M. le président. « Art. 3 bis . _ L'article 12 de la même ordonnance est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La carte de séjour temporaire peut être retirée à tout employeur, titulaire de cette carte, en infraction avec l'article L. 341-6 du code du travail. »
Sur l'article, la parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 3 bis est l'un des nombreux articles introduits dans le texte par l'Assemblée nationale. Il n'est donc pas dû à l'initiative du Gouvernement, il n'avait pas été proposé par M. le ministre de l'intérieur dans ce projet de loi rendu nécessaire pour corriger les dysfonctionnements des lois de 1993. Il ne s'agit donc pas d'une disposition purement technique.
Cette disposition donnerait à l'administration le pouvoir de retirer la carte de séjour temporaire - l'objet de l'article 3 ter est identique en ce qui concerne la carte de résident - à l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en violation de l'article L. 341-6 du code du travail, c'est-à-dire une personne en situation irrégulière.
L'article L. 341-6 du code du travail dispose en effet : « Nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France.
« Il est également interdit à toute personne d'engager ou de conserver à son service un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles qui sont mentionnées, le cas échéant, sur le titre prévu à l'alinéa précédent. »
Cela signifie qu'un étranger qui emploierait, alors que lui-même serait en situation régulière, un étranger en situation irrégulière serait passible de sanction. C'est la moindre des choses, et cette disposition est évidemment déjà prévue dans le code du travail.
Toutefois, en ce qui concerne la carte de résident, la sanction dépend de la gravité des faits. Le cas d'un « négrier » qui emploie de nombreux travailleurs irréguliers et les exploite est inadmissible, et il doit être expulsé le plus tôt possible. En revanche, le cas d'un résident installé en France avec toute sa famille depuis trente ans et qui emploie un jour un garçon pour nettoyer son jardin pendant une heure n'est pas similaire.
Or, l'ordonnance prévoit déjà, en son article 25, qui énonce la liste des personnes inexpulsables, que celles-là peuvent tout de même être expulsées lorsqu'elles sont condamnées définitivement à une peine d'emprisonnement sans sursis d'une durée quelconque pour une infraction prévue, en particulier, à l'article L. 364-2-1 du code du travail.
Et l'article L. 364-2-1 du code du travail est précisément celui qui prévoit des peines pour ceux qui commettraient une infraction à l'article L. 341-6, c'est-à-dire qui emploierait un travailleur irrégulier.
Donc, je me répète - mais j'en ai terminé, monsieur le président (Sourires) - il est d'ores et déjà possible d'expulser une personne qui a été condamnée à une peine de prison ferme, quelle qu'en soit la durée, si elle a employé un travailleur irrégulier.
Dans ces conditions, est-il absolument nécessaire de donner, en plus, à l'administration la possibilité d'expulser cette personne avant même qu'elle soit condamnée - nous le verrons tout à l'heure - et alors que cette condamnation peut être une amende de 100 francs ou de 200 francs ? Sûrement pas !
C'est pourquoi nous sommes contre ces articles.
M. le président. Sur l'article 3 bis , je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L'amendement n° 63 est présenté par M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 119 est déposé par MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 197 est présenté par Mme Dusseau.
Tous trois tendent à supprimer l'article 3 bis .
Par amendement n° 120, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélanchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans le texte présenté par l'article 3 bis pour compléter l'article 12 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, de remplacer les mots : « en infraction avec » par les mots : « ayant fait l'objet d'une condamnation définitive sur le fondement de ».
La parole est à M. Pagès, pour défendre l'amendement n° 63.
M. Robert Pagès. Nous n'éprouvons aucune sympathie particulière pour les employeurs de main-d'oeuvre clandestine, dans les conditions souvent épouvantables que nous connaissons. Encore faudrait-il quelquefois distinguer, comme le disait notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt, entre le véritable négrier et l'employeur occasionnel. Mais ce n'est pas l'essentiel dans ce texte.
Ce qui nous semble le plus important - j'y reviendrai avec l'amendement n° 64 - c'est qu'il y a là une sorte de double peine suivant que l'on a affaire à un Français ou à un étranger. Il nous semble que c'est dangereux et, de surcroît, que ce n'est pas admissible, car tout dans notre législation, tout dans notre Constitution réaffirme le principe de l'égalité devant la loi. Or, ici, il y a rupture du principe d'égalité.
