PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale, après déclaration d'urgence, de réglementation des
télécommunications.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Larcher,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de
réglementation que nous avons à examiner aujourd'hui est un texte d'équilibre.
Je dirai même, après vous avoir entendu, monsieur le ministre, que c'est un
texte sage : il répond en effet aux orientations souhaitées par le Sénat à
travers le rapport d'information sur l'avenir de France Télécom qui a été
présenté par sa commission des affaires économiques ; or, la sagesse ne
compte-t-elle pas au nombre des qualités que l'on prête traditionnellement au
Sénat ?
Ce projet de loi de réglementation est aussi un texte d'équilibre et un texte
sage car il assure la réponse aux défis de la modernité et aux mutations du
secteur des télécommunications tout en préservant des valeurs collectives de
solidarité auxquelles les Français sont très attachés.
En effet, les années à venir vont être décisives pour le secteur des
télécommunications. Peu de secteurs de l'activité humaine ont connu - chacun en
est bien conscient, je crois - une évolution technologique aussi accélérée que
celui-ci. Songeons seulement au poste de téléphone que nous utilisions lorsque
nous étions enfants - pour moi, dans le département de l'Orne, c'était encore
l'automatique rural ! - et aux moyens en téléphonie dont disposent aujourd'hui
les entreprises et les ménages dans notre pays. Ce n'est pas une évolution ;
c'est réellement un bouleversement ; c'est un monde nouveau qui s'ouvre
rapidement devant nous.
Pourrions-nous conquérir ce monde nouveau avec nos outils institutionnels et
juridiques forgés pour l'essentiel à la fin du siècle dernier ? C'est la
question à laquelle nous sommes aujourd'hui conviés à répondre. C'est aussi la
question que nous serons conduits à trancher la semaine prochaine, lorsque
viendra en examen au Sénat, en première lecture, le projet de loi relatif à
l'entreprise nationale France Télécom.
L'entreprise est hardie, l'entreprise est difficile. La commission des
affaires économiques l'avait appelée de ses voeux dans son rapport intitulé
L'avenir de France Télécom : un défi national.
Elle est résolue à
contribuer à l'élaboration d'un bon projet de loi, c'est-à-dire d'un texte
clair et facilement applicable.
Les enjeux de la mutation que vont connaître les télécommunications sont
considérables.
Ils sont d'abord politiques, puisque le texte qui est soumis à notre vote est
le fruit d'une constance politique depuis la signature du traité de Rome. Tous
les gouvernements quels qu'ils soient - vous l'avez rappelé, monsieur le
ministre - ont en effet travaillé à la mise en oeuvre progressive des
orientations ainsi tracées depuis 1957. Dans le domaine des télécommunications,
aujourd'hui, leur aboutissement est clair : fin des monopoles, ouverture à la
concurrence.
Cette mutation est aussi lourde d'enjeux économiques, puisqu'un marché des
télécommunications ouvert à la concurrence sera amené à se développer,
favorisant ainsi la croissance, donc l'emploi.
En effet, la part du secteur des télécommunications dans le produit intérieur
brut n'est aujourd'hui que de 1,6 p. 100 en France, alors que ce chiffre
dépasse 2 p. 100 dans les principaux pays ayant déjà mis fin au monopole. Cela
laisse donc espérer une croissance réelle de l'activité dans notre pays.
Le secteur de la radiotéléphonie est d'ailleurs, me semble-t-il, un exemple du
phénomène de rattrapage dont notre pays pourrait bénéficier : depuis l'annonce
de l'arrivée sur le marché d'un troisième opérateur, Bouygues Télécom, qui a
présenté le 29 mai dernier sa première offre de services, on constate une très
forte croissance du marché et du nombre d'abonnés, ainsi qu'une diminution très
nette des tarifs.
Le monopole public, inefficace dans les années cinquante et de 1960 à 1967, a
permis à notre pays, après 1967, de bénéficier progressivement d'un service
téléphonique de grande qualité. Mais il est temps, aujourd'hui, de passer, si
j'ose dire, à la vitesse supérieure, celle de la concurrence régulée. C'est ce
que nous proposent les auteurs du projet de loi de réglementation des
télécommunications.
Les enjeux de la mutation que nous nous apprêtons à opérer sont enfin -
j'allais dire « surtout » - des enjeux de techniques qui vont modifier notre
vie quotidienne. Il serait faux, en effet, de penser que l'ouverture à la
concurrence n'est que le fruit d'une volonté politique. Elle est au contraire
inéluctable, et c'est pourquoi il est nécessaire de l'accompagner et de la
maîtriser.
Face aux évolutions technologiques actuelles, le monopole ne serait, dans
quelques années, qu'un bouclier de carton. Je ne prendrai qu'un seul exemple,
celui du
call back
, que vous avez d'ailleurs cité, monsieur le ministre
: ce système permet déjà, de manière simple - ce sera, demain, de plus en plus
simple, dans le cadre de l'adaptation des terminaux - de contourner le monopole
en passant par des opérateurs implantés à l'étranger. On obtient ainsi, pour
des communications internationales vers New York ou Londres, un tarif inférieur
de 30 à 45 p. 100, voire parfois plus, par rapport aux tarifs français. Je
pourrais aussi citer les nouvelles possibilités offertes par le réseau Internet
ou par les réseaux de communication par satellite.
Mais cette mutation nécessaire que nous nous apprêtons à accomplir doit, à mon
avis, être maîtrisée.
L'ouverture à la concurrence de la téléphonie entre points fixes doit
s'effectuer non pas dans l'anarchie, mais, au contraire, dans un cadre clair
qui fixe des règles du jeu non seulement précises, mais aussi loyales et
équilibrées. C'est pourquoi la commission des affaires économiques se félicite
des dispositions du projet de loi qui organisent une concurrence soigneusement
régulée par le ministre chargé des télécommunications et l'autorité de
régulation des télécommunications.
La création d'une autorité administrative indépendante - ce n'est pas chose
nouvelle dans notre pays - est un gage pour les nouveaux entrants sur le
marché, même si son instauration ne signifie en aucun cas, à mes yeux, que
l'impartialité de l'Etat puisse être mise en cause. C'est d'ailleurs le
ministre chargé des télécommunications qui délivrera les autorisations les plus
importantes et fixera les règles générales dans le cadre du pouvoir
réglementaire dévolu au pouvoir exécutif. Cela devrait rassurer ceux qui
craignent le trop grand pouvoir d'une autorité de régulation.
Cette évolution, que nous voulons maîtrisée et équilibrée, doit aussi nous
permettre de consolider des acquis essentiels et d'ouvrir de nouveaux droits.
La commission des affaires économiques a été particulièrement attentive à
poursuivre dans cette voie dans trois domaines : le service public,
l'aménagement du territoire, les droits des consommateurs.
Le service public est une option politique majeure du texte qui nous est
soumis. En effet, celui-ci précise le contenu du service public, qui repose sur
trois piliers auxquels s'appliquent les principes fondamentaux d'égalité, de
continuité et d'adaptabilité.
Le premier pilier est le service universel, qui englobe le service
téléphonique tel qu'on le connaît aujourd'hui, c'est-à-dire le téléphone pour
tous, à un prix abordable qui soit le même quel que soit l'endroit où l'on se
trouve sur le territoire, des cabines téléphoniques et un service d'annuaire et
de renseignements.
Il s'agit d'autant moins d'un service « minimum », comme ont pu le dire
certains, que la loi prévoit une clause de « rendez-vous » entre le Parlement
et le Gouvernement, dont la commission des affaires économiques vous proposera,
mes chers collègues, de rapprocher l'échéance pour mettre en oeuvre plus
rapidement l'enrichissement à terme du contenu du service universel qu'elle
vous présentera par ailleurs.
En outre, le service universel ne sera pas régionalisé, à la différence de ce
qui est prévu en Allemagne : il devra être fourni sur l'ensemble du territoire.
France Télécom sera chargé par la loi de fournir le service universel.
La loi prévoira un financement par tous les opérateurs des obligations du
service universel. Des tarifs adaptés devront être proposés aux personnes
souffrant d'un handicap ou de revenus insuffisants.
Les services obligatoires de télécommunications sont le deuxième pilier du
service public. Ils comprennent l'accès au réseau numérique à intégration de
services, les liaisons louées et la transmission de données. Ces services
seront offerts sur tout le territoire, dans le respect des principes d'égalité,
de continuité et d'adaptabilité.
Les missions d'intérêt général dans le domaine des télécommunications
représentent la troisième composante du service public : elles concernent la
défense, l'enseignement supérieur, la recherche, et seront prises en charge par
l'Etat.
La commission des affaires économiques approuve pleinement le choix qu'opère
le texte d'une définition ambitieuse - c'est la plus ambitieuse au sein de
l'Union européenne - du service public.
Il ne fait nul doute que la position française a conduit d'autres pays de
l'Union européenne à élargir leurs conceptions mêmes du service universel et du
service public. C'est en effet la conception française qui, sous l'impulsion du
Gouvernement, s'est peu à peu imposée à l'échelon européen. Il me paraît
opportun de le rappeler ici ce soir.
La commission des affaires économiques vous proposera des amendements tendant
à consolider ce service public, mes chers collègues : ces amendements viseront
tout d'abord à permettre de rendre insaisissable la ligne téléphonique d'un
abonné en situation financière difficile, lui conservant ainsi pendant un
certain temps ce fil de vie, avec la possibilité à la fois de recevoir des
appels et de joindre les services d'urgence ; ils tendront également à
rapprocher de cinq à quatre ans, je l'ai déjà dit, la périodicité de la clause
de « rendez-vous » permettant d'élargir le service universel et à inclure
toutes les cabines situées sur le domaine public dans le champ du service
universel.
Après le service public, la deuxième préoccupation de la commission des
affaires économiques et du Plan a concerné l'aménagement du territoire. Cela
n'étonnera personne !
Le texte pose déjà nombre de garanties, puisqu'il préserve le principe de la
péréquation, dont il assure le financement par l'ensemble des opérateurs, et
qu'il inscrit l'aménagement du territoire au titre des « exigences essentielles
».
La commission vous proposera malgré tout d'aller plus loin, en permettant
notamment un accès à des tarifs préférentiels aux services les plus avancés de
télécommunications - on pense aujourd'hui à Internet mais, demain, ce peut être
un autre service - pour les établissements d'enseignement situés en zones de
redynamisation rurale et en zones de revitalisation urbaine. Cet accès
privilégié, notamment pour les écoles, existe dans la loi américaine du 8
février 1996 et n'a pas aujourd'hui d'équivalent en Europe.
Il importe, me semble-t-il, d'appliquer cette discrimination positive pour les
territoires en difficulté : elle favorise leur développement, leur attractivité
et les met en même temps au contact des technologies et des moyens de
communication de demain.
La commission vous suggérera, par ailleurs un dispositif propre à accélérer la
couverture par la radiotéléphonie numérique des zones faiblement peuplées du
territoire, pour lesquelles le téléphone mobile représente un outil majeur de
désenclavement et de redynamisation.
Je crois, à titre personnel, que les technologies hertziennes numériques,
terrestres ou satellitaires, constituent l'une des clés de l'avenir de l'espace
rural français. Il sera nécessaire que cette ressource rare soit préservée
prioritairement pour l'espace rural.
Au cours des débats, nous devrions avoir l'occasion de revenir sur cette
priorité essentielle qu'est l'aménagement du territoire.
Le troisième axe majeur de réflexion de la commission concerne les droits du
consommateur.
L'utilisateur, qu'il soit particulier ou entreprise, est l'horizon et la
justification de la mutation qui nous est aujourd'hui proposée. Le projet de
loi précise déjà que les baisses des tarifs à venir devront bénéficier à
l'ensemble des utilisateurs. Les utilisateurs profiteront également de
l'accroissement de la diversité des offres qui seront proposées en univers
concurrentiel, sans parler des possibilités nouvelles comme la portabilité des
numéros de téléphone.
La commission a souhaité approfondir certains droits des utilisateurs. Il
s'agit, dans le domaine social, de l'insaisissabilité de la ligne téléphonique,
que j'ai déjà évoquée, mais aussi, sur des points touchant à la vie
quotidienne, de la garantie d'un accès simple au service téléphonique ou de la
possibilité de ne pas faire figurer dans l'annuaire son adresse complète.
En définitive, au vu de l'oeuvre - on peut employer ce terme - accomplie sur
cette question complexe de la nouvelle réglementation des télécommunications
par le Gouvernement et par nos collègues de l'Assemblée nationale, et compte
tenu des amendements que nous avons prévu de vous soumettre, nous formulerons
ce soir, non pas un seul regret, mais un seul souhait : nous désirons aboutir,
au cours du débat, à la mise au point d'un dispositif faisant l'objet d'un
accord complet sur deux points qui nous semblent importants.
Le premier point a trait à la délimitation du champ de la responsabilité des
prestataires d'accès à des réseaux informatiques ou télématiques. En effet, ces
prestataires se trouvent parfois, en l'état actuel du droit, sanctionnés - on
l'a vu il y a bientôt trois semaines pour les prestataires reliés à Internet -
en raison du comportement de l'utilisateur de ces réseaux, alors même qu'ils
n'ont aucune influence sur lesdits utilisateurs.
Si cette situation gênante n'est pas dissipée, on risque d'aboutir à une
entrave du développement des nouveaux moyens de communication que nous offrent
les progrès techniques. Il me paraît important de relever cette préoccupation
de modernité exprimée constamment par notre Haute Assemblée, donc de résoudre
ce problème.
Le second point sur lequel nous souhaitons apporter une réponse avant la fin
de ce débat est lié au précédent : il s'agit de l'absence d'un organisme
compétent pour contrôler le contenu des services proposés sur les réseaux
précités et pour recommander aux autorités de régulation la prise de sanctions
adaptées si lesdits services portent atteinte à la dignité de la personne
humaine.
La commission supérieure de la télématique, actuellement instituée par décret
et qui tend à jouer ce rôle, a en effet désormais un champ trop restreint au
regard de la multiplication des réseaux et des services qui résulteront de
l'application de la loi. C'est pourquoi l'instauration d'une nouvelle instance
ayant vocation à couvrir tout le champ des réseaux et des services et pouvant,
éventuellement, être placée sous l'autorité du Conseil supérieur de
l'audiovisuel m'apparaît indispensable.
Je sais, monsieur le ministre, que vous partagez ces deux soucis. Vous l'avez
dit en fin d'après-midi à la tribune, comme vous l'aviez indiqué à la
commission des affaires économiques lorsqu'elle vous a interrogé à ce propos au
cours de votre audition sur le projet de loi.
Je sais également que vous avez engagé votre réflexion sur ces questions
depuis longtemps.
Je vous exprime donc très sincèrement mon espoir que, dans les deux jours à
venir, nous puissions, ensemble, avec nos collègues qui sont intéressés par ces
sujets, aboutir à un texte qui réponde à la fois aux ambitions du Gouvernement
et à l'attente du Sénat.
Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce
que je souhaitais vous dire ce soir sur le projet de loi de réglementation des
télécommunications.
Comme vous ne l'ignorez pas, mes chers collègues, la commission des affaires
économiques avait déjà eu l'occasion, dans le rapport d'information qu'elle a
publié, d'appeler de ses voeux une loi de « démonopolisation » qui soit
également une loi de consolidation du service public.
Le texte qui nous est proposé répond aux grands enjeux du monde contemporain
tout en respectant les priorités essentielles qui sont les nôtres.
Ne pas l'adopter serait faire courir à notre système de télécommunications le
risque d'un repli frileux sur des acquis brillants, certes, mais qui, face aux
possibilités de contournement qu'offre désormais la technologie, serait bientôt
synonyme d'obsolescence et de décadence.
En outre, ce serait ne pas tenir parole à l'égard de nos engagements
européens. Ce serait nous mettre à l'écart. Voulons-nous être la Grèce,
l'Irlande ou le Portugal en demandant des délais ?
L'heure est au risque, sans doute, mais au risque calculé. Le Sénat va, dans
les jours à venir, contribuer à une autre grande réforme de la législation
française sur les télécommunications. Nous devons en avoir bien conscience : ce
sont des décisions fondamentales, et pas seulement des décisions à caractère
technique, que nous aurons à prendre dans les prochains jours.
