AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Suite du débat sur une déclaration
du Gouvernement
M. le président.
Nous reprenons le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur les
affaires étrangères.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Collin.
M. Yvon Collin.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en
complément des interventions de mes collègues du groupe du Rassemblement
démocratique, social et européen et compte tenu du temps de parole qui m'est
imparti, je limiterai mon propos à deux aspects.
Dans une premier temps, je formulerai quelques remarques sur les orientations
budgétaires pour 1997. Ensuite, je livrerai mon sentiment sur la nature de
notre coopération et plus spécialement sur celle qui nous lie au continent
africain.
Poursuivant sa logique de réduction des déficits publics, le Gouvernement n'a
pas épargné, vous le savez mieux que moi, messieurs les ministres, les domaines
des affaires étrangères et de la coopération.
S'élevant, dans le projet de loi de finances pour 1997, à 14,44 milliards de
francs, le premier est en recul d'environ 4 % par rapport à 1996. Que ce soit
parmi les dépenses ordinaires ou les dépenses en capital, tous les titres
connaissent une diminution de leurs crédits. Passant de 7,2 milliards de francs
en 1996 à 6,7 milliards cette année, le budget de la coopération baisse de
presque 8 %. Cette tendance, je vous l'avoue, messieurs les ministres,
m'inquiète un peu.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le système international a
évolué. Il ne s'est pas pour autant stabilisé. De l'antagonisme entre l'Est et
l'Ouest, on est passé à un monde multipolaire aux contours encore
fluctuants.
La France, qui participe à l'instauration et au maintien de la paix dans de
nombreuses régions du monde, doit se donner les moyens de sa politique. Or,
soumis à une rigueur trop forte, le budget des affaires étrangères risque, je
le crains, de compromettre cette volonté.
Sans entrer dans le détail des deux budgets précités qui, de toute façon, ne
représentent pas le poids réel des actions extérieures, ces dernières étant
également inscrites aux charges communes et dans divers comptes spéciaux, je
ferai deux observations. Puisque l'on s'oriente vers des économies, sachons les
faire dans le bon sens !
S'agissant des crédits affectés aux services diplomatiques, consulaires et
culturels, je pense qu'il est essentiel de maintenir un réseau suffisamment
dense, d'une part pour répondre aux besoins de nos concitoyens où qu'ils
soient, d'autre part pour assurer le rayonnement de la France dans toutes les
régions du monde.
Dans ce contexte de restriction, nos moyens doivent être redéployés en
fonction de la nouvelle donne géopolitique et économique, en gardant toutefois
à l'esprit que cette dernière n'est pas immuable.
L'avancée de la construction communautaire et le développement de nouveaux
moyens de communication devraient nous inciter à réduire davantage les réseaux
diplomatiques et culturels dans les pays européens.
En revanche, pour des raisons économiques évidentes, certaines zones, comme
l'Asie pacifique, méritent que l'on envisage un renforcement de notre
présence.
Le deuxième point que je souhaite évoquer concerne l'aide au développement,
pour constater que la plupart des pays industrialisés se désengagent dans ce
domaine. Or le développement économique est un facteur d'intégration à l'ordre
mondial.
La France, premier contributeur, doit continuer à donner l'exemple afin de
désarmorcer le recul observé. Cependant, afin d'éviter les gaspillages, elle
doit redéfinir ses outils de coopération, ce qui passe, préalablement, par une
clarification de ses relations politiques avec l'extérieur. Je pense ici, en
particulier, à nos liens avec le continent africain, puisque c'est précisément
cela que je veux évoquer ici.
Monsieur le ministre, il faudrait une fois pour toutes lever les ambiguïtés
qui planent autour de notre politique africaine. Le soutien plus ou moins
aveugle à des régimes autoritaires, adeptes du clientélisme, et l'absence de
projet clair à l'égard de l'Afrique ne favorisent pas, chez celle-ci,
l'installation durable et effective de la démocratie.
Le principe qui consiste à lier l'aide au développement aux pratiques
démocratiques ne fait pas suffisamment la preuve de son efficacité.
Nous devons nous efforcer de chercher des solutions spécifiques à la réalité
des pays africains, sans être obnubilés par nos intérêts postcoloniaux. Il
s'agit finalement de mieux apprécier la société africaine, sa dimension
humaine, sa diversité et ses disparités, facteurs essentiels d'un développement
harmonieux de ces pays.
Dans cette perspective, deux écueils doivent être évités.
Le premier concerne le type d'organisation institutionnelle dont doivent se
doter les pays africains pour établir un régime pacifique et démocratique.
La méthode consistant à greffer artificiellement des institutions occidentales
souvent étrangères aux réalités sociologiques du continent mérite, à
l'évidence, d'être revue. Il faudrait réfléchir à un système qui, sans renier
la tradition et la solidarité, prenne pour base les droits de l'homme et
privilégie des points incontournables tels que la primauté de l'individu.
Par ailleurs, il faudrait trouver une voie qui associe toutes les couches
sociales au processus de démocratisation, la difficulté étant, je vous
l'accorde, d'intégrer culturellement des populations souvent hétérogènes.
En tout cas, il serait préférable, monsieur le ministre, de rechercher une
solution au cas par cas plutôt que d'essayer d'imposer un modèle préétabli.
La multiplication des jumelages entre villes occidentales et africaines
constitue, selon moi, une piste intéressante dans l'optique du développement de
la citoyenneté locale.
Le deuxième écueil dont il faut se garder, car il constitue un frein au
développement de ces pays, est la façon dont nous considérons notre sphère
d'influence. Nos affinités historiques nous autorisent, certes, à maintenir des
liens très forts avec ce continent, mais cela ne doit pas pour autant nous
inciter à la paranoïa.
Ainsi, la récente querelle franco-américaine n'avait, à mon avis, pas lieu
d'être. En effet, les investissements américains progressent bien plus vite en
Asie que sur le continent africain. De plus, l'aide publique accordée à
l'Afrique par les Etats-Unis ne représente que 0,15 % de leur PNB quand
l'effort français en direction de ce continent atteint 0,64 % de la richesse
nationale.
Par ailleurs, eu égard à la construction européenne, la France devra se
résoudre à partager sa sphère d'influence. L'instauration de la monnaie unique
risque d'impliquer mécaniquement un plus grand nombre de pays européens en
Afrique. Par le biais du fonds européen de développement, ce lien existe déjà,
et la France n'est pas perdante. Par exemple, à contributions au FED à peu près
équivalentes, la France obtient un retour d'investissement deux fois plus
important que l'Allemagne. Nous ne devrions donc pas envisager avec
appréhension la mise en place d'une vision européenne de la politique
africaine.
Enfin, je souhaite évoquer...
M. le président.
Mon cher collègue, je vous signale que si vous ne concluez pas assez
rapidement M. Demilly ne pourra pas intervenir, car vous avez épuisé le temps
de parole de votre groupe.
M. Yvon Collin.
Je vais conclure, monsieur le président.
J'évoquerai donc rapidement le problème de la dette.
Il est indispensable de mettre en place une stratégie viable et réaliste du
traitement de la dette, car, contrairement à ce que l'on pense souvent,
l'économie des pays africains est loin d'être sur la bonne voie.
La globalisation de l'économie et l'émergence de quelques « dragons »
asiatiques ne doivent pas occulter l'aggravation des difficultés sur le
continent africain, en dépit de quelques frémissements observés depuis l'année
dernière. C'est pourquoi le problème de la dette nous occupera, hélas ! encore
longtemps.
Au moment de la révision de la dette d'un pays, il serait souhaitable de
prendre en compte les nouveaux facteurs qui le fragilisent.
Il est temps de jeter les nouvelles bases de la politique africaine. Le défi
est à relever sur tous les fronts, notamment sur celui de l'Europe. Le
rayonnement de la France passe par une politique extérieure volontaire et
lisible.
(M. Guy Penne applaudit.)
M. le président.
La parole est à M. Biarnès.
M. Pierre Biarnès.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, le Quai d'Orsay, j'ai le regret
de vous le dire, est « dans la dèche » !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Oh !
M. Emmanuel Hamel.
Dites « dans la pauvreté » !
M. Pierre Biarnès.
Il s'y enfonce même de plus en plus.
Même si, résignés, ses collaborateurs, par longue habitude de situations
semblables, s'accommodent de celle-ci, cette déchéance n'est pas supportable,
en tout cas n'est plus du tout supportable pour tous ceux qui ont la passion de
la présence française dans le monde.
