M. le président. Par amendement n° 264, MM. Michel Charasse et Dreyfus-Schmidt proposent d'insérer, avant l'article 109 A, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 207 du code de procédure pénale, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art... - Lorsqu'il conclut au maintien en détention, l'arrêt de la chambre d'accusation doit être motivé et démontrer avec précision, hors de toute considération vague et générale, les justifications de la décision au regard des dispositions de l'article 144 du présent code. »
La parole est M. Charasse.
M. Michel Charasse. Il s'agit d'une disposition de portée générale, mais qui s'applique naturellement à la procédure criminelle comme à la procédure correctionnelle.
La liberté, on le sait, est la règle dans notre pays, et la Constitution proclame même que l'autorité judiciaire en est la gardienne, la privation de liberté devant, en tout état de cause, demeurer l'exception.
Nos codes tiennent le plus grand compte de ces prescriptions de valeur constitutionnelle, et nous n'avons pas cessé, au fil des ans, notamment dans cette assemblée, et en particulier au sein de la commission des lois, de poser des garde-fous pour limiter strictement les conditions dans lesquelles il peut y avoir détention préventive.
J'entends malheureusement souvent le président et certains membres de la commission des lois constater que, au fond, plus on pose de garde-fous pour limiter strictement la détention préventive, moins ces garde-fous résistent, la détention préventive tendant malheureusement à devenir la règle, en tout cas dans un certain nombre de délits, pour ne pas dire d'autres infractions.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le mot « garde-fous » est excessif ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. En disant garde-fous, je ne visais personne en particulier, mais chacun peut comprendre ce qu'il veut !
L'amendement 264 prévoit contrairement à ce qui se passe pour le juge, qui, lui, a pris l'habitude, pour motiver sa décision de mise en détention, de cocher les cases d'un imprimé qui lui est fourni par la Chancellerie,...
M. Jean-Jacques Hyest. C'est fini !
M. Michel Charasse. Oui, mais cela a été longtemps le cas !
... d'obliger la chambre d'accusation, lorsqu'elle décide le maintien en détention, à motiver de façon sérieuse, par référence aux conditions posées strictement par l'article 144 du code de procédure pénale qui prévoit les cas dans lesquels il peut y avoir détention.
Cet amendement n'a pas d'autre objet. Mais cela me paraît tout de même être la moindre des choses que la chambre d'accusation, lorsqu'elle est saisie d'une décision d'un juge de mise en détention et qu'elle décide de maintenir la détention, explique clairement pourquoi elle le fait. (MM. Chérioux et de La Malène applaudissent.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Cet amendement est totalement hors sujet. Cette disposition, même si elle s'applique en matière criminelle, est tout à fait générale.
Par ailleurs, la commission considère le texte de cet amendement comme assez blessant pour les magistrats.
M. Charles de Cuttoli. Les magistrats doivent appliquer la loi !
M. Jean Chérioux. Absolument ! Comme les autres, et même plus que les autres !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Oui, mais l'expression « hors de toute considération vague ou générale » figurant dans l'amendement n° 264 n'a pas été appréciée par la commission, je vous l'assure.
Indépendamment du fait qu'il s'agit d'un amendement hors sujet, la rédaction de celui-ci ne paraît pas convenable. La commission émet donc un avis défavorable sur ce texte.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. La volonté manifestée à travers cet amendement, dont je comprends très bien, tel que M. Charasse l'a expliqué, l'intention, me paraît bien entendu, dans une matière aussi déterminante pour la liberté, tout à fait digne de considération.
Mais ce texte est inutile dans la mesure où, comme on le voit tous les jours, les chambres d'accusation doivent justifier leurs décisions à partir des éléments de la loi et, éventuellement, en l'occurrence, de la jurisprudence de la chambre criminelle.
Je ne crois donc pas que ce texte apporte quoi que ce soit au droit positif, indépendamment même de ce qu'a dit M. le rapporteur sur certaines rédactions maladroites. En effet, la loi actuelle oblige les magistrats de la cour d'appel à se prononcer sur les recours contre les décisions du juge d'instruction en matière de liberté à partir des éléments de l'article 144 du code de procédure pénale tel qu'il a été modifié et tel qu'il est en vigueur depuis le 1er avril 1997, c'est-à-dire depuis quelques jours.
Je serai très attentif à la manière dont les juges d'instruction et les chambres d'accusation vont désormais utiliser la nouvelle loi qui, comme vous le savez, monsieur Charasse, va tout à fait dans le sens de la volonté de protection des libertés individuelles que vous manifestez par cet amendement, qui me paraît par ailleurs inutile.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Je souhaite ajouter une observation aux propos de notre collègue M. Charasse.