Sur tous les continents - en Europe, bien sûr, mais aussi en Amérique, en
Asie, dans des pays comme le Japon, l'Inde, l'Australie, la Nouvelle-Zélande -
on assiste à un vaste mouvement de décloisonnement des marchés des
télécommunications. Notre pays dispose de nombreux atouts, avec France Télécom,
quatrième opérateur mondial, pour tirer un large profit de cette ouverture.
Il importe aujourd'hui de n'être ni apeuré ni naïf. La concurrence sera rude,
mais, je le répète, nous avons des atouts, et le plus beau d'entre eux est
indéniablement France Télécom. En effet, comme beaucoup d'entre vous, j'ai
confiance en France Télécom, en ses capacités, en sa compétence, en son sens de
l'avenir.
L'application du projet de loi d'équilibre qui est soumis à notre examen sera,
je vous le dis comme je le pense, un instrument essentiel de confortation de
ces atouts et de succès pour les entreprises de notre pays.
Aujourd'hui, nous examinons un projet de loi de réglementation des
télécommunications ; demain, nous discuterons d'un texte portant sur
l'évolution du statut de l'opérateur public France Télécom, qui doit devenir
société nationale. Au cours de ces journées où nous débattrons des
télécommunications, les enjeux concerneront non pas des problèmes techniques,
mais la préparation de notre pays aux défis de l'avenir : les
télécommunications joueront demain, dans la dimension sociale, dans la
dimension du développement économique et de l'emploi, un rôle essentiel.
Ces deux réformes figurent, me semble-t-il, parmi les réformes majeures
conduites depuis maintenant plus d'un an. Elles méritent que notre Haute
Assemblée, qui a apporté sa contribution, et qui l'enrichira au cours du débat,
ressente bien qu'il s'agit d'un choix primordial pour notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. François Fillon,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre délégué.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je tiens à rendre hommage à la qualité du travail effectué par votre
rapporteur, M. Gérard Larcher, qui a fait preuve à la fois d'une très grande
sagesse, du sens du service public que nous lui connaissions déjà, d'une forte
capacité d'écoute des différents acteurs de ce monde des télécommunications et
d'une vive imagination.
Que ce soit dans son rapport sur le projet de loi de réglementation des
télécommunications ou dans son rapport d'information sur l'avenir de France
Télécom, il a contribué à éclairer le débat. Le Gouvernement s'est d'ailleurs
très largement inspiré des solutions qu'il a préconisées dans son second
rapport, après avoir notamment entendu l'ensemble des intervenants, qu'il
s'agisse des représentants des organisations syndicales, des dirigeants de
l'entreprise ou des autres acteurs de ce monde des télécommunications.
M. Gérard Larcher a évoqué, à la fin de son intervention, une question
d'actualité très importante : le cadre juridique qui régit l'activité des
sociétés qui offrent des accès au réseau Internet.
Nous savons tous que, ces dernières semaines, plusieurs affaires ont défrayé
la chronique. Certaines des entreprises qui offrent ces accès ont ainsi fait
l'objet de poursuites judiciaires. J'ai eu l'occasion de dire que ces
poursuites me paraissaient résulter d'une sorte de contresens sur le rôle des
entreprises concernées.
En réponse à la question que vient de poser M. Gérard Larcher, je peux
indiquer au Sénat que le Gouvernement, s'inspirant pour une part des
propositions votre rapporteur et des réflexions que je mène sur ce sujet,
déposera un amendement qui permettra d'adapter la législation française à ces
nouvelles technologies, à ces nouveaux services que sont les services en
ligne.
Loin de vouloir censurer un réseau de nature internationale, par cet
amendement, le Gouvernement proposera, d'abord, des outils permettant à la
responsabilité individuelle de chacun de s'exercer : les parents notamment
pourront décider des accès qui peuvent être laissés ouverts aux mineurs.
Ensuite, il suggérera d'instituer auprès du CSA un Conseil supérieur de la
télématique. Ce dernier pourra faire des recommandations dans le domaine de la
déontologie et pourra aussi, saisi par les usagers, donner un avis sur le
contenu d'un certain nombre de serveurs qui pourraient être en contradiction
avec les principes fondamentaux de la législation française ; je pense, en
particulier, à ces serveurs qui mettent en cause l'intégrité de la personne
humaine ou à ceux qui constituent des incitations à la haine raciale ou encore
qui font oeuvre de révisionnisme.
Enfin, il proposera que les pourvoyeurs d'accès, ceux qui, techniquement,
offrent des accès sur le réseau Internet, soient exonérés de responsabilité
pénale sous deux conditions : d'une part, ils devront respecter les règles que
je viens d'évoquer, c'est-à-dire la mise à disposition d'outils de
responsabilité individuelle, de logiciels permettant le filtrage des accès ;
d'autre part, ils devront fermer les accès aux serveurs que le Conseil
supérieur de la télématique, placé au sein du CSA, aura désignés comme
contrevenant à la législation française.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Très bien !
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 71 minutes ;
Groupe socialiste, 61 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 52 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 44 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 28 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Trucy.
M. François Trucy.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l'a
excellemment dit M. le rapporteur, les télécommunications joueront dans
l'avenir pour l'aménagement du territoire un rôle aussi important que les
infrastructures de transport. Elles sont en effet devenues le système nerveux
d'un pays ; sa sécurité et son économie en dépendent.
Je rappellerai quelques faits.
Premièrement, si depuis plus de dix ans, près de quarante accords de prises de
participations et d'alliances sont intervenus entre les grands opérateurs de
télécommunications mondiaux, France Télécom n'a été présent que dans deux
d'entre eux : la privatisation du réseau mexicain et celle des
télécommunications d'Argentine.
Deuxièmement, à partir du 1er janvier 1998, il ne devra plus y avoir de
monopoles sur les services de télécommunications européens.
Troisièmement enfin, et cela sera souvent dit dans les prochains jours, la
mondialisation des marchés fait exploser tous les cadres de l'activité.
Partout, les monopoles et les situations acquises sont battus en brèche, et la
concurrence s'annonce totale. Pour nous Français, entrer dans la concurrence -
M. le ministre l'a clairement énoncé - c'est accepter la loi du marché, tout en
restant attachés à une tradition qui impose l'accès de tous aux communications
et sur tout le territoire. La réforme du statut de France Télécom est dès lors
inévitable. L'enjeu est de taille : permettre à l'opérateur national de jouer
gagnant sur un marché en pleine expansion.
Dans la suite de mon propos, je m'attacherai à développer les termes de
l'équilibre entre l'ouverture à la concurrence et le maintien des obligations
de service public, tandis que mes collègues du groupe des Républicains et
Indépendants aborderont sans doute davantage de leur côté le contexte
international qui rend cette réforme impérative.
Il convient de souligner que l'objet de ce projet de loi est de garantir un
service public du téléphone de qualité tout en permettant la construction
progressive et équilibrée du marché français des télécommunications dans le
marché européen.
Notons au passage, monsieur le ministre, que vous avez déjà réussi à
convaincre Bruxelles de respecter les exigences de l'offre d'un service
universel et de services obligatoires de télécommunications. C'est sans doute
une contribution française qui n'est pas négligeable.
Notons aussi que de bons travaux préparatoires à l'élaboration du projet de
loi ont été conduits.
Je citerai le rapport d'étape du groupe d'expertise présidé par M.
l'inspecteur général Champsaur, qui a montré l'importance de l'interconnexion
des opérateurs privés au réseau de France Télécom. Celle-ci devra être soumise
à une régulation forte, précise le rapport, et selon des modalités révisables
périodiquement. En contrepartie, une plus grande liberté tarifaire devra être
laissée à France Télécom dans le cadre de contrats de plans successifs.
Ainsi, les conditions techniques et financières de l'inteconnexion évolueront
vers le droit commun de la concurrence. Cette démarche refuse donc une
régulation asymétrique et émet des réserves sur les possibilités de
compensation tarifaire du déficit d'accès résiduel après le 1er janvier
1998.
De même, l'étude d'impact accompagnant ce projet de loi a présenté un certain
intérêt. On peut toutefois regretter qu'elle soit empreinte à nos yeux d'un
trop bel optimisme. Elle ne laisse que peu de place aux interrogations que l'on
peut se poser dans le domaine des emplois industriels, ou du développement réel
du trafic en Europe. Toutes les mesures proposées dans le texte y sont
justifiées sans réserve aucune.
Aussi, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser la valeur juridique
réelle de ce document ? Doit-il être considéré comme formant un tout avec
l'exposé des motifs ?
En effet, ce dernier est d'autant plus important que le projet de loi modifie
une partie essentielle du code des télécommunications, sans rappeler les
articles laissés en l'état. Une fois n'est pas coutume, il est complet et
précis ; il exprime la volonté du Gouvernement de mettre en place des règles
équitables tant pour France Télécom que pour ses concurrents, qui déboucheront
sur un traitement symétrique des différents acteurs du marché. Dans ces
conditions, la simplification et l'allégement des différentes procédures
d'autorisations permettant aux nouveaux entrepreneurs d'entrer sur le marché ne
peut être que bénéfique.
Venons-en maintenant, monsieur le ministre, à votre projet de loi.
Je ne peux qu'approuver la démarche du Gouvernement visant à introduire dans
la loi une définition claire et lisible du service public selon la conception
française. Cette définition recouvre ainsi le service universel destiné à
l'ensemble des usagers, l'offre de services obligatoires pour les entreprises
et des missions d'intérêt général.
Ce texte a le grand mérite de garantir l'offre du service universel et des
services obligatoires, de désigner l'opérateur public, France Télécom, pour la
fourniture de services qu'il rend actuellement, tout en ouvrant la possibilité
à d'autres acteurs de se porter candidats.
Toutefois - c'est une marque de regret - les dispositions visant le partage
des prestations autres que le service universel du téléphone, par découpage
géographique ou par catégories de prestations proposées, conduiront, à coup
sûr, à des difficultés d'interprétation et à de nombreux conflits.
Il faudra donc laisser ouvert le débat parlementaire sur cette question :
quelle sera l'avenir de ces dispositions ? Ne vont-elles pas affaiblir
l'opérateur du service universel ? La loi ne devrait-elle pas préciser plus
clairement, sans renvoi aux décrets d'application, les méthodes qui seront
retenues ?
En effet, l'intérêt premier doit être celui de l'usager, mais n'oublions pas
que seul l'équilibre économique global du service universel permettra d'en
pérenniser l'offre sur l'ensemble du territoire.
Il est affirmé dans le projet de loi que ce service public sera de qualité.
Bien ! Cependant, il faudra veiller à ce que toutes les dispositions soient
prises dans le cahier des charges des opérateurs pour la mesurer selon des
critères précis et indiscutables.
Face aux exigences de cohésion sociale et d'aménagement du territoire, qui,
tout spécialement ici, au Sénat, préoccupent les élus que nous sommes, le
projet de loi garantit l'offre d'un service universel du téléphone partout à un
prix abordable.
L'Etat s'engage donc à définir clairement et à imposer, après consultation de
la commission supérieure du service public des postes et télécommunications,
deux types de prix : un prix plafond, qui assurera dans les meilleurs délais
l'équilibre économique du service universel du téléphone, et des tarifs
spécifiques destinés à des catégories sociales dites défavorisées, dont la
liste sera précisée par décret.
Aussi permettez-nous, monsieur le ministre, de nous interroger sur les
critères de définition de ces catégories et sur ceux d'attribution de ces
tarifs spécifiques.
Par ailleurs, l'Etat se doit de garantir l'offre sur tout le territoire des
services obligatoires plus particulièrement destinés aux entreprises. Pour ce
faire, il faudra, à mon sens, veiller tout particulièrement à ce que le contrat
de plan ne comporte pas de dispositions créant une dissymétrie entre
l'opérateur public et les opérateurs privés.
Le texte dispose que l'Etat est responsable des missions d'intérêt général et
qu'il les prend à sa charge. Concernant la défense et la sécurité, les
dispositions déjà contenues dans la loi de 1990 sont étendues à tous les
opérateurs autorisés. Sur ce point, il semble donc qu'il y ait bien symétrie
complète entre les opérateurs.
La recherche publique est également expressément mentionnée. Puisqu'elle est
publique, elle est à la charge de l'Etat. C'est pourquoi, monsieur le ministre,
nous vous demandons, à l'occasion de ce débat parlementaire, de continuer à
rassurer les personnels du Centre national d'étude des télécommunications, le
CNET, et de leur confirmer encore que le CNET reste le laboratoire de
l'entreprise France Télécom.
De même, pour l'enseignement supérieur, pouvez-vous monsieur le ministre,
indiquer au Parlement quelles sont les mesures prises pour permettre, en 1997
et au-delà, le maintien et le développement d'un enseignement de très haute
qualité ? Vous savez l'importance des garanties que vous apportez.
Le projet de loi prévoit également des mesures propres à assurer la pérennité
d'un service de qualité.
Nous le savons bien, ce service universel se doit d'être viable dans le cadre
d'un marché concurrentiel. Il en va donc de l'intérêt public de préparer
l'économie française aux conditions nouvelles du marché.
Un des éléments majeurs de ce rééquilibrage sera l'évolution de la
tarification du service téléphonique. Or, s'il s'avère que l'équilibre
économique du service universel ne pourra être atteint au 1er janvier 1998,
tout le monde le sait, il fallait trouver un terme raisonnable à la
participation des opérateurs dans le rééquilibrage des tarifs de France
Télécom. La date du 31 décembre 2000, qui figure dans le projet de loi, nous
paraît raisonnable.
La pérennité de la qualité du service exige un contrôle de sa mise en oeuvre.
La loi de 1990 avait confié cette tâche à la commission supérieure du service
public des postes et télécommunications, à laquelle, monsieur le ministre, vous
rendez souvent hommage. Sa mission est maintenue dans un marché ouvert ; le
service universel, partie du service public, entre donc dans la compétence de
cette commission. Il est vrai qu'elle est un lieu de dialogue entre les acteurs
du secteur et des parlementaires de sensibilités politiques différentes ; son
rôle d'observateur et de « conscience du service public » s'exprime par des
avis et des rapports rendus au Gouvernement. Envisagez-vous, monsieur le
ministre, d'ouvrir, au vu des travaux de la commission et chaque fois qu'il
sera nécessaire, un débat public au Parlement ?
Si l'on peut se réjouir de la volonté que traduit le projet de loi d'instaurer
un droit commun applicable à l'ensemble des opérateurs de télécommuncations
dans des domaines ou France Télécom disposait jusqu'alors de droits réservés ou
exclusifs, qu'en est-il de son application indifférenciée aux réseaux câblés
?
Sur ce point, une disposition législative pourrait-elle réserver les droits
spécifiques des opérateurs sur les réseaux dont ils sont propriétaires mais qui
sont exploités par d'autres opérateurs ?
Sensible au principe de transparence des futures règles du jeu, le groupe des
Républicains et Indépendants soutient les principes du texte en matière de
tarification.
Le principe d'autorisation accordant des droits équivalents pour des
obligations équivalentes devra être clairement réaffirmé. Il est donc
souhaitable que les positions du conseil de la concurrence soient étendues au
secteur des télécommuncations et qu'elles servent de référence permanente tant
à l'autorité de régulation des télécommunications qu'à vous-même, monsieur le
ministre.
Concernant la réglementation de l'interconnexion, qui sera l'élément clé de la
rentabilité pour la plupart des nouveaux opérateurs, l'obligation faite à
France Télécom d'ouvrir son réseau, suivant les conditions de la loi, est
logique.
Je me félicite que le projet de loi prévoie pour la tarification
d'interconnexion une distinction entre les exploitants de réseaux et les
fournisseurs de services.
Nous le savons, la recherche d'un nouvel équilibre des pouvoirs sera
certainement difficile. La création de l'autorité de régulation des
télécommunications fera respecter cette répartition conforme à l'esprit du
droit français entre le pouvoir réglementaire réservé au Gouvernement et le
pouvoir de régulation attribué à une instance indépendante. Elle n'aura
cependant de réalité que s'il existe une indépendance effective. Dans cet
esprit, le mode de désignation qui prévoit la nomination de deux membres par
les assemblées parlementaires nous semble de nature à renforcer l'indépendance
de cette autorité.
Monsieur le ministre, le groupe des Républicains et Indépendants vous
apportera son soutien car ce projet de loi traduit également la volonté du
Gouvernement de faciliter l'activité de l'ensemble des acteurs du secteur en
matière de numérotation, de gestion des fréquences et d'adaptation des
réglementations des droits de passage et du cryptage.
