'a pas encore été abordé.
En effet, les DEUG plus généraux risquent d'induire un effet pervers, à savoir
l'allongement de certaines études. Si l'on rétablit une sorte de propédeutique,
où les étudiants feront un peu de tout, mais où ils n'apprendront pas les bases
essentielles de la discipline dans laquelle ils veulent se spécialiser, il sera
fréquent de considérer qu'à l'issue de ce cycle ils devront faire une année
supérieure.
Cela m'amène à poser un problème qui n'a pas été abordé au cours des états
généraux, celui de notre système d'études en deux plus deux : deux ans de DEUG,
deux ans de second cycle avec licence et maîtrise.
Ce système n'est pas universel, loin de là ! Dans un certain nombre de pays,
c'est plutôt trois plus deux ; il en est ainsi notamment en Grande-Bretagne et
en Allemagne.
Cette question nous intéresse parce que nous savons que, dans le cadre de la
réforme des études technologiques supérieures, se pose le problème de
l'allongement éventuel des études en DUT ou du passage des titulaires du DUT
dans le second cycle.
Un autre problème se pose à propos des filières : celui de l'ouverture.
Ainsi, en France, on fait des études immédiatement après le bac et il est
extrêmement rare de revenir à l'université - sauf au niveau du troisième âge -
contrairement à ce qui se fait dans d'autres pays. Je crois que les universités
ont raté le tournant de la formation continue qualifiante, de la formation
adressée à un adulte qui, à un moment donné de sa vie, avec ses acquis
professionnels, son expérience, reprend des études à quelque niveau que ce
soit. Je viens d'apprendre que l'on peut maintenant préparer par correspondance
sur Internet un MBA, un
master of business administration,
destiné aux
adultes, cette préparation s'effectuant naturellement en langue anglaise et
contre espèces sonnantes et trébuchantes. Tenez-vous bien : 20 000 étudiants
sont d'ores et déjà inscrits à ce MBA !
Cela pose le problème de la professionnalisation et des filières
technologiques, qui est l'un des éléments clés de la réforme.
On a beaucoup parlé de la professionnalisation ; mais permettez-moi d'être un
peu plus nuancé qu'un certain nombre de mes collègues, car il ne faut pas
mélanger plusieurs choses.
En effet, professionnaliser les études, c'est faire éclater l'université en
une multitude d'écoles professionnelles, avec tous les risques que cela
comporte.
Le premier risque, c'est de préparer les étudiants à des métiers qui auront
disparu lorsqu'ils quitteront l'université.
Le deuxième risque, c'est qu'en professionnalisant on spécialise ; or, en
spécialisant, on pourrait rendre peu adaptables à des changements et à des
mutations les étudiants qui ont été formés.
En réalité, l'objectif à atteindre est d'assurer aux étudiants un bon niveau
de qualification et de formation et de leur apporter une connaissance du monde
économique, grâce à l'intervention des professionnels, grâce surtout aux stages
et à l'enseignement en alternance. Mais professionnaliser trop étroitement des
études supérieures comporte de nombreux risques et obligera ceux qui auront été
ainsi spécialisés à revenir tôt ou tard sur les bancs de l'université pour se
réadapter à des professions nouvelles.
Quant à la filière technologique, elle existe déjà, mais son organisation
n'est pas claire : elle englobe les STS - sections de techniciens supérieurs -
les IUT - instituts universitaires de technologie - les MST - maîtrises de
sciences et techniques - les IUP - instituts universitaires professionnalisés -
les DESS - diplômes d'études supérieures spécialisées - ainsi que les nombreux
diplômes de troisième cycle qui seront mis en place.
A ce propos, j'attire votre attention, monsieur le ministre, sur un risque qui
tient à la tentation de créer, en marge des universités, des universités
technologiques formant les étudiants depuis « bac + 1 » jusqu'à « bac + 6 », et
de couper les filières technologiques de leur environnement scientifique
naturel qui est souvent dispensé dans les filières plus classiques.
Je souhaite que cette idée de la filière technologique soit examinée avec
beaucoup d'attention et qu'elle ne soit pas définie de façon autoritaire. Je
suis convaincu qu'il peut y avoir des solutions différentes, parfaitement
adaptées, d'une université à l'autre.
Enfin, monsieur le ministre, je terminerai mon propos en évoquant deux points
qui me préoccupent particulièrement.
Le premier, et je crains que l'on n'en parle pas assez, réside dans la
nécessité absolue pour tous nos étudiants d'apprendre les langues étrangères.
Un étudiant qui, à l'heure actuelle, ne parle pas l'anglais est aveugle ; un
étudiant qui ne parle que l'anglais est borgne.
Je sais qu'un tel objectif représente un coût assez important, mais peut-être
pourrions-nous y parvenir en faisant des économies sur certaines matières à
option, qui font plaisir à tel ou tel, à tel ou tel endroit. En tout cas,
l'enseignement des langues est absolument primordial, notamment pour assurer la
mobilité de nos étudiants dans d'autres universités au cours de leur formation.
Cet échange d'étudiants qui permet aux uns et aux autres de voir ce qui se
passe ailleurs, les rend plus adaptables et plus performants dans la lutte sur
le marché du travail international dans lequel nous vivons.
J'aborde le second point qui me semble un peu inquiétant.
Comme on l'a dit ce matin, la France se situe en troisième position pour la
qualité de sa recherche. Malheureusement, le nombre de chercheurs étrangers
diminue d'année en année. Aussi, je demande solennellement que, parallèlement
aux programmes européens, nous donnions la possibilité aux
post-graduate
de suivre toutes nos disciplines, comme cela se faisait voilà encore peu.
