COLLECTIVITÉS LOCALES

Suite du débat
sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. Nous reprenons le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur les collectivités locales.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est avec satisfaction que le Grand Conseil des communes de France débat aujourd'hui d'un sujet aussi passionnant que les collectivités locales.
Vous me permettrez, monsieur le ministre, de vous remercier d'avoir bien voulu situer les enjeux de la politique gouvernementale à l'égard des collectivités locales.
Ces échanges sont pour nous l'occasion de faire un bilan de la décentralisation quinze ans après le vote des premières lois.
Globalement, tant pour les citoyens que pour les élus locaux, la décentralisation se révèle être un objet de consensus et de satisfaction.
Comme le souligne brillamment le rapport rédigé par la commission des lois, dont je tiens à saluer l'excellent travail, comme je salue l'engagement continu de notre collègue Daniel Hoeffel, la décentralisation a permis de libérer les énergies territoriales, d'impulser une formidable dynamique collective et de rapprocher le processus de décision publique du citoyen.
Toutefois, il serait vain de croire que la décentralisation est achevée. C'est un processus en construction permanente que nous nous devons ensemble, représentants des collectivités locales et Etat, de consolider et de poursuivre, et ce d'autant plus qu'aujourd'hui un sentiment de découragement se propage parmi les élus locaux.
Ainsi, selon un récent sondage de l'institut IPSOS, 79 % d'entre eux estiment qu'il est de plus en plus difficile d'exercer son mandat et 85 % déclarent que la complexité des dossiers et des contraintes juridiques pesant sur eux risquent d'entraîner, à terme, leur désengagement de la vie publique.
MM. Christian Poncelet et Paul Girod ont dressé une liste non exhaustive des difficultés que nous rencontrons.
Il convient donc, monsieur le ministre, de conduire les réformes qui s'imposent, et ce afin de ne pas décevoir les élus locaux.
Parmi les principales difficultés rencontrées par les collectivités territoriales, j'attirerai plus particulièrement votre attention sur trois d'entre elles : tout d'abord, l'implication croissante et mal maîtrisée des collectivités locales, notamment des communes, dans la lutte contre le chômage, mais aussi en faveur de l'industrialisation ; puis le sous-encadrement du personnel ; enfin, les difficultés propres aux finances communales.
Depuis quelques années, les collectivités locales ne peuvent plus se contenter de mener une simple politique de développement économique visant à attirer les entreprises. Elles sont impliquées de fait dans l'effort national de lutte contre le chômage.
En effet, comme le souligne le Manifeste des maires de France pour l'emploi, quand, dans une commune, des usines ferment et que les entreprises licencient, ce n'est pas vers l'Etat que les habitants se tournent : c'est vers le maire. C'est auprès de lui qu'ils cherchent de l'aide.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Joseph Ostermann. J'en fais l'expérience chaque jour dans ma commune, et je refuse, comme la plupart de mes collègues maires, de regarder la situation économique et sociale se dégrader.
Il me paraît d'ailleurs évident que, de par la bonne connaissance qu'ils ont de leur territoire et de ses ressources, les élus locaux peuvent apprécier les possibilités réelles de développement économique et d'emploi.
Les collectivités territoriales ont donc une certaine légitimité à intervenir et mènent ainsi des actions très diversifiées.
Elles rencontrent toutefois, comme dans d'autres domaines, de nombreux obstacles, tant sur le plan politique et juridique que sur le plan financier.
Ainsi, elles n'ont pas reçu de compétences claires pour mener des actions en faveur de l'emploi. En effet, la politique de l'emploi, selon la loi, est du ressort de l'Etat et de lui seul.
Or, des forums locaux pour l'emploi au contrat d'initiative locale, en passant par la loi quinquennale pour l'emploi et les contrats de plan, un mouvement plus ou moins orchestré pousse aujourd'hui les collectivités locales à s'investir encore davantage dans l'économie, dans les politiques d'aménagement, du logement et d'insertion, en donnant bien entendu la priorité à l'emploi.
L'emploi est donc devenu une compétence « de fait » progressivement transférée aux collectivités locales par l'Etat.
Cette absence de cadre juridique peut se révéler extrêmement ennuyeuse, car elle conduit les collectivités locales à multiplier les initiatives en faveur de l'emploi de façon plus ou moins dérogatoire, sans véritable ligne directrice, avec parfois pour conséquence une certaine inefficacité.
En outre, je trouve personnellement très injuste que, du fait de certaines décisions - pourtant visées par l'autorité préfectorale - les élus locaux puissent être mis en cause plusieurs années plus tard, notamment en matière d'intervention industrielle.
Une véritable réforme du statut et de la responsabilité des élus locaux doit être mise en oeuvre afin de ne pas décourager les bonnes volontés.
Enfin, faute de politique globale concertée entre l'Etat et les collectivités territoriales, certaines mesures législatives définies au niveau national se révèlent inadaptées au contexte local. Il apparaît donc nécessaire, monsieur le ministre, de définir une politique globale de l'emploi, l'Etat en définissant les principales orientations, en concertation avec les collectivités.
Dans cette optique, ce dernier ne devrait-il pas reconnaître aux collectivités territoriales une autorité en matière de lutte contre le chômage ?
Toutefois, soyons clairs, cette reconnaissance ne peut constituer une fin en soi. Elle doit s'accompagner des transferts financiers correspondants, ce qui, comme le souligne notre collègue Paul Girod dans son rapport, n'est pas le cas.
Le deuxième obstacle majeur auquel se heurtent les collectivités réside dans l'enchevêtrement des dispositifs mis en place, du fait tant d'une répartition des compétences insuffisamment tranchée que d'une déconcentration inachevée. Cette « cacophonie institutionnelle » est source d'inertie et de gaspillage des énergies.
C'est le cas, entre autres, dans le domaine des aides au développement économique, domaine dans lequel une clarification s'impose. Mais prenons garde : une certaine coordination avec les pratiques adoptées par nos voisins européens est indispensable.
Pourquoi, monsieur le ministre, ne pas profiter du formidable élan donné par la réforme en cours de l'Etat pour procéder à un décloisonnement des services étatiques et à une meilleure déconcentration des compétences et des crédits ?
Des avancées sont cependant notables dans ce domaine comme en témoigne la récente déconcentration de l'enveloppe des crédits à l'emploi non affectés aux mains des préfets.
Pourquoi ne pas aller plus loin en envisageant, par exemple, comme le proposait l'année dernière un groupe de travail du groupe du RPR du Sénat, la création d'agences territoriales pour l'emploi ? Ces agences seraient placées sous l'autorité conjointe des collectivités locales et du préfet et, bien entendu, disposeraient de crédits décentralisés.
Un véritable partenariat entre l'Etat et les collectivités locales, mais aussi avec les entreprises et la société civile, reste à construire afin d'engager la dynamique d'une économie plus volontaire et plus solidaire de création d'emplois.
Permettez-moi, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d'aborder maintenant l'autre grande question qui me tient à coeur, à savoir le sous-encadrement, dans bien des cas, du personnel communal, voire du personnel intercommunal.
Les fonctionnaires du cadre A ne représentent aujourd'hui qu'à peine 5 % de l'ensemble des fonctionnaires territoriaux. Or, pour assumer correctement leurs nouvelles missions, telles que la politique de l'emploi précédemment évoquée ou le développement local, les collectivités locales ont plus que jamais besoin de cadres de haut niveau.
Plusieurs facteurs sont responsables de ce sous-encadrement.
Le problème des seuils constitue le premier d'entre eux. Il empêche les communes de taille modeste de retenir leurs éléments les plus qualifiés et les plus dynamiques.
En outre, la fonction publique territoriale souffre d'un sérieux manque d'attractivité pour les cadres du fait d'un niveau de rémunération trop faible et de perspectives de carrière trop lentes.
Ce manque d'attractivité peut d'ailleurs être considéré comme partiellement responsable du recrutement croissant de contractuels par des communes en quête de flexibilité.
A mon sens, d'ailleurs, le recrutement de contractuels devrait être considéré, au même titre que celui des fonctionnaires, comme l'un des instruments normaux d'une politique de l'emploi public, répondant à des besoins et des objectifs spécifiques.
Comme le rappelle Jacques Rigaudiat dans son rapport intitulé Gérer l'emploi public, « c'est le choix du mode de recrutement le mieux adapté qui doit déterminer celui du statut ».
Pour cela, ne conviendrait-il pas, monsieur le ministre, de mener une réflexion sur le statut même des contractuels ? En effet, les contours en demeurent flous et génèrent parfois certains abus, tels que le recours à du travail sous contrat à durée déterminée pour des fonctions permanentes.
Pour conclure sur ce point, il me semble évident que l'évolution des modes de gestion des personnels territoriaux dépendra de la conciliation qui sera recherchée entre l'exercice de la libre administration des collectivités territoriales, d'une part, et le maintien de garanties statutaires des agents, d'autre part, garanties statutaires qui seront d'autant mieux préservées que la fonction publique territoriale s'adaptera aux besoins des collectivités locales.
Enfin, j'achèverai mon intervention en vous livrant brièvement quelques réflexions sur les finances locales.
Tout d'abord, à l'image de notre fonction publique territoriale, le système fiscal local souffre de rigidités persistantes.
Ainsi, par exemple, dans le cadre de la coopération intercommunale, l'harmonisation progressive de la fiscalité se heurte au blocage des taux des quatre principales taxes locales. Nous devons permettre une réelle harmonisation et, en conséquence, au moins pour une durée limitée, décloisonner les taux.
En outre, la mise en place du nouveau système comptable, dit M 14, rend la procédure budgétaire plus longue et plus complexe nécessitant des moyens en personnel beaucoup plus importants, c'est-à-dire des agents territoriaux plus nombreux et mieux formés aux nouvelles techniques.
Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, les principaux points sur lesquels je souhaitais attirer votre attention.
Nous aurons l'occasion de revenir sur les structures intercommunales.
Par ailleurs, la réforme de la taxe professionnelle et sa répartition restent à mettre en oeuvre. Oublions cependant dès à présent la « nationalisation » de cette taxe.
Nous devons nous efforcer d'accompagner le dynamisme de nos collectivités et de soutenir le constant dévouement de nos élus en assouplissant et en simplifiant certaines procédures.
Je suis certain que le Gouvernement a pleinement conscience de cette nécessité, le projet de réforme du code des marchés publics - une réforme très attendue - l'atteste. Il prévoit en effet une simplification des procédures par la réduction de moitié du volume du code, ainsi que l'adoption d'une démarche pédagogique.