Toutefois, de nombreuses dispositions feront l'objet de décrets. Ne
conduiront-elles pas, monsieur le ministre, à soustraire au contrôle du
Parlement certaines évolutions importantes du droit français ?
Vous connaissez les réticences habituelles du Sénat dans ce domaine.
Monsieur le ministre, vous avez le courage politique de procéder à une grande
réforme ; vous ne trompez personne. L'examen de ce projet de loi vous conduira
sans doute vers deux autres chantiers, l'un concernant la réécriture complète
du code des télécommunications, l'autre la formulation des règles relatives aux
nouveaux services ouverts au public sous une forme multimédia comme les réseaux
de type Internet.
Soyez assuré, monsieur le ministre, que notre groupe soutiendra votre action
politique, considérant que l'essentiel des règles du jeu proposées est propre à
garantir un service public du téléphone de qualité et permet la construction
progressive et équilibrée du marché français des télécommunications, dans le
cadre du marché européen.
Relever aussi le défi de la réforme de France Télécom dans le projet de loi
que nous examinerons la semaine prochaine, c'est donner à cette société, au
moment où il le faut et comme il faut, les moyens de figurer parmi les grands
dans la compétition mondiale d'aujourd'hui et donc de pouvoir, demain, créer de
nouveaux emplois.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le ministre, notre groupe approuve les orientations du projet de loi
que vous avez défendues avec conviction, et que notre excellent collègue, M.
Gérard Larcher, a présenté avec talent en laissant d'ailleurs prévoir au cours
du débat des avancées nouvelles que nous approuvons également.
Les Etats membres de l'Union européenne ont décidé à l'unanimité l'ouverture à
la concurrence de l'ensemble du secteur des télécommunications.
C'est le résultat d'un long processus lié à l'évolution rapide des
technologies, et non le fruit d'une idéologie. Ce processus est mondial : le
Japon, les Etats-Unis viennent de déréglementer. En tout état de cause,
l'Europe ne pouvait échapper à cette évolution.
M. Michel Pelchat.
Tout à fait !
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Acceptation non pas résignée mais résolue de la concurrence et recherche de
coopération avec des partenaires sont dès lors indispensables pour s'imposer.
C'est dans ce contexte qu'il convient de placer l'alliance entre France Télécom
et Deutsche Telekom, qui est un exemple concret de ce que doit être la
coopération franco-allemande.
Pour élargir l'assise territoriale de leur alliance, les deux sociétés ont
d'ailleurs signé un accord avec le troisième opérateur américain afin de
constituer ensemble une filiale présente sur tous les continents.
En effet, dans un contexte de globalisation des échanges, où il s'agit de
répondre au mieux aux besoins des clients ayant des activités dans plusieurs
pays et à la restructuration internationale du secteur, on reconnaît
l'importance stratégique d'alliances avec de grands opérateurs étrangers afin
de couvrir l'ensemble de la planète.
Ce processus est donc mondial. Rien ne sert de s'opposer à ce mouvement
général de libéralisation. En l'acceptant, nous devons rendre hommage à
l'effort de modernisation exceptionnel que les télécommunications françaises
ont réalisé au cours des vingt dernières années et exprimer nos sentiments de
reconnaissance à celui et à ceux qui en ont été les chevilles ouvrières et qui
ont été parfois des visionnaires. J'en ai été le témoin à l'automne 1980. Il
faut aujourd'hui faire en sorte que cette libéralisation s'opère dans le sens
de l'intérêt général et produise des avantages pour tous, y compris pour les
usagers et les personnels oeuvrant dans ce secteur.
Le projet de loi qui nous est présenté répond à cet objectif en s'efforçant de
concilier trois exigences : d'abord, l'affirmation des principes du service
public et du service universel ; ensuite, l'organisation d'une concurrence
réelle et efficace ; enfin, l'utilisation des télécommunications comme une
opportunité dans l'aménagement du territoire. Monsieur le rapporteur, il y a
quelques années, nous avons eu l'occasion d'en débattre âprement.
La première exigence est l'affirmation des principes du service public à la
française et du service universel.
Quel est le contenu du service public ?
Il s'agit de défendre une spécificité française, sans pour autant mal
interpréter ce vocable qui peut se révéler ambigu et susciter des illusions.
Fondé sur le respect des trois principes fondamentaux du service public -
égalité, continuité et adaptabilité - le projet de loi fixe le contenu du
service public des télécommunications. Il s'agit, tout d'abord, du service
universel du téléphone, c'est-à-dire du service public du téléphone tel qu'il
est fourni aujourd'hui en France, ensuite, des services obligatoires de
télécommunications, qui doivent être fournis sur tout le territoire et dont les
tarifs sont libres, et, enfin, des missions d'intérêt général dans le domaine
des télécommunications assurées par ou pour le compte de l'Etat et prises en
charge par l'Etat, à savoir la défense et la sécurité, la recherche publique et
l'enseignement supérieur, dont le Sénat a largement débattu cet après-midi.
Le projet de loi garantit qu'il y aura bien, au 1er janvier 1998, un opérateur
en charge du service universel - France Télécom - seul capable de l'assurer
dans sa totalité. Son rôle d'opérateur de service public national est ainsi
confirmé.
France Télécom assurera la fourniture sur l'ensemble du territoire des
services obligatoires.
L'Etat, lui, aura des missions propres d'intérêt général dans le secteur des
télécommunications qu'il assurera ou confiera à des opérateurs qu'il
rémunérera.
Quant au financement de ce service, vous l'avez rappelé, le projet prévoit
deux modalités : une redevance versée à l'occasion de l'interconnexion et une
contribution au fonds de service universel.
Il apparaît nécessaire d'affirmer clairement la notion de service universel,
notion qui n'est pas inconnue du droit communautaire, où l'on parle de service
public universel. A titre d'exemple, les rapports Théry et Bangemann prévoient
un service universel dans le domaine des autoroutes de l'information visant à
raccorder la majeure partie de la population, sans aucune discrimination
géographique.
Nous devons être heureux que les quinze membres de l'Union européenne aient
pris une résolution affirmant - et je vous remercie, monsieur le ministre, de
l'influence que vous avez exercée dans ce sens - le maintien du développement
d'un service universel.
Le corollaire du service public est l'organisation d'une concurrence effective
et efficace.
Il n'y a pas incompatibilité, quoi qu'on dise, entre les deux notions. Le
projet de loi vise à instaurer une concurrence loyale, effective, favorable aux
utilisateurs, et s'exerçant selon des règles de jeu claires et prévisibles, ce
qui est fondamental.
La concurrence ne peut, ne doit pas être une simple façade pour satisfaire à
une décision politique ou à un engagement international. Elle ne peut pas non
plus pénaliser France Télécom.
La libéralisation ne doit pas conduire à l'abandon de tout contrôle collectif
sur le fonctionnement du marché des télécommunications. L'irruption de la
concurrence dans un secteur antérieurement sous monopole ne signifie en aucune
façon l'avènement de la « loi de la jungle ». Bien au contraire, puisque ce
secteur a une forte résonance sociale et fait l'objet de l'organisation d'un
service public. Tel est le cas pour la réglementation des
télécommunications.
Il appartient au cadre législatif de concilier le maintien du service public
avec le développement de la concurrence et de servir de référence visible à
tous les acteurs. Il se doit d'établir les fondations d'une compétition loyale
et contrôlée. D'où aussi l'importance de l'autorité de régulation des
télécommunications.
Cette concurrence doit être réelle et soigneusement organisée.
Elle doit éliminer les barrières qui pourraient s'opposer aux nouveaux
entrants. Elle doit également être maîtrisée, et le texte de loi prévoit les
conditions d'interconnexion, c'est-à-dire de liaison des réseaux de
télécommunications des différents opérateurs.
La réalité de la concurrence passe également par une vraie « portabilité » des
numéros. Comment voyez-vous, monsieur le ministre - vous y avez fait une
allusion dans votre présentation tout à l'heure - la mise en oeuvre de cette
mesure encore mal définie bien que déterminante pour réunir les conditions
d'une véritable concurrence ?
Cette concurrence, j'en suis persuadé, ne peut être que favorable à
l'utilisateur, que ce soit l'individu ou l'entreprise. Elle sera en effet
profitable à l'éclosion de nouveaux services de meilleure qualité à des tarifs
plus intéressants. Elle provoquera une demande accrue et une multiplication des
services, je pense notamment à Internet.
Cette concurrence ne peut être que favorable à l'économie. Elle va en effet
provoquer d'importants investissements, tant chez les prestataires de services
que chez les équipementiers et leurs sous-traitants.
Ce marché en fort développement, qui exigera d'importants investissements,
devrait donc être - je crois qu'il faut souligner ce fait - favorable au
développement de l'emploi. En effet, l'apparition de nouveaux services, le
développement des infrastructures susciteront de nouvelles activités et
amèneront la création d'emplois.
Enfin, les télécommunications sont aussi un outil puissant en matière
d'aménagement du territoire.
Le rapporteur du projet de loi, notre collègue M. Gérard Larcher, insiste à
juste titre - et cela ne date pas d'aujourd'hui - sur cet aspect. Il faut
rendre hommage au Sénat d'avoir su, très tôt, mettre l'accent sur le rôle
fondamental qui incombe aux télécommunications dans la mise en oeuvre d'une
politique volontariste d'aménagement du territoire.
Le rapport de la mission d'information présidée par M. Jean François-Poncet
affirmait déjà très clairement, voilà quelques années, que les
télécommunications joueront dans l'avenir, pour l'aménagement du territoire, un
rôle aussi important que les infrastructures de transport.
La suite logique de ce constat a été, sur l'initiative du Sénat - et vous y
avez pris une large part, monsieur le rapporteur - l'établissement du schéma
des télécommunications prévu par l'article 20 de la loi du 4 février 1995.
Celui-ci fixe l'objectif suivant : à l'horizon 2015, les réseaux de
télécommunications, notamment les réseaux interactifs à haut débit couvrant la
totalité du territoire, devront être accessibles à l'ensemble de la population,
des entreprises et des collectivités territoriales et offrir des services
équitablement répartis sur l'ensemble du territoire et disponible dans les
zones rurales notamment.
Plus que jamais, l'exigence d'aménagement du territoire doit rester une
priorité dans notre pays. Les télécommunications en sont un vecteur essentiel.
Le projet qui nous est soumis peut et doit en être un facteur de
concrétisation. L'égalité territoriale par la péréquation géographique, la
baisse des communications à longue distance, la prise en compte de
l'aménagement du territoire par les opérateurs de réseaux et les fournisseurs
de services, les redevances d'occupation du domaine public pour les
collectivités locales sont autant d'avancées positives qu'avec M. le rapporteur
nous devons saluer.
En conclusion, le groupe de l'Union centriste approuve le projet de loi qui
nous est soumis. Il nous est présenté à un moment où l'évolution européenne et
mondiale le rend inéluctable. Il s'agit, en l'occurrence, non pas de se
conformer à une quelconque mode doctrinale, mais de tenir compte des réalités
auxquelles nous sommes confrontés et auxquelles la France ne peut échapper.
Dans ce contexte, il s'agit donc de veiller à ce que le service public des
télécommunications s'adapte dans les meilleures conditions possible au contexte
concurrentiel qui s'impose à lui. Il s'agit d'organiser une concurrence qui
soit à la fois utile et efficace. Il s'agit de faire des télécommunications un
vecteur concret d'une politique d'aménagement du territoire qui doit
représenter une chance pour chacun de nos territoires.
La réforme qui nous est proposée entraîne des transformations profondes, qui
sont inévitables lorsque l'on passe d'un monopole à la concurrence. Elle
suppose des adaptations à la fois des structures et des mentalités. Aucune
réforme d'ailleurs ne peut réussir si structures et mentalités n'évoluent pas
parallèlement.
La réforme des télécommunications doit non pas générer l'inquiétude, source de
paralysie, mais constituer un nouveau départ, une nouvelle chance. Les
télécommunications françaises ont été, au cours des dernières décennies, un des
facteurs de la modernisation de notre pays. Elles l'ont été grâce à la capacité
d'innovation, à la compétence, au sens de l'intérêt général, des personnels
qui, du sommet à la base, en ont fait un instrument efficace au service d'une
France tournée vers l'avenir. Je suis certain que ces mêmes qualités
permettront à France Télécom et à ses personnels ainsi qu'à toutes les
entreprises qui oeuvrent dans ce secteur de s'engager avec confiance et
résolution vers l'avenir.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Billard.
M. Claude Billard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de
loi de réglementation des télécommunications vise à ouvrir les réseaux et les
services de télécommunication de cet important secteur d'activité à la
concurrence et organise la suppression du monopole de France Télécom sur
l'établissement des infrastructures filaires publiques et la fourniture au
public du service de téléphone fixe.
Ce texte prétend apporter la réponse adaptée à l'évolution extrêmement rapide
des technologies. Je voudrais d'emblée affirmer que cet argument est un
fallacieux prétexte. A son origine, il y a tout simplement une décision du
Conseil des ministres européens de déréglementer pour organiser la
concurrence.
Monsieur le ministre, il est abusif de justifier la déréglementation et la
concurrence par les évolutions technologiques et le besoin d'interconnexion des
réseaux. Le service public et l'entreprise publique sous monopole ont pourtant
largement montré leur capacité et leur efficacité à coopérer au niveau
international. On doit même noter leur supériorité en ce qui concerne les
compatibilités techniques - et donc les réseaux - la recherche et les
programmes de développement communs qui font progresser les technologies et
l'industrie.
Dans les pays développés, les réseaux sont maîtrisés par des entreprises
publiques qui, comme France Télécom, marchent fort bien. Pourquoi changer ? En
réalité, la technologie et ses évolutions ont bon dos.
Non, le vrai motif qui explique la déréglementation à laquelle vous voulez
vous livrer, monsieur le ministre, est ailleurs : c'est l'entrée des
télécommunications dans le marché mondial et le souhait pour un certain nombre
de grandes entreprises de pénétrer sur ce marché. Ce sont les multinationales
privées qui frappent à la porte d'un marché d'équipements et de services en
pleine expansion, qui progresse de 4 p. 100 en moyenne chaque année.
Dans notre pays, ce sont notamment la Générale des eaux et Bouygues qui sont
sur les rangs et piaffent d'impatience et qui, je le note au passage, seraient
déjà, avec les autres opérateurs privés, favorisés puisqu'ils ont obtenu une
réduction de leur participation au financement de ce qu'il est convenu
d'appeler le « service universel ».
Dans ce secteur, les services publics sont les empêcheurs de tourner en rond,
car les critères sociaux et d'intérêt national sur lesquels ils se fondent
doivent, coûte que coûte, être destructurés au profit de la rentabilité
financière.
Les besoins d'emplois qualifiés, l'accès pour tous aux multimédias,
l'aménagement équilibré du territoire, les coopérations entre entreprises
publiques et privées pour économiser les financements publics et lutter contre
les gâchis financiers représentent des enjeux décisifs que ne satisferont
jamais quelques multinationales privées se livrant une guerre destructrice.
Au prix d'alliances internationales, de rachats, de regroupements au détriment
de l'emploi - comme, par exemple, la récente fusion des deux plus grandes
compagnies régionales américaines de téléphone, qui se traduira par la
suppression de quelque 3 000 emplois - on assiste à la concentration rapide
autour de quelques mastodontes ; les experts prévoient que cinq grands groupes
seront ainsi en concurrence au plan mondial.
Faire à terme place nette à ces groupes, voilà beaucoup plus prosaïquement la
raison fondamentale de la déréglementation de ce secteur. Elle permettrait à
quelques sociétés multinationales privées d'accaparer le fruit de quelque
vingt-cinq ans d'investissements publics pour réaliser de gigantesques profits
au détriment des usagers du téléphone et des services qui lui sont attachés, au
détriment du développement économique et social et d'un aménagement équilibré
du territoire.
Loin d'être une conséquence fatale de la mondialisation et de l'évolution des
technologies, la libéralisation et la déréglementation des services de
télécommunications répondent donc, avant tout, aux seules exigences de groupes
industriels et financiers qui cherchent à s'approprier les parts les plus
rentables de ces services et à s'assurer la domination des marchés.
Avec votre projet de loi, il est évident que le service public perdra en
importance et en qualité sur l'ensemble du territoire, que les usagers
domestiques seront mis à contribution, pour le plus grand profit des
entreprises et des marchés financiers, et que les agents subiront des pressions
renforcées sur leurs emplois, leurs rémunérations, leurs conditions de travail
et leurs garanties statutaires.
