M. le président. M. Dominique Leclerc souhaite attirer l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la recherche sur les inquiétudes des chercheurs français à l'égard des mesures qui ont été récemment prises afin d'assainir la situation du Centre national de la recherche scientifique, CNRS. Ces derniers craignent effectivement que ces restrictions budgétaires ne viennent compromettre la réussite de certains programmes européens en cours dont des laboratoires français sont les coordonnateurs, et ne découragent les jeunes qui se sont orientés vers la recherche. C'est pourquoi il lui serait reconnaissant de bien vouloir lui faire connaître les mesures qu'il envisage de prendre afin d'assurer une certaine stabilité à la politique de recherche française. (N° 391.)
La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Monsieur le ministre, les récentes mesures de rigueur budgétaire et d'assainissement financier appliquées depuis le début de l'année par la direction du CNRS provoquent de sérieuses difficultés de gestion dans les différentes unités de recherches et inquiètent les chercheurs.
Dans une période de restriction budgétaire, il est certes indispensable de concentrer les efforts et de procéder à des arbitrages.
Cependant, la recherche doit rester une priorité pour le Gouvernement et pour notre pays. Comme l'a clairement affirmé M. Jacques Chirac lors de la campagne présidentielle, « la recherche constitue un enjeu majeur dans notre pays ; elle détermine notre compétitivité économique, notre niveau d'emploi, notre indépendance ». En fait, la recherche doit être considérée dans sa globalité. Là aussi, l'évolution, s'il y a, doit être programmée.
Aujourd'hui, la recherche repose sur des protocoles qui nécessitent une continuité dans le maintien des objectifs sur plusieurs années ; il en est ainsi, par exemple, des études sur la cartographie du génome humain. On ne peut soumettre ces équipes de chercheurs reconnus à des aléas financiers qui pourraient remettre en cause leur efficacité et leur participation à des programmes internationaux.
Par ailleurs, monsieur le ministre, permettez-moi d'appeler votre attention sur la situation des jeunes chercheurs, si nous ne voulons pas voir les meilleurs d'entre eux partir pour l'étranger. Il est admis communément que le meilleur niveau de créativité des chercheurs se situe entre vingt-cinq ans et quarante ans. Après cet âge, on peut imaginer qu'il s'agit plus de l'organisation de la créativité. On ne peut donc fragiliser leur statut de recherche, le CR 2, par des bourses postdoctorales prolongées. Aussi, monsieur le ministre, je vous serais reconnaissant de bien vouloir m'indiquer comment vous comptez restructurer le CNRS et les mesures que vous entendez prendre afin de mieux définir les objectifs de la recherche, pour que la continuité des programmes soit assurée et pour que la France reste l'un des leaders de l'innovation scientifique.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Roger Romani, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, le Gouvernement est très heureux que vous ayez posé cette question orale. Cela lui permettra en effet de faire le point à la fois sur la situation financière du CNRS à laquelle vous avez fait allusion et sur la priorité de la recherche.
Je voudrais tout d'abord souligner à quel point la situation financière du CNRS était - je pèse mes mots - dégradée, pour ne pas dire catastrophique.
Dans le souci que je qualifierai avec beaucoup de gravité de « démagogique » d'afficher des taux de progression flatteurs, nos prédécesseurs socialistes ont fait des promesses financières irréalistes, qu'ils n'ont pas tenues : de 1991 à 1993, les gouvernements socialistes ont certes tenu des discours sur l'importance de la recherche, mais ils ont berné les chercheurs en leur signant des autorisations d'engagement de dépenses qu'il était impossible de couvrir en crédits frais.
C'est ainsi que l'écart entre les crédits de paiement et les autorisations de programme accordées par les précédentes directions générales de l'organisme - je m'adresse ici à des gens avertis et compétents, à des gestionnaires de collectivités - a pu atteindre un milliard de francs à la fin de l'année 1994.
Pour ce qui concerne l'ensemble du budget civil de la recherche et du développement, cet écart cumulé entre autorisations de programme et crédits de paiement s'élevait à 9 milliards de francs ! Comme vous le voyez, les chiffres sont parlants !
Les laboratoires n'ont jamais, durant ces années, été réellement informés de l'écart grandissant entre les autorisations de programme et les crédits de paiement. Ils n'ont cependant pas utilisé entièrement les droits à engager les dépenses dont ils disposaient, et il les ont stockés.
C'est pour identifier ces autorisations de programme anciennes non utilisées, autorisations de programme qu'il n'est ni nécessaire ni justifié de couvrir en crédits de paiement, et pour permettre une gestion transparente sur des bases assainies, que la direction générale du CNRS a procédé à une remise à plat des crédits stockés par les laboratoires. Elle a opéré une remontée complète de l'ensemble des autorisations de programme présentes dans les laboratoires, accompagnée d'une nouvelle délégation d'autorisations de programme. Celle-ci a donné lieu à des discussions approfondies entre la direction générale et les directeurs de laboratoire.