Je vous encourage, monsieur le ministre, à poursuivre dans la voie de la simplification, de la décentralisation et, par conséquent, de la gestion le plus près possible de nos concitoyens.
Nous savons que votre souci est d'aller dans ce sens et nous vous apporterons notre soutien, car, comme vous, nous sommes journellement confrontés à la gestion de nos collectivités locales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Régnault.
M. René Régnault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1996, le budget des collectivités locales a atteint 730 milliards de francs, soit plus de la moitié du budget de l'Etat et environ 10 % du produit intérieur brut.
Les collectivités locales représentent par ailleurs 1 350 000 emplois, dont 220 000 intéressant des personnes recrutées entre 1983 et 1993. Elles recrutent encore actuellement près de 20 000 agents par an et accueillent en outre plus de 2 000 contrats emploi-solidarité.
Au coeur de la lutte pour l'emploi, elles assurent aujourd'hui des missions essentielles au regard de l'équilibre social, tout en constituant les leviers incontournables de l'évolution de l'aménagement du territoire.
Elles sont et doivent demeurer les actrices de la cohérence territoriale.
Elles sont très impliquées dans des domaines aussi divers que la protection de l'environnement ou le logement social.
Elles sont indispensables à la mise en oeuvre de toute politique publique d'envergure, qui ne pourrait se passer de leur participation.
Championnes de l'investissement public toutes catégories, elles réalisent 81 % de l'investissement public, soit 12,5 % des investissements de la nation.
Je ne peux manquer de souligner que cet essor, pour une large part permis par la décentralisation, s'est réalisé dans le cadre d'une gestion saine. Depuis vingt ans, l'endettement est resté stable, à moins de 9 % du produit intérieur brut. Le besoin de financement des collectivités locales est aujourd'hui nul.
Cela, monsieur le ministre, ne peut et ne doit autoriser l'Etat et le Gouvernement à déstabiliser nos collectivités locales en s'attaquant insidieusement à ce qui, pour l'essentiel, les caractérise et honore leurs élus, lesquels sont au demeurant les mieux perçus par nos concitoyens.
Les collectivités locales sont déjà et seront encore confrontées à de lourds investissements : entretien d'un patrimoine de plus de 2 300 milliards de francs ; traitement des eaux et élimination des déchets, dans le respect des directives européennes ; sécurité des établissements scolaires et des équipements sportifs, notamment ; investissements dans les transports collectifs ; aménagement équilibré, socialement et géographiquement, du territoire.
Par ailleurs, de nouvelles missions se font jour et sont appelées à se développer. En effet, la demande sociale s'accroît et des emplois de proximité dans les secteurs de l'environnement, de la vie et de l'animation sociales peuvent encore être créés et répondre ainsi à la demande d'activité de celles et ceux que frappe le chômage.
La France de l'an 2000 a besoin que l'encadrement du développement se fasse au plus près des citoyens et dans la multiplication des partenariats.
D'ailleurs, comme le remarque une étude récente de M. Jacques Méraud, plus la dépense des administrations locales augmente, plus le produit intérieur brut augmente, lui aussi ; à l'inverse, quand la progression de leurs dépenses ralentit, la croissance du PIB en est freinée. La corrélation est également observée pour ce qui concerne les investissements.
Les socialistes, conscients de cela, ont accompagné la mise en place de ce nouveau rôle des collectivités locales quand ils étaient au gouvernement.
Ils l'ont fait en premier lieu, bien sûr, par l'instauration de la décentralisation, dont, après les débats bien difficiles que nous avons connus voilà quelque quinze ans, on dit maintenant beaucoup de bien dans tous les groupes. La décentralisation a permis de libérer les énergies, d'encourager les initiatives locales et de rapprocher les décisions des citoyens ; elle a ouvert un véritable droit à l'initiative, à l'imagination et au développement.
Ils l'ont fait, en deuxième lieu, en s'attelant au problème de la péréquation, avec l'instauration de mécanismes de redistribution horizontaux ; c'est ainsi que fut créée la dotation de solidarité urbaine en 1991, très décriée par l'opposition de l'époque.
Le mouvement vers l'égalité des ressources et l'équité, qui rejoint celui de l'aménagement du territoire, est indispensable et ne pourra se faire sans une certaine redistribution. Ainsi le veut d'ailleurs la référence à la fourchette 80/120 de la loi du 4 février 1995.
En troisième lieu, les socialistes ont accompagné l'épanouissement des collectivités locales par le formidable essor qu'a donné à l'intercommunalité la loi ATR de 1992. Le développement des partenariats, le regroupement des efforts et des ressources sont en effet indispensables, voire incontournables, comme le disait tout à l'heure le président de la commission des finances.
Mais, c'est aussi par une évolution positive des concours de l'Etat que les socialistes ont agi.
De 1983 à 1993, les recettes des collectivités locales ont augmenté en moyenne annuelle de plus de 5 %, soit beaucoup plus rapidement que celles de l'Etat. La DGF, la dotation globale de fonctionnement, a ainsi augmenté de plus de 30 % de 1988 à 1993, soit 5,6 % en moyenne annuelle et 3,1 % par an pour les communes non éligibles aux dotations de solidarité. On constate une semblable évolution en ce qui concerne la DGE, la dotation globale d'équipement et le fonds de compensation pour la TVA.
Hélas, depuis 1993, cet effort important consenti en faveur des collectivités locales a été stoppé et la politique du gouvernement que vous représentez ici, monsieur le ministre, manque singulièrement de cohérence. Pis, elle institutionnalise le « pillage » des ressources des collectivités locales.
Je sais que cette affirmation peut sembler abrupte, voire politicienne ; c'est pourtant bien ainsi que la réalité est perçue sur le terrain, alors que la continuité des efforts est indispensable.
Certes, nous avons entendu beaucoup de promesses et de déclarations d'intention. La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire devait être l'occasion d'une nouvelle révolution ; la taxe professionnelle devait être revue et la réforme de la fiscalité locale enfin réalisée.
Hélas, cent fois hélas ! concrètement, rien n'a été fait. Seul le « pillage » des finances des collectivités locales a été organisé.
De 1993 à 1997, les concours de l'Etat aux collectivités locales auront augmenté de 8,7 %, soit une croissance annuelle d'à peine plus de 2 %, un chiffre à comparer à ceux que je citais il y a quelques instants.
On constate d'abord que les dotations de fonctionnement ont stagné. Elles auront connu une évolution à peine supérieure à celle des prix - 8,5 % en quatre ans - ce qui est bien sûr insuffisant pour suivre l'évolution des dépenses de fonctionnement.
Qui plus est, une partie de l'augmentation est factice : récupération de la cotisation minimale de taxe professionnelle ou encore de l'excédent de fiscalité locale de La Poste et de France Télécom.
La DGF, qui, sous le gouvernement de Michel Rocard, avait été indexée sur l'évolution des prix et des deux tiers de la croissance, n'aura augmenté que de 9 % en quatre ans, soit 2,2 % en moyenne annuelle. Son évolution a en effet été déconnectée de la croissance en 1994 et en 1995. Depuis, seulement 50 % de la croissance du PIB sont pris en compte.
Les subventions spécifiques, elles, se seront effondrées de 18,1 %.
Quant aux dotations de péréquation, elle, ont fait l'objet de nombreuses mesures ponctuelles d'économies.
La dotation de développement rural a ainsi diminué de 100 millions de francs en 1995 ! La dotation de l'Etat au Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle a été réduite en 1996. En 1997, le Gouvernement a empoché, à nouveau, le « bénéfice » de la cotisation minimale de taxe professionnelle, qui aurait dû revenir aux collectivités locales et servir au renforcement de la péréquation, complétée par une majeure partie de l'excédent de fiscalité, provenant de La Poste et de France Télécom.
Quant aux dotations d'équipement, elles ont baissé fortement, leur diminution atteignant près de 11 % en quatre ans.
La DGE a diminué de 17 % sur la période. Elle a été gelée en 1994. En 1996, la première part a été supprimée pour les communes de plus de 20 000 habitants et pour les communes de plus de 2 000 habitants dont le potentiel fiscal est supérieur à 1,3 fois le potentiel fiscal moyen de leur catégorie.
Le fonds de compensation de la TVA n'aura augmenté que de 2,8 % sur la même période. Son taux de remboursement a été réduit de près d'un point à partir de 1994.
Enfin, les subventions spécifiques se sont effondrées : elles ont baissé de près de 50 %.
Les dotations « passives » auront été largement ponctionnées.
Les compensations d'exonération et de dégrèvement ne couvrent pas les pertes de recettes liées aux mesures d'allégement que l'Etat a lui même décidées. Toutefois, les allégements qu'il a décidés restent en place. La dotation de compensation de la taxe professionnelle a été ponctionnée de 2,6 milliards de francs en 1994, ponction maintenue et accentuée en 1995 avec le changement du mode d'indexation. Et 1996 a vu une nouvelle diminution de 5,4 %.
Au total, depuis 1993, ce sont 14 milliards de francs qui auront été ponctionnés sur cette dotation.
Le mécanisme a été habilement intégré et consolidé dans le pacte de stabilité. Bravo ! Ce pacte de stabilité, qui est venu pérenniser et accentuer ces réductions de dotations, est inacceptable ; nous l'avons dit et nous l'avons rejeté. Il ne prend pas en compte les charges. Or les transferts de charges se poursuivent : CNRACL, suppression de la franchise postale, réforme du financement du logement social.
Enfin, ce pacte ne prévoit d'indexation que sur les prix.
A cette évolution négative des concours de l'Etat, s'ajoute l'augmentation de 3,8 points de la cotisation employeur à la CNRACL. Et il ne s'agit pas de payer les pensions de nos fonctionnaires ressortissants !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est vous qui avez le plus ponctionné la CNRACL !
M. René Régnault. Or, s'il fut un temps où la CNRACL dégageait des excédents, aujourd'hui, tel n'est plus le cas. Pourtant, vous maintenez non seulement la compensation mais encore la surcompensation, qui a coûté 4 milliards de francs supplémentaires en 1996.
S'ajoutent encore le maintien de la ponction de 0,4 % sur l'ensemble des rôles - et ce pour réaliser la réforme des bases -, la réduction du plafonnement de la cotisation de taxe d'habitation, la réduction, pratiquement jusqu'à epsilon en 1997, des crédits pour l'aménagement du territoire ainsi que les désengagements de l'Etat sur les politiques spécifiques de l'emploi, de l'insertion, de l'environnement, du scolaire et du périscolaire, de la petite enfance, de la culture.