Je voudrais d'ailleurs relever que ce sont ces craintes, ces inquiétudes, mais
aussi le refus de cette évolution néfaste qu'ont exprimés ce matin les
personnels de France Télécom dans l'unité de leurs syndicats. Ils ont bien
perçu tous les dangers que recèlent vos projets, et le groupe communiste
républicain et citoyen, qui était présent à leurs côtés ce matin, salue leur
lutte et les soutient pleinement.
La déréglementation et l'ouverture à la concurrence que vous voulez introduire
seraient particulièrement lourdes de conséquences négatives dans deux domaines
: les tarifs et l'emploi.
A vous en croire, monsieur le ministre, les ménages français ne pourraient
être que les heureux bénéficiaires de la mise en concurrence acharnée du marché
des télécommunications puisque leur facture devrait baisser. Vous avez assuré
que la hausse de l'abonnement serait accompagnée d'une baisse des
communications locales.
L'expérience dans les pays où la déréglementation est déjà mise en oeuvre
démontre en fait tout le contraire.
M. François Fillon,
ministre délégué.
C'est faux !
M. Claude Billard.
En Belgique, le tarif des appels internationaux a certes baissé de 15 p. 100
mais celui des abonnements a été relevé du même taux. Le Canada, pays le moins
cher pour ses appels urbains et internationaux, est, en revanche, en tête du
hit-parade pour le coût de l'abonnement. La restructuration tarifaire en
vigueur rendrait payants les appels urbains actuellement gratuits. En
Allemagne, la baisse est de 30 p. 100 à l'international, mais l'augmentation
est de 5 p. 100 sur les appels interurbains. Que ce soit en Italie ou bien
encore aux Pays-Bas, la tendance est la même puisque si, dans ce dernier pays,
les appels interurbains ont baissé de 10 p. 100, ils sont en tête du classement
mondial pour le prix des appels urbains à la suite d'une hausse de près de 90
p. 100.
En France, les tarifs des communications ont baissé pour les communications
internationales et les longues distances nationales. Il n'en est pas de même
pour la taxe de raccordement, l'abonnement et les communications locales, qui
ont augmenté, après avoir déjà connu une hausse en 1994. L'ouverture à la
concurrence implique obligatoirement le rééquilibrage des tarifs, par une
augmentation importante de l'abonnement et des liaisons locales afin de
rapprocher ceux-ci des coûts réels.
M. François Fillon,
ministre délégué.
C'est faux !
M. Claude Billard.
La première conséquence de l'ouverture à la concurrence sera donc,
inéluctablement, l'augmentation de la facture téléphonique de la plus grande
partie des usagers.
M. François Fillon,
ministre délégué.
C'est faux !
M. Claude Billard.
Il faudra bien que quelqu'un paie le « dumping » qui va s'opérer entre les
grands groupes sur les liaisons longues distances ; ce n'est pas à l'usager de
base d'en supporter le coût.
En entérinant la fin du monopole de France Télécom, vous remettez en fait en
cause les notions fondamentales et républicaines de péréquation sociale et
géographique. Reprenant le vocabulaire bruxellois...
M. Michel Pelchat.
C'est le nouveau vocabulaire !
M. Claude Billard.
... votre loi parle d'un « prix abordable » ; c'est une notion pour le moins
floue. En fait, par le biais de la hausse des abonnements, vous allez accélérer
le transfert de la charge financière des entreprises vers les particuliers, au
détriment des usagers les plus modestes.
Votre projet de loi reste aussi volontairement très vague sur la notion de
péréquation géographique, importante non seulement pour les particuliers, mais
aussi pour l'aménagement du territoire. Les entreprises par exemple, à coup
sûr, ne voudront plus s'installer dans les zones où le prix des communications
sera plus élevé qu'ailleurs.
M. Gérard Delfau.
C'est évident !
M. Claude Billard.
Ce processus est inévitable dans une situation de concurrence.
Ce que vous nommez « le déséquilibre tarifaire historique de la tarification
française » constitue en fait ce que vous voulez remettre en cause avec
l'égalité tarifaire assurée par le service public entre tous les usagers,
quelle que soit leur position géographique ou économique. Les appels longues
distances permettaient de compenser le coût des communications locales et des
missions de service public, les gros consommateurs payaient pour les petits. La
perte du monopole ne permettra donc plus d'assurer une réelle péréquation
tarifaire.
M. François Fillon,
ministre délégué.
C'est faux !
M. Claude Billard.
C'est bien l'inverse que vous voulez programmer avec la destruction du mode de
financement du service public.
La logique veut donc que, sur un marché ouvert à la concurrence, France
Télécom, avec ses obligations de service universel, véritable RMI du service
public, reste seul à garantir un droit minimum à toutes les catégories de la
population en tout lieu du territoire, aussi longtemps que cela ne sera pas
jugé suffisamment rentable par ses concurrents.
Mais, placé en compétition avec le secteur privé sur les services à haute
valeur ajoutée destinés essentiellement aux entreprises et aux professionnels,
l'opérateur public sera inéluctablement contraint de trouver ses équilibres
financiers dans la hausse des facturations aux usagers domestiques. C'est cette
évolution qui est engagée avec le rééquilibrage entre l'urbain, l'interurbain
et l'international, rendue possible par la hausse de l'abonnement, qui a été
décidée.
C'est une logique imparable, qui avait d'ailleurs été dénoncée en 1995, dans
un rapport bien connu de notre assemblée, et je ne résiste pas au plaisir d'en
citer un passage : « Il ne sert à rien de garantir une desserte universelle
s'il y a éviction des usagers par les prix. Or la Commission européenne entend
manifestement remettre rapidement et totalement en cause la péréquation
implicite entre les tarifs locaux et les tarifs longues distances.
« En d'autres termes, la Commission souhaite notamment une augmentation rapide
et très forte du coût des communications locales afin d'accroître la
concurrence au détriment notamment des consommateurs de base, qui ne passent
pas majoritairement des appels internationaux. La totale égalité entre la
tarification et les coûts serait socialement encore plus douloureuse puisque
environ 60 p. 100 des ménages font perdre de l'argent à France Télécom... ».
Ces propos sont tirés du rapport sur les services publics et l'Europe de M. le
ministre Franck Borotra.
Autre grave conséquence de la mise en concurrence de l'opérateur public avec
des groupes privés : les suppressions d'emplois. La concurrence entre les
opérateurs amènera les entreprises à privilégier dans leurs critères de gestion
la rentabilité financière maximale et, à court terme, la recherche d'une
productivité accrue par la pression sur la masse salariale et l'emploi. Cela
sera également valable pour France Télécom soumis aux mêmes règles et qui
n'aura plus les moyens d'équilibrer les coûts engendrés par ses obligations de
service universel. Vous avez beau prétendre, monsieur le ministre, comme vous
l'avez fait sur une station de radio périphérique, que 70 000 emplois
pourraient être créés en cinq ans, là encore, les expériences étrangères
démentent vos prévisions optimistes.
M. François Fillon,
ministre délégué.
C'est faux !
M. Claude Billard.
En Grande-Bretagne, la déréglementation et l'éclatement de British Telecom ont
conduit à la suppression de 100 000 emplois. Le seul concurrent notable,
Mercury, a lui aussi licencié.
Deutsche Telekom envisage, pour sa part, plusieurs dizaines de suppressions
d'emplois. Aux Etats-Unis, American Telecom en prévoit 40 000.
M. François Fillon,
ministre délégué.
Puis-je vous interrompre, monsieur le sénateur ?
M. Claude Billard.
Certainement, monsieur le ministre.
M. le président.
La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. François Fillon,
ministre délégué.
Je voudrais simplement demander à M. Billard combien
d'emplois ont été créés aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne chez les nouveaux
opérateurs. Quand il connaîtra ces chiffres, il constatera que le solde est
positif.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Billard.
M. Claude Billard.
Le solde n'est pas positif et ne le sera pas compte tenu des suppressions
d'emplois qui sont déjà programmées.
M. François Fillon,
ministre délégué.
Mais si, il est positif !
M. Claude Billard.
Non, je ne partage pas votre point de vue. Les mêmes causes auront les mêmes
effets, et on voit mal comment notre pays échapperait à cette logique. Vous
avez vous-même avancé, devant le secrétaire général de Force ouvrière, le
chiffre de 30 000 postes excédentaires.
Un autre aspect du caractère nocif de votre projet de loi est d'imposer des
obligations à France Télécom qui désavantageraient l'opérateur public par
rapport à ses futurs concurrents, eux-mêmes nettement favorisés dans la
compétition acharnée qui s'instaure.
Je ne prendrais que quelques exemples.
Ainsi, en ce qui concerne la possibilité de proposer sur le câble des services
de télécommunications, France Télécom serait très désavantagé puisqu'il a
réalisé 25 milliards de francs pour l'établissement du réseau câblé et qu'elle
ne recevrait que 350 millions de francs des câblo-opérateurs pour la location
des réseaux câblés à des fins audiovisuelles. Voilà un bel exemple
d'investissements très lourds supportés par une entreprise publique et qui
bénéficieraient à peu de frais à des intérêts privés.
L'ouverture desdits réseaux aux services téléphoniques risque d'entraîner une
véritable captation des investissements réalisés par l'Etat au profit d'un
écrémage par d'autres opérateurs du marché des abonnés au câble.
Autre exemple : à l'Assemblée nationale, vous avez accepté un amendement qui,
en substituant à la notion de domaine public celle de voie publique, conduit à
exclure les publiphones les plus rentables, comme ceux des gares et des
aéroports, du champ du service public. C'est encore là une façon d'avantager
des intérêts privés en leur réservant des créneaux rentables.
Il en va de même pour cet autre amendement qui exonère les opérateurs de
radiocommunication mobile - il s'agit notamment de la SFR et du groupe Bouygues
- d'une partie du financement du service universel et de la contribution
additionnelle liée à la résorption du déséquilibre tarifaire. Comme vous
l'aviez crûment déclaré dans une interview à un grand quotidien économique, il
s'agissait, selon votre propre expression de « donner un coup de pouce
supplémentaire » à ces groupes privés.
En ce qui concerne l'autorité de régulation, qui aura pouvoir sur les tarifs
d'interconnexion et en matière d'arbitrage, on peut penser que, là aussi, le
projet de loi met en place un dispositif de nature à rassurer les nombreux
opérateurs privés.
L'instauration de cette autorité, en apparence indépendante, s'inspire des
modèles anglo-saxons ultralibéraux et s'appuie, en France, sur un courant de
pensée selon lequel l'Etat doit abandonner certains de ses pouvoirs de
préservation de l'intérêt général.
Ainsi, la compétence de fixer les tarifs d'interconnexion, qui ont une
importance stratégique, serait confiée à une autorité qui serait en fait jugée
sur sa capacité à établir la concurrence et dont la vocation serait, au bout du
compte, de faire baisser les parts de marché de France Télécom.
J'ajoute que le fait de voir des personnalités inamovibles et n'ayant de
comptes à rendre à personne réglementer et contrôler le secteur des
télécommunications est profondément antidémocratique.
Au demeurant en créant cette autorité qui fixerait les règles du jeu tout en
étant arbitre, votre texte va encore plus loin que ne l'exigent les directives
européennes en matière de compétences des autorités de régulation.
Cela est révélateur de votre démarche générale : dans ce domaine, vous avez
choisi non seulement de ne pas résister mais encore de surenchérir sur les
exigences de la Commission européenne.
Invoquer les engagements européens de la France pour justifier que nous soyons
contraints de déréglementer le secteur des télécommunications n'est donc pas un
argument recevable.
En effet, les traités fondant l'Union européenne n'impliquent pas
obligatoirement la libéralisation du marché des télécommunications. Même si le
traité de Rome, confirmé en la matière par celui de Maastricht, ne reprend
qu'incidemment, en son article 77, le terme de « service public », il faut se
rappeler que l'article 90 du traité de Rome utilise notamment la notion de «
service économique d'intérêt général » qui en recouvre pratiquement le contenu.
Il existe donc dans les textes européens des moyens juridiques de lutter contre
la mise en cause de nos services publics par la concurrence.
Je relève que le Gouvernement a, sur ce sujet, capitulé en rase campagne, car,
contrairement à l'engagement pris au mois de décembre par le Premier ministre,
il a renoncé à inscrire dans la Constitution la notion de service public qui
les protégerait et n'a entrepris aucune démarche, dans le cadre de la
conférence intergouvernementale, pour faire inscrire dans les traités une
définition des services publics conforme à l'acceptation française de cette
notion.
L'obligation d'ouvrir à la concurrence l'ensemble des activités économiques de
la Communauté n'est fondée que sur la volonté politique de la Commission et des
gouvernements, qui interprètent de manière très restrictive l'article 90,
voulant sacrifier à tout prix les monopoles publics sur l'autel de l'argent-roi
et des intérêts privés.
Non, les enjeux contemporains du développement des télécommunications ne
nécessitent aucunement le démantèlement du service public. Ces enjeux ne sont
pas qualitativement différents de ceux qui avaient conduit à confier ce secteur
à une entité de service public bénéficiant d'un monopole.
Il s'agit aujourd'hui, après que le téléphone a été developpé, avec la qualité
que l'on sait, à l'échelle du pays, d'aménager le territoire en réseaux donnant
accès aux nouveaux services de transmission des données, d'images et de
sons.
Il est impératif, étant donné l'importance économique et sociale de ce
secteur, de le faire suivant les principes mêmes de défense de l'intérêt
général dont est porteur le service public : en assurant, en particulier, une
égalité d'accès aux services en tout lieu du territoire, pour toutes les
catégories d'usagers, ce qui constitue un facteur de lutte contre les
inégalités de toutes sortes, qu'elles soient sociales, économiques ou encore
régionales.
C'est dans cette optique que se situe le groupe communiste républicain et
citoyen. C'est cette conception de l'activité des télécommunications au service
du développement de la société et des hommes qui fonde notre conviction selon
laquelle il faut aujourd'hui préserver l'existence d'un monopole public sur les
infrastructures et équipements de réseaux.
Cette conviction ne nous amène nullement à nier la nécessité d'établir de
nouveaux rapports entre le pôle organisateur que doit être l'opérateur public
et ceux qui fournissent les services et informations circulant sur les
réseaux.
Nous ne sommes pas pour le
statu quo.
Au contraire, nous sommes pour un
service public sachant se rénover et évoluer à la fois vers la décentralisation
et la démocratisation pour répondre au mieux aux besoins des populations, un
service public également capable de véritables coopérations à l'échelle de
l'Europe.
Ce sont là les réponses qu'il est nécessaire et possible d'apporter aux défis
auxquels est confronté aujourd'hui le secteur des télécommunications. Elles
sont incompatibles avec votre projet de loi, monsieur le ministre, et c'est la
raison pour laquelle le groupe communiste républicain et citoyen votera contre
ce texte.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'histoire
de l'humanité nous enseigne que le développement de la civilisation et le
progrès économique ont toujours été étroitement liés au développement des
moyens de communication.
Ce n'est pas être grand prophète que d'affirmer que la prochaine décennie et,
sans doute, tout le début du XXIe siècle seront marqués par l'explosion des
télécommunications.
La progression prévisible pourrait être symbolisée par celle qu'évoquait
récemment M. John Patrick, vice-président d'IBM, concernant le nombre
d'utilisateurs d'Internet qui, de 30 millions aujourd'hui, pourrait, dans les
cinq ans à venir, atteindre 500 millions. Le secteur des télécommunications
représentera, selon certaines estimations, 10 p. 100 du PIB mondial en l'an 2
000.
M. Michel Pelchat.
C'est faux !
Mme Danièle Pourtaud.
La France a su, grâce à la forte implication de l'Etat et en s'appuyant sur la
doctrine des services publics, développer de puissants réseaux
d'infrastructures. Qu'il s'agisse des routes et des autoroutes, des chemins de
fer, de l'énergie ou du téléphone, ces réseaux d'infrastructures ont
puissamment contribué au développement économique de notre pays en y associant
l'ensemble du territoire et l'ensemble des citoyens.
Depuis 1993, j'insiste sur cette date, les gouvernements de droite ont
entrepris de casser, secteur après secteur, ce modèle, que je qualifierai, en
paraphrasant le Président de la République, de « modèle social français ». Vous
avez entrepris de le casser au nom, il faut le dire, de l'idéologie libérale et
de son credo unique : la libre concurrence, censée satisfaire les besoins de
tous, mais qui, les Français le savent bien, ne profite qu'à quelques grands
groupes.