La France se considère toujours comme une « grande moyenne puissance » ; en
maintes circonstances, ses dirigeants ont même la prétention de lui faire jouer
encore un rôle de grande puissance.
Pour tenir ce rang, elle dispose de très importants atouts, économiques,
militaires, intellectuels et moraux, qu'elle a entrepris avec raison de mettre
progressivement au service de l'Union européenne, une des trois ou quatre
superpuissances de demain, peut-être bien même la première de celles-ci, sur
laquelle elle est en train de transférer ses ambitions pluriséculaires et au
sein de laquelle elle entend légitimement jouer un rôle moteur.
Mais, faute de moyens suffisants, dans la phase de transition actuelle et dans
l'attente de futures économies d'échelle européenne, son outil diplomatique est
de moins en moins à la hauteur des missions qu'elle a héritées du passé et que,
pour quelques années encore, elle doit continuer à assumer en l'état.
Il y a des ambassades françaises dans pratiquement tous les pays du monde et,
malgré de nombreuses fermetures ces années-ci, notre réseau consulaire est
beaucoup plus dense encore ; en dehors des Etats-Unis d'Amérique, aucun autre
pays ne dispose d'autant de postes. Quant à nos réseaux scolaires et culturels,
ils sont sans équivalent, là encore en nombre d'établissements.
Hélas ! pour financer tout cela, le ministère des affaires étrangères dispose
de moins en moins de moyens. Son budget, rogné année après année, est déjà
passé en 1996 au-dessous de la barre du 1 % du budget national, avec à peine
plus de 15 milliards de francs. Et l'on nous annonce à présent près de 4 % de
réduction en 1997 par rapport au budget voté l'an dernier, vos crédits tombant
de 15,34 milliards de francs à seulement 14,438 milliards de francs ! Cela,
évidemment, sans préjuger des gels de crédits - en fait, des annulations de
crédits - qui risquent fort d'être décidés par le Gouvernement, au mépris du
Parlement, dans les mois qui viennent, comme les années précédentes.
Désormais, on entre dans le mur ! Toujours entourés de beaux jardins, nos
vieux châteaux diplomatiques vont être presque tous conservés ; mais leurs
maîtres ne vont plus pouvoir ouvrir au public étranger narquois que les
quelques pièces dont les tableaux, les meubles et la vaisselle n'auront pas été
vendus. Comment rester crédibles dans de telles conditions ? Le Gouvernement
sait-il encore ce qu'il veut ?
Pour les Français de l'étranger, que je représente ici et qui dépendent
exclusivement de ce ministère devenu, malgré ses plafonds dorés, un des plus
crottés de la République, la situation est en passe de devenir dramatique.
Le ministère des affaires étrangères est de moins en moins en mesure d'assurer
la charge de l'enseignement des enfants français à l'étranger, et il est
urgent, vu la dégradation accélérée de la situation en ce domaine, sans aucune
perspective de redressement, de confier cette charge au ministère de
l'éducation nationale, dont, à vrai dire, c'est bien plus la vocation
naturelle.
Dans le système actuel, et dans l'état actuel des choses en tout cas, l'Etat,
par l'intermédiaire de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, qui
relève exclusivement du budget de plus en plus réduit de votre direction
générale des relations culturelles, ne contribue que pour 10 000 francs par an
en moyenne à la couverture du coût de la scolarisation d'un enfant français à
l'étranger, qui est de l'ordre de 22 000 francs, alors que, avec l'aide pour un
tiers environ des collectivités locales, il couvre en totalité le coût de la
scolarisation des enfants de la métropole, pourtant sensiblement supérieur : de
l'ordre de 33 000 francs. Le reste, pour ce qui est des enfants français à
l'étranger, est à la charge des parents, qui doivent débourser chaque mois, en
moyenne internationale, 1 200 francs par enfant. Inégalité injustifiable et
injustifiée !
Au surplus, du fait, notamment, de la suppression de près d'une centaine de
postes de professeurs expatriés, c'est-à-dire les seuls qui sont pris
totalement en charge par l'Etat, même si les crédits consacrés aux bourses
scolaires, toujours très insuffisants, sont à peu près maintenus en valeur
nominale, cette dotation va être encore diminuée en francs constants si votre
budget est adopté.
On peut faire un constat analogue en ce qui concerne l'aide sociale dispensée
aux Français de l'étranger démunis par ce même ministère, qui l'est tout autant
qu'eux, mais dont ils relèvent néanmoins exclusivement.
L'an dernier, avec une dotation de 103 millions de francs à peine, il n'était
affecté à ces Français pauvres vivant à l'étranger que le dixième de l'aide
sociale distribuée en moyenne par un département métropolitain d'importance
démographique analogue, c'est-à-dire d'environ un million et demi
d'habitants.
Cette année, cette dotation, dérisoire et scandaleusement insuffisante, va, au
mieux, être maintenue à peu près en l'état, en valeur nominale également ;
mais, en réalité, elle va être à nouveau fortement diminuée du fait de la forte
inflation qui sévit de manière endémique dans les pays de résidence de la plus
grande partie des Français nécessiteux, ceux du tiers monde.
Il y a beaucoup à dire aussi sur les réductions budgétaires drastiques dont
ont souffert gravement ces années-ci nos réseaux culturels à l'étranger, qui
seront de nouveau gravement touchés en 1997. Là comme en France, le
Gouvernement a beaucoup « privatisé », faisant passer dans le domaine des
alliances françaises, qui relèvent juridiquement du bénévolat étranger et où le
pire, de ce fait, côtoie le meilleur, un très grand nombre de centres et
d'instituts qui, eux, relèvent de la responsabilité directe de l'Etat. Cette
défausse a bien sûr accentué jusqu'à l'extrême limite la réduction du nombre
des fonctionnaires titulaires affectés à tous ces établissements. Le
fonctionnement de ceux-ci repose à plus de 95 %, à présent, sur des vacataires
aux statuts aussi précaires que divers, la plupart étant payés à l'heure et
dépourvus de couverture sociale.
La France, quelle honte, diffuse à l'étranger sa langue et sa culture avec des
soutiers ! Cela ne durera pas éternellement.
Le sort des personnels de nos consulats, enfin, tend de façon très inquiétante
à n'être guère plus enviable et, là, c'est le coeur de notre service public à
l'étranger qui est touché, parfois déjà mortellement.
L'Association démocratique des Français à l'étranger, l'ADFE, qui a fait de
cette défense du service public à l'étranger le thème de sa principale campagne
de l'année qui s'achève, souligne à ce propos dans un document récent que, en
dix ans, le ministère des affaires étrangères a perdu 15 % de ses effectifs et
que ce sont nos consulats qui ont été le plus touchés.
Dans ceux-ci, en outre, et c'est tout aussi grave, sinon plus, il manque de
plus en plus de personnel d'encadrement de catégories A et B et de personnel
d'exécution de métier, notent les auteurs de ce document, qui poursuivent :
« Dans un consulat, il y a de moins en moins d'agents qui connaissent
parfaitement les règles relatives à l'état civil, au notariat, les instructions
du ministère sur l'immatriculation, la délivrance des cartes nationales
d'identité, des passeports. Il en résulte des erreurs, des exigences
administratives à l'égard des usagers qui varient d'un agent à l'autre, d'un
jour à l'autre.
« Les fonctionnaires sont progressivement remplacés par des contractuels
recrutés localement, privés de toute formation professionnelle et sans
encadrement suffisant. La bonne volonté manifeste et les capacités de nombre
d'entre eux ne suffisent pas. Elles suffisent d'autant moins que la précarité
de leur situation professionnelle, l'absence de protection sociale, de
perspective de promotion sont démotivantes pour eux. Ce sont d'ailleurs ces
agents, les moins bien payés, qui sont d'ordinaire affectés aux postes les plus
éprouvants, les services de délivrance des visas par exemple. En amont du
mauvais accueil d'un Français ou d'un étranger au guichet d'un consulat, il y a
une cascade de frustrations professionnelles, salariales, d'angoisses face à
une tâche trop lourde pour laquelle trop d'agents ne sont pas formés. »
En fin de compte, ce sont les usagers qui sont les premières victimes de tout
cela, et c'est l'image de la France à l'extérieur qui se dégrade ainsi peu à
peu, inexorablement. Le dernier incident - mais il y en a eu d'autres
auparavant -, survenu ces jours-ci à notre consulat de France en Côte d'Ivoire,
n'en n'est qu'une illustration de plus, humiliante, accablante, pour notre
pays. Qu'on arrête de se faire des illusions tricolores sur ce que les
étrangers pensent de nous. C'est de plus en plus désolant. Les bonnes paroles
que, par politesse, on vous réserve d'ordinaire dans vos déplacements officiels
ne vous permettent malheureusement pas, monsieur le ministre, de vous en faire
la moindre idée.