Introduire l'expression « hors de toute considération vague et générale » conduira à une avalanche de pourvois en cassation. En effet, transforme en catégorie juridique la notion de « considération vague et générale ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous allons retirer ce membre de phrase !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 264.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je comprends bien la position de nos collègues, car, c'est vrai, certains juges, pour motiver des décisions de mise en détention, se limitaient à cocher les cases d'un imprimé. Nous avons déjà longuement, et à de nombreuses reprises, légiféré dans ce domaine.
L'amendement n° 264 évoque l'article 144 du code de procédure pénale. Mais il faut aussi se référer à l'article 145 de ce même code : « En toute matière, le placement en détention provisoire est prescrit par une ordonnance qui doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de cette décision par référence aux seules dispositions de l'article 144. »
En dehors du fait qu'il est beaucoup moins bien rédigé, je ne vois franchement pas ce qu'apporte l'amendement n° 264 de M. Charasse !
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, je suis prêt à retirer l'expression : « hors de toute considération vague et générale », qui m'avait été inspirée par une expérience personnelle.
Je me souviens avoir vu passer, un jour, au bureau du Sénat - mais je ne dirai pas qui était visé - une demande de levée d'immunité parlementaire tendant à la mise en détention d'un de nos collègues, demande dans laquelle le procureur général justifiait la mise en détention - en recopiant d'ailleurs le papier du juge - par des considérations qui n'étaient que vagues et générales : « Il semblerait que... Tous les autres sont déjà en prison, pourquoi pas lui ?... On ne comprendrait pas, deux ans après, que..., etc. » C'est ce que j'appelle des considérations vagues et générales.
Cela étant, si M. le rapporteur pense que cela peut froisser les magistrats - bonnes gens, pauvres gens ! - je suis prêt à retirer ce membre de phrase,...
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Michel Charasse. ... étant entendu que, dans ce pays, il n'y a que les magistrats qui n'ont pas le droit d'être froissés !
Cela dit, monsieur le rapporteur, je pense que nous ne sommes pas totalement hors sujet. Que je sache, en matière de procédure criminelle, les mises en détention existent ! Elles sont même plus fréquentes en proportion que les mises en détention en matière correctionnelle.
Par conséquent, je rectifie, monsieur le président, l'amendement n° 264, mais je crois qu'il n'est pas mauvais de bien écrire clairement que, désormais, les décisions de maintien en détention rendues par les chambres d'accusation devront être extrêmement précises et justifiées.
Et cela, à mon avis, monsieur Hyest, ne fait que renforcer l'article 145 du code de procédure pénale !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est le texte actuel !
M. Michel Charasse. Précisément, nous le renforçons.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 264 rectifié, présenté par MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt, et tendant à insérer, avant l'article 109 A, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 207 du code de procédure pénale, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - Lorsqu'il conclut au maintien en détention, l'arrêt de la chambre d'accusation doit être motivé et démontrer avec précision les justifications de la décision au regard des dispositions de l'article 144 du présent code. »
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement rectifié ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. J'ai déjà exposé les arguments de la commission : d'une part, les texte existants suffisent et, d'autre part, nous sommes en dehors du sujet qui nous réunit. Que cette disposition soit examinée dans le cadre d'autres projets, je veux bien, mais, aujourd'hui, je considère que cet amendement doit être rejeté.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Toujours défavorable !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 264 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cet amendement rectifié ne contient donc plus les mots : « hors de toute considération vague et générale », qui n'étaient effectivement pas très juridiques.
Il reste qu'une pétition de principe n'est jamais inutile ! Dans le texte que vous avez évoqué, monsieur le garde des sceaux, et qui vient d'entrer en vigueur, je me rappelle qu'il a été répété ce qui figurait déjà dans la loi, à savoir que la détention préventive doit être l'exception. Il ne me paraît donc pas du tout inutile de répéter pour la chambre d'accusation ce qui est déjà prévu et écrit, moins bien et moins précisément, à l'échelon du juge d'instruction !
M. le rapporteur nous oppose que nous lui compliquerions la tâche parce que la disposition proposée ne serait pas liée directement et uniquement à la procédure criminelle. Qu'il me permette de lui rappeler que, tout à l'heure, nous l'avons soutenu dans ses efforts pour s'opposer à la nouvelle rédaction proposée par le Gouvernement pour l'article 173-1, mais qu'en aucun cas nous ne l'avons soutenu au motif que cet article évoquait la détention ! Nous ne l'avons pas mentionné, et pour cause... Il est vrai que tous ceux qui sont en détention provisoire ne sont pas des criminels, mais que quasiment tous les criminels sont en détention provisoire.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. C'est justifié !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne dis pas que cela ne soit pas justifié.
Quoi qu'il en soit, cet amendement s'applique surtout en matière criminelle et c'est pourquoi, tel qu'il a été rectifié, je suis convaincu que le Sénat l'adoptera.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, remplissant momentanément les fonctions de président de la commission, je crois devoir attirer l'attention de notre assemblée sur le fait qu'avec cet amendement, comme avec les suivants, nous sommes tout de même en présence d'une question de principe : quelle idée nous faisons-nous du travail législatif, au-delà du désir que nous pouvons avoir, les uns ou les autres, de réagir à tel ou tel événement, de réagir, donc, dans l'événementiel ?