En particulier, l'apparition de nombreux Etats à l'Est nous impose d'accueillir
ceux qui seront sensibles à la qualité de notre science et qui, en même temps,
deviendront des ambassadeurs de la francophonie.
M. Jean-Louis Carrère.
Ça ne va pas avec les réductions budgétaires !
M. Patrice Gélard.
Le processus que vous avez engagé est positif, monsieur le ministre, mais,
hélas ! chacun le sait, la voie est difficile. Il ne faut pas se cacher les
réalités : améliorer l'efficacité de l'université, l'adapter aux exigences du
monde contemporain, faire en sorte qu'elle offre aux étudiants et aux
enseignants des perspectives réelles de concrétisation de leurs espoirs, cela
a, nous le savons tous, un coût.
Ne pas confronter les objectifs aux moyens serait la plus grande erreur et
engendrerait de graves désillusions.
En conclusion, monsieur le ministre, nous tenons à vous assurer de notre
confiance, mais aussi de notre vigilance.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Falco.
M. Hubert Falco.
Vous êtes, monsieur le ministre, confronté à une tâche difficile mais
essentielle : réformer avec ambition et cohérence l'enseignement supérieur de
notre pays.
Vous avez ainsi la charge de concilier les missions de l'université avec les
exigences du marché de l'emploi tout en préservant la vocation traditionnelle
mais essentielle de l'université française, dispensatrice d'un savoir
désintéressé qui consiste à transmettre à notre jeunesse notre patrimoine
culturel et, par là même, une certaine vision du monde.
Vous devez donc, pour réconcilier l'université avec ses étudiants, donner à
chacun des chances égales de réussite universitaire et d'accès à l'emploi.
L'université ne doit plus être considérée par nos lycéens comme un pis-aller.
Elle doit constituer, au contraire, une filière d'excellence conduisant aux
portes du succès.
Certains, à tort, ont critiqué votre méthode. Les échecs passés démontrent
pourtant qu'il n'y a pas d'autre voie que le dialogue pour répondre aux défis
que l'université française doit relever.
En ce sens, je souhaiterais, monsieur le ministre, vous faire part de quelques
réflexions sur les liens unissant l'université et ses partenaires et, plus
particulièrement, sur le rôle que les collectivités locales sont amenées à
tenir en ce domaine.
La première concerne le maintien d'une « université de proximité ».
Les études supérieures signifient en effet trop souvent, pour de nombreux
étudiants, le départ vers les départements voisins.
C'est le cas dans le Var, où, notamment du fait de l'augmentation considérable
de la population, les structures universitaires ne permettent pas de répondre
aux besoins.
Au déracinement familial qui en résulte s'ajoutent les difficultés financières
qui concourent à rendre plus difficile encore la nécessaire adaptation des
étudiants passant du lycée à l'université.
Livrés à eux-mêmes, sans véritable encadrement universitaire et familial, les
nouveaux étudiants rencontrent de réelles difficultés à intégrer des modalités
de travail différentes et, trop souvent, survient l'échec.
Pour ces différentes raisons, il apparaît essentiel de préserver et
d'encourager une université de proximité participant au « maillage » des grands
pôles universitaires.
Il s'agit de garantir l'accès du plus grand nombre aux études supérieures et,
comme vous l'avez très justement dit, monsieur le ministre, de donner à chacun
les conditions matérielles de sa réussite.
Préserver l'université de proximité, cela signifie, pour un département comme
le Var, qu'il ne soit pas le parent pauvre par rapport aux Alpes-Maritimes et
aux Bouches-du-Rhône. Il importe donc que l'Etat accentue son effort en faveur
de l'université varoise afin de réduire rapidement l'écart existant avec ses
voisines.
Le département du Var, pour sa part, a réalisé un effort sans précédent dans
le cadre du plan université 2000. C'est ainsi que plus de 400 millions de
francs ont été accordés pour rénover et étendre les structures de l'université
et donner à nos étudiants des locaux modernes et adaptés.
Notre département accorde en outre, annuellement, 1,5 million de francs de
subventions de fonctionnement aux structures universitaires, auquel s'ajoutent
plus de 2 millions de francs pour financer l'antenne délocalisée de la faculté
de droit implantée à Draguignan.
A ce propos, monsieur le ministre, certains critiquent la mise en place
d'antennes universitaires. Il est vrai que cette politique doit être contenue
dans certaines limites si l'on veut éviter le risque de voir exploser le budget
de votre ministère.
Il faut toutefois rappeler le rôle éminent de ces petites unités qui
permettent l'accès des plus démunis - ce n'est pas vous qui me contredirez sur
ce point, monsieur le ministre - aux études supérieures et qui s'intègrent
parfaitement dans la logique d'aménagement du territoire voulue par l'Etat.
Cet effort des collectivités locales, qui s'impliquent au-delà des compétences
qui leur ont été transférées du fait de la décentralisation, impose qu'elles ne
soient pas considérées comme de simples financeurs.
Si leur intervention ne doit pas se traduire par une immixtion dans la
conduite de la politique universitaire, qui est de la seule compétence de
l'Etat, elle doit consister à établir un partenariat constructif avec
l'université afin que celle-ci s'adapte mieux aux besoins des populations et
aux conditions socio-économiques des unités géographiques concernées.
La confiance des jeunes en l'université passe par la capacité de celle-ci à
mettre en place un soutien adapté et personnalisé à l'étudiant afin de
favoriser son intégration et, en fin d'études, de permettre son accès à
l'emploi.
Là encore, le dialogue entre collectivités locales et université doit
s'instaurer pour prendre des formes nouvelles.