En conclusion, je ne puis donc que vous dire, avec toute la force de ma
conviction, que le service public à l'étranger doit, comme en France, être
effectué par des agents titulaires de la fonction publique, affectés à des
tâches correspondant à leur qualification. Si un recrutement de contractuels
est nécessaire, il doit avoir lieu dans la transparence, ouvrir le droit à une
formation, à une protection contre l'arbitraire hiérarchique, à des
perspectives de carrière et à une protection sociale de niveau français.
Or vos services, hélas ! tournent de plus en plus le dos à ces exigences-là,
et le budget que vous nous présentez marque une nouvelle étape dans leur
dégradation, dans leur « médiocrisation ». En décembre, je ne voterai donc pas
ce budget, mes amis du groupe socialiste non plus, et pas davantage ceux des
parlementaires des autres groupes qui, comme nous, ont vraiment la passion de
la France et de son rayonnement au-dehors.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Demilly.
M. Fernand Demilly.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je
souhaite profiter de ce débat sur la politique étrangère pour évoquer la
question de l'option possible entre la dissuasion et le désarmement nucléaires
dans le monde, l'éventualité d'un choix entre ces deux extrêmes ou le maintien
d'un équilibre entre ces deux tendances.
La négociation et la mise en oeuvre des traités de désarmement, notamment le
traité sur « l'option nucléaire zéro » dans le monde, figurent parmi les
grandes missions que la France s'est fixées dans le cadre de sa politique
étrangère. Vous nous l'avez d'ailleurs rappelé ce matin, monsieur le
ministre.
Je rappellerai à ce propos les déclarations du Président de la République qui
affirmait, le 11 juin dernier, à Genève : « La conclusion du traité
d'interdiction complète des essais nucléaires constitue un objectif majeur de
la communauté internationale. »
En cohérence avec ces propos, nous avons noté la diminution de la part allouée
à la dissuasion nucléaire dans les dépenses militaires inscrites dans la loi de
programmation 1997-2002.
Quels constats pouvons-nous dresser aujourd'hui ? Le projet de désarmement
nucléaire se situe à un tournant majeur de son histoire, tout à la fois décisif
et dangereux.
La France, avec la plupart des grandes nations développées, estime que l'heure
de « l'après-nucléaire » est venue. L'arme nucléaire a démontré, certes, sa
puissance mais aussi ses faiblesses, notamment son inutilité en ce qui concerne
la nature des conflits, le plus souvent régionaux, qui déchirent le monde de «
l'après-guerre froide ».
Faut-il pour autant s'acheminer vers un désarmement nucléaire total ?
Le Président de la République et « chef constitutionnel des armées »
affirmait, le 23 février 1996, devant les représentants des trois armées que «
la dissuasion nucléaire garde son impérieuse nécessité ».
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Fernand Demilly.
Nous voyons bien devant quel dilemme vous vous trouvez, monsieur le ministre :
vous souhaitez tout à la fois répondre positivement aux propositions de la
commission internationale de Canberra sur l'élimination des armes nucléaires et
tenir compte de la situation internationale et des oppositions à ces
propositions.
Nous nous réjouissons de la signature du traité d'interdiction complète des
essais nucléaires le 25 septembre dernier à l'ONU.
Cependant, bien que les cinq grandes puissances nucléaires, à savoir la Chine,
les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne et la Russie, se soient
solennellement engagées, d'autres Etats doivent les rejoindre, parmi lesquels
l'Inde qui ne cache pas son opposition totale au traité. Nous espérons,
monsieur le ministre, que les talents de votre diplomatie permettront de venir
à bout de l'intransigeance indienne, mais nous estimons que de tels résultats
demanderont certainement beaucoup de temps.
En signant le traité de dénucléarisation du Pacifique, notre pays a voulu
manifester sans ambiguïté son désir d'en finir avec les essais nucléaires. La
France a rapidement entrepris le démantèlement du site de Mururoa et accueilli
les experts de l'Agence internationale de l'énergie atomique, sur ses deux
anciens sites.
Cette attitude claire nous a permis de regagner la confiance des Etats du
Pacifique, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, dont les intérêts économiques
vont dans le sens d'une ouverture accrue à la France et aux membres de l'Union
européenne.
La reprise des exportations d'uranium australien vers la France en est un bon
exemple, car ces exportations profitent aussi bien à notre pays, dont les
besoins en ce minerai sont très élevés, notamment pour ses centrales
nucléaires, qu'à l'Australie, qui exporte 10 % de sa production vers la France,
depuis la reprise des exportations.
L'enseignement que nous pouvons tirer de ces quelques observations est que,
dans l'attente d'une alternative à l'arme nucléaire, d'une part, et de la
signature du traité d'interdiction complète des essais nucléaires par
l'ensemble des Etats concernés, d'autre part, la détention de l'arme nucléaire
reste le garant de la stabilité et de la sécurité de la France et de ses
voisins européens.
MM. Xavier de Villepin,
président de la commission, et Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Fernand Demilly.
Si notre pays vient de faire un grand pas vers la dénucléarisation des
conflits, nous attendons maintenant que vos efforts diplomatiques, monsieur le
ministre, tant à l'échelon européen et transatlantique qu'à l'échelon
international, permettent de réaliser un progrès concerté dans le sens d'une
dénucléarisation accrue.
Cette évolution pourrait prendre des formes concrètes, selon un programme et
un calendrier précis, par exemple, et donner naissance à de nouveaux
partenariats stratégiques européens et transatlantiques.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les
éléments que je viens d'aborder, bien qu'ils soient soumis à la souveraineté de
la France, doivent également être compris par nos voisins de l'Union
européenne. Il sera nécessaire d'en tenir compte lors de la Conférence
intergouvernementale qui se tiendra à Turin en 1997.
La dissuasion comme le désarmement nucléaire nous placent aujourd'hui à un
tournant de notre politique étrangère, qui doit, en tout état de cause, assurer
la sécurité de la France et de l'Europe dans le monde.
Nous vous souhaitons, monsieur le ministre, de réussir pleinement dans les
négociations que vous êtes appelé à mener pour la mise en oeuvre de cette
grande mission de la France.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
de l'Union centriste.)
M. Jacques Godfrain,
ministre délégué à la coopération.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jacques Godfrain,
ministre délégué à la coopération.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux de participer, au
côté de M. de Charette, auprès de qui je suis chargé de suivre les questions
relatives à la coopération et au développement, à ce grand débat de politique
étrangère. Je me réjouis donc de l'initiative prise par la Haute Assemblée. Je
serais donc heureux, en réponse aux orateurs qui se sont succédé à cette
tribune, de vous faire part des principes et des actions réalisées en matière
de coopération.
Comme l'a si justement souligné le président de la commission des affaires
étrangères, M. de Villepin, « il va de soi que la France doit continuer à
défendre l'aide publique au développement et à l'orienter en priorité vers
l'Afrique ».
Vous savez qu'il s'agit d'une des priorités que le Président de la République
a défendue devant nos partenaires des pays développés, que ce soit dès sa prise
de fonctions au sommet européen de Cannes, au premier G7 auquel il a participé
à Halifax, ou plus récemment à Lyon.
La France, par l'action déterminée du Président de la République, a montré le
chemin à ses partenaires européens et du G7.
Cette priorité se fonde non pas sur de simples discours ou sur une mode, mais
sur une histoire partagée, un sang versé en commun et une culture commune.
Au risque de surprendre certains d'entre vous, je dirai que l'Afrique ne va
pas simplement mieux : elle va bien. Et le Zaïre, me direz-vous ? Je vous
répondrai : et la Yougoslavie ? Ce n'est pas pour autant que l'on a abandonné
l'Europe.
Au contraire, je pense, et je ne suis pas le seul, que l'Afrique, qui est à
nos portes, telle qu'elle est et telle qu'elle a envie de devenir, est une
chance pour l'Europe, donc un défi pour la France qu'il lui appartient de
relever.
Je remercie M. Dulait de sa confiance et de sa compréhension de la politique
que nous menons en Afrique.
Je remercie aussi M. Guéna de l'analyse exacte qu'il a faite de mes propos sur
l'intervention de M. Warren Christopher. Je me réjouis en effet de ce nouvel
intérêt d'un grand pays à l'égard de l'Afrique. Nous ne serons jamais assez
pour aider ce continent, et mieux vaut parfois tard que jamais !
