M. le président. Par amendement n° 81, Mmes Fraysse-Cazalis et Demessine, M. Fischer, Mme Beaudeau, M. Loridant, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 23, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après le septième alinéa (6°) de l'article L. 322-5 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« ...° Lorsque le bénéficiaire est un enfant de moins de six ans. »
« II. - Le taux de la part patronale de la cotisation maladie du régime général est relevé à due concurrence.
« III. - Les taux de la contribution employeur des régimes spéciaux sont relevés à due concurrence.
« IV. - Le taux de la dernière tranche du barème défini à l'article 885 U du code général des impôts est relevé à due concurrence. »
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Cet amendement vise à assurer la gratuité des soins médicaux fournis aux enfants de moins de six ans.
La santé est aujourd'hui aussi affaire de lutte contre toutes les exclusions qui peuvent provenir des inégalités sociales et de la précarisation forcenée des personnes placées dans certaines situations sociales.
L'actualité la plus récente montre quelles catégories sociales sont les plus vulnérables ; il s'agit en particulier des personnes seules - il en est de nombreuses parmi le million de RMistes que compte notre pays - des mères de famille célibataires, des chômeurs, des personnes mal logées ou sans domicile fixe.
Cette situation a des traductions concrètes. L'absence de couverture sociale complémentaire conduit de nombreuses familles à recourir au dispositif d'aide médicale pour faire face au forfait hospitalier ou au ticket modérateur.
Cela représente un coût de plus en plus élevé pour la collectivité, d'autant que, pour de nombreuses familles, il est si difficile d'avancer le prix d'une consultation médicale qu'elles tendent à retarder cette consultation jusqu'au moment où la maladie devient insupportable.
Cette situation affecte de façon déterminante les enfants les plus jeunes.
Le code de la santé publique permet aux enfants de moins de six ans et aux mères de famille de bénéficier d'un suivi médical particulier, tant lors de la période de grossesse que lors des premières années de la vie de l'enfant.
C'est ce qui justifie l'existence du carnet de santé, où sont indiqués les examens à subir obligatoirement durant ces périodes : état général de santé, croissance, vaccinations, etc.
Cependant, ces dernières années ont été marquées par la réapparition d'affections que l'on croyait disparues, et cela ne pose pas seulement la question de l'efficacité de notre système de protection sociale, contrairement à ce qu'on a, un temps, voulu faire croire.
C'est ainsi qu'à Paris, comme dans d'autres grandes agglomérations, on constate le retour de la tuberculose ou, dans certains quartiers, le développement du saturnisme, deux maladies qui sont, par excellence, des maladies de la pauvreté et de la précarité ; des cas de scorbut ont également été relevés.
En outre, un nombre croissant de jeunes connaissent aujourd'hui de graves carences alimentaires ; cela se manifeste au grand jour dans les collèges des quartiers les plus défavorisés, mais aussi dans les lycées et à l'université, par exemple à Paris X - Nanterre.
Notre pays dispose pourtant de réelles capacités pour répondre aux besoins sanitaires de la petite enfance. Je pense notamment au réseau très dense de centres de protection maternelle et infantile et de centres de santé, présents en particulier dans les quartiers le plus en difficulté, où ils répondent à un besoin social que la médecine libérale, surtout celle du secteur II, n'est pas toujours en mesure de prendre en compte.
A ce propos, on ne peut que regretter qu'une organisation comme la Croix-Rouge ait choisi, ces dernières années, de réduire le nombre de ses établissements.
Comment ne pas souligner également le processus qui a pu conduire une association comme Médecins sans frontières à ouvrir des centres d'accueil pour les plus démunis ? Il faut savoir que la fréquentation de ces centres ne cesse d'ailleurs de croître : 40 000 consultations en 1996, soit 10 000 de plus qu'en 1995.
Il s'agit ici, dans le cadre d'une solidarité bien comprise, fondement même de notre système de protection sociale, de permettre l'accès gratuit aux soins pour l'ensemble des enfants de moins de six ans.
Quelle meilleure manière, en effet, d'assurer aux enfants de ce pays une bonne entrée dans la vie que de prévenir autant que faire se peut des affections qui risquent de remettre en cause leur avenir ?
