ACCORD EURO-MÉDITERRANÉEN ÉTABLISSANT UNE ASSOCIATION ENTRE LES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET LE MAROC
ACCORD AVEC LE MAROC SUR L'ENCOURAGEMENT ET LA PROTECTION RÉCIPROQUES DES INVESTISSEMENTS
Adoption de deux projets de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion :
- du projet de loi (n° 280, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale,
autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen établissant une
association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une
part, et le Royaume du Maroc, d'autre part. [Rapport n° 321 (1996-1997).]
- du projet de loi (n° 279, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale,
autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement du Royaume du Maroc sur l'encouragement et la
protection réciproques des investissements (ensemble un échange de lettres).
[Rapport n° 319 (1996-1997).]
La conférence des présidents a décidé qu'il serait procédé à une discussion
générale commune de ces deux projets de loi.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des
affaires européennes.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur,
mesdames et messieurs les sénateurs, la signature à Bruxelles, le 26 février
1996, de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les
Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et le Royaume du
Maroc, d'autre part, a constitué un événement d'une grande portée.
Cet accord d'association ouvre, en effet, des perspectives nouvelles et
prometteuses au partenariat euro-marocain et contribue, dans le cadre du
processus de Barcelone, à la construction d'une zone de paix et de prospérité
en Méditerranée.
Le socle de la relation euro-marocaine est solide. Le Maroc et l'Union
européenne entretiennent de longue date une coopération privilégiée, que
reflète l'étroitesse de leurs liens économiques.
Le Maroc réalise en effet aujourd'hui environ 70 % de ses échanges commerciaux
avec l'Union européenne. Celle-ci absorbe notamment la plus grande partie des
exportations textiles et agricoles du Royaume.
En matière d'investissements, la présence des pays de l'Union européenne
atteint des proportions tout à fait comparables.
La force des liens qui unissent l'Europe au Maroc ne se réduit cependant pas à
ces quelques données chiffrées.
L'Europe et le Maroc ont en effet une histoire commune et ils ont aujourd'hui
un avenir commun. Le développement du Maroc est donc pour l'Europe un enjeu
majeur, d'abord en raison de son potentiel économique et humain. La jeunesse de
sa population - 58 % des jeunes ont moins de vingt-cinq ans - est un atout, si
l'on sait investir en elle et en faire un moteur de la croissance future.
C'est aussi un enjeu majeur en raison de la position stratégique du Maroc, au
confluent de l'Atlantique et de la Méditerranée et au carrefour de trois
mondes, l'Occident, l'Afrique et le monde arabo-musulman. Affirmant sans
agressivité son identité et sa fidélité au message de tolérance de l'Islam il
est, par tradition et par vocation, un médiateur et un modérateur.
Le développement du Maroc est, enfin, pour l'Europe un enjeu majeur en raison
de son orientation exemplaire dans le domaine économique. Le Maroc a fait, de
longue date, le choix de l'économie de marché, et il y reste plus que jamais
fidèle, en mettant en oeuvre depuis deux ans un vaste programme de réformes
structurelles, complété par une réforme de l'environnement juridique et
institutionnel des entreprises, réformes qui sont une garantie essentielle pour
les investisseurs.
Pour l'ensemble de ces raisons, il est apparu nécessaire, à l'heure où
l'Europe et la Méditerranée changent, de donner un élan nouveau à la
coopération euro-marocaine.
La signature du nouvel accord d'association témoigne de cette volonté. Elle
représente un véritable saut qualitatif dans la relation euro-marocaine.
Comme vous le savez, l'Union européenne a entrepris depuis quelques mois de
renouveler les accords de coopération conclus à la fin des années soixante-dix
avec les pays du Maghreb et du Machrek.
Le fait que le Maroc ait été le premier des pays méditerranéens pour lequel le
processus a été lancé, et ce, dès la fin de l'année 1992, montre la priorité
que l'Union attachait à l'approfondissement des relations euro-marocaines.
Le fait que cette négociation ait été longue, parfois difficile et intense
reflète l'importance des questions qui se trouvaient en jeu de part et
d'autre.
Si l'on peut estimer que cet accord marque un saut qualitatif important, c'est
au regard de trois considérations principales.