S'agissant de la situation éminemment douloureuse de la région des Grands
Lacs, je laisse à M. Hervé de Charette, chef de notre diplomatie, le soin
d'exprimer les préoccupations et les objectifs du Gouvernement.
A ceux qui, comme M. Penne ou Mme Bidard-Reydet, s'inquiètent de la baisse du
budget de la coopération, j'en rappellerai les véritables raisons, même si nous
aurons l'occasion d'y revenir lors du débat budgétaire qui se tiendra le 7
décembre.
Si ce budget diminue, c'est parce qu'il est, au fond, victime de son succès.
La baisse des concours financiers à l'« ajustement structurel » s'explique tout
simplement par le fait que nous ne finançons plus les « fins de mois » des pays
africains. En effet, ces pays ont su mieux se gérer en adoptant les préceptes
de bonne gestion internationale.
Par ailleurs, la dévaluation du franc CFA, grâce aux mesures d'accompagnement
que nous avons prises, a produit ses premiers effets positifs.
Le Sénégal, par exemple, affiche un déficit budgétaire de l'ordre de 2,3 % par
rapport à son produit intérieur brut.
Ce taux se situe au-dessous de celui qui nous est imposé en Europe par le
traité de Maastricht.
Par ailleurs, la diminution du nombre de coopérants traduit la fin de la
coopération dite de substitution. Cela signifie que nous sommes parvenus à
former des cadres et des techniciens africains de bon niveau qui permettent à
ces pays de pouvoir se gérer. Le sommet, qui se tiendra au début du mois de
décembre, au Burkina, et qui réunira la France et les pays africains est
d'ailleurs intitulé : « La bonne gouvernance ».
Je précise à M. Guy Penne, comme je l'ai fait hier devant la commission des
affaires étrangères, que la suppression des postes de chef de mission ne
concerne que trois pays, à savoir Sainte-Lucie, les îles du Cap-Vert et la
Guinée-Bissau. Elle s'inscrit dans la logique de la décision de M. le Premier
ministre de coordonner les efforts et d'être simples, efficaces et
transparents.
Enfin, je précise qu'il s'agit seulement de supprimer le poste de chef de
mission qui fait double emploi avec celui de l'ambassadeur. Nous continuerons
bien évidemment à assurer des relations de coopération suivie avec ces pays.
Il est important, je le reconnais, de faire appel à des fonctionnaires des
ministères de l'intérieur, de la justice, de la défense ou de l'éducation
nationale. C'est même la spécificité du ministère de la coopération que de
recourir à des personnels d'origine et de professions diverses mais qui ont une
vocation commune, celle de la coopération et de l'aide au développement.
J'indique d'ailleurs que, à ce jour, dix-sept magistrats sont présents sur le
terrain pour le compte du ministère de la coopération en tant qu'assistants
auprès des ministères ou des administrations chargées de la justice. Par
ailleurs, dix personnes, parmi lesquelles se trouvent des sous-préfets ou des
administrateurs territoriaux, sont issues du ministère de l'intérieur.
Plus généralement, je rappelle, notamment à M. Mauroy, qui s'inquiétait des
efforts entrepris en faveur de la démocratisation et de l'Etat de droit, que
c'est pour le Gouvernement une priorité concrète, qui va au-delà des simples
propos ou des pétitions de principe.
Permettez-moi de citer quelques chiffres. De 1992 à 1996, les crédits
consacrés au renforcement de la coopération juridique et judiciaire ont doublé,
passant de 74 millions de francs à 125 millions de francs. Parallèlement, nous
avons accentué notre effort en faveur de la sécurité civile qui est devenue
l'une des actions prioritaires de nos missions militaires de coopération.
En effet, sans sécurité, sans Etat de droit et sans sécurité juridique ou
judiciaire, il ne peut pas y avoir de développement. C'est notre doctrine, et
les pays africains la partagent entièrement.
Permettez-moi maintenant de citer quelques chiffres concernant la présence de
nos troupes.
Actuellement, 167 officiers et sous-officiers de la gendarmerie française
servent dans les gendarmeries africaines, dont une trentaine en détachement
temporaire ; 250 officiers et sous-officiers africains suivent des stages dans
les écoles de la gendarmerie française.
En 1995, sur les crédits du ministère de la coopération, un cours spécial
international a été ouvert à l'école de Melun, permettant d'accueillir 30
élèves officiers africains supplémentaires par an.
Cet automne, un cours spécial de formation à la lutte contre les trafics,
notamment ceux des stupéfiants, a été ouvert à Fontainebleau et a accueilli 25
stagiaires africains.
En 1996, le montant des sommes consacrées à la formation des cadres des
gendarmeries africaines a été en augmentation de 68 %.
Ainsi sont traduites en chiffres les premières déclarations que j'ai faites
lorsque j'ai pris mes fonctions.
En effet, la coopération, c'est aussi la lutte contre les grands trafics
internationaux : il est donc normal que nous agissions en partenariat avec ces
pays dans ce domaine.
L'aide en matériel s'élève chaque année, depuis quatre ans, à quelque 80
millions de francs, dont la moitié provient du fonds d'aide et de coopération,
le FAC. Cet effort a permis d'équiper les unités de gendarmerie mobile qui
luttent contre les grands trafics. Les principales capitales en sont dotées, et
l'autorité de l'Etat peut s'exercer dans ces pays.
Je citerai également l'appui aux missions d'assistance militaire, pour
lesquelles nous pouvons prévoir à trois ans, dans chaque pays, quels seront les
axes de l'effort du ministère.
Enfin, nous veillons à ce que les actions des gendarmeries et des polices dans
ces pays soient complémentaires et non pas concurrentes.
Je voudrais aussi répondre aux orateurs qui ont évoqué la dévaluation du franc
CFA, et rassurer notamment Mme Bidard-Reydet et M. Mauroy.
En réalité, malgré les craintes de quelques-uns, dont je faisais partie, la
dévaluation du franc CFA se révèle être un succès. En effet, les gouvernements
africains, qui ont décidé eux-mêmes cette dévaluation, ont accompli un effort
considérable de rigueur en matière de gestion de leur budget et d'extinction
des déficits, effort qui a été soutenu par les mesures d'accompagnement que
nous avons prises.
Les résultats qu'ont permis d'obtenir les sacrifices momentanés qui ont été
consentis sont sous nos yeux : le taux de croissance moyen de l'Afrique
francophone est de 5 % en 1995 ; il frôlera les 6 % en 1996 et la Côte d'Ivoire
connaîtra une croissance d'environ 8 % cette année. Avouons que beaucoup de
pays européens aimeraient parvenir à ce niveau !
L'épargne elle-même est passée de 7 % du produit intérieur brut en 1993 à 22 %
en 1996, ce qui prouve que le pouvoir d'achat s'est amélioré : il n'y a pas eu
paupérisation.
L'inflation sur les produits dits de la « ménagère » africaine est maîtrisée -
elle atteint 5 % par an - et la production agricole vivrière a explosé : les
revenus des agriculteurs africains ont atteint un tel niveau, qu'ils permettent
à ceux-ci de rester sur leurs terres, qu'ils n'abandonnent plus pour la bande
côtière urbanisée.
C'est la traduction - et cela aussi a été l'un des premiers propos que j'ai
tenus il y a quatorze mois - du fait que la coopération française, c'est aussi
l'aménagement du territoire par le biais des revenus que les agriculteurs
tirent de leurs propres terres.
Parallèlement, la France ne ménage pas ses efforts - vous avez évoqué le
problème de la dette - pour diminuer le surendettement issu de l'histoire
contemporaine des pays africains.
Dans les pays les plus pauvres, les plus démunis, nous avons annulé 100 % de
la dette bilatérale qui avait été contractée en janvier 1994, ce qui a
représenté 6,7 milliards de francs. Après la dévaluation, nous avons également
annulé 50 % de la dette des pays à revenus intermédiaires.
A l'heure actuelle, nous sommes le pays qui fait le plus en matière d'aide à
l'extinction des dettes.
Le fonds de conversion des créances de Libreville a également permis d'annuler
des dettes contre des investissements, notamment sociaux. C'est au Président de
la République française que nous devons cette proposition faite aux Etats
africains d'annuler les dettes, moyennant des investissements, en particulier
dans le domaine social.
Au sommet de Lyon, nous avons obtenu la possibilité d'un traitement par le
Club de Paris de 80 % du stock de la dette bilatérale.