Le département du Var explore, en partenariat avec son université, différentes
formes de soutien visant à améliorer et à faciliter le travail des étudiants,
ainsi qu'à éviter l'échec scolaire qui touche 60 p. 100 des étudiants en
premier cycle universitaire.
De même, nous envisageons la mise en place d'un système d'aide à l'insertion
économique postuniversitaire.
Il appartient, me semble-t-il, aux collectivités locales, là encore en
concertation avec l'université, qui doit s'ouvrir au monde, d'oeuvrer à
favoriser l'accès des jeunes à la vie active.
Voilà, monsieur le ministre, les quelques pistes de réflexion que je
souhaitais mettre en avant dans l'examen des liens unissant l'université et ses
partenaires.
Les collectivités locales sont prêtes à s'investir en faveur de leur jeunesse,
en allant bien sûr au-delà, pour ce faire, de leur simple aide financière.
Le monde universitaire, de son côté, connaît une profonde évolution et il
souhaite, par-delà la simple transmission du savoir, avancer lui aussi dans
cette concertation que de nombreux élus locaux appellent de leurs voeux.
Il nous reste à trouver un cadre adapté, qui nous permette de progresser
ensemble avec l'Etat sur la voie d'une université française moderne, riche de
son histoire et tournée vers l'avenir, dans l'intérêt de notre jeunesse et,
donc, de notre pays.
Monsieur le ministre, le groupe des Républicains et Indépendants est à vos
côtés dans la tâche difficile que vous menez. Nous connaissons votre ténacité,
votre opiniâtreté et nous sommes certains que vous mènerez cette tâche à bonne
fin, pour le bien de la France.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Rocard.
M. Michel Rocard.
Monsieur le ministre, il était temps !
En effet, si ce débat sur l'enseignement supérieur intervient au Sénat
quelques semaines avant que vous ne fassiez connaître vos propositions
formelles, il arrive aussi après plus de trois années où la même majorité -
sinon les mêmes hommes : c'est votre excuse - a exercé le pouvoir. Or, pendant
ces trois années, jusqu'à ce que s'ouvre ce débat, cette majorité n'a pas dit
grand-chose ni fait vraiment grand-chose en ce qui concerne l'enseignement
supérieur. Mais je ne veux pas, ici, polémiquer.
Vous le savez, on m'a reproché de n'avoir pas assez fait, pas assez rapidement
! Pourtant, en trois années, mon gouvernement avait consenti le plus grand
effort budgétaire accompli depuis la guerre, revalorisé la condition
enseignante en sachant reconnaître et distinguer les fonctions de recherche et
les fonctions pédagogiques, créé les instituts universitaires de formation des
maîtres, les instituts universitaires professionnalisés, redonné vie à la
recherche universitaire, mis en place le plan Université 2000, sans lequel
l'université aurait croulé sous le nombre.
Vous permettrez à l'inventeur des contrats de plan - j'étais alors ministre du
Plan - de se réjouir au passage de l'hymne que vous leur avez consacré tout à
l'heure, indiquant l'usage que vous souhaitez en faire, pour le bien de
l'université. Avant que cette méthode ne soit mise au point, l'Etat, arrogant,
supérieur à tous ses « sujets », n'aurait su contracter avec aucun de ses
administrés !
Mais, je n'entends pas en dire plus sur le passé. Il reste que comparaison
vaut parfois raison !
Nous vous attendions. Il était temps !
J'entends, bien sûr, consacrer mon court propos à l'avenir, d'abord en posant
quelques questions, puisque nous sommes dans l'attente de décisions, ensuite en
vous faisant part de quelques-unes de mes convictions, tout en vous assurant au
passage, vous vous en doutez, de mon entier soutien à chacune des propositions
de mon ami M. Carrère, qui a accompli un travail très précis, ainsi que vous
l'avez reconnu ; nous serons attentifs aux suites qui seront données à ces
propositions.
Depuis maintenant plus de trente années, le débat sur l'enseignement supérieur
et, plus généralement, sur l'éducation n'a pas cessé.
Il n'y a là rien que de naturel, à condition que nous gardions en mémoire que
nous sommes en présence non pas d'une crise française de l'enseignement
supérieur mais - vous le disiez d'ailleurs à peu près dans ces termes - d'une
crise mondiale, liée aux changements structurels que tous les systèmes ont dû
connaître ces dernières décennies. Nous passons d'une structure pyramidale à
une structure cylindrique, avec des effectifs gigantesques, et cela change tout
dans notre manière d'aborder et de traiter les problèmes.
Faut-il le regretter, comme certains - pas vous, monsieur le ministre - le
font dans votre majorité ? Cela serait d'abord inutile, car cette évolution est
générale. Cela serait ensuite une erreur, car l'élévation du niveau d'éducation
est une absolue nécessité.
Cette évolution, aujourd'hui comme hier, pose trois types de problèmes.
Elle pose d'abord un problème économique : qui doit payer et comment ? Le coût
de l'enseignement supérieur est évidemment lourd.
Elle pose ensuite un problème de création de postes d'enseignant, mais aussi
de formation des enseignants, sachant qu'en 1950 il y avait 3 000 enseignants
dans le supérieur et que vous avez aujourd'hui la charge d'en former 3 000 par
an pour combler les besoins. Quelle différence !
Elle pose enfin un problème de logique d'ensemble : comment orienter les
jeunes bacheliers ? Comment lier la formation initiale et la formation continue
tout au long d'une vie ?
Ces questions essentielles exigent des réponses claires. Pour avoir une chance
de les apporter, nous devons prendre conscience que le malthusianisme serait
une erreur majeure au regard de l'avenir de notre pays.