Vous comprendrez, à l'énoncé de ces quelques rappels, pourquoi l'on peut parler de pillage insidieusement organisé. En 1996, par rapport à 1993, cela a représenté une ponction de 14 milliards de francs, en francs constants.
Pour la période courant de 1993 à la fin du pacte, nos collectivités locales auront ainsi subi une réduction de leurs moyens de l'ordre de 40 milliards de francs, soit une demi-année de DGF des communes et de leurs établissements de coopération intercommunale.
Les collectivités locales sont ainsi, aujourd'hui, prises de plus en plus dans un effet de ciseaux entre des recettes malmenées et des dépenses qui augmentent, ce qui oblige les élus locaux ou à de fortes hausses de la fiscalité locale directe ou à une réduction des dépenses d'équipement ; ces dernières ont stagné en 1994, chuté en 1995 ainsi qu'en 1996 - d'environ 6 % - une chute que les entreprises du bâtiment et des travaux publics ont durement ressentie.
L'élan des collectivités locales est stoppé. C'est une erreur. Les collectivités locales auraient pu, si on leur en avait laissé les moyens, accentuer encore leur rôle dans la croissance et dans la solidarité. On aurait dû les y encourager.
Il est donc primordial de revenir à la politique d'accompagnement des collectivités locales suivie avant 1993. Cette politique doit s'engager, selon nous, sur plusieurs axes.
Il est d'abord nécessaire d'organiser un réel partenariat Etat-collectivités locales.
Du fait des promesses non tenues et du pillage organisé que j'ai dénoncé, la méfiance entre élus locaux et Etat est aujourd'hui très forte, et c'est un facteur négatif.
Les collectivités locales doivent être assurées de leurs ressources. Il faut restaurer la confiance en adoptant un réel « pacte de confiance » - si vous me permettez de reprendre cette expression - reposant sur la stabilité des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales, au regard tant des recettes que des dépenses.
Cela implique que les concours de l'Etat ne soient plus soumis aux aléas de la politique budgétaire et que les règles d'indexation et d'attribution des dotations soient pérennisées sous une forme simple, permettant aux collectivités locales de bénéficier des fruits de la croissance à laquelle elles ont contribué. Le pacte de stabilité doit donc être réformé.
Cela suppose le respect du principe selon lequel tout transfert de compétences doit être accompagné des ressources correspondantes. Or de nouvelles difficultés se présentent. Ainsi, pour ce qui est de la CNRACL, aucune augmentation n'est prévue pour 1997. Qu'adviendra-t-il en 1998 ?
Il convient impérativement de définir les modalités d'un véritable partenariat fort et confiant sur les grandes politiques publiques indispensables au développement de notre pays et au retour de la croissance.
Il faut ensuite oeuvrer en vue d'une clarification et d'un nouvel essor de la décentralisation.
Les lois de décentralisation ont besoin aujourd'hui d'être développées. L'imbrication des structures et des compétences nuit tant à une gestion rationnelle et efficace qu'à une meilleure implication des citoyens. La question est moins celle du nombre et du niveau des collectivités que celle de leur collaboration. Il est aujourd'hui nécessaire de réaliser une clarification et une meilleure identification des compétences.
A cette fin, il convient de procéder à un réexamen des compétences de chacun, à une meilleure identification des règles régissant les relations entre les personnes publiques, à l'affirmation du principe de délégation de compétences et à l'application à l'échelon local du principe de subsidiarité.
Cela nécessite également un nouvel essor de l'intercommunalité, fondée sur la simplification, la démocratisation et la solidarité. Le texte que vous allez nous présenter semble déjà, monsieur le ministre, en deçà de la question.
Cela implique, enfin, un nouvel essor pour l'aménagement du territoire. Le nouveau schéma d'aménagement du territoire se réduit à nombre de déclarations d'intentions, mais à rien sur le fond, ce qui fait dire aux experts de Bercy que c'est un très bon exercice littéraire. Le comité interministériel d'aménagement du territoire qui s'est tenu à Auch vient malheureusement de conforter notre désespérance.
Une profonde rénovation des finances locales est nécessaire et ce pour assurer, notamment dans la clarté, une réelle redistribution et contribuer alors à un développement solidaire des territoires.
Les impôts locaux sont à la fois injustes et archaïques. Leur réforme doit être réalisée, et je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez nous éclairer sur ce point.
Mes chers collègues, les collectivités locales ont fait leurs preuves dans l'accomplissement des missions nouvelles qui leur ont été conférées par les lois de décentralisation et ont su prendre la place qu'elles devaient prendre dans un espace européen où les Etats les plus compétitifs sont ceux qui ont su favoriser ce développement et appuyer leurs politiques publiques sur des collectivités locales fortes.
Depuis 1993, vous avez cassé leur élan. Je souhaite que la nouvelle majorité qui sortira des urnes l'année prochaine reprenne ce mouvement. C'est à cela que nous, socialistes, nous nous préparons. Nous travaillons en ce sens.
Les collectivités locales, leurs élus, bâtisseurs au quotidien de notre société civile, de son évolution, sont prêts à poursuivre leur noble mission en partenariat avec l'Etat ; ce dernier doit alors réformer fondamentalement ses comportements à leur égard, y compris au niveau des moyens financiers. A ce prix, peut et doit se restaurer le capital confiance profondément entamé. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Marcel Lesbros applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir été, dans le cadre étroit du pacte de stabilité, mises en demeure de participer à la réduction des déficits publics, les collectivités locales vont-elles également se retrouver contraintes de résoudre le déficit social de cette même construction européenne ?
Cette question est aujourd'hui directement posée par l'évolution d'une construction européenne laissant une place de plus en plus réduite à l'initiative des gouvernements et des assemblées élus démocratiquement tout en accordant la primauté tant à l'aréopage des commissaires européens qu'à celui, qui est à constituer, des grands argentiers de la banque centrale européenne, dans le plus grand mépris des besoins exprimés par les peuples.
Près de quinze ans après l'adoption des lois de décentralisation qui ont permis aux collectivités locales de notre pays de s'affranchir de la tutelle préfectorale, donc du pouvoir central, et de s'affirmer comme des acteurs majeurs de la vie sociale et politique du pays, nous nous trouvons à la croisée des chemins.
Il demeure en effet dans notre pays - et ce gouvernement en est d'ailleurs la parfaite illustration - des tentatives plus ou moins claires de « mettre au pas » les collectivités locales et de poser des limites au principe essentiel de leur libre administration. L'opération présente d'ailleurs plusieurs caractéristiques.
La première, et non la moindre, est de prolonger encore le processus des transferts de charges de l'Etat vers les collectivités locales, en confiant à ces dernières quelques cadeaux empoisonnés ou des bombes à retardement, c'est selon.
Ainsi en a-t-il été pour ce qui concerne la remise à niveau et le développement des infrastructures scolaires du pays, notamment du second degré, mais aussi de l'université.
Que dire des dépenses de caractère social, premier poste des budgets départementaux qui est en croissance continue, notamment à la suite de la mise en place des procédures d'insertion et de la réduction parallèle du niveau des prestations prises en charge par les régimes de protection sociale ?
Vous confirmez nettement cette orientation dans l'interview que vous venez d'accorder, monsieur le ministre, à un quotidien du soir, mettant en demeure les élus locaux de gérer le risque dépendance et d'accepter les fermetures de lits d'hôpitaux occasionnées par la réforme hospitalière et confirmées par les ordonnances du plan Juppé.
Nous sommes aujourd'hui, par ailleurs, directement confrontés à de nouveaux enjeux, résultant de dispositions législatives diverses, qui ne vont pas manquer de peser, dans un avenir plus ou moins lointain, sur la santé financière des collectivités locales et sur leur capacité à se substituer à la puissance publique.
Examinons quelque peu ces domaines sensibles.
Le premier est celui de l'environnement, dans le cadre de l'application des dispositions de la loi Barnier et, singulièrement, la nécessité de « pacter » les schémas départementaux de traitement et d'élimination des déchets.
Par ailleurs, le mouvement perpétuel de modification des normes européennes en matière d'adduction et de traitement des eaux conduit les collectivités locales à se retrouver confrontées à de très importantes dépenses de mise aux normes, occasionnant, pour les usagers, des hausses régulières de prix, sans amélioration réelle de la qualité du service.
On est d'ailleurs en droit de se demander si la constance et l'obstination des commissaires européens à modifier les critères de qualité de l'eau ne trouve pas son origine dans un lobbying actif des groupes, notamment français, qui en ont tiré, depuis une quinzaine d'années, de substantielles marges de manoeuvres financières.
Il suffirait pour s'en convaincre de rappeler les récents regroupements Suez - Lyonnaise et Générale des Eaux - Havas.
Pour notre part, nous sommes aujourd'hui convaincus que, pour résoudre le problème que nous pose, et que pose à l'ensemble des élus locaux et aux populations, cette frénésie normative en matière d'environnement, il faut réunir au plus tôt les conditions de mise en place d'un grand service public national de l'eau, procédant de la maîtrise publique de ces groupes qui cherchent à substituer un monopole privé au service public.
Il est un autre domaine où existe ce risque d'explosion d'une bombe à retardement. C'est celui de l'emploi, de la formation et de la lutte contre l'exclusion.
La mise en place des « emplois de ville », la loi portant pacte de relance pour la ville, le projet de loi destiné à la lutte contre l'exclusion, tout comme la poursuite des processus de transfert aux régions de la maîtrise des schémas de la formation et de l'apprentissage sont caractéristiques de cette situation.
On continue d'opposer à un douloureux et grave problème, celui de l'emploi, des solutions à la petite semaine, qui sont inadaptées, qui dédouanent les véritables responsables et qui contribuent à déstabiliser les statuts des agents du secteur public et l'emploi qualifié et reconnu.
On a fait des élus locaux, depuis quinze ans, les techniciens du laboratoire de la précarité et l'on cherche encore à en rajouter.
On occulte ainsi les responsabilités de tous ceux qui, sous couvert de compétition internationale et de recherche de gains de productivité, continuent à produire plan social sur plan social et à développer flexibilité et flux tendu - cela va souvent ensemble malgré une apparente contradiction - détruisant l'emploi de ceux qui travaillent encore et repoussant toute possibilité d'en retrouver un à ceux qui en sont privés.
Ces choix de gestion privée pèsent lourdement tant sur les conditions de vie de la population que sur la situation des collectivités locales, directement aux prises avec le développement de la grande pauvreté.