C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il faut supprimer cet article, d'autant que les textes actuels prévoient déjà d'autres possibilités de sanctionner les atteintes au droit du travail.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 119.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cet amendement tend à supprimer l'article 3 bis, pour les raisons que j'ai dites à l'instant.
C'est un problème un peu technique, mais je pense que tout le monde l'a tout de même bien compris. Je me bornerai donc à répéter très brièvement ce que j'ai dit tout à l'heure.
Vous souhaitez que l'étranger qui emploie un travailleur irrégulier puisse être expulsé, dès lors qu'il est condamné définitivement à une peine de prison sans sursis quelle qu'en soit la durée.
Le texte vise les différentes infractions au code du travail, mais sans préciser la condition d'une condamnation définitive. Il donnerait donc, en plus, à l'administration le pouvoir de retirer purement et simplement la carte de séjour sans même qu'il y ait condamnation. Cela suffit ! Il n'appartient pas à l'administration de déterminer s'il y a contravention ou non, les tribunaux sont là pour cela ! C'est ce que nous proposerons de préciser dans un instant, à titre de repli. A titre principal, concernant la durée de la peine, les diverses lois Pasqua sont déjà descendues très en dessous de la barre habituelle pour ce genre de délit. Or la peine visée ici n'est pas un an de prison ferme, mais une peine de prison ferme quelle qu'en soit la durée. Cela peut donc être un ou deux jours !
Je ne comprends pas, monsieur le rapporteur, que vous n'ayez pas vous-même demandé la suppression de ces articles nouveaux qui « surchargent la barque » ! Vous avez prétendu vouloir vous en tenir au texte initial du Gouvernement. Ce n'est pas ce que vous faites jusqu'à présent ! Certes, le Gouvernement ne s'est pas encore prononcé, et peut-être M. le ministre va-t-il nous surprendre heureusement en demandant lui-même la suppression de ces articles ! Mais la position de la commission m'étonne, car elle est contraire à la philosophie que M. le rapporteur a jusqu'à présent présenté comme sienne.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau, pour défendre l'amendement n° 197.
Mme Joëlle Dusseau. Je vais, bien sûr, reprendre les arguments des orateurs qui m'ont précédée.
Il est évident que l'on traite différemment l'employeur qui recourt au travail illégal selon qu'il est Français ou non ! Cette discrimination me paraît déjà abusive, mais l'amalgame qui est fait quel que soit le type de l'emploi du travailleur illégal et quelle qu'en soit la durée me paraît tout à fait scandaleux.
Par ailleurs, prévoir qu'il y aura une décision administrative - c'est ce qui me frappe d'une manière générale dans ce projet de loi, et il faut que nous y réfléchissions - constitue une extension tout à fait abusive du recours à l'administration plutôt qu'à la justice. C'est grave, en cette matière comme en d'autres, car, comme le disait M. Dreyfus-Schmidt, il existe déjà, dans les lois existantes, tout un arsenal - heureusement, d'ailleurs ! - qui permet de retirer sa carte de séjour à celui qui, dans un certain nombre de circonstances, emploie de manière scandaleuse ou anormale des personnes qui sont en situation irrégulière.
Nous généralisons des dispositions sans discrimination, et par décision administrative. Cela me paraît anormal, et je demande donc la suppression de cet article.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 120.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai déjà dit à quel point cet amendement était un amendement de repli, puisque nous continuons à demander avec beaucoup d'insistance la suppression de l'article 3 bis, qui donne un pouvoir exorbitant à l'administration.
Surtout, que l'on ne nous fasse pas de grandes déclarations en prétendant que nous sommes favorables au travail irrégulier, au travail dissimulé, et que nous voulons éviter qu'il y ait une double peine !
Je note simplement que, si c'est un national qui emploie des irréguliers - c'est très grave aussi, de la part d'un national ! - il sera condamné à de la prison, mais ne sera pas expulsé, on ne lui retirera pas une carte quelconque.
Que l'on ne nous reproche pas, donc, de nous opposer à ce que l'étranger qui emploierait des irréguliers soit condamné à une double peine. Nous sommes parfaitement d'accord. On peut expulser ces employeurs quelle que soit leur situation de famille lorsqu'ils ont employé des irréguliers et qu'ils ont été condamnés à une peine de prison ferme, quelle qu'en soit la durée. C'est déjà prévu dans la loi.
Mais, je l'ai dit, il y a tout de même une différence énorme entre ces deux situations et, ici, nous tombons dans l'arbitraire le plus complet.