C'est au nom de ce devoir de solidarité, d'ailleurs inscrit pour l'essentiel dans la Déclaration des droits de l'enfant, que notre pays a ratifié, que nous appelons le Sénat à adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Descours, rapporteur. Je n'ai bien évidemment pas à juger la valeur de vos amendements, mon cher collègue, mais je dois reconnaître que vous soulevez là un véritable problème. Un pays riche comme la France doit faire en sorte que ses enfants soient traités convenablement, quelle que soit leur condition sociale. Vous avez reconnu que l'aide sociale, certes prise en charge par les collectivités locales et en augmentation constante, constitue un très bon filet auquel peu échappent.
Le Gouvernement doit présenter dans quelques semaines un projet de loi relatif à l'assurance maladie universelle, qui correspond à un réel besoin. Nous ne savons pas combien de personnes seront concernées, mais ce dispositif constituera un nouveau filet social.
Nous partageons donc votre souci, mais, compte tenu de la situation actuelle de l'assurance maladie, nous ne pouvons pas émettre un avis favorable sur votre amendement. Toutefois, je le répète, le problème que vous soulevez est réel et j'espère que, soit l'aide sociale, soit l'assurance maladie universelle prendront en charge ces enfants défavorisés, car ils doivent être traités convenablement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Je tiens tout d'abord à vous remercier, monsieur Fischer, d'avoir mis l'accent sur certains problèmes qui se posent aujourd'hui dans notre pays en matière d'accès aux soins et de santé des jeunes.
M. René Régnault. Très bien !
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. En réalité, vous avez abordé deux sujets : l'accès aux soins, d'une part, et la politique de santé qui doit être menée en faveur des jeunes, d'autre part.
Sur le premier point, comme vient de le rappeler M. le rapporteur, le Gouvernement présentera, au cours des prochains mois, un projet de loi relatif à l'assurance maladie universelle qui apportera une réponse globale à la prise en charge des soins. Toutefois, même si nous parvenions à résoudre, sur le plan juridique, le problème de l'accès aux soins, ce que nous ferons, la question ne sera pas totalement réglée.
C'est la raison pour laquelle le projet de loi relatif à la cohésion sociale contient un certain nombre de dispositions concernant l'accès aux soins des plus démunis, dispositions que nous avons prises en étroite collaboration avec M. Xavier Emmanuelli, secrétaire d'Etat à l'action humanitaire d'urgence.
De ce point de vue, le projet de loi relatif à la cohésion sociale et celui sur l'assurance maladie universelle permettront à chaque Français de bénéficier d'un accès aux soins.
Vous avez également évoqué la politique de santé en faveur des jeunes. La France - et nous pouvons nous en enorgueillir - a été l'un des pays pionniers en matière de protection maternelle et infantile. A cet égard, il convient de rendre hommage au professeur Robert Debré. La protection maternelle et infantile doit toujours être une priorité et l'action du Gouvernement, de la Caisse nationale de l'assurance maladie et des conseils généraux, qui interviennent en première ligne sur ce dossier, doit être encore et toujours renforcée.
Mais, au-delà de la protection maternelle et infantile, nous devons développer une politique globale de santé en faveur des jeunes. Telle sera la tâche à laquelle je m'emploierai au cours de l'année 1997. J'observe, d'ailleurs, que c'est l'une des priorités qui a été fixée par la conférence nationale de santé.
A cet égard, je précise qu'il faut notamment prendre en compte - et vous l'avez mentionné, monsieur Fischer - les problèmes de nutrition, car ceux-ci sont trop souvent absents de nos programmes de santé publique. Aussi devons-nous mettre davantage l'accent sur ces problèmes, soit dans le cadre de la protection maternelle et infantile, soit dans celui de la médecine scolaire qui est, comme chacun le sait, un secteur très important de notre politique de santé.
M. René Régnault. Elle est abandonnée !
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Telle est la réponse que je souhaitais vous apporter, monsieur Fischer.
Pour le reste, nous partageons la position de la commission des affaires sociales. L'amendement, tel qu'il est rédigé, ne répond pas à la problématique que nous devons régler ensemble. Le projet de loi relatif à la cohésion sociale et celui sur l'assurance maladie universelle permettront, quant à eux, de répondre aux véritables questions que vous avez posées. En conséquence, le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 81.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 81.