En fait, vous nous proposez un véritable changement de société pour faire
entrer la France dans un monde fondé sur la libre concurrence et des services
publics réduits au minimum ; certains ont parlé de « voiture-balai ». L'Europe
n'est utilisée ici que comme prétexte.
Sinon, pourquoi tant de précipitation, alors que, parallèlement, vous
prétendez négocier dans le cadre de la conférence intergouvernementale la
reconnaissance des services publics au niveau européen ?
J'ajoute que le rapport de M. Renaud Denoix de Saint-Marc sur le service
public, qui a visiblement fortement inspiré votre projet de loi, prévoit « la
nécessité d'inscrire » les fondements du service public dans le traité d'Union
européenne. Il deviendrait ainsi plus clair que la construction européenne se
fonde sur les deux piliers du « marché et de la cohésion ».
Si, comme vous le prétendez, votre objectif est de préserver le service
public, pourquoi ne pas faire porter tous les efforts du Gouvernement sur cette
négociation européenne et vous en prévaloir pour garder en France nos services
publics structurants et garants à la fois du progrès économique et de la
cohésion sociale ?
Face aux enjeux économiques mais aussi sociaux de la civilisation de
l'information, vous l'aurez compris, monsieur le ministre, votre texte ne nous
paraît pas accepttable.
Ce projet de loi ne nous semble pas, en effet, garantir la pérennité du
service public : il amorce le désengagement de l'Etat, dont vous nous
proposerez l'étape suivante dès la semaine prochaine, avec le projet de loi sur
le changement de statut de France Télécom, et il porte en germe le risque de
voir casser l'opérateur France Télécom, qui se situe aujourd'hui au quatrième
rang mondial.
Il s'agit donc d'un texte qui non seulement ne garantit pas la pérennité du
service public mais risque en outre d'instaurer le « téléphone à deux vitesses
».
Il est proclamé, à l'article 2, que « les activités de télécommunications
s'exercent librement ». Le secteur sera donc, au 1er janvier 1998, ouvert
totalement à la concurrence, et vous nous avez dit, monsieur le ministre, que
votre texte visait à protéger le service public au sein de ce secteur dérégulé.
Malheureusement, cette pétition de principe ne résiste guère à l'examen.
Il n'est pas inutile de rappeler, d'abord, que 90 p. 100 des Français sont
aujourd'hui contents du téléphone.
Le service public, est caractérisé en France par quelques grands principes :
j'en citerai quatre.
Premier principe : l'égalité d'accès pour tous, c'est-à-dire la péréquation
sociale et la péréquation géographique, autrement dit le droit d'être raccordé
au téléphone au même prix, que l'on habite au centre de Paris ou à...
Sablé-sur-Sarthe.
(Sourires.)
M. Michel Pelchat.
Au hasard !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Ou à Rambouillet !
Mme Danièle Pourtaud.
Deuxième principe : un prix abordable.
Troisième principe : l'adaptabilité, ce qui signifie la constante
modernisation, non pas au service de quelques-uns mais au service de tous.
Quatrième principe : la prise en compte de l'intérêt général.
Or votre texte, en saucissonnant la notion de service public entre service
universel, services obligatoires et missions d'intérêt général, la dénature
totalement pour cacher la réalité : un service public réduit à sa portion
congrue, le service universel, qu'en d'autres temps, pas si éloignés, comme
cela vient d'être rappelé, votre collègue M. Borotra qualifiait lui-même de
conception « misérabiliste » du service public.
On peut légitimement craindre l'instauration à terme d'un téléphone à deux
vitesses, le service public n'étant, en réalité, plus constitué que par le
téléphone de base entre points fixes.
En effet, seuls les prix du service universel devront rester abordables et
seront surveillés par l'Etat. Les services obligatoires seront certes fournis
sur l'ensemble du territoire mais leurs prix seront libres.
Ainsi, qu'il s'agisse de téléphone mobile ou de l'accès aux réseaux à forte
capacité qui donneront accès aux autoroutes de la communication ou, plus
généralement, à la société de l'information, il n'est plus question d'en rendre
l'accès possible à tous les citoyens.
Pis, on peut craindre que, contrairement à ce qu'annonce le Gouvernement, la
grande majorité des petits consommateurs ne voient leur facture augmenter,
tandis que les gros utilisateurs, c'est-à-dire principalement les entreprises,
bénéficieront de la concurrence.
En effet, afin de permettre l'entrée de nouveaux opérateurs, le projet de loi
prévoit l'augmentation des tarifs de l'abonnement pour résorber ce que l'on
nomme pudiquement les « déséquilibres de la structure tarifaire ». Je vous
rappelle qu'aujourd'hui encore la France a l'abonnement le moins cher de toute
l'Europe.
Le mouvement est d'ailleurs déjà entamé puisqu'on est passé de 35 francs hors
taxes par mois en 1994 à 53 francs et qu'il est prévu de passer à 70 francs,
voire à 90 francs hors taxes, c'est-à-dire à 110 francs toutes taxes comprises,
avant l'an 2000, selon le souhait des députés. Ce mouvement a été en outre
accompagné du raccourcissement de la durée de la communication de base.
Le Gouvernement parle de baisse du coût du panier moyen des communications et
focalise l'attention des consommateurs sur la baisse des communications
internationales. Mais, là encore, qui en bénéficie ? Avant tout, les
entreprises.
La hausse sera en revanche importante pour les 10 millions d'abonnés faibles
consommateurs, dont on sait qu'il s'agit de personnes âgées ou à ressources
modestes, pour lesquelles l'abonnement représente aujourd'hui au moins 50 p.
100 de la facture.
C'en est donc fini de l'égalité d'accès, de la péréquation géographique et de
l'adaptabilité.
Enfin, la pérennité du service universel n'est pas assurée. On peut en effet
craindre que l'affaiblissement de l'opérateur France Télécom qui doit résulter
de ce texteou sa soumission aux règles du marché financier après sa
privatisation partielle ne l'obligent à renoncer à fournir ledit service
universel.
Enfin, on peut légitimement éprouver quelques inquiétudes quant au devenir de
ce que le projet de loi appelle « les missions d'intérêt général », en
particulier l'enseignement supérieur et la recherche, à la lumière du
désengagement actuel de l'Etat du secteur de la recherche.
Par ailleurs, ce projet de loi marque, avec la création de l'ART, la première
étape du désengagement de l'Etat, qui se poursuivra par la privatisation
partielle de France Télécom.
Votre philosophie politique amène votre majorité à rechercher systématiquement
l'amoindrissement du rôle de l'Etat, que ce soit par la réduction des moyens
budgétaires d'intervention ou par le dessaisissement de ses missions. La
création de l'ART en est une illustration.
Vous nous proposez la création d'une nouvelle autorité, dotée du pouvoir de
sanction, indépendante de l'Etat puisque ses membres sont inamovibles, nommés
pour six ans et non renouvelables.
Cette autorité est surprenante et contestable, tant dans son principe que dans
sa composition et ses missions.
Les seuls exemples en droit français d'autorités de régulation sont, me
semble-t-il, la Commission des opérations de bourse, la COB, et le Conseil
supérieur de l'audiovisuel, le CSA. L'ART semble plus s'inspirer du CSA, mais
on peut se demander pourquoi.
Créer une autorité pour affirmer l'indépendance des médias audiovisuels par
rapport à l'Etat et couper le fameux cordon ombilical avait avant tout une
valeur symbolique. Je dirai que, avant d'être le gendarme du secteur, le CSA a
eu pour principale fonction, aux yeux de l'opinion, de nommer le président de
France Télévision.
Plus fondamentalement, les trois attributs les plus usuels de ce genre
d'autorité sont : l'attribution des licences, la régulation du marché entre
secteur public et secteur privé, la surveillance du respect de leur cahier des
charges par les opérateurs publics et privés, avec le pouvoir de sanctionner
les manquements.
En revanche, il ne semble pas légitime de transférer sur une autorité
indépendante une partie du pouvoir réglementaire, l'Etat étant, en particulier,
le garant de l'intérêt général à travers le principe d'égalité et le principe
de neutralité, qui sont des principes fondamentaux du service public et du
pacte républicain.
Or cette nouvelle autorité de régulation n'attribue pas les licences. En
revanche, elle est investie d'une partie du pouvoir réglementaire ; en
particulier associée à la définition du service public, elle propose les
modalités de son financement, que le Gouvernement ne fait que constater.
Montesquieu, avec sa théorie de la séparation des pouvoirs, y perdrait son
latin !
Par ailleurs, sa composition - cinq membres, dont trois nommés par décret par
le Gouvernement - rend le dessaisissement de l'Etat encore moins justifié. Elle
ne garantit pas la prise en compte de l'intérêt général, notamment celui des
consommateurs. On peut aussi s'étonner que, pourvue d'un pouvoir de sanction,
elle ne comprenne aucun magistrat. Nous y reviendrons lors de l'examen de nos
amendements.
Le désengagement de l'Etat aboutira inéluctablement à la prédominance des
intérêts privés sur l'intérêt général dans le secteur des
télécommunications.
Or la France est le seul pays à avoir pu mettre gratuitement à la disposition
de la population le minitel, ancêtre d'Internet. Croyez-vous que cela aurait pu
être possible avec une entreprise dont 49 p. 100 du capita aurait été détenu
par le privé ?
Nos concitoyens savent bien que nos intérêts privés ne s'investissent pas au
nom de l'intérêt général. Ils savent aussi que, derrière l'ouverture des
télécommunications à la concurrence, se cache la guerre de grands groupes
privés dont ils seront eux-mêmes les victimes.
Et que dire de l'emploi, qui, selon le Gouvernement, est une « priorité » ? On
connaît les effets bénéfiques qu'ont eus les situations de concurrence pour les
salariés dans la plupart des pays. British Telecom a supprimé 100 000 emplois
en dix ans, Deutsche Telekom va an supprimer 60 000 en cinq ans, et ne parlons
pas des Etats-Unis, où les suppressions d'emplois se comptait par centaines de
milliers. France Télécom prévoyait depuis quelque temps 2 000 à 3 000
suppressions de postes d'ici à l'an 2000, mais, le 29 mai, monsieur le
ministre, vous avez annoncé 20 000 départs anticipés sur dix ans en plus des
quelque 35 000 agents qui prendront normalement leur retraite.
Ces emplois seront effectivement supprimés si vous menez à bien votre projet
de privatisation de France Télécom. En revanche, les 70 000 emplois dont vous
prévoyez la création dans le secteur privé ne sont même pas des promesses
puisqu'ils ne dépendent pas de vous, mais sont simplement des supputations.
Par ailleurs, de l'avis même du Conseil de la concurrence, les frontières de
compétences mal définies entre ce conseil et l'autorité de régulation des
télécommunications, l'ART, risquent de provoquer une insécurité juridique pour
les opérateurs.
Laissez-moi enfin vous exprimer une dernière inquiétude concernant les
pouvoirs de l'autorité de régulation.
Elle sera aussi associée aux négociations internationales. Là encore, on peut
s'étonner, tant il est vrai que c'est à l'Etat de défendre les intérêts de la
France dans les négociations internationales, je pense en particulier aux
difficiles négociations engagées dans le cadre de l'Organisation mondiale du
commerce, qui devraient aboutir à une dérégulation mondiale des
télécommunications.
Enfin, et ce sera mon troisième et dernier point, au nom de la concurrence à
tout prix, le projet de loi prend le risque d'affaiblir ou de casser le plus
grand opérateur français : France Télécom.
Permettez-moi, là encore, monsieur le ministre, de citer Renaud Denoix de
Saint-Marc : « La concurrence est un moyen et non une fin. L'exemple
britannique souvent cité ne saurait tenir lieu de référence car il repose sur
l'idée que la concurrence doit être introduite dans la plus grande mesure
possible. »
A la lecture du projet de loi, et en écoutant la présentation que vous en avez
faite tout à l'heure, on a malheureusement l'impression que vous n'avez pas
suivi ce conseil et que vous avez effectivement cherché à suivre l'exemple
britannique et à introduire la concurrence « dans la plus grande mesure
possible », sans que rien ne l'impose.
Nous avons, avec France Télécom, opérateur public, une société que tout le
monde nous envie. France Télécom est aujourd'hui le quatrième opérateur mondial
; sa technologie, son efficacité ne sont plus à prouver. L'absence de liens
capitalistiques n'a pas empêché la conclusion d'accords internationaux avec
Deutsche Telekom et Sprint.
Depuis la réforme de 1990, France Télécom a accru son chiffre d'affaires de
1,5 million de francs par an en moyenne. Globalement, le désendettement a été
massif, de 25 milliards de francs. France Télécom a connu une baisse de ses
tarifs de 3 p. 100 par an en francs constants, cela en accroissant sa
productivité. Tout en maintenant l'ensemble de son personnel, France Télécom
dispose d'une productivité supérieure à celle de British Telecom, qui annonce
encore la suppression de 50 000 emplois. Cette situation a permis à l'opérateur
public de réaliser les investissements nécessaires à son développement, qui
s'élèvent à 30 milliards de francs par an.
Par ailleurs, la possibilité d'effectuer des investissements à long terme a
permis à France Télécom de se doter d'un pôle de recherche extrêmement
important, le Centre national d'études, le CNET. Aujourd'hui, la France dispose
ainsi du plus grand réseau numérique du monde et d'une position mondiale au
travers des différentes coopérations nationales.
Or, dans le projet de loi, loin de chercher à renforcer cette réussite, vous
semblez considérer que France Télécom est en « abus de situation dominante » et
que l'urgent, et l'essentiel, est de l'affaiblir.
Nous sommes, vous l'avez dit, monsieur le ministre, dans une bataille mondiale
de parts de marché. Jugez-en plutôt. Il y a quinze jours, lors de la conférence
de Midrand, en Afrique du Sud, sur la société de l'information, le
vice-président américain, Al Gore, a annoncé que les Etats-Unis allaient
consacré 15 millions de dollars au développement de l'accès à Internet dans une
vingtaine de pays africains, de manière à « accélérer la participation de
l'Afrique à la société de l'information globale ». Comme on ne peut guère
soupçonner M. Al Gore d'être uniquement animé par la philantropie, il semble
évident qu'il s'agit là d'investissements destinés à réserver des parts de
marchés.
Les télécommunications sont certainement le secteur économique amené à
connaître le plus gros développement dans les années à venir. Pourtant, les
risques d'affaiblissement de France Télécom, sous-jacents dans le texte que
vous nous proposez, sont importants sans que, malgré tous vos efforts, l'on
soit certain de voir apparaître d'autres opérateurs français de taille
mondiale. Je citerai quelques exemples.
Tout d'abord, en laissant les segments du marché les plus porteurs à la
concurrence, vous allez affaiblir France Télécom et l'inciter à procéder à des
restructurations qui réduiront, à terme, sa capacité d'innovation et
d'investissement.
Par ailleur, le projet de loi, dans le calcul des charges d'interconnexion, ne
prévoit pas explicitement la prise en compte de l'amortissement des
investissements réalisés par France Télécom dans les réseaux. C'est un
appauvrissement considérable pour France Télécom et cela risque fort de
décourager, également à terme, ses investissements dans la modernisation du
réseau.
M. Roland du Luart.
Il y en a qui ont la mémoire courte !
Mme Danièle Pourtaud.
Autre exemple, des charges particulières sont imposées à France Télécom, en
particulier la publication de ses offres tarifaires et techniques
d'interconnexion.
En fait, en étudiant toutes les dispositions contenues dans le projet de loi
pour lutter contre la position dominante de France Télécom et permettre une
entrée plus facile sur le marché à ses concurrents, j'ai irrésistiblement pensé
à ce qui s'est passé il y a quelques années dans le secteur de l'audiovisuel et
qui a abouti à la faillite de la société française de production, la SFP.
En effet, afin de faire émerger un secteur de production indépendant, on a
contraint les chaînes de télévision à acheter au moins 10 p. 100 de leur
programmation à la production indépendante pour lutter contre la position
dominante de la SFP. Or, quelques années plus tard, la SFP n'avait même plus 10
p. 100 des commandes des chaînes, et l'on connaît le résultat. Je trouve
dommage que l'on prenne, toutes proportions gardées bien entendu, le même
risque pour France Télécom.
La France doit donc se préparer, nous en sommes d'accord, monsieur le
ministre, à prendre sa place dans le développement international des
télécommunications. Mais là s'arrête notre accord : sur les moyens, nous ne
pouvons en aucun cas vous suivre.