De plus, l'article 3 bis dispose que : « La carte de séjour temporaire peut être retirée à tout employeur, titulaire de cette carte, en infraction avec l'article L. 341-6 du code du travail. » A tout le moins, il aurait fallu remplacer les mots : « en infraction avec », par les mots : « ayant fait l'objet d'une condamnation définitive à l'infraction prévue par ». Je rectifie donc l'amendement en ce sens.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 120 rectifié, présenté par MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés, et tendant, dans le texte proposé par l'article 3 bis pour compléter l'article 12 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, à remplacer les mots : « en infraction avec » par les mots : « ayant fait l'objet d'une condamnation définitive à l'infraction prévue par ».
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 63, 119, 197 et 120 rectifié ?
M. Paul Masson, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Depuis quarante-huit heures, j'entends sur toutes les travées de la gauche de cet hémicycle des propos tendant à inciter le Gouvernement à ne pas se tromper de cible, à frapper fort l'employeur qui fait travailler des personnes dans des conditions irrégulières, qui verse un salaire dérisoire à un étranger en situation irrégulière dans des ateliers clandestins... Eh bien ! nous y sommes !
Mme Joëlle Dusseau. Il n'y a pas que cela dans le travail irrégulier !
M. le président. Je vous en prie, madame Dusseau.
M. Paul Masson, rapporteur. Les articles 3 bis et 3 ter ont précisément pour objet de frapper non pas le salarié mais l'employeur et, en l'espèce, l'employeur étranger titulaire d'un titre de séjour ou d'une carte de résident, donc quelqu'un qui jouit de la confiance du Gouvernement de la République.
Et que fait cet étranger employeur à qui le Gouvernement a accordé sa confiance ? Il tourne les lois de la République, il favorise l'immigration clandestine, il exploite son monde et il gagne de l'argent dans des conditions irrégulières !
Pour lutter contre cet état de choses, il nous est proposé un dispositif efficace. C'est une décision administrative, qui a effet immédiat. Mais cette décision n'est pas automatique, il y a toujours appréciation : le texte dit « peut » et non pas « doit ».
Mme Joëlle Dusseau. C'est l'administration, pas la justice !
M. Paul Masson, rapporteur. L'administration a son tribunal, madame. Elle a sa hiérarchie, elle a ses recours, les recours gracieux et les recours contentieux.
Donc, le tribunal administratif jugera. Il jugera et - je réponds là à l'observation de M. Dreyfus-Schmidt - si, effectivement, la condamnation définitive du fait est sans rapport avec la mesure prise, le tribunal administratif annulera la mesure prise par l'autorité qui l'a prononcée. (Mme Joëlle Dusseau s'exclame.)
M. le président. Madame Dusseau, en l'instant, seul M. le rapporteur a la parole.
M. Paul Masson, rapporteur. Par conséquent, je n'ai pas le sentiment que l'on surcharge la barque en prenant une mesure qui frappera de manière effective et spectaculaire. Car cela se saura !
A cet égard, il sera beaucoup plus efficace, me semble-t-il, d'avoir cette réaction immédiate sur une flagrance, puisque l'intéressé sera pris sur le fait, que d'attendre le jugement et l'appel, qui suivront parallèlement leur cours jusqu'à la condamnation définitive, le cas échéant.
En effet, pendant tout ce temps, l'étranger aura changé de situation, il aura transformé son exploitation, il sera parti ailleurs, et la procédure recommencera ailleurs.
On ne peut à la fois tenir des discours particulièrement véhéments sur le travail au noir et dire, à chaque fois qu'une mesure est proposée, que c'est trop, que c'est injuste. Il faut savoir ce que l'on veut !
Voilà pourquoi la commission à émis un avis défavorable sur les amendements n°s 63 et 119, 197 et 120 rectifié. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les quatre amendements ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Encore une fois, je ne vous comprends pas, messieurs.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On va vous expliquer !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Cela étant, je vois parfaitement tout ce qui nous sépare.
C'est vrai, ce n'est pas moi qui ai rédigé cet article. Mais pourquoi aurais-je dû refuser une disposition intéressante qui émanait de l'Assemblée nationale ? C'est cela le pouvoir législatif, monsieur Dreyfus-Schmidt !
Sur le fond, le dispositif vise les employeurs étrangers de main-d'oeuvre étrangère sans titre de travail. A l'encontre de ces gens-là, je vous le dis, même si cela ne vous plaît pas, je ne veux faire preuve d'aucune faiblesse. Il n'est pas concevable qu'on laisse ces individus continuer à sévir.