Une certaine droite - je répète que vous n'en êtes pas, mais je veux
l'incriminer - a pensé et pense encore peut-être qu'il faut avant tout réduire
le nombre d'étudiants. Cela s'est dit, mais, heureusement, pas dans cette
enceinte.
Non, la sélection
a priori
n'est pas une réponse, vous l'aviez dit
ailleurs, monsieur le ministre, vous l'avez répété ici ce matin, et j'espère
que cela engagera tout le Gouvernement à vos côtés.
J'ai pourtant quelques inquiétudes, car, dans les choix budgétaires du
Gouvernement et dans nombre de déclarations venant de la droite, je ne vois
rien qui soit à la hauteur des problèmes qui se posent à nous tous, et
particulièrement à vous.
Je prendrai trois exemples de nature différente.
Premier exemple : nous sommes face à un budget qui prévoit une augmentation
quelque peu factice et qui conduira à des restrictions notables. En décembre
1995, vous aviez annoncé la création de 3 000 postes par an jusqu'en 1999. Vous
ne fûtes pas tout à fait suivi : en 1996, il doit y avoir, si nous avons bien
lu, 1 344 postes, dont 525 régularisations.
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Quatre mille postes, dont 2 000 postes d'enseignant !
M. Michel Rocard.
Alors, quelque part, des chiffres sont à rectifier dans un document officiel,
car je n'ai évidemment pas inventé ceux que j'ai cités !
M. François Bayrou,
ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche.
Vous avez pris le premier projet de loi !
M. Michel Rocard.
Merci de cette précision, qui ira droit au coeur de beaucoup de gens,
notamment au mien.
Nous allons chercher, en tout cas, pourquoi le chiffre de 1 344 postes, dont
525 régularisations, circule.
Issu de la grande maison des finances, j'ai une déformation : je préfère m'en
tenir aux documents d'application plutôt qu'à des documents plus généraux.
C'est sûrement un travers. Quoi qu'il en soit, je vous souhaite victoire face à
Bercy !
Il reste que cela augure mal des moyens qui pourront être avancés demain,
alors que la deuxième tranche du plan Université 2000 doit être mise en
oeuvre.
Deuxième exemple : dans les rapports de MM. Bourg-Broc et Dubernard, j'ai
découvert le projet de donner aux universités un « statut analogue aux
collectivités locales ». Premièrement, ce n'est pas très clair. Deuxièmement,
c'est un peu inquiétant.
La remise en cause de la loi Savary est une antienne dans votre camp. Cela ne
lui a pourtant pas porté chance. La droite a déjà échoué deux fois dans cette
entreprise : en 1986 et en 1993. Je ne vous souhaiterai pas bonne chance sur ce
sujet. Je souhaite que vous apportiez vite les clarifications nécessaires.
Je crois beaucoup à l'autonomie des établissements supérieurs. Permettez-moi
une anecdote à ce sujet.
Une de mes premières décisions en arrivant à Matignon a été d'arracher une
amélioration substantielle du règlement comptable des universités. Je vous dois
l'aveu que je n'ai eu que le tiers de ce que je voulais. Bercy est toujours là
!
Nous sommes toujours en train de faire attendre nos professeurs associés
invités, leur payant leurs frais de mission et leur premier salaire avec trois
ou quatre mois de retard, alors que nos propres professeurs, lorsqu'ils sont
associés invités à l'étranger, reçoivent leur chèque en arrivant. C'est un
problème que je vous engage à régler rapidement. Moi, je n'ai pas pu le régler
; il n'y a donc pas de leçon de ma part, monsieur le ministre, et je serais
éperdu d'admiration si vous parveniez à le faire, car cela compte dans la
dignité de la maison dont vous avez la charge.
Quoi qu'il en soit, autant nous pouvons privilégier l'autonomie des
établissements d'enseignement supérieur, jusqu'à cette conséquence comptable,
en favorisant la contractualisation avec l'Etat - associez à chaque université
une fondation, dotez-les patrimonialement ; si vous commencez comme cela,
personne ne discutera et, petit à petit, on les verra riches, un jour ; mais,
naturellement, ce n'est pas un socialiste partageur et nationalisateur qui vous
l'aura dit !
(Sourires.) -,
autant nous ne pouvons accepter le pur et simple
accroissement des inégalités entre universités riches et universités pauvres,
qui est aussi une forme de sélection.
Troisième exemple : le jeu sur l'idée du référendum. Je crois savoir, monsieur
le ministre, que vous n'y êtes pas absolument favorable ; en tout cas, on ne
vous a pas entendu vous déchaîner pour soutenir la cause du référendum ; mais
la proposition est sans cesse remise en avant par le RPR.
Or que voudrait dire réformer l'université par référendum ? A quelle question
sur les premiers cycles universitaires, sur les rapports avec les collectivités
locales, etc., peut-on répondre par oui ou par non ?
Il y a là un vrai danger de rallumer un antagonisme profond. En tout cas,
monsieur le ministre, dans l'histoire de la Ve République, c'est la toute
première fois qu'il est ainsi largement fait état d'un référendum sans que
quiconque ait la moindre idée de la question sur laquelle il pourrait
porter.
Cela figurait dans mes notes avant l'ouverture de cette séance. Cependant,
après avoir écouté mes collègues avec une attention soutenue, je crois que vous
allez pouvoir quitter cette enceinte en clamant que vous avez gagné. En effet,
presque aucun des orateurs de votre majorité n'a évoqué le sujet. Le seul qui
l'ait fait, qui appartient au groupe du RPR, s'est exprimé avec une extrême
prudence, qui devrait conforter votre position : il a posé des conditions
rendant le référendum proprement impraticable.