En effet, face aux défis que je viens d'évoquer, votre projet de loi nous
propose comme une baguette magique qui tout à la fois permettra, selon vous, à
la France de se renforcer dans la compétition internationale et d'accroître la
satisfaction des usagers, j'ai nommé la libre concurrence, qui jouera au
détriment du service public, réduit au service universel.
Nous pensons exactement l'inverse. Nous pensons que c'est le service public
qui, parce qu'il est un facteur de cohésion économique et sociale, parce qu'il
est un puissant moteur d'aménagement du territoire, permet le progrès
économique et la compétitivité de l'ensemble de l'économie nationale.
Par ailleurs, nous estimons qu'avec ce texte votre gouvernement prend le
risque - à moins que ce ne soit un souhait - de casser la plus grande
entreprise française dans le secteur, au profit d'autres groupes désireux
d'entrer sur le marché et, éventuellement, de sociétés étrangères, alors que la
conférence intergouvernementale n'a pas encore abouti à l'inscription des «
fondements du service public » dans le traité sur l'Union européenne, ce que
bien entendu nous souhaitons.
Notre crainte, si ce garde-fou n'est pas établi, c'est qu'effectivement la
concurrence se développe au détriment de la satisfaction des missions de
service public, et pas seulement au détriment de l'opérateur, et que le
tristement célèbre « 22 à Asnières » de Fernand Reynaud ne redevienne une
réalité, certes pas à Asnières, mais à... Sablé, par exemple.
(M. le ministre fait un signe de dénégation.)
M. Roland du Luart.
Ne vous inquiétez pas pour Sablé !
Mme Danièle Pourtaud.
Dans ces conditions, vous le comprendrez, monsieur le ministre, le groupe
socialiste votera contre ce projet de loi. Nous vous proposerons néanmoins des
amendements tendant à modifier l'esprit de ce texte en renforçant le service
public. Parmi ces amendements, je tiens à le préciser, certains ont déjà été
défendus à l'Assemblée nationale par le groupe socialiste mais aussi par
certains membres de la majorité.
Avec Jaurès, nous pensons que « les sociétés humaines doivent trouver leur
équilibre par le haut », ce qui n'est malheureusement pas le sens de votre
projet de loi.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Monsieur le ministre, il me semble que vous êtes maintenant dans l'obligation
d'inviter Mme Pourtaud à Sablé, car ce n'est que sur place qu'elle pourra
constater les efforts qui auront été faits !
(Sourires.)
M. Roland du Luart.
M. le ministre l'invitera certainement !
M. Michel Pelchat.
Avec Jaurès !
M. le président.
La parole est à M. Trégouët.
M. René Trégouët.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la voie est
étroite. D'une part, nous voulons préserver la prééminence de notre opérateur
public sur notre marché national, ce qui est non seulement naturel mais aussi
primordial pour la place de notre pays dans l'Europe du xxie siècle. D'autre
part, les règles du marché s'imposant de plus en plus rapidement et avec de
plus en plus de force, il nous faut définir une réglementation qui, à la fois,
permette à France Télécom, comme ce fut le cas avec d'autres opérateurs
nationaux d'Europe, de conserver sa première place dans son pays d'origine, et
respecte les règles d'une saine concurrence afin que notre droit, au travers de
recours contentieux, ne nous soit pas dicté peu à peu par la Cour européenne de
justice ou par la Commission de Bruxelles.
La voie à suivre est d'autant plus mal aisée à tracer que les balises qui
devraient la border changent continuellement de place. En effet, les
technologies qui entourent non seulement les télécommunications mais aussi
l'informatique et l'image, étroitement imbriquées dans les changements qui
feront notre monde de demain, évoluent si rapidement, les capitaux mis en jeu
sont d'une telle importance - une importance sans précédent dans une économie
moderne en temps de paix - et les stratégies planétaires sont encore si mal
définies que nous nous trouvons dans l'impossibilité de dessiner avec précision
ce que sera le paysage des télécommunications d'ici seulement quatre ans, quand
nous entrerons dans le xxie siècle.
Pour ce qui est de la concurence mondiale, nous sommes un peu dans la
situation du pilote d'un avion long-courrier qui, en décollant, ne saurait pas
sur quel aéroport il devra se poser au bout de son voyage, et pire encore, ne
saurait même pas si cet aéroport est déjà construit et si les installations
d'approche seront compatibles avec ses appareils de bord afin de lui permettre
une approche par tout temps. Car, de toute façon, il ne sait qu'une seule chose
: un vrai temps de chien l'attend à destination !
(Sourires.)
Par ce projet de loi sur la réglementation des télécommunications, nous
allons essayer de définir le cap que vont devoir suivre les pilotes de ce
secteur stratégique des télécommunications. Nous allons aussi essayer d'allumer
le plus grand nombre de balises ; mais, il faut avoir l'humilité de le
reconnaître, nous n'avons pas encore pu définir les protocoles mondiaux qui
permettraient à l'ensemble du secteur des télécommunications de se poser sans
dommage à la fin du long et périlleux voyage qu'il entreprend aujourd'hui.
En effet, la montée en puissance des réseaux Internet et Intranet à l'échelle
mondiale, la capacité que pourrait acquérir l'informatique à capter les trafics
vocaux dans ces prochaines années, le développement ou non des
network
computers
, qui décideront de l'endroit où se placera l'intelligence demain,
soit dans les terminaux, soit dans les réseaux, mais aussi le lancement de très
nombreux satellites de communication sont autant de paramètres, parmi beaucoup
d'autres, qui auront une influence considérable sur l'avenir de l'ensemble du
secteur des télécommunications, selon les options qui auront été finalement
retenues.
Il faut comprendre la crainte de ceux qui sont dans l'obligation aujourd'hui
de s'embarquer pour un tel voyage. Depuis de nombreuses décennies, respectant
des règles internes très précises, nous connaissions toutes les conditions du
vol avant même notre départ et, ainsi, il n'y avait pour ainsi dire aucune
place à l'incertitude. A tous ceux qui s'embarquent aujourd'hui pour ce voyage,
il nous faut dire avec force que, tous ensemble, nous allons nous mobiliser
jour après jour, pendant toutes ces prochaines années, pour que ce voyage, qui
les fera entrer dans un monde nouveau, se déroule sans heurts et qu'ils
puissent arriver à bon port, c'est-à-dire entrer dans le troisième millénaire
dans les meilleures conditions.
M. Roland du Luart.
Très bien !
M. René Trégouët.
Dans ce débat sur la réglementation des télécommunications, j'interviendrai
successivement sur quatre points. En premier lieu, je traiterai de la
définition du service universel et, en deuxième lieu, du nécessaire défi qui
doit être lancé pour accélérer l'implantation du téléphone mobile sur
l'ensemble de notre pays, afin que nous réussissions l'aménagement du
territoire du xxie siècle.
En troisième lieu, je vous ferai part de quelques réflexions sur la
responsabilité concernant les contenus portés par les réseaux de
télécommunication.
Enfin, en quatrième lieu, je conclurai sur la manière dont il faut préparer
les Français à exercer les métiers de demain par l'acquisition de savoirs
nouveaux grâce aux outils modernes de télécommunication.
Parlons tout d'abord du service universel. Le texte qui nous est soumis limite
le service universel à la fourniture d'un service téléphonique de base, d'un
annuaire et de cabines téléphoniques publiques. Il en exclut clairement
Numeris, puisqu'il place l'accès au réseau numérique à intégration de services,
le RNIS, dans les services obligatoires.
Bien que je comprenne la position des autres pays européens qui, ne disposant
pas encore de cette technologie, ne peuvent l'intégrer dans leur propre
définition du service universel, je pense qu'il est dommageable, pour la
réussite de l'aménagement du territoire de notre pays et pour l'avenir de
France Télécom, que nous n'ayons pas la volonté d'intégrer dès maintenant le
RNIS dans le service universel.
M. Gérard Delfau.
Evidemment !
M. René Trégouët.
Pourquoi est-ce dommageable pour l'aménagement du territoire ? Pour des
raisons évidentes d'équité.
M. Gérard Delfau.
Bien sûr !
M. René Trégouët.
Les entreprises doivent pouvoir accéder, à même coût - ce qui ne sera pas le
cas dans le service obligatoire - à des lignes numériques, quel que soit leur
lieu d'implantation. Ces lignes RNIS sont devenues ou vont devenir très
prochainement le service de base de très nombreuses entreprises, même parmi les
plus petites. Comment expliquerons-nous qu'une entreprise installée à Aurillac
ou à Barcelonnette doive payer beaucoup plus cher qu'une entreprise de Paris ou
de Lyon pour disposer d'une ligne Numéris,...
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. René Trégouët.
... alors que très bientôt ces lignes leur seront aussi indispensables que
l'est l'électricité aujourd'hui ?
Par ailleurs, il est grand temps pour France Télécom d'amortir très rapidement
le RNIS, qui a été inventé il y a quinze ans déjà et pour lequel notre
opérateur public a réalisé d'importants investissements au cours des dernières
années.
Si nous attendons le rendez-vous dans trois ou quatre ans pour placer le RNIS
dans le service universel, il est alors à craindre que ce ne soit trop tard. En
effet, en intégrant Numéris immédiatement dans le service universel, nous
aiderions France Télécom à amortir beaucoup plus rapidement tous les
investissements déjà réalisés dans cette technologie, et nous l'inciterions à
entrer dès maintenant sur le champ où se déroulera la véritable bataille de
demain : celui des larges débits. En effet, l'explosion d'Intranet, qui est
maintenant une certitude, la montée en puissance prévisible de l'approche «
Network computer » et l'exigence de plus en plus forte des usagers de pouvoir
télécharger des images animées de haute définition sans temps d'attente vont
faire que les débits de 155 mégabits - il faut rappeler que le débit de Numéris
n'est que de 64 K - vont très vite devenir des débits standards.
En intégrant Numéris dans le service universel, nous enverrions un message
très fort à l'ensemble des équipes de France Télécom, non seulement en leur
permettant de garder la première place en France en nombre d'abonnés, mais
aussi en les incitant à rester au niveau technologique l'un des meilleurs
spécialistes mondiaux, ce qui sera très précieux demain pour France Télécom
afin de conquérir de nombreuses parts de marché au niveau international.
Abordons maintenant le second point : pourquoi est-il nécessaire d'accélérer
l'implantation du téléphone mobile sur l'ensemble de notre territoire ?
Au cours des dernières semaines, en ma qualité de rapporteur spécial des
budgets des télécommunications, de l'espace mais aussi de la recherche, j'ai
rencontré plusieurs grands acteurs qui préparent le futur paysage des
télécommunications non seulement au niveau national, mais aussi au niveau
mondial.
Ainsi, malgré l'échec aujourd'hui du lancement de notre première fusée Ariane
5, échec qui sera vite effacé, j'en suis convaincu, tant les hommes qui animent
ce programme sont compétents et passionnés, oui, malgré cet échec, de très
nombreux satellites de télécommunications seront lancés, soit en orbite
géostationnaire, soit en orbite basse, dans les prochaines années. Un très
grand nombre d'entre eux seront des satellites de télécommunications directes,
ce qui veut dire qu'avec un portable et à des coûts qui baisseront très
rapidement chacun d'entre nous, quel que soit l'endroit où il se trouvera,
pourra communiquer avec le reste du monde.
Aussi, en raison de l'urgence, il est important que nous prenions conscience
qu'il n'est plus possible de conserver le même rythme, donc les mêmes règles,
pour finir la converture de l'ensemble de notre territoire national par un
réseau de téléphonie mobile numérique.
Il faut que, au nom du Gouvernement, monsieur le ministre, vous lanciez un
défi pour que, avant l'an 2001, l'ensemble de notre territoire soit couvert par
un réseau de téléphonie mobile numérique. Si nous ne lançons pas ce défi, nous
laisserons alors largement ouverte la porte à la concurrence venant sinon des
cieux, du moins des satellites.
En effet, les réseaux satellitaires permettront des échanges internationaux
sans passer par les réseaux filaires terrestres : c'est une part non
négligeable des trafics à longue distance qui pourrait ainsi échapper aux
opérateurs couvrant le territoire français.
Je sais qu'il nous est encore difficile d'intégrer dans nos réflexions ce
réseau planétaire qui, dans quelques années, couvrira l'ensemble de la surface
de notre globe. Il nous faut pourtant bien comprendre en ce jour, alors que
nous définissons les règles qui dessineront le paysage national de nos
télécommunications, que l'avenir de nos réseaux nationaux filaires et celui de
nos réseaux téléphoniques portables sont intimement liés et totalement
complémentaires en vue de résister à l'assaut qui viendra très bientôt des
satellites.
Si la couverture de notre territoire national en ce qui concerne les appareils
portables est mitée, cela voudra dire, dans le raisonnement planétaire de
demain, qu'il sera plus facile de téléphoner à un Touareg dans le Sahara qu'à
un Basque dans les Pyrénées avec nos réseaux filaire et portable nationaux. Si
notre téléphone portable terrestre nous permet d'appeler demain à la fois le
Touareg et le Basque, alors, nous aurons gagné. Mais si, demain, seul le
portable satellitaire nous donne cette possibilité, alors oui, c'est le
téléphone satellitaire qui l'emportera.
Oui, il y a là un véritable défi, et c'est pourquoi je vous demande de
prévoir, pour le 1er octobre 1997, un grand rendez-vous, dont vous auriez la
responsabilité, monsieur le ministre, et qui permettrait à la France d'arrêter
solennellement un programme en vue de rattraper, avant le 1er janvier 2001, le
retard qu'elle a pris par rapport à la plupart de ses concurrents anglo-saxons
dans le domaine de la téléphonie mobile.
Ce défi pourrait être relevé en changeant les règles qui ont prévalu jusqu'à
ce jour. Pour couvrir les régions les moins peuplées, les opérateurs nationaux
de téléphonie portable pourraient être incités à unir leurs efforts pour
investir dans un seul réseau numérique, et non dans trois comme actuellement.
En contrepartie, les zones couvertes par ce réseau numérique unique seraient
ouvertes à l'itinérance, c'est-à-dire que, quel que soit l'opérateur choisi par
l'abonné, celui-ci pourrait accéder au réseau du téléphone mobile. Bien
entendu, pour ne pas fausser, au niveau national, les règles de concurrence,
cette itinérance ne serait possible que dans ces régions peu peuplées où les
opérateurs auraient cofinancé le réseau numérique unique.
Pour inciter les opérateurs nationaux de téléphonie mobile à couvrir
l'ensemble du territoire avant le 1er janvier 2001, les décisions prises lors
de ce grand rendez-vous d'octobre 1997 pourraient permettre à ces compagnies
d'être exonérées de certaines charges prévues par le texte dont nous commençons
l'examen aujourd'hui au sein de notre assemblée.
Je vous demande instamment, monsieur le ministre, d'accepter ce rendez-vous
d'octobre 1997 sur l'avenir du radiotéléphone mobile dans notre pays.
Ce rendez-vous aura l'avantage de ne rien coûter aux finances publiques et il
montrera au monde que la France a la volonté, sans tarder, de relever les défis
essentiels qui lui permettront d'entrer la tête haute dans le XXIe siècle.
Vous pourriez me répondre que nous pourrions attendre le rendez-vous déjà
prévu dans le texte, c'est-à-dire 1999 ou l'an 2000, pour analyser cette
situation. Je le dis avec toute ma détermination, monsieur le ministre : cette
réponse ne serait pas acceptable. En effet, il serait alors trop tard pour
définir une stratégie face aux satellites qui, en l'an 2000, seront déjà
nombreux à faire concurrence à nos opérateurs nationaux.
Nous aurions alors manqué un rendez-vous, ce qui pourrait durablement
pénaliser l'avenir de la France. Connaissant votre volonté, monsieur le
ministre, de relever les défis pour que notre pays connaisse un meilleur
avenir, je suis convaincu que vous comprendrez la volonté qui m'anime.
Pour les deux derniers que j'aborderai, je serai beaucoup plus concis.
D'abord, qui est responsable des contenus portés par les réseaux de
télécommunications ? M. le rapporteur et vous-même, monsieur le ministre, en
avez parlé voilà quelques instants, mais je voudrais ajouter quelques
réflexions complémentaires.