Pour nous, le salut des chômeurs procéderait plutôt d'une véritable croissance, d'une intervention publique recouvrant notamment une fiscalité décourageant réellement les opérations strictement financières menées contre l'emploi et d'une volonté de donner aux salariés, y compris dans le secteur privé, de nouveaux moyens d'intervention en matière de politique d'embauche et de stratégie industrielle.
On ne peut, sans risquer de se trouver confrontés à de sérieuses déconvenues, persévérer dans cette voie qui demande aux élus locaux ce qu'on n'ose même plus demander aux entreprises et à leur patron.
Le troisième domaine dans lequel les collectivités locales risquent, dans quelque temps, d'être confrontées à de nouvelles difficultés est celui de l'éducation.
Prenant en effet modèle de façon un peu arbitraire sur l'Allemagne et prétextant de la lourdeur des rythmes scolaires qui donnent pourtant, à l'examen, un niveau de formation initiale des jeunes Français tout à fait satisfaisant, le Gouvernement entend transformer profondément l'organisation du temps scolaire, notamment en vue de favoriser les pratiques associatives et culturelles des jeunes.
Notre système éducatif serait-il donc dans l'incapacité de répondre au besoin d'ouverture et à la curiosité des élèves et des étudiants ? Ce que font treize millions de jeunes Français depuis la maternelle jusqu'au baccalauréat serait-il si rébarbatif et si ennuyeux qu'il faudrait leur permettre d'effectuer autre chose ?
C'est là, à notre avis, faire un mauvais procès à un système éducatif pour qui les menaces les plus sérieuses proviennent plutôt de la restriction des emplois budgétaires et de la persistance d'un environnement social gangrené par le chômage et l'exclusion, qui touchent de plein fouet des millions de jeunes par parents interposés.
Au final, on est en droit de se demander avec quels moyens et selon quels processus les collectivités locales feront face à la demande des jeunes, demande pouvant d'ailleurs paraître tout à fait légitime.
Que pourra encore trouver une commune moyenne de notre pays, peuplée de 1 500 à 2 000 habitants et déjà confrontée à la charge de son contingent d'aide sociale, au financement des services d'incendie et de secours, à la montée en puissance des dépenses de collecte et de traitement des déchets, pour favoriser la pratique sportive et culturelle des jeunes, sevrés d'une éducation nationale de plus en plus réduite à la portion congrue ?
Evidemment, en ce domaine comme en d'autres, certains nous proposeront immédiatement la solution toute trouvée d'une intercommunalité confinant en fait au regroupement autoritaire des collectivités locales, présentée depuis quelques années, et singulièrement depuis 1992, comme la panacée, alors qu'elle ne serait, en fait, que le cache-misère d'une austérité budgétaire qui n'est pas synonyme de rigueur dans la gestion.
En effet, voilà bien là l'un des objectifs fondamentaux du débat actuel : comment rompre avec la tradition républicaine, celle des 36 000 foyers de démocratie directe que constituent nos conseils municipaux avec leurs 500 000 élus, pour aboutir à des structures de moins en moins démocratiques qui ne feront que limiter le nombre des interlocuteurs que le pouvoir préfectoral devra convaincre du bien-fondé des choix politiques par-delà l'autorité de notre propre gouvernement ?
Le processus de regroupement intercommunal serait inéluctable - et l'on se réfère ici, encore une fois, au modèle allemand - alors même que tout laisse penser qu'un élargissement des compétences transférées finirait par rendre ingérable le domaine d'intervention du service public local. Celui-ci pourra-t-il faire face demain à des besoins collectifs grandissants et évolutifs ?
Ne cherche-t-on pas, dans les faits, à faire en sorte que la réponse à ces besoins provienne d'une plus grande délégation de service au marché ? Comme si le marché avait permis, à en juger par l'examen de la situation économique et sociale, de faire face aux besoins des hommes et des femmes de ce pays ! N'est-ce pourtant pas le marché qui a fait plus de trois millions de chômeurs et huit millions d'exclus ?
La priorité, aujourd'hui, est de cesser de dévoyer la décentralisation au travers de cette politique de dissolution de l'Etat vers les collectivités locales et l'Europe, pour les domaines stratégiques essentiels.
Non, dans notre pays, les citoyens ne choisissent pas des élus locaux uniquement pour qu'ils se substituent à l'Etat dans tous les cas de figure ou pour être sans cesse mis en demeure d'accompagner sa politique et de guérir, à eux seuls, la fracture sociale. Les choix gouvernementaux actuels pèsent sur les collectivités locales comme sur les populations.
Monsieur le ministre, il faut cesser de jouer aux dés avec les collectivités locales, avec les élus locaux.
Au-delà de la structure locale d'un pays administré, il y a des entités humaines, construites par une histoire, placées à l'articulation de l'économie et de son utilisation par les collectivités.
Ce sont des lieux d'exigence sociale d'autant plus efficaces que les décisions y sont prises au plus près des citoyens, des lieux d'efficacité démocratique et d'exercice de la citoyenneté.
C'est là que s'exercent et que s'accordent en permanence la démocratie directe et la démocratie représentative et, dans les faits, les valeurs de la République au quotidien.
C'est pourquoi il faut rendre aux élus locaux, parce qu'ils sont le plus directement au contact de leurs concitoyens, des moyens d'action et d'intervention. C'est là une des conditions de la renaissance du pacte républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation de nos collectivités locales est aujourd'hui préoccupante car elles sont « coincées » dans tous les secteurs de l'horizon.
Au Nord, il y a un pouvoir réglementaire qui leur notifie tous les jours des normes et leur demande d'exercer de nouvelles responsabilités.
Au Sud, il y a la très grande difficulté d'augmenter la pression fiscale car l'outil fiscal des collectivités locales est sommaire, mal accepté et peu adapté à l'économie d'un pays moderne ouvert à la concurrence internationale.
A l'Est, il y a la difficulté permanente de distinguer clairement qui est responsable de quoi, qui décide, qui commande, qui paie et comment sont organisés les rapports entre les différents niveaux de collectivités et l'Etat.
Enfin, à l'Ouest, il y a un contrôle financier exercé par les chambres régionales des comptes qui appliquent avec une grande minutie l'ensemble de la réglementation, souvent quelque peu obsolète, considèrent le respect infini de la procédure comme un facteur d'efficacité et remettent en cause, quelques années après, un certain nombre de décisions qui ont dû être prises dans l'urgence pour répondre à un certain nombre de problèmes qui se posaient.
Aussi coincées, les collectivités territoriales ont actuellement beaucoup de mal à envisager le caractère irréversible, comme l'a dit M. Hoeffel, de la décentralisation.
C'est pourquoi votre discours introductif, monsieur le ministre, apporte quelques satisfactions aux praticiens que nous sommes. Je tiens à vous en donner acte. Je reconnais bien là votre souci constant de coopération entre l'Etat et l'ensemble des collectivités territoriales, votre faculté d'écoute et la lucidité dont vous faites preuve. Vous ne vous satisfaisez pas d'idées toutes faites, vous connaissez la valeur du temps et vous êtes un adepte convaincu du partenariat.
Toutes les grandes voix de cet hémicycle se sont exprimées sur la décentralisation, ses avantages et ses risques, M. Régnault ayant, pour sa part, parlé de « pillage ».
M. René Régnault. C'est exact !
M. Jean-Pierre Fourcade. Aussi, je bornerai mon intervention à cinq points, afin que ce débat, qui a été souhaité par mon ami M. Christian Poncelet, puisse déboucher sur un certain nombre de modifications.
Tout d'abord, réformer la fiscalité locale est un voeu ambitieux.
M. René Régnault. Oh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. Cela suppose d'abord que les bases de départ, c'est-à-dire les valeurs locatives cadastrales, soient conformes à la vérité économique. Se lancer dans une réforme de notre fiscalité avec des bases aussi obsolètes que la valeur locative calculée par le service du cadastre sur des bases de comparabilité qui ne sont en fait comparables à rien d'autre et qui sont des valeurs en soi nous interdira d'aller très loin. Le grand problème de la taxe professionnelle est qu'elle dispose de bases réelles fondées sur des valeurs comptables, reconnues et certifiées, alors que les impôts touchant les ménages sont assis sur des bases irréelles, évaluées.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Je rappelle que la taxe professionnelle a succédé à la patente. Jamais nous n'aurions réussi la décentralisation si nous avions conservé la patente comme élément de financement des collectivités locales. Personne ne l'a jamais dit parce que ce n'est pas politiquement correct. En effet, ce n'est pas en écrasant les petits commerçants et les artisans avec l'ancien système de la patente que l'on aurait pu réaliser la modernisation des collèges et des lycées, la prise en charge des routes nationales, des universités, des dispositifs de santé, d'aide sociale, etc.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Le fond de la réforme fiscale est le suivant : nous avons, d'un côté, un impôt qui croît sur des bases réelles liées à l'activité économique et, de l'autre, des impôts sur les ménages qui sont basés sur des évaluations administratives. Ou bien, nous devons prendre l'engagement, dans une réforme fiscale, de réactualiser ces bases tous les sept ou huit ans de manière à ne pas être trop éloignés de la réalité, mais pas pour des raisons politiques, parce que cela risquerait de bouleverser un certain nombre d'idées reçues ou de croyances sur les écarts de potentiel fiscal. Ou bien nous devons avoir le courage de faire comme nos partenaires anglo-saxons, qui basent les impôts sur les ménages sur la valeur vénale réelle de l'ensemble des propriétés et des mètres carrés construits. Nous aurons ainsi, en matière de fiscalité locale, un système raisonnable, puisqu'il suivra l'activité et tiendra compte des différences de valeurs entre la petite commune rurale et la grande agglomération urbaine, entre celle qui se développe et celle qui stagne. Cela permettra d'offrir aux contribuables une protection contre les évaluations fausses et les caractéristiques trop anciennes en matière de fiscalité.
La décentralisation doit se poursuivre, comme l'ont souhaité MM. Paul Girod, Hoeffel, Ostermann, Puech et Poncelet. Cependant, on n'abordera pas la réforme de la fiscalité locale sans essayer d'harmoniser les bases d'imposition des quatre impôts locaux et sans avoir mis en oeuvre des mécanismes permettant de s'assurer que le contribuable n'est pas victime à la fois de la différence des taux, qui résulte de l'autonomie des collectivités, et de la différence des évaluations, due au hasard administratif. Tant que nous ne pourrons pas apporter cette garantie au contribuable, il sera très difficile de faire évoluer la fiscalité locale.