Pour répondre à votre préoccupation, monsieur le sénateur, je peux souligner qu'une priorité a été donnée à la délégation aux laboratoires de crédits permettant, en 1995, de respecter les engagements contractuels pris au nom du CNRS. Les crédits sur programmes correspondant à des opérations pluriannuelles ont aussi été renotifiés aux laboratoires.
Dans cette affaire, la préoccupation constante a été de privilégier le fonctionnement courant des laboratoires. Le bilan final de cette opération vérité est que les moyens des laboratoires, hors actions sur programmes, progressent globalement de 0,4 p. 100 entre 1995 et 1996 ; les deux tiers des unités du CNRS ont vu leur dotation de moyens de base, en 1996, comprise entre 90 p. 100 et 100 p. 100 de leur dotation de 1995. A cela viendront s'ajouter les dotations en crédits de programmes qui ne sont pas encore notifiées.
Pour la quasi-totalité des laboratoires, les responsables ont géré de façon sage et précautionneuse - il faut le dire - les fonds qui étaient mis à leur disposition. J'insiste, monsieur le sénateur. Ce ne sont donc pas les directeurs de laboratoire qui sont à l'origine de la crise financière actuelle du CNRS. Le Gouvernement tient à leur rendre hommage, dans la situation délicate actuelle, pour leur sens des responsabilités et du bien commun.
Vous avez également évoqué les priorités de la recherche, et vous avez eu raison.
En ce qui concerne l'atout décisif que représente notre appareil national de recherche publique, c'est-à-dire les organismes et les universités, je voudrais donner quelques axes qui doivent déterminer les options difficiles que le budget nous impose.
Il faut achever l'effort d'assainissement financier entrepris : rattrapages progressifs en crédits de paiement, ultimes ajustements en dépenses ordinaires, en particulier crédits de personnel du CNRS.
Il faut privilégier les moyens de fonctionnement des laboratoires ; cela doit nous amener à faire preuve d'une rigueur particulière sur les frais de structure des organismes.
Il faut privilégier le rajeunissement dans les laboratoires en assurant un recrutement suffisant de jeunes chercheurs qui sont la condition de la vitalité et du dynamisme de nos équipes de recherche. Pour cela, un effort tout particulier doit être engagé pour inciter à la mobilité des chercheurs plus âgés. Ce rajeunissement est essentiel, et le Gouvernement partage votre préoccupation, monsieur le sénateur : les jeunes qui en ont le goût et les capacités doivent être encouragés à s'orienter vers les carrières de la recherche, mais pas seulement la recherche publique. De plus, il n'est pas dans nos intentions de remettre en cause le recrutement de jeunes chercheurs chargés de recherche de deuxième classe dans les établissements publics à caractère scientifique et technologique.
Il faut avoir le courage de faire des choix traduisant une véritable politique scientifique.
Il faut sur les axes stratégiques de recherche identifier des enveloppes de crédits incitatifs.
Il faut enfin amplifier dans les organismes une politique volontariste de développement des ressources propres, chaque fois que cela est possible. Cet accroissement des ressources propres est avant tout pour les équipes de recherche une invitation à se mettre encore plus à l'écoute de la demande sociale, et à nouer des liens mutuellement fructueux avec le monde industriel.
Monsieur le sénateur, telle est la réponse, un peu longue, que le Gouvernement souhaitait apporter à votre question. Il a eu ainsi l'occasion de rétablir la vérité sur une polémique qui, une fois de plus, montre à l'évidence que nos prédécesseurs socialistes avaient un don inné pour la présentation démagogique de leurs lacunes.
M. Dominique Leclerc. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d'attention. Je suis très satisfait de la réponse que vous avez apportée à mes différentes questions.
Au-delà du problème du CNRS, où une certaine déviance s'était instaurée par une recherche plutôt de crédits, d'autorisations de programme, aujourd'hui, c'est tout le problème de la recherche publique qui se pose.
Tout d'abord, il faut être convaincu de la qualité de cette recherche. Des équipes de chercheurs, que nous connaissons tous, grâce à leur renommée non seulement nationale mais également internationale, seront garantes, demain, d'une innovation qui perdurera dans notre pays.
Outre la déviance financière du CNRS, le statut du chercheur était devenu institutionnel, systématisé sur des qualités très spécifiques. Cela doit évoluer.
Enfin, on l'a dit, l'avenir de la recherche c'est la jeunesse, donc l'enthousiasme, la créativité des plus jeunes de nos chercheurs. C'est sur ce point que je voulais attirer plus particulièrement l'attention du Gouvernement. Il est essentiel que nos étudiants au plus haut niveau soient toujours attirés par la recherche grâce à l'exemple des anciens pour devenir les créateurs de demain en assurant ainsi le renouvellement des générations.
M. le président. Il reste deux questions orales sans débat à l'ordre du jour de ce matin. Monsieur le ministre, le Sénat est toujours reconnaissant au Gouvernement de répondre complètement aux questions, mais le ministre chargé des relations avec le Parlement sait bien que, si toutes les réponses étaient aussi longues nous ne serions pas près d'achever nos travaux.
M. Roger Romani, ministre des relations avec le Parlement. J'en suis persuadé, monsieur le président, mais cette question était importante.
M. le président. Elles le sont toutes, monsieur le ministre.
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