Il y a, d'abord, un élargissement des domaines de coopération, comme le
montrent la mise en place d'un dialogue politique, le développement d'une
coopération dans une vaste gamme de nouveaux domaines et la prise en compte de
la dimension régionale.
Il y a, ensuite, un approfondissement de la coopération. L'accès préférentiel
au marché européen est consolidé et même amélioré pour quelques produits
agricoles. La coopération économique est renforcée, avec l'ambition de
favoriser le rapprochement des économies et de soutenir le développement des
secteurs créateurs d'emplois.
Il y a, enfin, un nouvel équilibre dans la coopération. La réciprocité des
engagements est, en effet, le gage d'un authentique partenariat. Cette
réciprocité concerne notamment le régime des échanges, avec l'établissement
progressif d'une zone de libre-échange. Par ce biais, le Maroc a fait le choix
d'organiser dans le cadre euro-méditerranéen l'ouverture, devenue inéluctable,
de son économie afin de favoriser sa modernisation.
L'entrée en vigueur de cet accord doit ouvrir une nouvelle période des
relations euro-marocaines, plus étroites et plus sereines. Il est complété par
la place éminente que le Maroc doit tenir dans le partenariat
euro-méditerranéen.
Le fait que la dimension méditerranéenne ait été reconnue comme une priorité
pour l'Union européenne, à Cannes puis à Barcelone, ne pourra en effet
qu'enrichir une relation bilatérale déjà traditionnellement forte.
C'est donc un grand succès pour la France que d'avoir convaincu ses
partenaires européens que les enjeux pour la stabilité et pour la prospérité du
continent se situaient autant au Sud qu'à l'Est. Cela a permis un rééquilibrage
de la politique extérieure de la Communauté, dont les décisions du Conseil
européen de Cannes donnent la mesure : pour la période 1995-1999, 4 685
millions d'écus seront affectés à la Méditerranée.
L'Union européenne s'est ainsi donné les moyens d'appuyer les efforts du Maroc
pour s'intégrer et prendre toute sa place dans l'espace économique
euro-méditerranéen. D'ici à 1998, le Maroc devrait pouvoir compter sur une
dotation indicative d'environ 450 millions d'écus de dons. Les deux priorités
du programme seront l'appui à la transition économique et l'amélioration des
équilibres socio-économiques.
Il convient de se réjouir aujourd'hui que le Maroc ait fait le choix et qu'il
se soit, en outre, donné les moyens de vivre pleinement à l'heure de l'Europe,
une Europe qui, loin de se substituer aux traditionnelles relations bilatérales
avec ses Etats membres, permettra de leur donner une nouvelle dimension.
Cette complémentarité entre les relations euro-marocaines et les relations
franco-marocaines est d'ailleurs parfaitement illustrée par l'accord sur
l'encouragement et la protection réciproques des investissements signé entre la
France et le Maroc le 13 janvier 1996, que j'ai également l'honneur de
présenter à votre assemblée.
Cet accord a pour objet d'établir un cadre juridique sûr, qui permette de
favoriser l'activité de nos entreprises au Maroc.
Il contient les grands principes qui figurent habituellement dans les accords
de ce type et qui constituent la base de la protection des investissements,
telle que la conçoivent aujourd'hui les pays membres de l'OCDE, l'Organisation
de coopération et de développement économiques.
J'en rappellerai brièvement les principaux traits.
Le premier, c'est l'octroi aux investisseurs d'un traitement juste et
équitable, conforme au droit international et au moins égal au traitement
accordé aux nationaux ou à celui de la nation la plus favorisée.
Le deuxième, c'est une garantie de libre transfert des revenus et du produit
de la liquidation des investissements, ainsi que d'une partie des rémunérations
des nationaux de l'une des parties contractantes.
Le troisième, c'est le versement, en cas de dépossession, d'une indemnisation
prompte et adéquate, dont les modalités de calcul sont précisées dans
l'accord.
Le quatrième, c'est la faculté de recourir à une procédure d'arbitrage
international en cas de différend entre l'investisseur et le pays d'accueil.
Le cinquième, enfin, c'est la possibilité pour le Gouvernement français
d'accorder sa garantie aux investissements que réaliseront à l'avenir nos
entreprises dans ce pays, conformément aux dispositions de la loi de finances
rectificative de 1971, qui subordonne l'octroi de cette garantie à l'existence
d'un tel accord.