Peut-être le dispositif n'est-il pas assez efficace à vos yeux. En tout cas, par cette procédure, nous donnons à l'administration la faculté de retirer le titre de séjour après une procédure contradictoire...
Mme Joëlle Dusseau. Où est la procédure contradictoire ?
M. le président. Madame Dusseau, je vous en prie.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Mais, madame, c'est tout ce qui nous sépare.
Je le répète depuis le début de ce débat : j'entends, dans ce pays, lutter chaque jour contre les employeurs de main-d'oeuvre clandestine et, en l'espèce, j'entends lutter plus efficacement contre les étrangers qui emploient une main-d'oeuvre clandestine.
Je n'ai pas de faiblesse, et c'est tout ce qui nous sépare, car, en fin de compte, vous cherchez par des moyens dilatoires à éviter qu'un message fort soit adressé à ces gens-là. Moi, je veux leur envoyer un message fort parce qu'ils sont une insulte à tous les travailleurs de France.
Voilà pourquoi je suis tout à fait défavorable aux quatre amendements !
Mme Joëlle Dusseau. Ce n'est pas possible !
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 63, 119 et 197.
Mme Monique ben Guiga. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme ben Guiga.
Mme Monique ben Guiga. On se fait la part belle en laissant accroire que ceux qui siègent dans cette partie gauche de l'hémicycle défendent les étrangers employeurs de main-d'oeuvre étrangère clandestine. Il est évident que nous luttons contre ces gens !
M. Christian Bonnet. Paroles !
Mme Monique ben Guiga. La plupart des textes tendant à réprimer le travail clandestin ont été votés à l'époque où les socialistes étaient majoritaires ; il suffit de regarder le code du travail !
Par ailleurs, ce n'est pas nous qui diminuons à ce point les crédits de l'inspection du travail qu'il n'y a plus assez d'inspecteurs pour effectuer les contrôles nécessaires.
Pour nous, un dispositif efficace, ce n'est pas nécessairement une sanction administrative, comme le prétend M. le rapporteur.
Dire que c'est spectaculaire, que c'est dissuasif, que cela se saura, que cela fera peur, c'est adopter une attitude répressive brutale, sans tenir compte du droit, minimal, à une procédure contradictoire.
Où est la procédure contradictoire lorsqu'on fait l'objet d'une sanction administrative ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. C'est le droit commun, madame !
Mme Monique ben Guiga. Il n'y a pas de procédure contradictoire ! L'infraction n'est pas vérifiée ; sa gravité n'a pas été mesurée au cours d'une procédure judiciaire. S'il est juste, en effet, de retirer la carte de séjour à un négrier, il faut tout de même que celui-ci ait été condamné, qu'on n'en reste pas au stade de l'infraction, où l'on a déjà vu des choses quelque peu bizarres !
L'annulation d'une mesure administrative par le tribunal administratif peut demander plusieurs années. Si donc un étranger est injustement accusé d'employer de la main d'oeuvre clandestine, il faudra des années pour que le tribunal administratif revienne sur la sanction.
Voilà pourquoi nous demandons que cet employeur étranger soit condamné et que ce soit à ce titre qu'on lui retire sa carte de séjour.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Je suis frappée par le gêne de M. le rapporteur et de M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je ne suis pas gêné du tout !
Mme Joëlle Dusseau. En effet, le texte fait tomber le couperet de la décision administrative, et il se rendent bien compte qu'il y a là quelque chose qui n'est pas très sain sur le plan du droit. (Murmures sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. C'est vous qui le dites !
Mme Joëlle Dusseau. Alors, ils prétendent qu'on pourra toujours saisir le tribunal administratif ; ...
M. Jean Chérioux. Oui !
Mme Joëlle Dusseau. ... devant lequel il y aura une procédure contradictoire.
Or, la loi permet déjà de faire en sorte que, après jugement, donc après une procédure légale, la personne qui a commis l'infraction soit punie, c'est-à-dire se voie retirer sa carte de séjour et soit renvoyée. Pourquoi ne pas continuer tout simplement à utiliser ce qui existe ?
J'ai assisté naguère - au vrai sens du terme, c'est-à-dire il y a quelques jours - au débat sur le travail illégal.