De même, la France a incité le Fonds monétaire international et la Banque
mondiale à prendre une initiative pour le traitement de la dette multilatérale
des pays les plus endettés, initiative qui vient d'être officiellement
approuvée à Washington à l'occasion des assemblées annuelles du FMI et de la
Banque mondiale.
Cela me permet de dire à M. Biarnès que l'influence de la France au sein de
ces grandes organisations internationales est considérable : non seulement nous
sommes l'un des principaux bailleurs de fonds, mais notre avis est écouté,
partagé et appliqué.
Toutes ces décisions représentent un effort budgétaire considérable pour la
France. Ainsi, nous avons consacré presque le quart de notre aide publique au
développement à ces registres.
Je souhaite préciser à M. Mauroy les raisons de ma présence à l'investiture du
président Baré au Niger. Je me félicite d'avoir représenté le Président de la
République. Notre défense de la démocratie ne se borne pas, en effet, à la
seule défense des présidents démocratiquement élus. Ce serait insuffisant ! La
réalité est tout autre.
Le président Baré a succédé à un régime dans lequel le fonctionnement des
mécanismes remis de la démocratie et le respect de ses principes n'étaient plus
assurés.
Nous étions devant une situation de blocage. J'ajoute que, dans le nord du
pays - là où se trouvent les Touareg - la guerre sévissait. Me rendant au Niger
aux environs du 28 décembre 1995, j'y ai trouvé une situation où la négociation
était complètement bloquée entre les Touareg. Depuis lors, c'est la paix et les
coupeurs de routes cessent de gêner les voyageurs.
Aujourd'hui, nous devons faire face à d'autres préoccupations dans l'ensemble
des pays de la zone subsaharienne, notamment à la poussée de l'intégrisme
islamiste dans certains pays voisins du nord de l'Afrique. Par conséquent, tout
ce qui peut conforter notre présence est, me semble-t-il, nécessaire si l'on
veut éviter de tels errements.
L'histoire est sévère avec ceux qui choisissent d'être absents et, être
absents au Niger, comme peut-être dans d'autres pays - peut-être le
souhaitez-vous - serait une grave erreur.
Quant au Mali, je ne puis laisser dire que l'expulsion de l'église
Saint-Bernard est contraire aux droits de l'homme. La France est le pays des
droits de l'homme ; elle les applique. Mais la France est aussi un pays de
droit, qu'il importe de respecter. On ne peut faire des termes « droits de
l'homme » une simple incantation. Quand on défend le fait que la France est le
pays des droits de l'homme, il faut également dire que tout être humain se doit
de défendre le droit, donc de le respecter.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Jacques Godfrain,
ministre délégué.
Seul ce respect peut apporter une garantie véritable et
durable à la liberté de chacun. D'ailleurs, le Mali lui-même est un Etat de
droit, et nous lui apportons notre aide en tant que tel.
Par conséquent, nous défendons prioritairement les citoyens qui respectent le
droit. C'est ainsi que nous avons effectivement priviligié, comme c'est notre
devoir, les citoyens maliens respectueux de notre droit. Ils ont droit, eux, à
notre protection. Quant à ceux qui ne respectent pas nos lois, ils ne peuvent
que gêner ceux qui les respectent.
C'est la raison pour laquelle ce propos très clair a été parfaitement bien
entendu, lorsque je me suis moi-même rendu dans la région de Kayes au Mali.
J'ai expliqué la politique que nous conduisons dans ce pays et que nous
espérons y mener pour favoriser le développement local et, ainsi, éviter ces
voyages un peu inutiles, qui ne peuvent conduire ces femmes et ces hommes qu'à
des désillusions.
Ce que je m'efforce de faire aujourd'hui à la tête de ce ministère, ce n'est
pas simplement de l'incitation au retour, c'est également de l'incitation au
non-départ. Les actions que je mène visent à favoriser le maintien équilibré
des individus dans leur environnement, à limiter l'exode rural comme la
tentation de l'émigration, grâce à des mesures de désenclavement et au
développement des communications et des réseaux de santé et d'éducation.
Ce n'est pas suffisant, mais ce n'est qu'un début ! M. Mauroy serait bien
avisé de soutenir cette politique de développement local pour un mieux-être
social. Les résultats actuels de l'Afrique, si peu de temps après l'alternance,
n'ont rien à envier aux résultats passés.
En ce qui concerne le passage à la monnaie unique, monsieur Collin, celui-ci
n'aura aucune influence sur le franc CFA. Le franc CFA ne dépend pas de la
Banque de France ; il fait l'objet d'une convention bilatérale qui lie l'Etat
français aux Etats de la zone franc. C'est donc le Trésor français qui assure
une convertibilité avec le franc CFA. Ce message sera très largement diffusé
auprès des pays africains qui, au début du mois de décembre, participeront au
sommet franco-africain au Burkina.
D'ailleurs, le traité de Maastricht prévoit le maintien des accords bilatéraux
de chaque Etat européen ; le franc CFA correspond à l'un d'eux. Par conséquent,
rien ne changera. Simplement, à partir du 1er janvier 1999, la parité franc
CFA-franc français sera mécaniquement une parité franc CFA-euro ; ce sera la
seule différence !
Avant de conclure, je prie les orateurs auxquels je n'ai pas répondu, en
particulier M. Clouet, dont j'ai beaucoup apprécié le propos, de m'en
excuser.
Monsieur Biarnès, la France et l'Afrique font bloc dès que nos intérêts
partagés sont en cause, notamment sur le plan culturel et linguistique. Les
faits, hélas ! et vous donnent tort ! A force de vouloir prouver
l'invraisemblable, le discours perd un peu de crédibilité.
Toutes les décisions que viennent de prendre les pays africains, dont nous
sommes proches, le démontrent, que ce soit à l'occasion de leur prise de
position dans l'affaire des Nations unies ou lors de leur soutien à l'égard de
notre propre défense nationale.
Systématiquement, ces pays se sont montrés solidaires de notre politique, de
la même manière que nous le sommes de la leur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la coopération française a ceci d'original
par rapport à bien d'autres dans le monde qu'elle ne décide rien toute seule :
elle agit conjointement avec d'autres ; c'est une oeuvre partagée. Il s'agit
d'une autre conception du rapprochement des peuples. Bref, ce ministère baptisé
« de la coopération » pourrait aussi s'appeler ministère « de la paix ».
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Emmanuel Hamel.
Et de la paix !
(Sourires.)
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
J'ose à peine parler après le ministre
de la paix, mais, s'il m'y autorise, je m'efforcerai de répondre à vos
brillantes et nombreuses interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, dans
ce débat extrêmement riche que nous conduisons depuis ce matin.
J'ai apprécié, bien sûr, comme chacun d'entre vous, les propos, l'ampleur de
vue de M. de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de
la défense et des forces armées, qui a abordé de façon significative les
principaux sujets de la diplomatie française pour les mois à venir.
Naturellement, l'essentiel de ma réponse y sera consacré.
Auparavant, je voudrais dire, aux uns et aux autres, tout l'intérêt que j'ai
pris à les écouter et à évoquer avec eux les préoccupations qui sont les
nôtres.
M. Clouet nous a indiqué qu'appartenir à la majorité parlementaire imposait
une certaine capacité de renoncement. C'est possible ! Pas trop, je l'espère,
monsieur le sénateur ! Cependant, ayant été député de la majorité, je le
comprends. J'ajouterai très modestement qu'être membre d'un gouvernement impose
aussi, de temps en temps, une certaine capacité de renoncement. Après tout,
c'est la vie ! Toutefois, pour l'essentiel, ce qui compte, c'est notre
détermination à agir et à réussir en commun, pour le service de nos
compatriotes.
J'ai bien apprécié ce que vous avez dit, monsieur le sénateur, en ce qui
concerne la défense de la langue française. Elle est menacée, c'est exact ! Il
n'y a aucun doute sur ce point ! En vérité, nous sommes menacés par la
perspective de l'utilisation d'une seule langue mondiale, laquelle aura
probablement été détruite au passage par un usage approximatif dans tous les
points de la planète.
Mais notre objectif est, sans aucun doute, que d'autres langues - la nôtre,
mais d'autres aussi - puissent continuer d'exister et de rayonner, parce
qu'elles apportent avec elles aux peuples du monde la diversité des cultures et
des civilisations dont elles sont l'expression. C'est pourquoi la défense de la
langue française se confond très souvent avec l'idée de défendre un monde
ouvert, un monde divers, dans lequel toutes les cultures, toutes les
civilisations sont considérées comme égales en droit, en dignité, et utiles à
l'épanouissement et au progrès de l'humanité.