Ma deuxième observation concerne l'intercommunalité. Vous avez bien voulu, monsieur le ministre, présenter au Comité des finances locales votre avant-projet et vous présenterez dans deux jours votre projet de loi proprement dit. La crainte que nous avons tous, c'est que la simplification que prévoit ce texte, et qui va dans le bon sens, ne se traduise à terme par un éclatement de la dotation globale de fonctionnement. En effet, depuis la réforme de la DGF, engagée par M. Hoeffel alors qu'il était au gouvernement, la DGF des communes comporte deux parties. Celle des départements a été mise de côté, à l'abri. Par conséquent, chers collègues présidents de conseil général, pour vous la DGF fonctionne bien. En revanche, pour les maires, c'est un dispositif moins satisfaisant puisque, à l'intérieur de la DGF, le fait d'avoir distingué la dotation forfaitaire et la dotation d'aménagement implique que, au sein de cette dernière, la progression des crédits destinés à l'intercommunalité risque d'assécher à terme les crédits qui alimentent la dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité rurale.
M. Christian Bonnet. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. Les difficultés qu'éprouve chaque année le Comité des finances locales pour répartir la DGF ne feront que croître. C'est pourquoi il faut aller plus loin dans votre projet, monsieur le ministre. De même que l'on a séparé, voilà quelques années, la DGF des départements et celle des communes et des groupements, il faut distinguer, aujourd'hui, la DGF des groupements et celle des communes, de manière que la DGF soit répartie en trois masses. Elle représente au total 104,8 milliards de francs, on peut donc très bien faire trois masses. Ainsi, chacun aura, pour le financement de ses dépenses de fonctionnement, une ressource qui progressera comme l'activité économique, grâce à l'indexation qui a enfin été rétablie et les gestionnaires des collectivités territoriales auront une garantie de développement prospectif, alors que, chaque année, nous avons une très grande crainte de voir éclater ce mécanisme.
Ma troisième observation - elle sera brève car ce point a été évoqué par MM. Jean Puech et Paul Girod - concerne la fonction publique territoriale.
Monsieur le ministre, tous ceux qui critiquent l'augmentation des dépenses des collectivités locales, et un certain nombre de parlementaires éminents ne s'en font pas faute, oublient que nous ne sommes pas maîtres de la progression de notre fonction publique territoriale.
J'administre en même temps une grande collectivité territoriale et un grand hôpital, dont la masse salariale est à peu près comparable. Pour cette collectivité territoriale, la croissance de la masse salariale de 1997 par rapport à 1996 est de l'ordre de 4 %, en ajoutant le GVT, le glissement vieillesse-technicité, et les conséquences de tous les protocoles d'accord, sans oublier le problème d'aménagement du temps de travail sur lequel vous-même, monsieur le ministre, vous négociez avec les syndicats. Or, pour l'hôpital, compte tenu des règles d'encadrement, l'augmentation de la masse salariale a été arbitrée à 0,8 %. Il est clair que, pour une masse salariale de 500 millions de francs de part et d'autre, une croissance de 4 % d'un côté n'aboutit pas au même résultat qu'une croissance de 0,8 % de l'autre.
Sans aller jusqu'à déconcentrer ou à décentraliser de manière absolue les questions de fonction publique territoriale, nous demandons un partenariat Etat-collectivités locales.
Il s'agit, d'abord, de déterminer les problèmes de croissance des masses salariales.
Il s'agit, ensuite - et cela a été dit tout à l'heure - de déterminer les problèmes d'indemnités et des rémunérations accessoires.
Il s'agit, enfin - et c'est notre revendication la plus importante - de définir l'organisation de nos régimes de retraite. En effet, comme vous le savez, la CNRACL ne fonctionne pas très bien. L'Etat lui-même, permettez-moi de vous le dire, monsieur le ministre, n'a pas créé de caisse de retraite pour ses fonctionnaires et ne gère pas correctement l'ensemble des retraites de ses agents. Nous devrons donc nous mettre autour d'une table, afin d'organiser une retraite normale pour les agents de l'Etat, des collectivités territoriales et de la fonction publique hospitalière. C'est un des points auxquels nous nous attacherons dans une des prochaines lois de financement de la sécurité sociale. On ne pouvait pas tout faire la première année ; on essaiera de le faire plus tard.
Nous devons être partenaires pour gérer la croissance de nos masses salariales, le problème des indemnités et des rémunérations accessoires, ainsi que le problème de nos retraites, car celui-ci pèsera de plus en plus sur l'ensemble de notre gestion.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Tout à fait !
M. René Régnault. Beau projet !
M. Jean-Pierre Fourcade. Ma quatrième observation concerne les investissements.
Tous les orateurs l'ont dit, nous sommes très inquiets devant la montée envisagée de nos investissements en matière de politique sociale pour les départements, de politique de formation pour les régions et de politique d'environnement pour les communes.
A l'heure actuelle, nous dépensons, pour les quatre échelons d'administration, 170 milliards de francs par an au titre des investissements. Tous les calculs faits par l'observatoire des collectivités locales montrent que nous allons passer rapidement à un volume d'investissements supérieur à 200 milliards de francs dès 1998 ou 1999, si nous sommes obligés d'appliquer de manière claire et correcte tous les textes en vigueur.
Comment pourrons-nous passer en quelques années d'un volume d'investissements de 170 milliards de francs à 200 milliards, voire 210 milliards ?
M. Christian Bonnet. A fiscalité constante !
M. Jean-Pierre Fourcade. Et comment pourrons-nous le faire à fiscalité constante ?
M. René Régnault. C'est impossible !
M. Jean-Pierre Fourcade. Par conséquent, nous devons réfléchir ensemble à ce problème d'évolution de nos investissements et nous poser trois questions.
Pouvons-nous réduire nos dépenses de fonctionnement pour investir plus ? C'est possible. Nous sommes capables de réduire un certain nombre de frais de gestion, mais pas à la hauteur du défi qui nous est posé. Peut-on étaler un certain nombre de réformes, de manière à nous permettre de monter progressivement en cadence ? Peut-on, par l'intercommunalité, rationaliser les dépenses et éviter de dépenser tous, par le cloisonnement administratif qui est notre vertu cardinale en France, pour des choses analogues ? Ces trois questions devraient, selon moi, être au coeur de votre projet, monsieur le ministre.
L'intercommunalité doit permettre de faire des économies par rapport aux dépenses que nous engagerions chacun si nous étions seuls et donc totalement isolés. L'ordre de grandeur du problème - une trentaine de milliards de francs d'investissements en plus - a de quoi nous faire réfléchir.
Enfin, ma dernière observation concerne le problème des procédures de contrôle.
On a évoqué le contrôle de légalité. Il est organisé et il vous appartient de l'uniformiser. On a parlé du contrôle financier a posteriori des chambres régionales des comptes. La majorité d'entre nous ne souhaite pas s'affranchir de ces contrôles. En effet, la contrepartie de la décentralisation c'est la transparence et un contrôle financier convenable.
M. René Régnault. Absolument !
M. Jean-Pierre Fourcade. Aussi, il serait dangereux de mettre à profit quelques incidents ou difficultés pour nous affranchir du contrôle. Encore faut-il, bien entendu, que celui-ci soit bien organisé et qu'en plus de la régularité qui s'attache à ces procédures soit de temps en temps instillé - certes, à faible dose - un contrôle de l'efficacité de l'argent dépensé. Or, je n'ai pas vu, à l'heure actuelle, dans les quelques rapports dont j'ai été destinataire, que l'on parlât d'efficacité. On évoque le respect des procédures, le risque d'entente ou d'illégalité. J'aimerais, pour ma part, que de temps en temps les corps de contrôle s'inquiètent des résultats, de l'efficacité, et que l'on fasse la différence entre ceux qui n'ont rien fait en respectant les règles et ceux qui ont fait quelque chose en prenant peut-être quelques libertés. Pour l'ensemble de nos concitoyens, cela représenterait une balance objective permettant de mieux mesurer ce qui a été fait.
Tels sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques éléments de réflexion que je voulais ajouter à l'excellent plaidoyer de mon collègue et ami M. Jean Puech, qui s'est exprimé au nom de notre groupe.
Le niveau des prélèvements obligatoires dans notre pays est excessif. Nous ne parviendrons pas à résoudre nos problèmes sociaux et le chômage si nous continuons à nous délecter d'être les champions en matière de prélèvements collectifs.
M. Christian Bonnet. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade Nous sommes obligés de faire des économies et de réduire les prélèvements. Aussi, l'évolution de nos collectivités suppose un grand partenariat et une grande confiance entre l'Etat et les collectivités locales. Je vous remercie de l'avoir bien compris, monsieur le ministre, de l'avoir manifesté dans votre gestion, et donc d'oeuvrer en ce sens. Je vous demande de convaincre de cette nécessité de partenariat et de confiance tous vos collègues du Gouvernement - je ne suis en effet pas sûr que tous en soient persuadés - et, au-delà d'eux, l'opinion publique tout entière. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Huchon.
M. Jean Huchon. Monsieur le ministre, je tiens à remercier le Gouvernement et en particulier vous-même d'avoir organisé ce débat sur un sujet qui tient tant à coeur aux membres de cette assemblée.
Toutefois, je voudrais être sûr que ces quelques heures au cours desquelles chacun va exprimer les plus nobles intentions ou formuler les demandes les plus justifiées et les plus impérieuses marqueront une avancée significative vers un progrès bien nécessaire.
Il est inutile de rappeler le dilemme devant lequel nous sommes : 80 % de la population s'agglutinent sur 20 % du territoire, et cette tendance s'accélère. Nous sommes dans un pays où l'urbanisation désordonnée pose des problèmes quasi insurmontables et où une large fraction de notre territoire voit ses communes dites rurales se désertifier, et ce quelquefois très rapidement !
C'est le problème de l'aménagement du territoire. Ce sujet a fait l'objet de l'action des gouvernements successifs, notamment du gouvernement précédent. Le Parlement a adopté à cet égard une loi dans l'élaboration de laquelle le Sénat a, je crois, joué un rôle décisif puisque les ministres qui l'ont fait voter étaient issus de nos travées ! A ce titre, je tiens à remercier MM. Pasqua et Hoeffel, pour ce qu'ils ont réalisé comme ministres, MM. François-Poncet, Gérard Larcher et les membres de la commission des affaires économiques pour l'énorme travail qu'ils ont accompli !
C'est aujourd'hui au gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, d'appliquer la loi. Il est vrai que les représentants du terrain dit « rural », « profond », que nous sommes s'impatientent quelquefois quand les décrets tardent à sortir. Nous en parlerons d'ailleurs de nouveau dans quelques jours lors du prochain débat qui sera organisé dans cette enceinte.