M. Christian Bonnet. Nous aussi !
Mme Joëlle Dusseau. A cette occasion j'ai entendu nombre de nos collègues souligner le fait que, après tout, être un employeur illégal, bien sûr, ce n'était pas bien, mais qu'il ne fallait pas exagérer, que ce n'était pas un crime, qu'il ne fallait pas prévoir de trop lourdes peines de prison ou d'amendes trop élevées. Nous en avons entendu des choses sur certaines travées !
Et voilà que, soudain, cet employeur, à qui l'on trouvait, hier, un certain nombre d'excuses, qui a un titre de séjour tout à fait légal, qui peut, lui aussi, avoir une circonstance atténuante, se voit opposer une décision administrative ! Donc pas de jugement, pas de procès !
Tout le monde pense aux filières illégales organisées. Mais qu'en sera-t-il de l'étudiant étranger qui a une carte de séjour et qui fait un petit boulot pendant les vacances ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Il n'est pas employeur !
Mme Joëlle Dusseau. Si la personne qui l'a employé pour garder les enfants, par exemple, se trouve être un étranger, on lui retirera sa carte de séjour par décision administrative.
Voilà ce que l'on est en train de faire : un amalgame total, quelles que soient les situations.
Hier soir, quand vous avez mis en place et conforté ce système de fichier centralisé d'empreintes digitales, j'ai cité George Orwell en disant : « Big Brother vous regarde ». Cet écrivain a écrit un autre livre, La Ferme des animaux. Dans ce livre, on trouve une phrase célèbre que tout le monde cite : « Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres ».
Vous êtes en train de créer, mes chers collègues, des animaux moins égaux que d'autres, ...
M. Philippe de Bourgoing. C'est tout de même fabuleux !
Mme Joëlle Dusseau. ... non seulement avec cet article, mais avec toute une série d'articles, que vous avez votés !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Madame Dusseau, lorsque vous commettez une infraction au code la route, votre permis de conduire peut vous être retiré par l'administration avant toute décision juridiciaire. Vous êtes bien d'accord ?
Mme Joëlle Dusseau. Oui !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Cela veut donc dire, madame, que la procédure existe déjà.
Par ailleurs, en vertu du décret du 30 novembre 1983, il y a toujours un débat contradictoire lorsqu'une mesure est défavorable.
Ces deux précisions vous amèneront peut-être à réviser votre position !
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de grâce, pas de faux débat entre nous !
M. Jean-Jacques Hyest. Bien dit, monsieur Allouche !
M. Henri de Raincourt. Bravo !
M. Guy Allouche. Si vous lisez attentivement le code du travail, et les dates des décrets et des décisions qui ont été prises, vous constaterez que nous ne pouvons pas être accusés de ce dont vous nous accusez.
En effet, dès 1990-1991, un projet de loi contre le travail illégal a été présenté. Si ma mémoire est fidèle, et en la circonstance elle l'est, l'opposition d'alors, aujourd'hui la majorité, s'est opposée à ce texte.
Je suis navré de constater - et je ne porte pas de jugement - que vous êtes forts avec les faibles et faibles avec les forts. (M. Michel Dreyfus-Schmidt applaudit.)
Voilà quelques jours, dans ce même hémicycle, un projet de loi sur le travail illégal a été profondément édulcoré au motif que les sénateurs de la majorité sénatoriale avaient subi un assaut des lobbies patronaux.
Un sénateur socialiste. C'est ce que je disais hier !
M. Michel Caldaguès. Je n'ai rien reçu, moi !
Mme Joëlle Dusseau. C'est normal, vous êtes convaincu d'avance !
M. Guy Allouche. Nous avons eu connaissance qu'en ce domaine 6 % seulement des infractions concernaient l'emploi de personnes en situation irrégulière. Certes, ce sont déjà 6 % de trop. Mais de grâce, n'en tirez pas argument pour mettre en difficulté des patrons, qui sont répréhensibles certes, et personne ne vous dira le contraire, mais à l'égard desquels il faut respecter un certain parallélisme. Vous serez plus convaincants si vous êtes tout aussi sévères avec le lobby patronal français, qui, lui, exploite honteusement toute cette main-d'oeuvre clandestine et en situation irrégulière. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Michel Caldaguès. D'accord !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais dire à M. le ministre que je suis exactement comme lui : je ne le comprends pas.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Nous ne nous sommes jamais compris !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est évidemment toujours possible pour vous de nous montrer du doigt en disant que nous voulons protéger les étrangers qui emploient des travailleurs en situation irrégulière. L'argument est facile, démagogique et de mauvaise foi. Pourtant, tel n'est pas le cas. (M. Michel Caldaguès s'exclame.)