M. François Autain. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Autain.
M. François Autain. Le groupe socialiste votera cet amendement car M. Fischer a mis l'accent sur un véritable problème, qui se pose à l'heure actuelle. En effet, les familles les plus défavorisées ont de plus en plus de mal à accéder aux soins, compte tenu du faible taux de la couverture sociale et de l'existence du secteur 2. Il y a donc urgence.
Par ailleurs, j'ai bien écouté les arguments de M. le secrétaire d'Etat. Toutefois, comme il ne peut pas nous dire quand viendront en discussion le projet de loi relatif à la cohésion sociale et celui sur l'assurance maladie universelle, un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Je préfère donc voter cet amendement plutôt que d'attendre ces textes. Je regrette d'ailleurs que l'on n'ait pas profité de ce projet de loi pour débattre de la loi sur l'assurance maladie universelle, contrairement d'ailleurs à ce qu'avait prévu initialement le plan Juppé. Ce dispositif doit faire partie des mesures qui, comme beaucoup d'autres, ont dû être annulées ou remises.
M. René Régnault. Quel dommage !
M. Charles Descours, rapporteur. Vous n'aviez rien fait quand vous étiez au pouvoir !
M. Ivan Renar. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. M. le rapporteur et M. le ministre ont bien voulu reconnaître le bien-fondé de notre amendement, même s'ils ne sont pas allés jusqu'à en proposer l'adoption.
Cet amendement soulève, à notre avis, une grave question, compte tenu de la situation sanitaire désastreuse d'une partie de plus en plus importante de la population de notre pays. Il constitue, selon nous, une mesure de justice sociale au moment où nous allons instituer la journée des droits de l'enfant. Il constitue également un investissement qui permettrait de réaliser très rapidement des économies puisque nombre de maladies seraient évitées si tous les enfants étaient soignés comme ils devraient l'être.
Cet amendement, s'il était adopté, permettrait, sans attendre d'hypothétiques textes, à la justice sociale de notre pays de faire un grand pas.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je ne voterai bien évidemment pas cet amendement puisque la commission y a donné un avis défavorable, mais je voudrais insister sur le fait que ce problème du traitement convenable de tous les enfants ne peut pas se règler par le biais de solutions uniquement juridiques.
Ni le système d'assurance généralisée ni le système de gratuité ne sont suffisants, et il appartient au Gouvernement de mettre un peu d'ordre dans ces problèmes administratifs.
En effet, je constate, par mon expérience sur le terrain, que les rapports entre les services de la PMI, de la DDASS et de la santé scolaire ne sont pas bons. Si nous parvenions à instaurer une autorité unique qui aurait en charge la santé des enfants en veillant à leur bon état sanitaire dans les écoles maternelles - je pense notamment à un dépistage de la surdité, de la dyslexie et de problèmes ophtalmologiques - et en traitant des problèmes de nutrition dans l'ensemble des cantines scolaires et des restaurants municipaux, si nous instaurions un contrôle systématique de la santé des jeunes enfants en maternelle et au début du cycle primaire, nous éviterions nombre d'incidents et de nombreuses dépenses à la sécurité sociale. En effet, la dyslexie est très souvent détectée quelques années plus tard et les dépenses qu'il faut engager pour essayer de la corriger sont alors très élevées.
En conséquence, monsieur le secrétaire d'Etat, je lance un appel au ministre de la santé. Le système de santé scolaire ne fonctionne pas bien. Le responsable de la santé publique doit donc coordonner l'ensemble des activités des diverses administrations et des collectivités territoriales afin de prendre à bras-le-corps le problème de la santé des enfants. Il s'agit d'un problème essentiel pour le développement de notre pays mais aussi pour la sécurité sociale.
Certes, nous allons voter des textes, mais le Gouvernement devrait également aborder et tenter de résoudre l'ensemble des problèmes liés à la santé des jeunes, problèmes très délicats qui nous assimilent aujourd'hui plus à un pays en recul qu'à un pays développé.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 81, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
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