Dites donc que vous avez gagné ! Débarrassez-nous de cela ! Croyez-moi,
monsieur le ministre, il y aura des gens pour vous comprendre.
Cela ne veut pas dire que je suis prêt à vous approuver sur beaucoup d'autres
sujets. Il y a entre nous des divergences majeures. J'appartiens à la gauche,
je lui suis fidèle, je crois à des choses auxquelles vous ne croyez pas
beaucoup. Mais au moins avons-nous là un combat commun. Ne laissez pas mettre
le feu à cette convergence des volontés tendues vers le refus de la
simplification des problèmes de notre université et à laquelle un référendum
improvisé mettrait sans doute fin.
Tout cela dessine un contexte qui explique que la confiance n'est pas,
aujourd'hui, vraiment au rendez-vous.
Les états généraux de l'enseignement supérieur ont été tout aussi formels que
le débat sur le service national !
Jusqu'ici, monsieur le ministre, vous avez tenu des propos généraux. Je vois
dans l'attention de votre écoute que vous vous préparez à sortir de l'ambiguïté
- il est temps ! - quitte à subir, de ce fait, quelques inconvénients.
J'en viens à la deuxième partie de mon propos, qui me conduira à vous faire
part de quelques-unes de mes convictions.
L'éducation doit retrouver une priorité budgétaire, celle-ci étant interrompue
depuis trois ans. La question budgétaire est d'ailleurs la seule sur laquelle
vous avez choisi de répondre déjà à tel de nos collègues.
Permettez-moi de donner un peu de solennité à ce volet de mon propos.
Je suis de ceux - nous sommes peu - qui ont eu la charge de réduire
significativement le décifit public, et qui l'ont fait. J'ai fait cela ! J'ai
eu à faire le choix de procéder ici ou là à des amputations sévères,
douloureuses, parfois dramatiques. On ne s'y fait pas toujours que des amis, je
le sais.
Mais, monsieur le ministre, il y a dans l'activité publique deux domaines -
et, à ma connaissance, deux seulement - à propos desquels l'opinion considère
que le pays leur affecte une part de la richesse qu'il produit chaque année
inférieure aux exigences du service qu'elle attend : l'un correspond à un petit
budget, la justice, l'autre, à un très gros budget, le vôtre, l'éducation.
Notre dépense par étudiant est de 33 p. 100 à 50 p. 100 inférieure à ce que
font toutes les autres grandes nations démocratiques. Or notre avenir se joue
principalement là.
Nous savons tous - enfin, presque tous ! - que le budget de la République ne
s'équilibre pas comme cela. L'« autre politique » n'est pas à portée de main si
vite, et je vous ai compris, monsieur le ministre, dans certaines de vos
réponses. Mais vous qui êtes le ministre de l'avenir - un de vos prédécesseurs
revendiquait même ce titre ; on ne le lui a pas donné administrativement mais
c'est bien ce que vous êtes -, vous ne pouvez pas accepter la limitation et la
réfaction ou la réduction proportionnelle.
L'école et l'université de notre pays ont absolument besoin de vous voir
gagner sur la nécessité de préserver l'éducation, car celle-ci n'obtient pas la
hauteur du sacrifice public dont elle a besoin.
C'était ma première phrase après mon retrait des fonctions de Premier
ministre, en 1991 : cet effort devra être continué. Il venait de quelqu'un qui
avait fait les économies correspondantes. Je vous souhaite bonne chance,
monsieur le ministre, car nous sommes tous attachés à votre succès à cet égard,
même si nous ne sommes que modérément optimistes.
En tout cas, le succès de la réforme que vous préparez, il est là, vous le
savez fort bien.
Nous devons, en outre, penser l'enseignement supérieur dans son ensemble et ne
pas nous contenter du dualisme entre les grandes écoles et les universités.
Nous devons attaquer de front trois problèmes difficiles, à savoir
l'orientation, la professionnalisation et la décentralisation.
Nous devons être très attentif à la recherche universitaire qui, seule, fait
un enseignement supérieur. Toutefois, je vous le répète, les traductions
budgétaires doivent être assurées.
Nous devons également éviter la démagogie en privilégiant le dialogue avec les
enseignants, les personnels universitaires et les étudiants.
Nous devons, enfin, inciter clairement l'université à prendre sa part dans la
préparation du monde de demain. J'y reviendrai tout à l'heure.
Permettez-moi d'aborder brièvement les trois problèmes difficiles que je viens
d'évoquer pour que je ne tombe pas moi-même dans le travers que je dénonçais
voilà quelques instants, à savoir le bavardage généraliste. Etre dans
l'opposition peut être synonyme d'esprit de responsabilité !
Je lierai les problèmes de l'orientation et de la professionnalisation.
L'orientation se fait aujourd'hui par l'échec. C'est vrai, vous en êtes
vous-même convenu. Mais les grandes écoles, les écoles spéciales et les IUT
constituent autant de filières sélectives en amont. Le dualisme est bien
installé et tend à s'accroître. Les universités ont donc du mal à attirer les
étudiants qu'elles méritent.
L'Etat doit se porter garant de l'accès à l'enseignement supérieur pour une
fraction grandissante d'une classe d'âge. Mais, cet accès étant garanti, tout
peut et tout doit être réexaminé.
Bien sûr, comme il en est question aujourd'hui, une information complète doit
être donnée dès le lycée, voire dès le collège.
Monsieur le ministre, chacun de vos orienteurs professionnels doit, dans
l'enseignement secondaire, traiter une population de 1 200 élèves. La véritable
priorité réside bien dans la crise des effectifs, qu'il s'agisse des personnels
enseignants ou administratifs, par rapport aux besoins.