Comme vous, monsieur le ministre, nous sommes tous convaincus que les collectivités locales sont les acteurs privilégiés et déterminants d'une politique dynamique de l'aménagement du territoire.
M. Daniel Hoeffel, orfèvre en la matière, s'est exprimé tout à l'heure avec la compétence et la clarté dont il est coutumier. Je ne reprendrai pas ses propos, mais je souscris totalement aux constats auxquels il a procédé, aux suggestions et aux propositions qu'il a formulées.
Dans le temps très court dont je dispose, j'insisterai sur quelques points précis qui m'inquiètent et qui agacent les élus ruraux des petites communes, que je représente.
Les lois de décentralisation ont constitué une étape importante et ont été appréciées. Comme tout le monde l'a dit, elles sont irréversibles.
Leur cheminement a été cependant un peu incomplet, notamment parce que les moyens n'ont pas suivi. La décentralisation a renforcé les régions riches dans leurs richesses et quelquefois leur opulence, et laissé les régions pauvres à leur pauvreté, voire parfois à leur indigence.
La loi de février 1995 a prévu la mise en place progressive d'une péréquation. Cette dernière est constitutionnellement instaurée dans des pays autrement plus décentralisés que ne l'est la France. C'est notamment le cas de l'Allemagne.
Il est bien entendu qu'un pays aussi déséquilibré que le nôtre doit faire l'objet d'une politique volontariste, qui doit solidariser les régions pour lesquelles la potentialité fiscale explose avec les autres régions qui sont dans la situation inverse. Or nous sentons des résistances dans la mise en oeuvre de la loi du 4 février 1995, qui devrait pourtant s'appliquer et dont les dispositions sont d'ailleurs moins sévères que celles qui sont en vigueur en Allemagne, puisqu'un délai permet une progressivité supportable.
Monsieur le ministre, nous serons attentifs à ce que cet article de la loi soit effectivement appliqué ; sinon, cela nous amènerait à douter de toute politique d'aménagement du territoire.
Pour subvenir aux besoins des budgets des collectivités locales, il y a deux sortes de recettes : les dotations de l'Etat et l'impôt appliqué aux contribuables. Il est évident qu'après le discours de maître que vient de faire M. Fourcade, je serai très humble et bref.
Permettez-moi d'évoquer, après bien d'autres, les méthodes de l'Etat s'agissant du montant des dotations diverses et nombreuses qui sont réparties suivant des schémas horriblement compliqués mais toujours en défaveur des petites communes.
Pour ne parler que de la dotation globale de fonctionnement, je dirai que le partage des communes de France en catégories dites « strates » font que, au final, une commune de 500 habitants perçoit une base de DGF deux fois moins élevée qu'une commune de 200 000 habitants ! Et je profite de cette intervention pour rectifier le chiffre que vous avez donné tout à l'heure, monsieur le ministre : c'est maintenant 1,8.
C'est un abus qui a été maintes fois dénoncé. Mais il faut croire que les lobbies qui ont mis au point et appliqué le système se satisfont pleinement de ce résultat, qui conduit à différencier les Français selon la taille de la commune qu'ils habitent.
On nous propose le remède de l'intercommunalité, mais j'ai peur d'une nouvelle désillusion !
Je vous ferai part de mon expérience. Depuis vingt ans, je suis responsable d'un syndicat de soixante-cinq communes rurales. La commune la plus importante compte 6 000 habitants et l'ensemble représente 104 000 habitants. En toute bonne foi, je n'aurais jamais pensé qu'un « pays » - ce découpage administratif spontané est en effet précurseur du « pays » dont on parle tant - voie ses habitants moins bien dotés qu'une ville peuplée du même nombre d'habitants. Or ce pays, qui pratique l'intercommunalité au maximum, qui met en place depuis des dizaines d'années, et de façon commune, une politique économique, culturelle, touristique, environnementale, mais aussi une politique d'aide au logement, qui contractualise avec la région, l'Etat, le département et l'Europe dans tous les domaines, n'arrive, en additionnant ses dotations diverses, qu'à la moitié du budget de fonctionnement moyen d'une ville de 100 000 habitants !
Il y a là, monsieur le ministre, une distorsion insoutenable qui est de plus en plus mal admise par les élus ruraux. Ces derniers pensent que leurs administrés, qui sont des agents privilégiés de l'aménagement du territoire, qui ont le devoir d'animer le terrain et de l'occuper rationnellement, sont largement défavorisés !
La survie de ces collectivités locales de dimension modeste, autrement dit l'aménagement du territoire, passe par le redressement de cette situation.
L'aménagement du territoire, c'est d'abord la volonté des hommes qui veulent continuer à y vivre. Mais il faut aussi ne pas les décourager en les privant des moyens minimums qui sont indispensables pour qu'ils puissent disposer d'équipements nécessaires à la vie d'une société normalement développée.
La vie, l'avenir des collectivités locales sera fonction de deux critères : la volonté politique et les moyens pour concrétiser cette politique.
Je ne peux m'empêcher d'aborder un dernier point, qui a été évoqué presque par tous, notamment par M. Fourcade : la taxe professionnelle.
Depuis vingt ans, nous la connaissons ! C'est un élément très important des recettes des collectivités locales, ou plutôt de certaines collectivités locales qui en sont les bienheureuses bénéficiaires. Hélas ! le produit de la taxe professionnelle par habitant varie suivant les communes de 1 à plus de 100. Est-ce normal ?
Je suis au Sénat depuis plusieurs années, et on nous a toujours promis une réforme qui serait l'objet d'une prochaine loi. En tout cas, la situation actuelle est invivable et parfaitement immorale ! Sur ce sujet, monsieur le ministre, vous nous avez donné, dans votre propos liminaire, des raisons d'espérer. Nous vous remercions à l'avance de tout ce que vous pourrez faire.
On parle beaucoup d'intercommunalité pour ramener un peu de raison et d'équité. Il faut aller plus loin et mettre en place un système législatif correcteur digne de ce nom !
Je pourrais vous citer des dizaines de cas où des communes bénéficient d'un véritable pactole. Tant mieux pour elles ! Mais notre rôle de législateur est de promouvoir l'intérêt général, c'est-à-dire de corriger les injustes inégalités.
Il n'est bien sûr pas question de nier les difficultés de l'exercice. Mais nous serons heureux, monsieur le ministre, d'entendre vos intentions sur ce sujet.
La loi du 4 février 1995 avait fait obligation au Gouvernement de rédiger un rapport concernant ce problème dans un délai de dix-huit mois. Ce délai est largement dépassé. Nous espérons que des mesures ne tarderont pas pour remédier à ce retard.
Monsieur le ministre, je me suis limité à quelques points très précis que je crois importants. Les collectivités locales, spécialement les petites communes, ont un rôle important à assumer, d'autant plus que leurs obligations et charges croissent régulièrement : action sociale, sécurité en tout genre, environnement, application des lois sur l'eau et sur l'air, etc.
Ces obligations leur imposent des interventions toujours plus précises, plus impérieuses et plus coûteuses. Je crois que l'Etat a le devoir de participer et d'aider le plus possible ces petites cellules, ces petites communes, qui sont le socle de notre démocratie.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, et nous vous remercions à l'avance. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous remercier, comme l'ont fait plusieurs de nos collègues, d'avoir accepté l'organisation d'un débat à la Haute Assemblée sur les collectivités locales ; je sais que cela répondait à une demande du président de la commission des finances, M. Poncelet.
Tout à l'heure, M. Fourcade a commencé son propos en soulignant les difficultés grandissantes rencontrées par les collectivités locales en matière de gestion. J'adhère à la totalité de son intervention, comme à celle de M. Hoeffel, quant aux inquiétudes des collectivités locales.
Permettez au maire d'une petite commune de 185 habitants que je suis d'appeler votre attention sur quelques points qui préoccupent ces petites communes aux moyens financiers très limités.
Certes, nous bénéficions des concours conjugués de l'Etat à travers la DGF, la DGE, voire la DDR lorsque nous sommes organisés en intercommunalité. S'y ajoute l'intervention des départements et des régions qui viennent nous aider dans notre politique d'investissement, tandis que la DGF nous soutient dans notre politique de fonctionnement.
Toutefois, le bilan de la totalité de nos recettes, de nos moyens et de notre fiscalité comparé aux compétences et aux charges qui sont les nôtres fait apparaître une grande difficulté pour équilibrer notre budget.
Songez que, pour une commune comme la mienne, un point de fiscalité représente 2 000 francs ! Monsieur le ministre, que puis-je faire avec cette somme ? C'est dire que les moyens tirés de mon potentiel fiscal sont très limités. Par ailleurs, les concours que j'obtiens de mes partenaires financiers ne me permettent pas de compenser cette insuffisance à une hauteur convenable pour répondre à la demande de mes concitoyens.
Quels éléments relèvent de la gestion de nos collectivités ? Nous devons gérer notre patrimoine, gérer nos équipements, gérer des services. Parmi ces derniers figure, comme premier service de proximité, l'école. Mais nous avons, aujourd'hui plus qu'hier, la charge de services de proximité liés à notre environnement, notamment ceux des ordures ménagères et de l'eau.
L'évolution des normes actuelles est préoccupante. Elle résulte de dispositions européennes que nous avons dû introduire dans la loi et dans la réglementation françaises. Un certain nombre de dispositions s'imposent donc à notre pays.
Or, monsieur le ministre, le maire que vous êtes connaît les difficultés résultant de l'évolution de ces normes. Alors que, dans le syndicat que je préside, le coût du service des ordures ménagères était, voilà un an, de l'ordre de 125 francs par habitant et par an pour une collecte hebdomadaire, il s'élève aujourd'hui, après la mise en place de la collecte sélective, qui devrait avoir pourtant pour effet de diminuer le prix du service - on distrait en effet de la poubelle un certain nombre de déchets qui, demain, iront à l'incinération alors que, actuellement, ils vont en décharge contrôlée - à 300 francs par habitant et par an, ce qui amène un certain nombre de familles à la limite de leur capacité contributive. Je suis donc confronté à un nombre considérable d'impayés.
Qu'en sera-t-il demain, lorsque l'on appliquera les dispositions de la loi concernant le traitement des déchets, qui impose la disparition des décharges contrôlées avant l'an 2002 ? Le « tout-incinération » qui est prévu est-il vraiment la solution ?
Certes, je sais que ces questions ne relèvent pas directement de votre compétence, monsieur le ministre ; mais elles ont de telles conséquences sur le plan financier pour nos collectivités et nos concitoyens que l'on ne peut pas, dans le cadre d'un débat sur les collectivités locales, ne pas appeler votre attention sur ce point.