Vous vous êtes demandé, monsieur le sénateur, si nous avions les moyens de
notre politique ; j'aurai l'occasion d'y revenir dans un instant.
M. Durand-Chastel nous a fait part de son intérêt pour l'Amérique latine. Cet
intérêt, c'est celui de la diplomatie française ; c'est aussi celui du
Président de la République.
La France, que de profondes affinités culturelles et des liens historiques
unissent à l'Amérique latine, ne peut pas rester indifférente face à la
métamorphose économique et politique de ce continent. Nos entreprises l'ont
bien compris, qui sont très actives au Mexique, en Argentine, au Brésil et dans
beaucoup d'autres pays.
La part de l'économie française sur les marchés de l'Amérique latine reste
encore faible ; elle doit s'accroître. Mais il faut aussi en profiter pour
développer les relations politiques. C'est pourquoi, dans le cadre de la
présidence française de l'Union européenne, nous avons, voilà un an, donné un
nouvel élan aux rencontres ministérielles avec le groupe de Rio, avec
l'Amérique centrale. C'est pourquoi aussi nous avons mis en chantier, comme
vous le savez, des accords de coopération ambitieux entre l'Union européenne et
le Mercosur, le Mexique et le Chili.
Je crois qu'il faut aller plus loin. La France, entraînant sans doute assez
largement l'Union européenne, l'Espagne et le Portugal exceptés, doit se
tourner vers l'Amérique latine où existe à l'évidence un appel vers notre
continent et particulièrement vers la France, ne serait-ce que parce que les
pays d'Amérique latine ayant trouvé leur équilibre politique, étant engagés
dans un effort de progrès économique, cherchent à ne pas dialoguer avec un seul
partenaire - les Etats-Unis - mais à ouvrir le champ de leur dialogue et de
leur partenariat économique. La France est prête s'agissant de cette
démarche.
Comme vous l'avez évoqué, monsieur le sénateur, le Président de la République
se rendra en mars 1997 en Amérique latine et ira au moins dans les plus grands
pays. Il s'agira sans nul doute du voyage présidentiel le plus long et le plus
important dans cette région depuis le voyage historique du général de Gaulle,
en 1964.
M. Dulait a évoqué l'Amérique latine et l'Afrique dont mon collègue M.
Godfrain a indiqué à l'instant les perspectives. Il a également évoqué, comme
plusieurs d'entre vous, l'avenir de la place et du rôle de la France dans le
monde arabe.
Il est tout à fait clair que cette région connaît actuellement une tension
exceptionnelle. Il ne fait aucun doute que le processus de paix est aujourd'hui
menacé, et que chacun s'interroge sur les conditions dans lesquelles il
pourrait être relancé. La France, comme je l'ai dit tout à l'heure, y apportera
sa contribution. Naturellement, elle ne demandera la permission à personne,
parce qu'il y va de ses propres intérêts, de sa propre sécurité.
La Méditerranée est notre environnement proche. Nous sommes la première
puissance méditerranéenne. Nous avons donc des responsabilités vis-à-vis de
ceux qui vivent autour de cette mer, où tant de conflits ont existé dans le
passé. Nous avons aussi des intérêts qu'il nous appartient de défendre.
Nous avons écouté M. Guéna avec attention - je dis « nous » car j'ai observé
que, vous aussi, vous l'avez écouté attentivement. Je reviendrai sur les
questions qu'il a évoquées. En cet instant, je voudrais simplement acter que je
partage avec lui l'idée selon laquelle les parlements nationaux doivent jouer
un rôle important dans la construction européenne et dans la vie de l'Europe.
Il est une thèse aux termes de laquelle seul le Parlement européen serait
l'instance législative dans le fonctionnement et la vie de l'Europe. Sans doute
cette thèse a-t-elle pour elle la cohérence théorique, mais ce n'est pas ainsi
que sont les choses.
Je crois que la légitimité vient à la fois des parlements nationaux et du
Parlement européen. En effet, le Parlement européen, qui est encore une
institution récente, progresse sans aucun doute mais n'est pas aujourd'hui le
seul représentant, y compris dans le domaine de la construction européenne, de
l'aspiration des peuples. Aussi est-il légitime d'associer dans un même effort
l'action des parlements nationaux et celle du Parlement européen. C'est la
raison pour laquelle je m'efforce, dans la négociation de la Conférence
intergouvernementale dont je vous dirai quelques mots tout à l'heure, de faire
en sorte que ce rôle des parlements nationaux soit mieux reconnu qu'il ne l'est
aujourd'hui.
M. Guéna, avec brio, a expliqué qu'il soutenait la politique étrangère du
Gouvernement. Toutefois, M. Guéna - on sait à quel mouvement politique il
appartient - s'adressant à moi - et vous savez qui je suis - a ajouté : « Oui,
mais... ». Cela m'a rappelé quelques souvenirs. Et, bien des années après, ses
propos m'ont paru chargés d'humour,...
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
D'histoire !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
... et je les ai appréciés.
M. Emmanuel Hamel.
Le sujet est trop grave pour prêter à l'humour !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Monsieur Guy Penne, vous avez évoqué
une série de questions portant, notamment, sur l'Afrique et sur lesquelles je
ne reviendrai pas. Vous vous interrogez sur le renouvellement du Conseil
supérieur des Français de l'étranger : il aura lieu le 8 juin prochain. Vous
avez évoqué le cas particulier de l'Algérie. Je reconnais qu'il existe là une
difficulté, qu'il conviendra d'apprécier ensemble le moment venu. En tout cas,
j'ai pris note de vos préoccupations sur ce point.
En ce qui concerne la négociation européenne, vous avez parlé « d'accélération
aventureuse de l'élargissement ». Je ne crois pas que cela soit juste. Cet
élargissement a été décidé en 1994, à Essen, par les chefs d'Etat et de
gouvernement. A l'époque, que je sache, c'était François Mitterrand qui était
Président de la République. Le débat existait alors dans l'opinion publique
française : fallait-il conditionner cet accord donné à l'approfondissement de
l'Union ? Le choix qui a été fait, pour des raisons que je ne veux pas juger, a
été différent. Il engage la France et nous a conduits aujourd'hui à mener les
discussions dans l'esprit que vous savez.
Mme Bidard-Reydet a fait part de son sentiment sur le budget, l'Union
européenne et la monnaie, qui ne m'a pas surpris.
S'agissant de la diminution des contributions volontaires, j'en suis, madame
Bidard-Reydet, le premier navré. Je ne peux, dans un même budget, inscrire plus
de dépenses que je n'ai de recettes. Naturellement, il est des moments où il
faut choisir, arbitrer entre le renoncement à telle dépense ou à telle autre.
Il est vrai que j'ai demandé un certain effort au chapitre des contributions
volontaires. En effet, il me semblait que, dans ce domaine, nous avions fait,
dans le passé, des efforts considérables et fait preuve d'une disponibilité que
sans doute très peu de pays au monde ont manifestée. Dans ces conditions, il ne
nous a pas paru illégitime que, pendant quelques années, eu égard à la
conjoncture budgétaire, nous prenions de telles dispositions.
M. Vigouroux a évoqué la politique française au Proche-Orient. J'ai apprécié
ses jugements et sa contribution.
J'ai écouté, bien sûr, avec beaucoup d'attention M. Peyrefitte. Il nous a tous
interpellés en disant : la nation française a-t-elle encore quelque chose à
dire ? Oui, je l'espère. En fait, je n'en doute pas. Pour ma part, je poserai
la question d'une autre manière : en avons-nous les moyens et jusqu'où ? Notre
détermination doit sans aucun doute être totale, et je vous remercie, ainsi que
M. Guéna, du soutien que le groupe du RPR apporte à la politique conduite par
la France.
M. Mauroy m'a interrogé sur l'Afrique. Mon collègue M. Godfrain a, pour
l'essentiel, répondu à ses interrogations, et je ne crois pas nécessaire
d'insister sur ce sujet.
Je répondrai maintenant à MM. Collin et Biarnès. Monsieur Biarnès, vous avez
parlé des questions budgétaires. Je n'aborderai pas aujourd'hui ce débat et je
n'évoquerai pas les chiffres puisque l'examen du budget des affaires étrangères
viendra en son temps. Cependant, je ne peux vous laisser dire que nous sommes
dans la « dèche », ni, surtout, qu'il y aurait une déchéance du Quai d'Orsay.