Quand nous savons qu'avec les moteurs de recherche de plus en plus rapides il
est possible à tout abonné à Internet d'accéder chaque jour à des millions
d'informations, nous avons bien conscience que notre droit actuel ne répond
plus à la problématique posée par le transport automatique au niveau mondial
d'un nombre sans fin de messages.
Notre réaction ne doit certainement pas être du type « dissuasion nucléaire »,
comme a essayé de le faire le président Clinton il y a quelques mois. En effet,
de nouvelles passerelles ont été immédiatement créées, qui permettent avec
autant de facilité de diffuser des messages incitant à la violence, au racisme,
à la drogue, à la pédophilie et à bien d'autres barbaries encore. Seul le pays
de résidence du serveur a changé, mais les « Cybernautes » mondiaux ont
toujours les mêmes facilités d'accès.
Par ailleurs, des logiciels ont été créés pour interdire, par exemple, toute
diffusion de messages pornographiques. Mais nous arrivons alors à l'excès
inverse dont les seuls juges sont les ordinateurs : les congrès de médecins ne
peuvent plus parler de cancer du sein sur le réseau mondial car, bêtement -
oui, il faut bien le savoir, les ordinateurs sont des machines bêtes - car
bêtement, disais-je, l'ordinateur classe ce congrès comme étant une démarche
pornographique. La réponse ne peut être que de bon sens.
Il faut profiter de la prochaine réunion du G 7, qui doit avoir lieu à Lyon
dans quelques jours, pour que les chefs d'Etat décident la mise en place d'une
autorité morale planétaire qui, dans ce domaine des réseaux, pourrait interdire
telle ou telle source d'information.
Je pense que c'est à ce niveau qu'il faut placer la réflexion. Il faudrait
qu'une synergie se place entre le niveau mondial et le niveau national, comme
vous l'avez proposé tout à l'heure. Je pense qu'il faut établir des synergies
entre ces deux niveaux parce que c'est important pour l'avenir.
Enfin, dernier point : comment préparer les Français à exercer les métiers de
demain par l'acquisition de savoirs nouveaux grâce aux outils modernes de
télécommunication ?
J'ai déjà eu l'occasion, à plusieurs reprises, de définir de façon générique
ce que seront les métiers de demain : le métier de demain sera d'ajouter du
savoir à un signal.
Depuis le début de ce débat nous parlons de signal de qualité auquel devrait
avoir accès tout Français quel que soit son lieu de résidence.
Mais, pour exercer ce métier de demain, il faudra aussi détenir les savoirs
qui permettront d'enrichir ce signal qui parcourra le monde à la vitesse de la
lumière.
Or la plus grande des injustices de demain serait de ne pas permettre un accès
au savoir de même qualité quel que soit le lieu de résidence de nos enfants sur
le territoire national. A ce jour, un enfant du monde rural profond a, selon
des études sérieuses, cent fois moins de chance qu'un élève résidant à moins de
500 mètres d'une classe de taupe célèbre de devenir un jour ingénieur ou
docteur - je ne parle pas d'énarque.
La matière première de demain, certains disent le pétrole de demain, sera le
savoir. Aussi, il est nécessaire que les moyens d'accès au savoir grâce aux
nouvelles technologies de télécommunications soient diffusés sur l'ensemble de
notre territoire.
C'est pourquoi je soutiens totalement l'initiative prise par la commission des
affaires économiques et son excellent rapporteur M. Gérard Larcher, et tendant
à favoriser la connection des écoles, des collèges, des régions rurales et
urbaines les plus défavorisées aux réseaux modernes de télécommunications. La
semaine prochaine, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'évolution du
statut de France Télécom, je ferai une proposition en ce sens. En effet, je
pense que France Télécom peut devenir un acteur privilégié pour mettre en
oeuvre sur le plan technologique cette priorité d'accès au savoir à l'échelon
national.
Avant de conclure, je voudrais me tourner vers deux hommes qui sont présents
dans cet hémicycle et qui ont joué un rôle tout à fait singulier dans la
compréhension et la conduite du texte que nous examinons aujourd'hui et du
projet de loi que nous étudierons la semaine prochaine.
Je voudrais tout d'abord m'adresser à vous, monsieur Gérard Larcher, vous qui
êtes aujourd'hui le rapporteur du présent projet de loi. Le rapport que vous
avez publié en mars dernier fait honneur à notre assemblée. Il dresse un
constat pertinent de la situation des télécommunications dans le monde et
propose une démarche cohérente et pragmatique pour mieux préparer l'avenir de
notre opérateur national.
Enfin, pour conclure, permettez-moi de m'adresser à vous, monsieur le
ministre. Voilà quelques mois seulement, nombreux étaient ceux qui
considéraient que la France ne trouverait pas la voie pour être prête en temps
utile pour affronter, le 1er janvier 1998, la libéralisation des
télécommunications.
Sous l'autorité du Premier ministre, vous avez su, dans la transparence, mais
aussi avec détermination, éclairer le chemin qui doit mener jusqu'au nouveau
statut de France Télécom. Vous avez agi avec un grand savoir-faire. Vous avez
défini une méthode et, sans jamais faillir, vous avez suivi le cap que vous
vous étiez fixé. Cette démarche vous fait honneur et je suis convaincu que tous
- même si, aujourd'hui, certains disent encore le contraire - vous sont
reconnaissants d'avoir tenu à définir les règles du jeu, ce que nous allons
faire avec ce texte avant que notre grande équipe nationale entre sur un
terrain où, malheureusement, trop souvent, tous les coups sont permis.
C'est à l'honneur du Gouvernement. Aussi, au nom du groupe du Rassemblement
pour la République, je suis heureux de vous dire que nous vous apporterons
notre total soutien.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous
le savez, d'ici au 1er janvier 1998, tous les Etats membres de l'Union
européenne devront ouvrir à la concurrence le secteur des télécommunications.
La France doit respecter ses engagements européens pris par les gouvernements
successifs, quelle que soit leur sensibilité. Je pense en particulier à la loi
de 1990. Cependant, justifier ce projet de loi uniquement par cette nécessité
juridique est réducteur de l'enjeu réel. En effet, cette libéralisation des
télécommunications est le résultat d'un long processus lié à l'évolution des
technologies, processus qui est d'ailleurs non seulement européen mais
mondial.
Dans le passé, l'exploitation des télécommunications était soit un monopole
d'Etat, soit, comme aux Etats-Unis, un monopole d'industrie. Plusieurs causes
expliquaient leur existence. Entre autres éléments, figuraient l'importance des
transmissions militaires et l'investissement très lourd des infrastructures.
Depuis, l'évolution des techniques et la mondialisation de l'économie ont
engendré une situation d'abondance de services et une demande croissante,
notamment de la part des entreprises. Désormais, le marché des
télécommunications est porteur. Il repose sur des investissements importants.
Les entreprises privées ont la volonté de financer le développement de ce
secteur d'avenir. Encore faut-il que le cadre réglementaire s'y prête.
C'est ainsi que, depuis les années quatre-vingt, les monopoles sont bousculés
par la déréglementation. Cette dernière expression désigne non pas la
suppression de toute réglementation, comme certains tentent de le faire croire,
mais la mise en place de nouvelles règles.
C'est dans ce contexte international et européen que s'inscrit ce projet de
loi qui met fin au monopole de France Télécom, propulsant ainsi au premier plan
le problème de l'équilibre à trouver entre le secteur public et le secteur
privé.
Ce monopole, conforme à l'environnement international de l'époque, a permis à
France Télécom de se développer et de devenir le quatrième opérateur de
téléphonie du monde. La mise en concurrence ne sanctionne donc nullement un
échec.
Le projet de loi n'a pas pour objectif de faire régresser France Télécom. Au
contraire, la préservation de son futur nécessite de l'adapter à un
environnement qui a changé. Les nouvelles technologies, comme les satellites,
se jouent désormais des frontières et des monopoles nationaux. Les nouvelles
techniques permettent aux opérateurs étrangers de concurrencer France Télécom
sur les communications internationales. Les tarifs qu'ils proposent sont
d'autant plus avantageux que le coût de la transmission satellitaire dépend peu
de la distance.
En conséquence, la vérité des prix affecte France Télécom, qui devra baisser
ses tarifs internationaux. Or, le fondement même de sa rentabilité financière
repose sur des tarifs internationaux anormalement élevés actuellement pour
compenser des prix d'abonnement historiquement bas.
Cette réalité incontournable des nouvelles technologies s'impose à France
Télécom, et ce quel que soit le gouvernement au pouvoir.
M. Michel Pelchat.
Très bien !
M. Roland du Luart.
Quelle position adopter face à cette réalité ? Certains proposent le
statu
quo.
Outre le fait que ce serait contraire à notre engagement européen,
nous n'aurions rien à gagner au fait que notre cadre réglementaire empêche
l'implantation de nouveaux opérateurs sur notre territoire : ces derniers
n'investiraient pas chez nous et concurrenceraient France Télécom de
l'extérieur, ce qui serait sans doute encore plus redoutable.
Nous devons accepter la réalité de cette concurrence et faire en sorte qu'elle
s'opère dans le sens de l'intérêt général. Le projet de loi qui nous est
présenté aujourd'hui répond à cet objectif.
La nouvelle réglementation anticipe sur le problème du déséquilibre des tarifs
de France Télécom. Le milieu concurrentiel lui impose une adaptation. Afin de
rendre acceptables les hausses du prix de l'abonnement à nos concitoyens, le
projet de loi prévoit un rééquilibrage progressif qui sera cofinancé par les
concurrents de France Télécom.
Il était nécessaire, comme l'ont fait les députés, de déterminer la date à
laquelle cette contribution additionnelle cessera, car les règles qui
s'imposeront aux nouveaux entrants doivent être précises.
Cette loyauté vis-à-vis des nouveaux opérateurs nécessite aussi de leur donner
des garanties pour que le monopole de droit ne soit pas remplacé par un
monopole de fait leur interdisant l'accès aux réseaux par des barrières
techniques ou tarifaires. Une directive européenne exige que le système de
régulation soit indépendant vis-à-vis des opérateurs.
Le Gouvernement a fait le choix politique que l'Etat demeure l'actionnaire
majoritaire de France Télécom. Par conséquent, l'Etat ne pourrait pas être le
régulateur sans faire courir un risque certain de suspicion, et ce d'autant que
France Télécom sera en position dominante.
Nous soutenons donc la création de l'autorité de régulation des
télécommunications, qui pourra de façon indépendante régler les litiges d'accès
aux réseaux.
La volonté de promouvoir la concurrence a pourtant une limite : celle de
maintenir notre tradition du service public.
Si le projet de loi tient compte de la réalité internationale, l'aménagement
de notre territoire n'est pas pour autant oublié.
Le Gouvernement a pris la précaution nécessaire d'inscrire dans le texte la
définition du service public et son financement, préservant ainsi les acquis
d'aujourd'hui.
Le service universel du téléphone n'est pas un service minimum. Il correspond
au monopole actuel de France Télécom, ni plus ni moins. Demain comme
aujourd'hui, c'est l'Etat qui fixera les tarifs et France Télécom qui assurera
le service. L'originalité est de demander une contribution financière à tous
les opérateurs pour couvrir les coûts de ce service universel.
Peut-être aurait-on pu être plus ambitieux encore, en ajoutant dès à présent
des applications comme la télé-éducation ou la télé-santé.
L'essentiel est que le contenu du service universel n'est pas figé dans le
temps : sa révision est prévue tous les cinq ans, ce qui permettra de procéder
aux ajouts nécessaires pour tenir compte des changements technologiques et des
besoins. Vu la rapidité de ces évolutions, il me semble plus judicieux de
retenir une durée de révision plus courte, comme le suggère le rapporteur de la
commission des affaires économiques, notre ami M. Gérard Larcher.
Monsieur le ministre, vous avez trouvé, dans ce projet de loi, un bon
équilibre entre la concurrence internationale qui s'impose et la volonté de
maintenir notre service public.
Je me réjouis par ailleurs de l'examen par le Sénat, la semaine prochaine, du
projet de loi relatif au statut de France Télécom. Nous ne pouvons plus
retarder davantage cette réforme sans lui porter préjudice face à ses
concurrents internationaux.
Le groupe des Républicains et Indépendants votera ces textes qui nous
paraissent, dans les circonstances actuelles, indispensables pour la nation.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Cluzel.
M. Jean Cluzel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mettre fin
au monopole public sur la téléphonie entre points fixes et mettre en place une
régulation indépendante du Gouvernement constituent les deux axes de ce projet
de loi. Ce texte va donc dans le bon sens pour renforcer l'économie de
l'audiovisuel.
L'autorisation donnée au service des télécommunications d'emprunter les
réseaux câblés permettra d'éviter un gaspillage des ressources d'investissement
dont disposent les acteurs économiques. La rémunération versée par le
fournisseur de service aux câblo-opérateurs devra couvrir les prestations
fournies autres qu'audiovisuelles. Il s'agit là d'une excellente formule de
notre rapporteur M. Gérard Larcher, dont il faut souligner la qualité et la
minutie du travail dans un domaine qu'il connaît parfaitement bien.
L'agence nationale des fréquences radio-électriques pourra percevoir des
redevances d'usage définies par les lois de finances successives. En décembre
1995, je m'étais prononcé en faveur d'une telle mesure, qui va constituer une
véritable révolution dans le domaine audiovisuel. Elle était, hélas ! monsieur
le ministre - et vous le savez mieux que quiconque - passée pratiquement
inaperçue. Cette mesure devra cependant respecter l'égalité entre opérateurs
publics et opérateurs privés.
La libéralisation du secteur des télécommunications s'inscrit - nous le savons
les uns et les autres, et certains, ce soir, l'ont regretté - dans un mouvement
international de déréglementation qui favorise la dérégulation. Si ce concept,
d'origine anglo-saxonne, a bénéficié d'un terreau juridique favorable en
Grande-Bretagne, il a aussi touché la France avec, dans les années 1985-1986,
le passage du monopole d'Etat à l'économie de marché dans le secteur de la
radio-télévision.
L'une des principales différences entre la régulation nord-américaine et la
régulation européenne tient à la séparation organique et fonctionnelle qui
existe en Europe entre la régulation du secteur des télécommunications et celle
de l'audivisuel.
La tentation pourrait être grande de créer chez nous une instance de
régulation unique ; d'ailleurs, pour tout vous avouer, monsieur le ministre,
mes chers collègues, j'ai été un peu tenté par cette formule. Mais il est trop
tard pour mettre en place dans notre pays une autorité comparable à l'autorité
américaine. Notre histoire juridique du droit des télécommunications et de
l'audiovisuel s'y oppose.
Par conséquent, l'examen de ce projet de loi doit être l'occasion - tous les
orateurs, me semble-t-il, se sont heureusement livrés à cet exercice - de mieux
préciser la frontière entre audiovisuel et télécommunications et, partant,
entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et les nouvelles instances de
régulation qui vont être créées.
Je voudrais essayer de mieux préciser la frontière existant entre audiovisuel
et télécommunications.
Services et supports de communication audiovisuelle, d'une part, et de
télécommunications, d'autre part, sont aujourd'hui soumis à deux régimes
juridiques fondamentalement différents, sous l'égide d'une instance
indépendante, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, d'un côté, et d'un service
ministériel, la direction générale des postes et télécommunications de l'autre.
Cet après-midi, monsieur le ministre, dans votre excellent propos, vous avez
d'ailleurs énoncé toutes les autorités indépendantes qui ont été créées depuis
un certain nombre d'années.
Le fondement de l'action du Conseil supérieur de l'audiovisuel réside dans la
mise en oeuvre et la sauvegarde de tels principes. Certains - sachons-le bien,
mes chers collègues - sont de valeur constitutionnelle, tel le pluralisme des
courants d'expression socio-culturels ou politiques. Le Conseil supérieur de
l'audiovisuel est indépendant du pouvoir politique, alors que le juge
administratif le contrôle. Cette logique s'oppose à celle de la direction
générale des postes et télécommunications, c'est-à-dire à un mode de
fonctionnement lié au Gouvernement.
Mais la déréglementation des supports de télécommunications, postérieure à
celle des supports de communication audiovisuelle, se caractérise par sa très
grande rapidité autant que par son ampleur.
La différence est tout aussi remarquable pour les services. En effet, les
services de communication audiovisuelle restent fortement réglementés,
cependant que les services de télécommunications ne sont soumis à aucune règle
de contenu, ainsi que notre ami M. Trégouët y faisait allusion à l'instant
même.