Mais l'accès à une filière doit être un contrat passé entre l'institution et
ses enseignants, d'une part, et les étudiants, d'autre part. Nous devons mettre
en avant l'idée de premiers cycles en trois ans, avec une première année
pluridisciplinaire, qui faciliterait l'acquisition par tous les étudiants d'une
qualification reconnue, qui les situerait professionnellement et faciliterait
leur insertion à bac + 3. Nombre de mes collègues ont déjà évoqué cette idée,
pour laquelle vous avez manifesté votre intérêt.
Il faut consolider - et tel est bien l'enjeu - le sort de quelque 800 000
étudiants sur les 2 200 000 que compte notre pays.
Ensuite, et cela est lié, l'enseignement supérieur doit développer les
possibilités de retour à l'université après des périodes de travail. Il s'agit
de la formation continue - M. Falco a également abordé ce sujet - qui doit
inclure les niveaux les plus élevés, être valorisée et constituer la priorité
de la mission pédagogique.
Ce qui est intolérable dans notre système, nous devons bien le comprendre, ce
n'est pas tant qu'il sélectionne des élites que le fait que les situations
soient trop tôt figées. La promesse démocratique consiste non pas à dire que
tous les étudiants seront polytechniciens ou normaliens, mais à donner des
chances réelles de réussite à tous les niveaux et à tous les âges.
J'aborderai brièvement aussi la décentralisation et les structures
universitaires.
Une université n'est pas un lycée. Elle a besoin d'être fécondée par la
recherche, et je sais, monsieur le ministre, que vous partagez cette vision.
L'utilité de centres universitaires de proximité est certaine, mais ils
doivent être pensés dans le cadre de pôles et de réseaux universitaires forts.
Ne faisons pas de démagogie en la matière ; telle n'est d'ailleurs pas votre
intention monsieur le ministre. La fertilisation par la force du pôle central
irriguera ces centres universitaires de proximité.
L'Etat doit demeurer le garant d'un enseignement supérieur de qualité dans un
monde de plus en plus marqué par la concurrence et les échanges. Le moyen
d'avoir des établissements forts et capables d'être autonomes c'est, vous
l'avez souligné vous-même, la contractualisation.
Les établissements doivent pouvoir contracter avec l'Etat, les organismes
nationaux de recherche, les collectivités locales et même des demandeurs privés
dès l'instant qu'un savoir nouveau peut être expérimenté. C'est un soulagement
budgétaire qu'il faut savoir rechercher. Il faut donc éviter une
recentralisation tatillonne, qui n'a d'ailleurs pas les moyens de ses
politiques, et une décentralisation sans principe qui interdirait toute
politique nationale efficace.
Les conditions d'une contractualisation réussie tiennent dans la stabilité des
engagements. Je n'y ai pas totalement réussi, monsieur le ministre, mais
peut-être n'aurez-vous pas plus de succès que moi. L'Etat doit respecter sa
signature lorsqu'il a conclu un contrat. Si vous n'accroissez que de 5 p. 100
le taux des engagements tenus par l'Etat, vous aurez bien oeuvré pour la
République et pour l'éducation.
Nous devons enfin, disais-je voilà un instant - votre regard s'est alors perdu
dans le vague - inciter clairement l'université à prendre sa part dans la
préparation du monde de demain. Vous me direz peut-être qu'il s'agit d'une
lapalissade car tel est bien son rôle. Mais je n'en suis pas aussi certain. Je
ne traiterai ici que d'un aspect précis, celui du temps dans la vie.
Vous avez la chance, monsieur le ministre - tel n'est pas toujours le cas - de
regrouper sous votre autorité tous les ordres d'enseignement. Vous êtes donc le
metteur en scène de la réflexion sur les programmes et de leur modification.
Vous êtes le patron des personnels administratifs, des instituts universitaires
de formation des maîtres. Vous fixez donc les orientations de l'université, car
vous êtes en charge de celle-ci à l'enseignement primaire, et vous êtes, de par
vos responsabilités en matière d'enseignement supérieur et de recherche, l'un
des principaux responsables de la formation non seulement des savoirs, mais
aussi des comportements de demain.
Or, monsieur le ministre, nous vivons dans une société tout entière organisée
autour du travail salarié, mais que le travail fuit, comme le disait Hannah
Arendt. Aucun intervenant à cette tribune n'a abordé ce problème avant moi,
mais j'ai la conviction que c'est votre plus grand défi, en tout cas celui qui
est, et de très loin, le plus lourd de conséquences.
Durant près d'un siècle, les emplois que détruisait la machine en se
substituant aux hommes étaient directement compensés - Alfred Sauvy appelait
cela le « déversement » - par les emplois dont la machine elle-même appelait la
création de trois façons.
Il fallait d'abord inventer, roder, mettre au point et fabriquer les machines,
ce qui engendrait des emplois. Il convenait ensuite d'assurer aux usines
puissamment mécanisées une véritable régularité de fonctionnement, ce qui
entraînait la création de très nombreux emplois, en amont dans le secteur des
achats ou de la gestion et en aval dans le service à la clientèle. Enfin et
surtout, la machine créait une richesse dont la consommation appelait une
production et contribuait par conséquent aussi à la création d'emplois.
Vous le savez comme moi, mais nous ne l'avons peut-être pas assez dit à nos
concitoyens, avec la dernière étape technico-scientifique, qu'il convient
d'appeler - l'expression n'est pas très jolie mais elle dit bien ce qu'elle
veut dire - la « révolution informationnelle » ; le processus s'arrête et le «
déversement » ne se fait plus.