Franchement, c'est aller trop loin. Aucun diplomate, même ceux qui pourraient
être tentés de considérer comme insuffisants les crédits qu'on leur attribue -
aucun fonctionnaire, bien sûr, ne se permettrait de le faire
(Sourires)
- ne considère que le Quai d'Orsay est atteint de déchéance.
Il y a, certes, des moments difficiles. Il est, bien sûr, plus agréable
d'avoir un budget en augmentation qu'un budget en diminution. Pour autant, je
vous le dis comme je le pense : je n'ai pas l'ombre d'un doute que la France
soit tout à fait capable de conduire une politique étrangère ambitieuse avec
les crédits dont je dispose. D'ailleurs, je ne pense pas qu'il s'agisse
principalement d'une affaire de crédits. Il s'agit d'une question d'énergie, de
volonté et, si possible, de talent, c'est là que cela se joue.
Certes, il est des seuils en deçà desquels on a du mal à faire face. Cependant
- et M. Collin qui a évoqué le sujet le sait bien - s'il est vrai que nous
fermons tel ou tel consultat, nous en ouvrons d'autres. Je voudrais vous
rappeler que nous fermerons cette année les consulats généraux de Mons,
Florence, Honolulu et Porto Rico. Nous fermerons aussi les ambassades de
Freetown - vous y avez fait allusion, monsieur le sénateur - de Monrovia et de
Lilongwe. Dans le même temps, nous allons ouvrir une ambassade à Chisinau, à
Achkabad au Turkménistan, à Oulan-Bator et à Asmara. Bref, nous menons une
politique que nous essayons de conduire de façon rigoureuse, ce qui ne nous
empêche pas de faire face aux exigences de la diplomatie française.
Enfin, je remercie M. Demilly de ses considérations qui m'ont paru très
pertinentes sur la question du désarmement nucléaire. C'est une question très
importante pour laquelle, en dépit des nombreuses étapes qui restent à franchir
et des difficultés qui se présentent, notamment celles qui résultent de
l'attitude du gouvernement indien, la France a apporté sa contribution tout à
fait remarquable au cours des derniers mois.
Permettez-moi maintenant, monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, de présenter quelques réflexions complémentaires sur les sujets
principaux de notre débat.
J'évoquerai, d'abord, la Conférence intergouvernementale. Il est vrai qu'elle
n'a pas bien commencé. La discussion a été entreprise dans des conditions qui
ne m'ont pas semblé très positives.
Il est vrai aussi, je l'avoue, que dans cette négociation je ne vois guère,
sauf à faire un certain effort, s'exprimer le sentiment collectif d'un intérêt
commun à défendre, dont les quinze gouvernements ont pourtant la charge. Je
vois davantage les préoccupations nationales, parfois étroitement nationales,
les arguments de campagne électorale, alors que nous avons des priorités. Les
priorités françaises sont très claires : ce ne sont pas les priorités de
l'égoïsme français, ce sont les priorités de ce que nous croyons être l'intérêt
général de l'Union européenne.
Les institutions constituent une priorité. En effet, elles fonctionnent mal à
quinze. Je ne vois pas comment elles fonctionneront après de nouveaux
élargissements. La sécurité constitue aussi une priorité. En effet, si l'on
veut rendre plus libre la circulation des personnes au sein de l'Union
européenne, il faut d'abord progresser sur le plan de la sécurité intérieure,
qu'il s'agisse de la lutte contre la drogue ou de la répression des trafics en
tout genre et du crime organisé. La subsidiarité constitue également une
priorité, et j'espère que vous ne m'en voudrez pas si je vous dis que j'en fais
une exigence forte. Voilà des années que l'on parle de subsidiarité sans la
mettre en pratique. Voilà des années que l'on inscrit ce principe dans les
textes, y compris dans le traité de Maastricht. Or on n'a toujours pas
progressé sur ce sujet. On rencontre toujours les mêmes difficultés. Aussi, je
souhaite que l'Union européenne soit capable de régler une fois pour toute
cette question de la subsidiarité par des méthodes pratiques.
Enfin, la politique extérieure et de sécurité commune constitue évidemment un
point très important. Après la Conférence intergouvernementale qui, j'espère,
sera réussie - nous verrons bien ! - il y aura l'élargissement de l'Union
européenne. Soyons lucides, mesdames, messieurs les sénateurs : la grande
Europe est en marche. Je ne crois d'ailleurs pas que cette perspective doive
nous inquiéter. Pour ma part, je ne vois que des avantages à ce que, pour la
première fois dans l'histoire de l'Europe, le continent européen se prépare à
se rassembler au sein de l'Union européenne par des voies démocratiques, par la
volonté des peuples et des gouvernements. Il s'agit, à mon avis, d'un événement
historique de toute première importance.
Mais, en même temps, il nous faut être clairs : cette grande Europe-là ne sera
pas tout à fait l'Europe que nous avons contribué à bâtir depuis trente ans. Si
nous voulons une Europe forte, puissante et volontaire, il faudra bien que
s'organisent la volonté et la détermination du petit nombre de pays qui
voudront poursuivre cette route et conserver cette ambition.
Cette question-là n'est pas encore réglée, elle n'a pas encore fait l'objet de
décisions, mais elle fera partie du débat au cours des mois et des années qui
viennent ; connaissant mon engagement européen personnel, ne doutez pas que
j'irai dans cette voie avec détermination.
MM. Guéna et Peyrefitte m'ont entraîné sur le terrain de l'Union économique et
monétaire. Je ne m'attendais pas à aborder ce point ; mais ils ont démontré
avec habileté qu'il s'agissait d'un débat de politique étrangère et ont ainsi
subtilement augmenté le champ de mes responsabilités. Je ne vois pas pourquoi
je m'en plaindrais, et je suis donc tout à fait prêt à parler de cette question
avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je crois que la troisième phase, c'est-à-dire la création, au 1er janvier
1999, d'une nouvelle monnaie dans le monde, création extrêmement originale qui
constitue une véritable novation historique, est un élément positif pour
nous.
Bien entendu, il faudra assortir cette création, comme c'est déjà prévu, d'un
pacte de stabilité budgétaire - va pour le nom ! -, pacte utile, qui n'est pas
contraire à la souveraineté nationale, sauf à considérer que la souveraineté
est le droit sacré de faire des bêtises, ...
M. Emmanuel Hamel.
Oh !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
... puisque le pacte de stabilité
budgétaire a précisément pour objet de décider ensemble que l'on conduira une
politique sage et raisonnable.
De là à dire que cela empêcherait chaque pays de conduire sa politique, il y a
un pas que je ne franchirai pas, tant s'en faut ! Le conseil de stabilité
évoqué par la France permet précisément de laisser aux gouvernements pris
ensemble la responsabilité de coordonner leurs efforts nationaux par
l'intermédiaire de leurs politiques budgétaires et macro-économiques. C'est
donc l'organisation commune de notre volonté autour de la monnaie que nous
avons décidé de construire ensemble.
M. Peyrefitte a développé une thèse tout à fait remarquable, et somme toute
assez intéressante : et si l'on décidait de prolonger la période de trois ans ?
Vous avez fait plusieurs propositions, monsieur le sénateur, commençant par
cinq ans et finissant, si j'ai bien compris, par trente ans, ce qui n'est
naturellement pas tout à fait la même chose. Mais je mesure la portée de votre
position : vous souscrivez à l'objectif de la monnaie unique, mais vous
proposez une modalité pratique laissant certaines portes ouvertes.
Personnellement, je vois à cette formule quelques inconvénients. Tout d'abord,
elle fragiliserait le système : celui qui prend une décision dont il veille à
ce qu'elle soit réversible montre en effet qu'il se réserve la possibilité de
faire demi-tour. Cette formule marquerait donc le côté temporaire d'une
décision. Or il me semble que ceux qui ont le plus à perdre à un tel choix se
trouvent plutôt de ce côté-ci du Rhin que de l'autre.
Ainsi, par exemple, le fait que la Belgique et le Luxembourg soient deux Etats
membres de l'Union monétaire ne les empêche pas de mener des politiques
budgétaires radicalement différentes.
Autrement dit, la remise en cause de cet aspect de la monnaie unique nous
amènerait à prendre des responsabilités contraires à nos intérêts, alors qu'en
acceptant de faire ce que nous avons décidé ensemble - j'ai d'ailleurs bien
observé que vous étiez d'accord sur le principe - nous gardons, me semble-t-il,
la responsabilité éminemment gouvernementale de mener ensemble des politiques
budgétaires et macroéconomiques coordonnées, et ce pour le plus grand bien -
c'est ce que j'espère - de l'économie de chacun de nos pays.