J'avais demandé à M. Barnier, quand il était ministre de l'environnement - j'ai d'ailleurs réitéré cette requête devant Mme Lepage lors de l'examen du projet de loi de finances - la possibilité minimale pour les petites communes d'accéder à des moyens financiers leur permettant d'assumer ces investissements et de les étaler dans le temps.
En effet, une usine d'incinération coûte entre 400 et 500 millions de francs. Dans mon département, deux usines d'incinération sont prévues au schéma départemental pour un investissement de plus de 1 milliard de francs. Cela aura pour résultat d'amener le coût du service à 500 francs par habitant et par an. Je vous laisse imaginer les difficultés auxquelles se trouveront confrontés nos concitoyens, d'autant que s'ajoutera à cela le coût du traitement des eaux usées et des eaux pluviales. Le prix de l'eau se situe en moyenne sur le territoire national autour de 10 ou 12 francs le mètre cube. Certes, nous avons des exemples de prix plus élevés - 30 ou 40 francs - et mon collègue M. Oudin m'a indiqué que, dans son secteur, le prix du mètre cube d'eau est déjà à 30 francs.
C'est la raison pour laquelle j'aurais souhaité que, au moins pour ces investissements lourds que nous devrons réaliser en matière d'assainissement ou de traitement des déchets, nous puissions avoir accès à des prêts bonifiés sur des longues durées. Je sais que le Crédit local de France ou la Caisse des dépôts et consignations consentent des prêts remboursables en trente ou quarante ans, mais ils le font au taux du marché qui, s'il est bien inférieur à ce qu'il était voilà quelques années, est encore trop important au regard de la capacité contributive à la fois des collectivités locales et de nos concitoyens.
Un autre point sur lequel je voulais appeler votre attention concerne les difficultés que rencontrent certaines communes avec l'application de l'article 23 de la loi de juillet 1983 sur les écoles, relatif à la contribution demandée aux communes de résidence pour les frais de fonctionnement des écoles dans les communes d'accueil.
La loi prévoit un certain nombre de cas dérogatoires, mais il existe aujourd'hui un vide juridique et on ne peut prendre en considération la nature d'un service tel que celui qui est assuré aujourd'hui par les haltes-garderies ou par les cantines publiques, alors qu'il pourrait être assuré par des assistantes maternelles agréées. Ce que je souhaite, monsieur le ministre, c'est qu'il soit possible de faire évoluer la loi de telle manière que, si une assistante maternelle agréée peut à la fois accueillir des enfants le matin avant l'ouverture de l'école et le soir après la fermeture de l'école, c'est-à-dire remplir les fonctions d'une halte-garderie à domicile, et accueillir des enfants le midi pour le déjeuner, le service qu'elle rend puisse être reconnu comme ceux qui sont assurés dans des communes un peu plus aisées par des cantines ou des haltes-garderies.
L'article 23 de la loi de juillet 1983 ne devrait pas être appliqué dans les petites collectivités qui sont aujourd'hui dans l'impossibilité de faire face aux charges importantes que leur demandent les communes d'accueil - 3 000 francs ou 4 000 francs par enfant, parfois - alors qu'elles-mêmes assurent un service pour un coût inférieur, dans des conditions tout à fait satisfaisantes.
Permettez-moi aussi de relever les conséquences qui résultent de la réforme de la DGF et des dotations d'Etat.
S'agissant de la dotation globale d'équipement, je citerai deux chiffres. Dans mon département, la DGE représentait 35 millions de francs en 1995, dont 12 millions de francs pour la première part et 23 millions de francs pour la deuxième part. La réforme qui a été engagée ayant eu pour résultat de supprimer la DGE première part, en 1996, la dotation a été de 28 millions de francs. Il a donc fallu la partager non seulement avec les communes de moins de 2 000 habitants, mais également avec les communes de plus de 2 000 habitants. Ainsi, les petites communes rurales ont été pénalisées par cette réforme. Pouvons-nous espérer, à l'occasion d'une réforme ou d'un aménagement futurs, une amélioration de la situation des communes ?
Enfin, pour ne pas abuser de mon temps de parole, j'évoquerai en deux mots la fonction publique.
Plusieurs orateurs sont intervenus sur ce sujet. Je pense notamment à MM. Puech et Fourcade ainsi qu'à l'orateur qui m'a précédé à cette tribune, M. Huchon.
La fonction publique territoriale a évolué favorablement, grâce aux aménagements auxquels vous avez procédé. Subsiste néanmoins le problème majeur du régime indemnitaire. Au sein de l'Association des maires de France, je préside un groupe de travail sur ce sujet et, je le constate, la référence permanente à l'Etat prouve que ce dispositif n'est pas complètement adapté à la spécificité de la fonction publique territoriale.
Vous savez bien, monsieur le minsitre, que, dans nos collectivités, il existe des nouveaux métiers que l'on ne retrouve pas dans la fonction publique d'Etat. De la sorte, lorsqu'ils doivent faire appel à des professionnels, les maires éprouvent des difficultés de recrutement parce qu'ils ne peuvent pas offrir des conditions de rémunération correspondant à la qualification des intéressés.
Enfin, je pense qu'il faudra revenir sur une disposition qui a été adoptée sur initiative parlementaire au sujet des avantages sociaux : avant 1984, à partir du moment où une délibération avait été prise par une collectivité, on pouvait appliquer l'ensemble des avantages concernés aux agents, mais, après 1984, cela n'a plus été possible pour les agents recrutés postérieurement en l'absence de délibération antérieure. Nous en parlions tout à l'heure en commission des lois avec le président Delevoye, je pense qu'il faudra un jour aboutir à une réforme sur ce sujet car nous plaçons actuellement les collectivités territoriales dans une situation délicate.
Voilà - d'une manière un peu décousue, je m'en excuse auprès de vous - les quelques points sur lesquels je souhaitais appeler votre attention, et je ne doute pas, monsieur le ministre, que, dans l'intérêt des collectivités, vous saurez en tenir le plus grand compte à l'occasion de l'élaboration des futurs textes. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Bergé-Lavigne.
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le point que je vais évoquer a déjà été abordé à cette tribune, mais je crois nécessaire et utile d'insister : un récent sondage l'a montré, 89 % des maires pensent qu'il est de plus en plus difficile d'exercer un mandat local, et ils sont 90 % à affirmer que la complexité des dossiers et les contraintes juridiques risquent d'entraîner, à terme, leur désengagement de la vie publique locale.
En effet, les transferts de compétences, ainsi que l'abondance des textes de toute nature, ont accru la responsabilité des gestionnaires des collectivités locales et les risques qu'ils courent de se perdre dans le foisonnement de la législation en vigueur. Cela fait d'eux à tout moment, même si le mot est peut-être fort, des délinquants potentiels.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est vrai !
Mme Maryse Bergé-Lavigne. En effet, quel est l'élu local qui peut aujourd'hui s'y retrouver dans le maquis des textes normatifs ? Ainsi, 7 500 lois sont actuellement applicables, de même que près de 100 000 décrets et 10 000 à 15 000 circulaires.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est fou !
Mme Maryse Bergé-Lavigne. En février de cette année, par exemple, deux lois, vingt et un décrets, seize arrêtés, vingt-six circulaires, instructions et avis ont été publiés, dont maires et élus locaux sont censés avoir connaissance.
Ces textes sont, de plus, soit trop généraux et imprécis, soit d'une trop grande technicité et d'une complexité qui ne facilite pas leur mise en oeuvre.
Les législateurs que nous sommes, mes chers collègues, sont souvent rendus responsables de cette inflation législative. Certes, la clarté des textes de loi dépend de nous, mais, pour ce qui est du nombre, notre responsabilité est limitée, puisque le Gouvernement fixe l'ordre du jour du Parlement. Quant aux décrets et aux circulaires, nous n'en sommes pas maîtres.
Les deux offices d'évaluation des politiques publiques dont s'est doté le Parlement doivent être ces outils si nécessaires d'inventaire, de clarification, d'étude de l'opportunité des textes de loi. Il est temps de les activer, de les faire fonctionner, afin que les citoyens de ce pays soient clairement informés des responsabilités de chacun.
Si les maires des grandes villes peuvent s'entourer de quelques collaborateurs, la situation est autrement difficile pour les élus des petites communes, qui peuvent à peine salarier un secrétaire à temps partiel ! Alors, les élus imaginent, cherchent des solutions, s'organisent, inventent et innovent.
Dans mon département, la Haute-Garonne, les maires sont heureusement aidés par l'agence technique départementale, créée par le conseil général, qui fait un travail de tri de textes, d'alerte, d'aide juridique, qui apporte une aide précieuse lorsque l'élu, ayant l'intention de lancer un projet dans sa commune, se trouve confronté non seulement à l'examen minutieux de la législation en cours, mais aussi à la recherche du type de subventions auquel il peut prétendre. Là encore, l'opacité est générale.
Parce qu'ils tirent leur légitimité du suffrage universel, les élus locaux demandent avec force plus de respect dans l'exercice de leurs responsabilités, ce qui suppose que la législation, comme le comportement des représentants de l'Etat, à tous les niveaux, vise à faciliter leur tâche et non à la compliquer à l'envi.
La suppression, en 1982, du contrôle a priori des actes par le préfet a été vécue par l'ensemble des élus locaux comme une formidable libération des initiatives : des plus grandes villes aux toutes petites communes, les efforts en matière d'embellissement aussi bien que d'équipement témoignent de la passion - le mot n'est pas trop fort - qu'ils mettent au service de leur collectivité et de l'amélioration de la qualité de vie de leurs administrés.
Or, cela a été dit plusieurs fois à cette tribune, les transferts de compétences se multiplient, mais les finances ne suivent pas !
L'inflation des normes et contrôles divers, coûteux et tatillons, submerge les maires. Avec des budgets de plus en plus réduits, soumis à une réglementation de plus en plus excessive, inquiets de la dérive judiciaire qui, après les Etats-Unis, semble gagner la France, les élus locaux sont démoralisés, se sentent ligotés, surveillés, suspects même !
Privés des moyens financiers qui leur permettraient de répondre à toutes les exigences des contrôles de sécurité, paralysés par le jeu des normes et réglementations diverses, les maires peuvent être tentés - et ils sont de plus en plus nombreux à le dire - de s'autocensurer, de ne plus prendre d'initiatives.
Ce phénomène, s'il se généralisait, constituerait une manière rampante de grignoter chaque jour un peu plus les fondements mêmes de la décentralisation.