Lorsque la machine remplace l'homme dans les tâches non seulement pénibles ou
répétitives, mais aussi de conception, de régulation et de contrôle lorsqu'elle
s'évalue et rectifie elle-même son propre fonctionnement, l'homme n'a plus sa
place dans le processus.
Monsieur le ministre, en 1900, nos arrière-grands-parents travaillaient 3 200
heures par an. Nous en sommes actuellement à quelque 1 650 heures. Ce chiffre
s'est stabilisé depuis une quinzaine d'années, ce qui va de pair avec la montée
en France d'un chômage massif. Nous nous situons à une période où les
consciences mûrissent et où l'on se dit que, décidément, c'est la seule
variable possible.
Il faut se faire à l'idée que les étudiants que vous formez travailleront,
d'ici à vingt-cinq ans, moins de trente heures, voire de vingt-cinq heures par
semaine. C'est à cette société-là qu'il vaudrait mieux songer à les préparer.
Mon sentiment est que nous nous engageons de toute façon dans cette voie. Aussi
conviendrait-il de le faire de bon gré car la pression des faits est là. En
tout cas, l'éducation, c'est vous qui la dispenserez ; la vision prospectiviste
viendra de vos services.
Le problème de la durée n'est cependant pas le seul : le travail éclate
lui-même. Parmi les quinze millions de salariés appartenant au secteur privé,
auxquels s'ajoutent 3 millions de chômeurs, 5 millions ont un statut atypique,
travaillant soit à temps partiel, soit sous contrat à durée déterminée,
bénéficiant d'un emploi aidé ou travaillant dans la sous-traitance - les
définitions sont innombrables. N'oublions pas également tous ceux qui, avec un
contrat de type normal, travaillent chez eux et même, d'après une expérience
récente, sans bureau. Ainsi, une grande entreprise internationale n'offre plus
de bureaux permanents à ses employés, qui travaillent la plupart du temps sur
le terrain. Lorsqu'ils ont besoin d'un bureau pour recevoir un client, par
exemple, ils en font la demande. Les gains immobiliers sont importants. Ces
hommes et ces femmes n'ont pas de racine professionnelle. Leur relation avec
leur employeur se fait par écran d'ordinateur interposé. Telle est la voie dans
laquelle nous nous engageons.
Il n'est pas question que notre protection sociale reste fondée sur l'activité
professionnelle des hommes, tant pour la maladie que pour la retraite. Elle
doit devenir une assurance d'un fait de civilisation.
Mais la principale question qui se pose est celle de l'utilisation de son
temps. Prescient du mécanisme d'évolution de la productivité et de la
technique, Keynes affirmait, en 1930 : « Avant la fin du siècle, il suffira de
trois heures par jour ou de quinze jours par semaine pour que l'humanité
subvienne à ses besoins. » Dans un essai sur l'emploi et la monnaie, il ajoute
: « Mais quand je vois ce que les classes aisées de notre temps font de leur
temps et de leur argent, je crains la dépression nerveuse universelle. »
Nous avons connu, monsieur le ministre - nous sommes de cette génération - les
inquiétudes qui se sont exprimées à propos de la société de consommation - elle
est un peu derrière nous. Le constat selon lequel les pures consommations
marchandes n'ont jamais épanoui personne non seulement est en train d'être
assimilé par ceux qui écrivent et qui pensent - je songe à nos enseignants -
mais aussi se traduit dans la morosité de la consommation marchande et de la
conjoncture actuelle.
Voilà ce que nous vivons. Nous savons, en tout cas, que l'épanouissement d'un
être humain réside dans ce qui est créé, fût-ce à l'occasion d'un acte sportif
ou culturel.
Monsieur le ministre, la démocratie fut inventée à Athènes voilà 2 500 ans. On
a passé 1 500 ans à essayer de la retrouver car elle s'était perdue en route.
Ceux qui l'ont inventée avaient en commun le goût de la liberté, le respect de
la pensée de l'autre et l'horreur du travail, qui n'est en rien une référence à
cette époque. La dignité d'un citoyen d'Athènes tenait dans sa pratique
sportive ou culturelle, dans la formidable intensité de ses rapports avec les
autres et dans la joie dans laquelle s'exerçait la vie publique.
La machine nous donne aujourd'hui la possibilité d'un retour. Le travail n'est
pas une nécessité de l'art de vivre en démocratie. Mais au moins faut-il
développer les sensibilités depuis l'enfance, et je m'adresse là au ministre de
l'avenir. Il ne faut pas « assassiner Mozart », comme l'a dit Saint-Exupéry, ni
détruire la capacité de tout être humain de valoriser entre vingt et quarante
ans, ses talents, surtout sportifs, culturels, picturaux, graphiques ou
musicaux.
Monsieur le ministre, nous vous adjurons : la société de demain sera
musicienne, mais réveillez les enseignements artistiques, c'est un devoir. Si
les hommes que vous formez aujourd'hui ne travaillent plus, d'ici à trente ans,
que vingt-cinq heures par semaine, leur joie de vivre dépendra de
l'épanouissement de leur talent.
Il vous incombe donc d'être prophétique. Si vous en avez la volonté, nous
serons, vous le savez, quelques-uns à vous suivre. Au besoin, nous le ferons
sans vous, mais il est préférable d'oeuvrer ensemble.
Ce n'est évidemment pas d'un référendum dont l'enseignement supérieur a besoin
- quelle question voulez-vous d'ailleurs poser ? - ni d'une réforme en
trompe-l'oeil, qui navrerait les enseignants et les étudiants.