Dès lors, on comprend qu'il est primordial de définir avec précision les
critères permettant de rattacher un service donné soit à la communication
audiovisuelle, soit aux télécommunications.
A cet égard, les réglementations relatives à la communication audiovisuelle et
aux télécommunications reposent traditionnellement, d'une part, sur le
caractère de la correspondance privée ou non, et, d'autre part, sur la
communication vers le public de l'émission.
Au surplus, en droit français, le support de diffusion utilisé ne présuppose
pas le régime applicable au service diffusé. En revanche, la nature
audiovisuelle du service entraîne l'application de la loi du 30 septembre 1986.
Celle-ci légitime l'intervention du Conseil supérieur de l'audiovisuel, alors
que le caractère de correspondance privée du service le soumet à la compétence
de la direction générale des postes et télécommunications.
Partout dans le monde, cette frontière s'estompe sous l'effet conjugué d'une
double évolution : l'apparition de services d'une nature nouvelle et
l'utilisation indifférenciée de l'ensemble des supports de communication
existants.
Ces nouveaux services - tout le monde en parle et ils ont longuement été
évoqués cet après-midi et ce soir - sont le paiement à la séance, la vidéo à la
demande, les services interactifs sur sites ou sur réseaux.
Ils entrent difficilement dans seulement l'un ou l'autre de ces deux régimes.
En bref, ils jouissent d'une double nature : ils ont un aspect de
correspondance privée indéniable en ce qui concerne l'échange de données
personnalisées, tel que l'acte d'achat ; en revanche, dans la plupart des cas,
la présentation des produits est bien destinée à un large public, ce qui les
fait ainsi relever de la communication audiovisuelle.
En matière de support, la compression numérique fait progressivement
disparaître la logique législative, qui nous est chère et sur laquelle nous
avons fondé toute notre action pendant des décennies, de gestion de la rareté
des ressources sur tous les supports. Or l'architecture de la loi du 30
septembre 1986 est fondée sur le triptyque « un programme - une fréquence - un
service ». Elle devra donc être révisée aussitôt que possible, afin de mettre
en place un régime où la régulation des services primera sur la gestion des
supports. Il s'agit là, me semble-t-il, d'un point essentiel de notre débat.
On doit également s'attendre, sous l'effet de la compression numérique, à une
utilisation de plus en plus indifférenciée des supports de diffusion.
Si, depuis longtemps, les satellites de télécommunications sont utilisés à des
fins de communication audiovisuelle, on va bientôt assister à une montée en
puissance des services de télécommunications sur les réseaux câblés autorisés
par le Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Il en sera ainsi de la téléphonie vocale entre points fixes qui pourra être
offerte par les câblo-opérateurs en Europe après 1998. Il en sera de même de
l'utilisation des réseaux de télécommunications par des services de
communication audiovisuelle, comme la vidéo à la demande, et, cette fois-ci,
sur les réseaux autorisés par la Direction générale des postes et
télécommunications.
Ce rapprochement indéniable des services et des supports, prévisibles à court
terme, plaide incontestablement en faveur d'une actualisation des pouvoirs du
CSA ; il s'agira du deuxième point de mon intervention.
A moyen terme, certaines des compétences actuelles du CSA vont se trouver
atténuées par l'évolution de la technologie.
Premièrement, les quotas de diffusion et obligations de production semblent
menacés, en particulier dans leur application aux nouveaux services.
Deuxièmement, le régime d'autorisation devra prendre en compte la
multiplication des capacités de diffusion.
Nous en avons eu l'exemple ces temps-ci, mes chers collègues, avec le premier
bouquet numérique de Canalsatellite, qui sera suivi dans quelques mois par le
deuxième bouquet de France-Télévision et de TF 1, puis peut-être par un
troisième bouquet d'ici à la fin de l'année, celui d'AB Productions.
Enfin, plus généralement, la logique de la loi, pour l'action même du CSA,
fondée sur la gestion de la rareté des ressources de diffusion s'en trouvera
nécessairement modifiée.
Une classification opératoire entre services de communication audiovisuelle et
services de télécommunications doit donc être affirmée.
Pourtant, aucune classification opératoire n'a été à ce jour définie et cette
question semble abordée sans cohérence apparente à l'échelon international. Je
pense, non pas à vous, monsieur le ministre, mais à l'ensemble des services de
notre pays. C'est la raison pour laquelle la réflexion ne me paraît pas
suffisamment approfondie.
Pour ne prendre qu'un exemple, le téléachat est soumis aux dispositions de la
directive « télécommunications » du 28 juin 1990. Or la législation française,
comme les autres législations européennes, régit l'activité du téléachat comme
dépendant de la communication audiovisuelle, tout en y appliquant des règles
particulières relatives à la protection du consommateur.
Quelle approche alors envisager ?
Tout d'abord, il faut savoir que certains de ces « nouveaux services »
nécessiteront un micro-ordinateur, tels les services accessibles sur Internet,
d'autres un simple téléviseur, comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre,
notamment cet après-midi dans votre exposé.
La nature du terminal de réception n'influe donc pas sur la nature du service
véhiculé ou sur la nature du contrôle auquel le service est soumis, autre idée
sur laquelle il me semble nécessaire d'insister. Ainsi, le programme de TF 1
devenant accessible sur micro-ordinateur demeure un programme de communication
audiovisuelle et, à ce titre, continue à relever de la compétence du CSA.
Deux critères primordiaux pourraient être retenus pour définir clairement la
frontière entre les services qui devront relever du régime de la communication
audiovisuelle et ceux qui ne seront soumis qu'aux règles relatives aux
télécommunications : d'une part, le caractère de destination du message au
public en général ou à une catégorie de public ; d'autre part, le contenu des
messages transmis, qui ne doit pas revêtir le caractère de correspondance
privée.
Une approche à partir du seul contenu du programme ne peut donc être retenue
dans la mesure où elle permet toutes les interprétations possibles.
Cette approche semble être la seule opératoire, les critères objectifs ainsi
posés permettant de couvrir l'ensemble des cas de figure.
Les compétences du CSA ne doivent pas seulement être actualisées, monsieur le
ministre, elles doivent avant tout être préservées.
J'en arrive au dernier point de mon intervention : préserver les compétences
du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
L'autorité du CSA pourrait se voir affaiblie par les deux instances que le
projet de loi se propose de créer. Pour éviter toute tutelle technique,
l'agence nationale des fréquences devra donc respecter les attributions du
CSA.
Quant aux compétences de l'autorité de régulation des télécommunications,
l'ART, elles ne devront pas chevaucher celles du CSA.
C'est pourquoi, monsieur le rapporteur, je me réjouis de l'amendement tendant
à supprimer l'article 11
bis
introduit par l'Assemblée nationale et qui
entendait confier à l'ART l'attribution de certaines fréquences de transmission
actuellement gérées par le CSA.
Je sais, monsieur le ministre, qu'il s'agit d'un problème important, et, sur
ce point précis, nous devrions aboutir à un bon accord entre le Gouvernement et
les deux assemblées pour que les choses soient parfaitement claires et
qu'aucune obscurité ne subsiste dans ce domaine.
Mais, au-delà, en raison des évolutions que j'évoquais à l'instant, ne
risque-t-on pas de s'orienter vers une cohabitation difficile entre les deux
instances - l'une pour la régulation
a posteriori
des contenus, le
Conseil supérieur de l'audiovisuel, l'autre pour la réglementation des
infrastructures, cette fameuse autorité de régulation des télécommunications -
ce qui serait en contradiction avec l'esprit de la loi de 1986 ?
Ce problème risque de se poser même si l'on tient compte - et l'on doit en
tenir compte - de l'évolution technologique, caractérisée par un mouvement de
convergence des télécommunications et de la communication audiovisuelle !
Or la philosophie de ces deux instances est fort différente.
L'autorité de régulation des télécommunications serait principalement chargée
de déréglementer ce secteur, en application des directives communautaires qui
prévoient une libre concurrence à compter du 1er janvier 1998.
Mais le CSA, lui, a pour fonction de réguler le contenu des services
audiovisuels. On peut donc naturellement imaginer que, grâce aux progrès de la
technologie numérique, le rôle du CSA se concentrera sur la seule régulation du
contenu et la sauvegarde indispensable du pluralisme.
La réglementation audiovisuelle devrait donc conserver un caractère universel
pour être appliquée à l'ensemble des services de communication audiovisuelle,
quel que soit le support concerné.
De toute façon, monsieur le ministre, mes chers collègues, les lacunes et les
imperfections, bien normales dix ans après la loi de 1986, doivent, à très
court terme - j'insiste sur l'échéance - conduire le législateur à procéder à
d'indispensables retouches dans le sens de l'actualisation.
En conclusion, sachez, monsieur le ministre, que, compte tenu du contexte de
crise de l'audiovisuel public que nous vivons depuis quelques semaines et des
nécessaires réformes, tant pour son organisation que pour son financement, le
Sénat souhaite de telles modifications.
En définitive, c'est à une réflexion d'ensemble et à des décisions cohérentes
que ce texte nous appelle les uns et les autres. Le Sénat et le Gouvernement
sauront répondre à cet appel.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous
débattons au Parlement du devenir de France Télécom, mais, dans le pays,
l'heure est aussi à la réflexion et à l'action pour la défense de cet opérateur
public : des dizaines de milliers de salariés sont mobilisés pour la défense de
leur entreprise et pour la sauvegarde et le développement du service public des
télécommunications et nous voulons, ce soir, saluer leur lutte.
Ouviers, employés, cadres, techniciens, chercheurs en télécommunication, c'est
à eux, à leur intelligence, à leur travail, que nous devons les performances
techniques remarquables qui ont permis de faire fructifier les investissements
publics et de doter notre pays de l'un des meilleurs réseaux de
télécommunications au monde.
Ils ont construit la réussite économique et financière de l'opérateur public.
Il s'agit d'une corporation de haute conscience professionnelle au service
d'une grande technicité.
Ce sont eux les modernes et c'est en comptant sur eux, sur leurs compétences
et sur leur dévouement au service du public que l'on peut imaginer et bâtir les
réseaux de télécommunications du futur.
Nous serons plus sévères pour les serviteurs de la haute finance
internationale qui cherchent à s'accaparer les créneaux les plus rentables du
secteur des télécommunications.
Monsieur le ministre, vous prétendez que la remise en cause du service public
serait techniquement et politiquement inéluctable. Vous prétendez également
qu'elle aurait fait l'objet d'une vaste concertation.
En réalité, nous savons bien, et avec nous tous les agents de France Télécom,
qu'il n'en est rien.
Vous me permettrez de vous rappeler, monsieur le ministre, que l'expression «
se concerter » a un sens très précis : elle signifie s'entendre pour agir de
concert.
Vous noterez, mes chers collègues, que les grèves et manifestations qui se
sont déroulées aujourd'hui dans tout le pays ne résultent pas d'une quelconque
entente pour agir de concert avec les salariés.
Vous vous êtes refusé, monsieur le ministre, à retenir les points de vue
exprimés par la CGT, SUD-PTT, FO ou la CFDT, ainsi que celui de la CFTC,
organisations qui représentent la quasi-totalité des agents de l'entreprise
publique et qui appelaient aujourd'hui à l'action contre vos deux projets de
loi.
Le seul point de vue retenu est celui du CNPF qui, soit dit en passant, joue
ainsi un bien mauvais tour aux entreprises, notamment aux PME, qui ne sont pas
actuellement situées à proximité immédiate des grands réseaux de
télécommunications.
La concertation avec les parlementaires que nous sommes a, elle aussi, été
réduite au minimum puisque la commission des finances, dont je suis membre, ne
s'est même pas saisie de votre projet de loi.
Avec ses 150 000 agents et le monopole qui est le sien, France Télécom
rapporte annuellement un bénéfice de près de 10 milliards de francs et assure
35,8 milliards de francs d'investissements.
Le devenir d'un tel secteur financier ne valait-il pas un débat et un avis de
la commission des finances ?
Monsieur le ministre, vos deux textes préparent et organisent la privatisation
des principales activités et de la moitié du capital de l'opérateur public. Ils
ne répondent en fait - vous le savez bien - qu'à des considérations purement
idéologiques qui vous conduisent à livrer l'activité des télécommunications aux
intérêts privés et de le faire au plus vite pour tenter d'éviter les
difficultés que le marché boursier a connu pour absorber les précédentes
privatisations.
On dirait que vous craignez de voir cette privatisation rendue impossible du
fait de l'occupation du marché boursier par Deutsche Telekom, qui sera
privatisée à l'automne. Ne voulez-vous pas ainsi profiter des vacances
estivales pour démanteler le service public des télécommunications et en
privatiser les activités les plus rentables ?
Il semble déjà bien loin le temps où M. Juppé affirmait son intention de faire
inscrire une définition d'un service public dans la Constitution, voire au
frontispice du traité de Maastricht à l'occasion de la conférence
intergouvernementale qui, je le rappelle, se tient actuellement.
Qu'il semble loin le temps où M. le député Borotra prétendait vouloir défendre
le service public et nous gratifiait d'un rapport parlementaire dans lequel il
parlait « des méfaits du credo libre-échangiste de la Commission » et où il
affirmait que « les propositions de la Commission européenne en matière de
télécommunications menaçaient l'accès de tous au téléphone », ajoutant que ce «
projet fondé sur l'article 90-3 du traité était inacceptable tant pour des
raisons de principe, de base juridique, que pour des raisons de fond ».
M. le député Borotra s'exprimait ainsi le 6 octobre 1995, à peine quelques
semaines avant qu'il ne devienne M. le ministre Borotra. Aujourd'hui, on
comprend ses réticences à venir s'expliquer. Les conclusions que tirait alors
M. le député ne seraient-elles plus valables aujourd'hui ?
Certes, les traités européens successifs privilégient les notions de marché et
de liberté de la concurrence et n'accordent qu'un statut d'exception aux
services publics ; c'est même l'un de leur principal défaut. Il convient
cependant de considérer que la notion de service économique d'intérêt général,
qui recouvre l'essentiel de la conception française des services publics,
figure à l'article 90 du traité de Rome toujours en vigueur.
Je vous ferai également observer que la notion de service public apparaît
textuellement à l'article 77 du traité précité qui dispose que « les aides
correspondant au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion
de service public sont compatibles avec le traité ».
Même modifiés par celui de Maastricht, les articles 2 et 3 de ce traité
indiquent que la construction européenne doit se faire notamment par un progrès
économique et social équilibré, durable, et par l'approfondissement de la
cohésion économique et sociale, de la citoyenneté européenne, de la solidarité,
de la réalisation de réseaux transeuropéens, de la protection des
consommateurs.
C'est en tenant compte de cela, et aussi sur la base de l'article 90-2, que la
Cour européenne de justice a reconnu en 1992 et 1993 dans ses arrêts Corbeau,
concernant l'acheminement du courrier, et commune d'Almelot, concernant la
distribution d'énergie électrique, que des entreprises chargées de missions
particulières de type service public pouvaient déroger aux règles de la
concurrence : cela implique que le maintien des monopoles publics n'est pas
contradictoire avec les traités européens en vigueur.
Nous affirmons que la Commission, avec des directives outrancières, outrepasse
ses droits. La référence à l'article 85 et aux suivants est abusive en la
matière et ne peut pas s'appliquer systématiquement.
J'ajouterai même que la Commission le fait, hélas, d'autant plus facilement
que le conseil des ministres européen n'a cessé de l'encourager dans cette voie
qui creuse jour après jour le fossé qui existe entre la construction européenne
et les Européens eux-mêmes.
Les gouvernements français qui se sont succédé depuis dix ans aux affaires
portent assurément la lourde responsabilité d'avoir laissé passer ou impulser
les situations pour parvenir à la plus insupportable qui aboutit aujourd'hui à
la remise en cause des entreprises publiques et des conditions de réalisation
du service public et à sacrifier l'emploi et le développement économique aux
appétits de quelques grands groupes économiques et financiers
internationaux.
Nous considérons, pour notre part, que les activités qui concourent à
l'intérêt général et qui, par conséquent, sont décisives pour le développement
économique et social, doivent être prioritairement exercées par des entreprises
dont la recherche du profit ne doit pas être le moteur.
Nous ne pouvons en aucune manière accepter l'évolution dangereuse que nous
propose le Gouvernement en matière de télécommunications et nous nous
opposerons donc résolument à ce texte.
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur le stravées
socialistes.)
M. le président.
La suite de la discussion du projet de loi de réglementation des
télécommunications est renvoyée à la prochaine séance.
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