La commission des lois, vous vous en doutez bien, n'est pas du tout disposée à entrer dans une telle démarche. En effet, jusqu'où pourrait-elle être entraînée et combien de temps devrait-il s'écouler pour qu'elle regrette et que nous regrettions tous avec elle d'avoir agi ainsi ?
Voici, pour commencer, un amendement qui ne fait pas mieux que le texte actuel ! Il fait même moins bien.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. La jurisprudence prévoit que, lorsqu'une juridiction est saisie, en application de l'article 148-1, d'une demande de mise en liberté, sa décision rejetant cette demande doit être spécialement motivée - j'insiste sur ces termes - dans les conditions prévues à l'article 145. On ne peut pas faire mieux !
Qu'il arrive que des juges ne respectent pas cette disposition, c'est possible : les hommes sont les hommes ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mes chers collègues, des gens aussi expérimentés que vous s'imaginent-ils qu'en superposant des textes on va changer quoi que ce soit ? Je vous pose la question !
M. Charles de Cuttoli. C'est au moins un rappel !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. La commission des lois ne croit pas que l'on changera les habitudes en superposant des textes, surtout s'ils sont identiques ou inférieurs au texte en vigueur.
Vous parliez tout à l'heure, monsieur Charasse, de la multiplication des garde-fous. Je vous laisse la responsabilité de cette expression ! Maintenant, vous nous proposez un nouveau garde-fou, après nous avoir dit qu'il ne servait à rien de les multiplier. Je vous trouve quelque peu en contradiction avec vous-même !
En tout cas, la commission des lois ne saurait engager le Sénat sur une voie qui nous conduirait à un résultat dont nous n'aurions pas lieu d'être satisfaits.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote sur l'amendement n° 264 rectifié. (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur Fauchon, j'essaie de trouver des solutions ! Vous nous parlez de la « motivation », comme l'a d'ailleurs fait M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. C'est dans le texte !
M. Michel Charasse. Mais la motivation, vous le savez bien, mes chers collègues, c'est l'ordre public ! La chambre d'accusation dit : « Pour des raisons qui tiennent à l'ordre public, à la préservation des pièces, etc. »
Je propose, moi, que ces raisons soient démontrées avec précision. Pourquoi l'ordre public est-il menacé ?
Telles sont les raisons pour lesquelles je pense que cet amendement apporte, si je puis dire, une précision utile.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
Plusieurs sénateurs du RPR. Aux voix !
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. J'avais moi-même déposé un amendement sur la détention provisoire. Je l'ai retiré et je ne comprends pas bien ce débat parce que je crois que M. le garde des sceaux a la volonté de réduire la détention provisoire, en tout cas d'y mettre des limites. Il est bon de le rappeler dans ce texte !
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. C'est extraordinaire ! On a beau se livrer à un peu de pédagogie juridique, cela n'a aucune importance.
On a modifié le texte pour faire état des considérations de droit et de fait, pour que l'on ne puisse pas s'en tenir aux seules raisons d'ordre public. On l'a modifié, précisément, pour éviter tout ce que vous dénoncez, monsieur Charasse !
Ce nouveau texte vient d'entrer en vigueur, monsieur Charasse, et on nous dit qu'il faut encore le changer ? Je trouve que c'est une manière très curieuse de légiférer et, si l'amendement est voté, on aboutira, en fait, à un texte beaucoup plus faible que celui que nous avons voté voilà deux ans. Je trouve cela tout à fait paradoxal !
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. C'est un recul !
M. Charles de Cuttoli. Il y a parfois des manières bien curieuses de mettre en détention provisoire !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 264 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 109 A.
Monsieur le garde des sceaux, nous avions prévu d'interrompre nos travaux à dix-neuf heures quinze. Or, je crains que l'amendement n° 266 rectifié bis , que je devrais appeler maintenant, ne fasse l'objet d'une longue discussion, ce qui nous contraindrait à dépasser cet horaire.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je crains en effet, monsieur le président, que la discussion de cet amendement ne soit encore plus longue et plus complexe que celle que nous venons d'avoir. Il convient donc de ne pas l'aborder à cette heure si nous voulons interrompre nos travaux à dix-neuf heures quinze.
Comme nous avons remarquablement avancé dans le débat cet après-midi - en particulier grâce aux efforts très diligents des deux présidents qui se sont succédé, M. Valade et vous-même - nous avons toutes les chances, en reprenant nos travaux après le dîner, d'achever l'examen de ce texte dans des délais très raisonnables, c'est-à-dire en évitant de nous coucher trop tard !
M. le président. Nous allons donc interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heure trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à vingt et une heure trente.)