Ce qui pourrait arriver de mieux à l'enseignement supérieur, et donc au pays,
est qu'une réforme solide puisse voir le jour, organisant la démocratisation,
prolongeant l'effort budgétaire de la fin des années quatre-vingt, définissant
des orientations claires, renforçant les structures d'accueil et l'encadrement,
répartissant intelligemment l'offre éducative sur le territoire et pensant,
monsieur le ministre, à demain autant qu'à après-demain. Est-ce trop demander
?
Nous attendons votre réponse.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Camoin et Diligent
applaudissent également.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la famille
et le milieu scolaire sont les deux lieux de vie des individus jusqu'à un âge
de plus en plus avancé.
La première transmet un ensemble de valeurs constitutif de l'homme et de la
femme futurs. Ils tiendront de ce milieu d'appartenance un fonds culturel dont
l'acquisition est à la fois quotidienne et diffuse et qui relève également de
pratiques servant de modèles aux comportements à venir.
Le milieu scolaire, quant à lui, est plus spécifiquement celui de la
transmission du savoir codifié. Toutefois, dans certains cas, il supplée
l'environnement familial dans la constitution du patrimoine culturel et
moral.
Il convient donc d'être extrêmement attentif à ce que nous mettons en place
pour la France de demain.
Les mutations du monde moderne sont tout à la fois profondes et rapides.
L'université doit être capable de s'adapter à ces changements et de répondre
aux besoins qu'ils engendrent. Or, le marché du travail se révèle actuellement
incapable de dégager, de façon immédiate, un nombre d'emplois correspondant à
celui des sorties du système éducatif ; par ailleurs, il y a une inadéquation
entre la nature des formations et celle des emplois offerts.
La dignité de l'homme à la tête bien faite et bien pleine passe toujours par
l'exercice d'une activité lui permettant d'assumer ses responsabilités, et nous
constatons que plus l'exclusion gagne du terrain, plus ce droit recule.
J'ai retenu, monsieur le ministre - et je m'en félicite - que l'un des dix
points sur lesquels portent vos propositions de réforme de l'université
concerne le contenu des études, plus spécifiquement des premiers cycles. Cette
nécessité résulte de l'importance des échecs, qui atteignent 60 p. 100.
Au-delà de la transmission des connaissances, les enseignements primaire et
secondaire jouent-ils suffisamment leurs rôles de filtre et d'orienteur ?
Apprennent-ils aux bacheliers à apprendre ? Combien d'échecs sont dus à
l'absence de méthodologie ?
On est également en droit de se demander, comme vous l'avez fait, monsieur le
ministre, si l'université prépare bien la jeunesse de la France à la
compétition internationale et dans quelle mesure le pays fait encore confiance
à cette institution.
Si l'on ne veut pas voir le choix de la filière des écoles d'ingénieurs ou des
écoles de commerce devenir, en quelque sorte, une assurance sur l'avenir et
celui de l'enseignement universitaire un pis-aller, au-delà de la réforme des
contenus, il faut garantir des moyens qui ne peuvent pas être conservés à
niveau constant.
L'impératif de réduction des déficits n'autorise pas à demander des crédits
supplémentaires, fussent-ils nécessaires. Parlons donc du redéploiement des 23
milliards de francs distribués de votre budget, monsieur le ministre. Vous avez
souligné qu'il fallait revoir la répartition des aides aux étudiants ; une
meilleure saisie des situations permettra une appréciation plus juste des
besoins.
Les filières universitaires ont traditionnellement valorisé les disciplines
générales. Il est impératif, aujourd'hui, d'intégrer les disciplines
technologiques. Les activités industrielles, tertiaires et de techniques
appliquées dont est fait le monde actuel sont trop souvent absentes de
l'enseignement supérieur.
Par ailleurs, la recherche est le pendant indissociable pour maintenir un
équilibre et la valeur de nos universités. Il faut la soutenir, la recherche
!
La Franche-Comté s'enorgueillit de posséder une université pluridisciplinaire
et des écoles d'ingénieurs où s'effectue une recherche de qualité, qui
constitue des pôles forts de renommée internationale. Cette complémentarité est
une richesse, car elle couvre les exigences de la pensée et de l'action ;
encore faut-il que chaque établissement conserve son originalité tout en
développant un partenariat actif.
Je viens d'évoquer nos structures régionales et vous-même avez parlé de la
politique d'aménagement du territoire universitaire menée par le Gouvernement.
Aussi, pour éviter le désarroi de nombreux étudiants, j'aimerais être fixé sur
le sort de l'habilitation de second cycle AES, administration économique et
sociale, de Belfort. Il répond à un enseignement de proximité souhaité.
Déjà, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1996, en intervenant
dans la discussion du budget de l'enseignement supérieur, j'avais, notamment,
souligné qu'il serait souhaitable que les universités puissent créer des
formations spécifiques, qui répondent à des demandes des milieux
socioprofessionnels et économiques. Les maquettes actuelles sont trop
nationales et trop figées.
L'université ne doit pas être un endroit clos. La fin de siècle n'est plus aux
isolats. Les partenariats initiés avec l'Etat et les collectivités locales
doivent être poursuivis et étendus. Les milieux ouverts ont une meilleure
adaptabilité, dimension indispensable pour s'inscrire dans un univers où les
frontières sont gommées. Pour les utilisateurs, un viatique seul ne suffit pas.
Il convient d'apprécier leur aptitude et de prévoir un accompagnement, faute de
quoi la situation se dégradera.
Au lendemain des états généraux, la mise à plat du système vient à point. Il
était urgent d'identifier les blocages pour les traiter avec l'adhésion des
acteurs.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
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