C'est tellement peu le cas que, nous, nous avons cru naïvement qu'il nous suffirait de dire que ce que vous visez est déjà prévu par l'ordonnance en question, et ce depuis 1991. C'est en effet en 1991 qu'il a été précisé que les étrangers qui ont été condamnés pour l'emploi d'étrangers irréguliers, fût-ce à un jour de prison, peuvent être expulsés. N'est-ce pas vrai, monsieur le ministre ?
Et, le 24 août 1993, votre majorité a repris cet article pour ajouter les cas de proxénétisme.
M. Michel Rufin. Heureusement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais personne, à l'époque, n'a pensé à la mesure, et vos services eux-mêmes n'y ont pas pensé.
Nous avons donc cru, nous, qu'il nous suffirait de vous dire que la loi le prévoyait déjà et que vous nous répondriez : « Oui, c'est vrai, donc nous allons supprimer cet article. »
Or vous nous répondez, monsieur le rapporteur : « Il y a des recours possibles. »
Mais non, il n'y aura pas de recours possible si celui qui a employé un étudiant deux heures pour garder sa fille le soir se voit retirer sa carte de résident, puisque la loi prévoit que c'est possible. Si l'on a un compte à régler avec celui-là pour une raison quelconque ce sera possible ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Michel Caldaguès. N'exagérez pas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je dis, messieurs, que ce sera possible, et ce même si l'intéressé avait des moyens de droit à faire valoir, parce qu'il n'aura pas même été jugé.
Je le répète, et j'aimerais que vous m'entendiez : ...
M. Alain Gournac. On vous entend !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... un étranger résident temporaire ou titulaire d'une carte de dix ans qui emploie un étranger irrégulièrement peut être expulsé s'il a été condamné ne fût-ce qu'à une peine de prison d'une journée. Cela suffit comme cela !
Mme Joëlle Dusseau. Non, cela ne leur suffit pas !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 63, 119 et 197, repoussés par la commission et par le Gouvernement.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 120 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Recommençons donc !
Lorsque l'on retire brusquement sa carte à quelqu'un qui est peut-être là depuis des années et qui a là ses parents, ses enfants, etc., c'est à la justice seule qu'il appartient de constater s'il y a infraction. Ce n'est pas à l'administration, qui n'a pas qualité pour cela.
C'est pourquoi nous demandons purement et simplement de prévoir qu'il faut attendre, pour expulser : un, qu'il y ait eu une condamnation, deux, que celle-ci soit devenue définitive.
N'est-ce pas le minimum ? A moins d'entrer dans l'arbitraire le plus complet !
Sur l'ensemble de ces dispositions, ce qui sépare la gauche de la droite, c'est que, pour la droite, l'administration a tous les pouvoirs, alors que, pour nous, l'administration est là uniquement pour exécuter les décisions administratives et que l'autorité judiciaire doit veiller au respect des garanties nécessaires.
Nous devrions être d'accord sur ce point puisqu'il est écrit dans la Constitution que c'est l'autorité judiciaire qui est la gardienne des libertés.
Nous sommes là au coeur du problème. Nous sommes d'accord à la rigueur, mais à la condition que l'autorité judiciaire veille au respect de la liberté individuelle.
Vous dites que ce n'est pas la peine, que l'administration est assez grande et que l'on pourra introduire des recours, comme le soutient M. le rapporteur - recours qui, si nous sommes dans le cas minimum, n'auront aucune chance d'aboutir. Mais là n'est pas le problème. Je le répète, il n'appartient pas à l'administration de dire s'il y a infraction ou non, c'est l'autorité judiciaire qui doit en décider et éventuellement condamner.
C'est pourquoi nous demandons au Sénat au moins de voter cet amendement n° 120 rectifié, qui, vous le voyez, est un amendement de repli puisqu'il donne l'autorisation, que vous avez acceptée en ne votant pas l'amendement de suppression, à l'administration de retirer la carte, même s'il n'y a pas de condamnation à une peine de prison, fût-ce un jour.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 120 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3 bis.
M. Robert Pagès. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le groupe socialiste également.
Mme Joëlle Dusseau. Moi aussi !
(L'article 3 bis est adopté.)
Article 3 ter