J'en viens maintenant, mesdames, messieurs les sénateurs, à l'Alliance
atlantique, à propos de laquelle beaucoup d'entre vous ont exprimé leurs
préoccupations, voire parfois leurs interrogations. Je voudrais donc m'efforcer
de vous apporter quelques réponses.
La vraie question porte en fait non pas sur l'Alliance, qui est un moyen, mais
sur la sécurité de tous les peuples en Europe, qui constitue l'objectif à
atteindre.
Or cette question se pose dans des termes nouveaux. Hier, en effet, nous
avions affaire à une situation d'affrontement entre deux alliances
militairement organisées, l'une face à l'autre, alors que, aujourd'hui, il
s'agit de régler en commun des questions de sécurité entre pays dont le régime
est démocratique ou sur la voie de la démocratie, pays entre lesquels il n'y a
pas de conflit qui n'affichent pas d'hostilité mutuelle, bien au contraire, et
qui ont tous droit à la même garantie, à la même qualité de sécurité à laquelle
chaque pays peut légitimement aspirer.
Dès lors, notre projet est le suivant : en premier lieu, le cadre général de
cette politique de sécurité est l'OSCE.
En deuxième lieu, nous sommes désireux que l'Alliance atlantique soit rénovée
et nous acceptons qu'elle soit élargie.
En troisième lieu, nous souhaitons la signature d'une charte ou d'un traité
entre l'Alliance atlantique et la Russie de façon à engager des discussions
entre les uns et les autres, un travail en commun, une coopération dans le
domaine essentiel pour chacun de la sécurité.
Où en est, dans ce cadre, la rénovation de l'Alliance atlantique, puisque
telle était la question ? Je voudrais à ce sujet faire deux observations.
Tout d'abord, l'initiative française doit être bien mesurée dans ce qu'elle
est. Voilà trente-cinq ans environ, un président américain, M. Kennedy, avait
parlé du « pilier européen de défense ». On peut trouver curieux qu'une telle
idée ait été exprimée de ce côté-là de l'Atlantique ; mais on avait vécu dans
l'idée qu'il faudrait un jour organiser le pilier européen, c'est-à-dire la
structure européenne de défense, qu'il y aurait la structure américaine et que
tout serait coordonné dans un scénario. Or tel n'est pas le dispositif que nous
avons présenté.
La proposition française que j'ai faite à l'Alliance atlantique au mois de
décembre 1995 est la suivante : un système dans lequel, au sein de l'Alliance
atlantique, s'exprime et s'organise l'identité européenne de défense par le
biais de procédures telles que les forces européennes soient détachables, pour
le cas où l'Europe déciderait d'entreprendre une action par elle-même, sans le
concours des Etats-Unis, mais qu'elles ne soient pas détachées. Là se trouve le
point essentiel.
C'est à cela que nous travaillons depuis un an et, à Berlin, nous avons
enregistré un certain nombre de satisfactions.
Nous avons tout d'abord obtenu qu'il y ait un adjoint européen au commandement
SACEUR ; ce serait, par définition, l'homme appelé à commander les forces
détachables si elles devaient être détachées : ce commandement s'organise,
monte des scénarios, travaille, fait des manoeuvres, prend toutes initiatives
lui permettant d'être prêt à tout moment. Il a donc une responsabilité propre,
et n'est pas simplement l'adjoint de SACEUR.
Par ailleurs, il est entendu que ces forces détachables pourraient être mises
à la disposition de l'Union de l'Europe occidentale, car c'est dans ce cadre
que s'exprimerait la capacité européenne d'intervention et d'action.
Il a également été convenu que des états-majors se mettraient en place au sein
de groupes interarmées multinationaux afin d'organiser cette capacité militaire
de l'Europe.
Enfin, une discussion est entamée sur la réforme des commandements.
L'identité européenne de défense n'est donc pas sous le contrôle des
Etats-Unis ; par définition, elle est dans un système qui est destiné à vivre
sa propre vie dès lors qu'elle serait amenée à agir elle-même.
Ce mécanisme suppose certes que les moyens de l'Alliance soient mis à la
disposition de ces forces appelées à agir de leur propre chef, ce qui nécessite
le concours de chacun dans l'Alliance atlantique, y compris celui des
Etats-Unis. Mais il serait erroné de dire que, pour autant, l'identité
européenne de défense serait placée sous le contrôle des Etats-Unis.
Certes, les discussions ne sont pas terminées, et elles sont même serrées sur
la question importante du commandement Sud de l'Alliance, point sur lequel j'ai
entendu exprimer, du côté américain, une opposition nette. Mais il s'agit pour
nous d'une question essentielle, et le débat continue donc !
M. Emmanuel Hamel.
Il ne faut pas réduire les crédits militaires, pour renforcer votre force de
négociation !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
Ne doutez cependant pas de notre
détermination à faire valoir ce que nous croyons utile, c'est-à-dire une
alliance nouvelle à laquelle, alors - et alors seulement - nous serions prêts à
participer pleinement.
Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais évoquer brièvement la
question du Zaïre, puisque plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur la crise
qui touche ce pays.
C'est une crise une fois de plus désolante, qui date, comme vous le savez
bien, de la grande crise de 1994 au Rwanda. Elle résulte en particulier de
l'afflux des réfugiés - ils sont aujourd'hui deux millions - sur les
territoires avoisinants, à l'Est et à l'Ouest. Elle prend - il suffit de voir,
hélas ! les tragiques images télévisées pour le constater - une tournure qui
éprouve ces malheureuses populations déjà réfugiées, déjà exilées, déjà
meurtries.
Je vous confirme, mesdames et messieurs les sénateurs, que nos ressortissants
ont été évacués, et il est clair qu'une intervention armée du Rwanda se déroule
désormais.
Nous avons pris un certain nombre d'initiatives qui nous paraissaient entrer
dans le champ de nos responsabilités. Nous sommes ainsi intervenus auprès de
l'Union européenne sur le plan humanitaire pour que, le plus vite possible,
l'envoyé de l'Europe, M. Ajello, se rende sur place. Il y est actuellement pour
étudier et faciliter toutes les solutions propres à permettre l'acheminement de
vivres et de secours aux personnes qui ont été jetées sur les routes.
De même avons-nous soutenu les initiatives du secrétaire général de l'ONU, qui
vient de désigner un représentant personnel dans la région pour faciliter la
reprise des contacts et du dialogue, car il n'y aura pas de solution en dehors
du dialogue.
En ce qui nous concerne, nous redisons avec force qu'une conférence des Grands
Lacs est aujourd'hui indispensable pour réunir autour de la même table les pays
de la région, sous l'égide des Nations unies, sur cinq sujets qu'il convient de
traiter enfin : le retour des réfugiés chez eux, le jugement nécessaire des
auteurs des massacres de 1994, l'organisation des pouvoirs dans ces pays
ébranlés, les garanties à donner aux minorités et, enfin, l'aide que, dans ces
conditions, la communauté internationale pourrait apporter pour permettre aux
uns et aux autres de retrouver la paix.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous
confirmer que notre ambition est d'être présents partout où sont nos intérêts,
et ils sont eux-mêmes présents partout. Notre ambition est d'être présents dans
tous les grands débats du monde, et je crois que c'est possible. Cela dépend,
pour l'essentiel, s'agissant de la France, de sa volonté, de sa détermination
et de sa capacité à s'engager elle-même.
Vous le savez, le monde nous regarde comme un pays différent des autres. Nous
en tirons souvent de la fierté, mais cela nous donne aussi des devoirs. En
effet, ce ne sont pas seulement nos cinquante-huit millions d'habitants que le
monde regarde, ce sont nos valeurs, c'est notre histoire. Et c'est ce que nous
sommes dans le regard des autres qui nous fait obligation.
M. Alain Peyrefitte.
Très bien !
M. Hervé de Charette,
ministre des affaires étrangères.
C'est pour toutes ces raisons que la
France doit avoir une politique étrangère mondiale et être présente, y compris
là où, parfois, on ne la souhaite pas et on ne l'attend pas, mais où elle a des
responsabilités car elle en a vis-à-vis de tous les citoyens du monde.
Voilà pourquoi nous agissons, et les encouragements ainsi que les appuis que
vous avez apportés à la politique que conduit le Gouvernement, sous l'autorité
spécifique du Président de la République s'agissant de la politique étrangère,
me sont allés droit au coeur.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le
numéro 59 et distribuée.
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