Les élus locaux, qui sacrifient souvent leur vie professionnelle, voire leur vie familiale, animent jusqu'au plus petit village de notre territoire, mais, monsieur le ministre, ces élus, dont la République est si fière, sont gagnés par le découragement. La désaffection pour les mandats locaux constatée en 1995 risque de s'amplifier en 2001, ce qui, à l'aube du 3e millénaire, ne serait pas de bon augure pour l'exercice de la démocratie. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe des sénateurs communistes républicains et citoyens a déposé, il y a quelque temps déjà, une proposition de loi relative à la situation des finances locales et à la nécessité, sur cette question cruciale, de mettre en oeuvre des mesures nouvelles permettant de donner aux collectivités locales les moyens nécessaires à leur action au service de nos concitoyens et des habitants de ce pays.
Les dernières lois de finances et les divers collectifs budgétaires dont nous avons pu discuter ont, à chaque fois, comporté des dispositions discutables concernant les relations entre l'Etat et les collectivités locales.
La moindre de ces mesures n'est pas l'adoption, par un vote forcé à la majorité des membres de notre assemblée, de l'article 32 de la loi de finances pour 1996 portant sur la mise en place du pacte de stabilité entre l'Etat et les collectivités locales, pacte de stabilité devenu, en fait, un marché de dupes destiné à faire participer, à leur corps défendant, les budgets communaux à l'atteinte des critères de convergence imposés par le traité de Rome révisé à Maastricht.
Il ne s'est agi alors, ni plus ni moins, que de cadrer la progression des concours budgétaires de l'Etat dans les strictes limites de la progression de leur pouvoir d'achat, et de faire de la dotation de compensation de la taxe professionnelle, notamment, le facteur de cadrage de cette variation, ce qui, dans les faits, s'est traduit, en 1996 comme cette année, par une dégradation du niveau de ladite compensation, d'autant que s'est poursuivi le transfert de l'Etat aux collectivités de nouvelles dépenses.
Dans ce contexte, les collectivités locales se sont retrouvées contraintes de procéder à de nouveaux ajustements de la fiscalité directe locale, ajustements frappant particulièrement les ménages au travers de la taxe d'habitation, de la taxe sur le foncier bâti et, accessoirement, de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères.
Le mouvement de transfert de la fiscalité des entreprises vers celle des ménages est donc poursuivi. A cet égard, les propos tenus par M. Fourcade méritent toute notre attention.
On ne peut donc s'étonner que, au cours des dernières années, le « dynamisme » de la fiscalité directe locale ait été autrement plus important que celui des dotations budgétaires versées ou attribuées par l'Etat, d'autant que les ressources de fiscalité indirecte des collectivités locales - je pense aux droits de mutation - ont été entamées par le collectif budgétaire de l'été 1995, sans d'ailleurs que l'objet affiché de la mesure, à savoir la relance de l'activité immobilière, ait été véritablement atteint.
Nous sommes donc aujourd'hui, en matière de finances locales, à la croisée des chemins.
Les objectifs plus ou moins avoués du Gouvernement sont plus ou moins définis.
Il s'agit de s'attaquer à une réforme de la fiscalité locale sous deux angles essentiels.
Le premier - M. Fourcade y a fait allusion - est celui de la mise en oeuvre de la réactualisation des bases cadastrales mise à l'étude en 1990. Cette réforme est reportée d'année en année tant on en craint les conséquences.
Le débat est, on le sait, particulièrement tendu sur cette révision, dont on craint qu'elle ne crée d'importants transferts de matière fiscale entre contribuables et, singulièrement, du point de vue des redevables de la taxe d'habitation et de la taxe sur le foncier bâti.
Le Gouvernement a clairement choisi, à propos de cette révision cadastrale, de mettre en oeuvre toute hypothèse qui ne se traduira pas - ce fut un objectif affirmé - par une augmentation de la charge fiscale des entreprises assujetties à la taxe professionnelle.
Une fois de plus, pour tenir une orientation politique bien connue - il s'agit, notamment, de ne pas augmenter les prélèvements sur les entreprises - et dont les effets sur l'emploi, l'investissement productif et l'effort de recherche restent à mesurer avec plus d'exactitude, on est donc prêt à arbitrer les mutations de matière fiscale seulement entre les ménages, pour épargner les entreprises, alors même que les profits des grands groupes explosent et sont utilisés dans le cadre d'alliances à caractère monopolistique. En tant que maires ou conseillers généraux, ce point fera l'objet de toute notre attention tant les enjeux sont grands.
Comme si l'alourdissement constant de la fiscalité des ménages n'était pas, aussi sûrement que la taxe professionnelle, un facteur de ralentissement de la consommation populaire et un frein à la croissance, donc à l'emploi !
Cela nous conduit à constater, une fois de plus, que les orientations de la réforme de la fiscalité directe locale sont singulièrement restreintes. Une fois de plus, seule la taxe professionnelle serait l'objet de toutes les attentions.
Est-il utile de souligner à nouveau l'essentiel, à savoir que la taxe professionnelle, qui représente sensiblement la moitié des ressources fiscales des collectivités, bénéficie de trois quarts des allégements pris en charge par l'Etat, compte non tenu du fait qu'elle est le seul des impôts directs locaux à être déductible du résultat fiscal de l'entreprise ou de l'exploitant individuel ?
Il nous semble également indispensable de souligner ici que la base d'imposition de la taxe professionnelle est trop étroite, négligeant notamment d'imposer les actifs nets financiers des entreprises assujetties, forme d'utilisation de la valeur ajoutée créée par le travail des salariés, hélas ! de plus en plus répandue.
Il est également notoire que la taxe professionnelle s'impute de manière fort inégale selon les secteurs d'activité, tandis que ses principaux contribuables se trouvent être des entreprises publiques en charge de missions de service public et acteurs fondamentaux de la politique d'aménagement du territoire et de développement de la recherche.
Il faudra bien, dans des délais relativement proches, que cette question soit résolue afin que cessent d'être pénalisées, en matière de taxe professionnelle, des entreprises d'intérêt national qui font du service public, de la recherche et de l'égalité d'accès des citoyens les éléments de leur intervention.
Là n'est pas la seule question.
Il importe réellement de se demander si l'allégement transitoire des bases de 1987 a encore un sens.
Le montant de la dotation versée en compensation de cet allégement s'élève aujourd'hui à environ 11,5 milliards de francs, alors même que le montant de bases allégé est de 120 milliards de francs, représentatif d'un produit fiscal potentiel de près de 30 milliards de francs.
La perte sèche est donc particulièrement importante et atteint, en l'occurrence, 18,5 milliards de francs, c'est-à-dire, par exemple, le tiers de la taxe d'habitation ou le cinquième de la taxe foncière.
Cet allégement a-t-il permis d'atteindre les objectifs qui lui étaient assignés, alors même que notre pays a connu, depuis dix ans, une formidable progression du chômage ?
Il est grand temps de mettre un terme à cette situation que rien ne justifie plus aujourd'hui.
Dans le même temps, il est impératif de répartir de manière plus équilibrée les éventuels correctifs que l'Etat apporte aux règles de la fiscalité directe locale.
Comment admettre, par exemple, tandis que des milliards de francs sont dépensés au titre du plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée, qu'il n'y ait pratiquement plus de correction de la taxe sur le foncier bâti qui touche plus de contribuables dans notre pays que l'impôt sur le revenu ?
L'on doit revenir à une exonération d'imposition plus longue des habitations assujetties à la taxe foncière, notamment dans le locatif social où la croissance de la charge fiscale crée des difficultés aux organismes bailleurs et motive des hausses de loyer devenant insupportables aux familles.
Pour autant, cette question de la fiscalité directe locale ne doit et ne peut nous faire oublier le problème des dotations.
Il importe, en effet, de redonner un sens aux dotations budgétaires de l'Etat, notamment à la dotation globale de fonctionnement dont la progression, en 1997, traduit une nouvelle perte de pouvoir d'achat de cette dotation, déjà fortement malmenée depuis 1994.
Il convient également de rétablir la dotation globale d'équipement des communes de plus de 20 000 habitants, eu égard à l'impact économique déterminant des investissements des collectivités locales - plus de 75 % - impact bien plus productif pour les finances de l'Etat que celui qui résulte de la réduction drastique de la DGE.
La détérioration des relations entre l'Etat et les collectivités locales en matière de finances ne peut et ne doit être poursuivie.
La décentralisation doit aller de pair avec une délimitation précise du rôle joué dans la vie de la nation par les collectivités locales.
Nous l'avons souligné, les élus locaux n'ont pas vocation à créer les emplois que le secteur productif se doit, compte tenu de sa situation, notamment de sa capacité financière, de créer pour répondre aux besoins de la population.
Les collectivités locales n'ont pas non plus vocation à s'endetter lourdement pour pallier l'absence d'une véritable politique d'investissement éducatif ou d'une véritable politique de l'eau, de l'assainissement et de la prévention de la pollution et des risques naturels, qui doivent être assumés par l'Etat ou par des entreprises publiques vouées à ces fonctions.
Ce n'est pas autrement que nous pourrons parvenir, entre autres, à un ralentissement de la progression de la fiscalité directe locale.
Enfin, il est une charge transférée qui n'a que trop duré, celle qui résulte de la surcompensation de la CNRACL.
La situation de la caisse de retraite des agents des collectivité locales est particulièrement critique. Lors de la discussion de la loi de finances pour 1997, ce problème a été étouffé.
Le ralentissement du niveau des embauches dans le secteur public local crée d'ailleurs un nouveau facteur de déséquilibre du régime.
Aujourd'hui, l'insuffisance de trésorerie de la caisse conduira inéluctablement à une nouvelle hausse de la cotisation des employeurs, c'est-à-dire des collectivités locales.
La loi de finances pour 1997 a, comme par habitude, repoussé le débat sur les solutions de fond.
On est en droit de s'attendre aujourd'hui au pire.
Il est anormal que l'Etat se défausse ainsi de ses obligations en matière de protection sociale, comme il n'est pas interdit de penser que l'on peut solliciter d'autres ressources que celles des collectivités locales pour équilibrer des régimes dont le déficit a été, en quelque sorte, « organisé ».
Revenir sur le dossier de la surcompensation est aujourd'hui indispensable.
On le voit, le champ de la réforme des finances locales est large !
Le Gouvernement ne semble pas vouloir s'engager dans une autre voie que celle d'aggraver à court, moyen et long terme, les difficultés des budgets locaux.
Nous ne le suivrons pas dans cette voie et nous oeuvrerons, avec les habitants, à imposer d'autres solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.