Comme vous le voyez, les principes auxquels nous sommes attachés et qui
fondent la protection des investissements sont inscrits dans le texte que nous
avons signé avec le Maroc.
Cet accord s'inscrit dans un processus global destiné à offrir la plus grande
sécurité possible à nos investisseurs. Cette démarche suivie avec constance a
permis de passer des accords de ce type avec plus de cinquante pays.
Par ailleurs, on ne saurait trop souligner que l'accord soumis à votre
approbation a été signé avec un pays qui est en train d'effectuer d'importantes
réformes de structures. Cette réalité n'a bien évidemment pas échappé aux
investisseurs français, qui y sont implantés de manière plus significative que
leurs concurrents.
Il s'agit, par ailleurs, d'un texte très important, par lequel le Maroc a
accepté de garantir la totale liberté de transfert de tous les flux liés à un
investissement. Cette décision a demandé, il faut le souligner, plusieurs
années de réflexion aux autorités marocaines, puisque les négociations avaient
commencé dès 1991.
Ce simple constat souligne logiquement le souci qui inspire cet accord :
aider, autant que faire se peut, les entreprises françaises à renforcer leur
présence et à prendre toute leur place dans une région du monde qui nous est
traditionnellement proche, et de plus en plus proche.
Dans cette perspective, l'accord qui est soumis à votre approbation me paraît
être un instrument nécessaire.
Telles sont, monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs
les sénateurs, les principales observations qu'appellent les deux accords qui
font l'objet des projets de loi soumis à votre approbation.
M. le président.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Paulette Brisepierre,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, je souhaiterais vous présenter d'abord l'accord d'association entre
l'Union européenne et le Maroc, avant d'évoquer l'accord sur l'encouragement et
la protection réciproques des investissements entre la France et le Maroc.
La conférence de Barcelone des 27 et 28 novembre 1995 a donné un nouvel élan à
la politique méditerranéenne de l'Union européenne. Elle a cherché à forger un
véritable partenariat entre les deux rives de la Méditerranée sur deux piliers
complémentaires : d'une part, une coopération globale fondée sur le triptyque «
politique et de sécurité, économique et financier, social et humain » ; d'autre
part, le renouvellement et le renforcement des accords de coopération conclus
au cours des années soixante-dix avec plusieurs pays du sud de la
Méditerranée.
L'accord euro-méditerranéen établissant une association entre l'Union
européenne et le Maroc, signé à Bruxelles le 26 février 1996, après les accords
comparables conclus avec la Tunisie et Israël, constitue un jalon essentiel
dans la mise en oeuvre d'une intégration régionale à l'échelon du bassin
méditerranéen, mais aussi une étape historique dans les relations déjà longues
et fructueuses entre l'Europe et le royaume chérifien.
L'accord scelle l'ancrage du Maroc à l'Europe : un choix résolu engagé de
longue date par le roi Hassan II.
Avant de présenter l'accord d'association et ses conséquences sur l'économie
marocaine, je voudrais brièvement souligner les raisons pour lesquelles le
Maroc constitue un partenaire privilégié du dialogue euro-méditerranéen.
D'une part, le Maroc représente d'abord un pôle de stabilité dans un
environnement extrêmement troublé. D'autre part, il dispose d'un potentiel
économique indispensable pour donner une nouvelle dynamique à l'intégration
économique régionale.
Le pôle de stabilité repose sur un régime politique qui a su évoluer au cours
des années, ainsi que sur une diplomatie équilibrée.
J'examinerai d'abord la situation politique.
La monarchie a su puiser sa force à deux sources. Il s'agit, d'abord, de sa
capacité à incarner l'unité nationale au moment de l'indépendance en 1956, puis
lors de « l'affaire saharienne » en 1975. Il s'agit, ensuite, de sa capacité à
se réformer et à s'adapter aux nécessités du temps : la réforme
constitutionnelle qui a été adoptée en septembre 1996 prévoit ainsi la mise en
place d'un système bicaméral et d'une chambre des représentants, désormais élue
au suffrage universel. Ainsi le roi a-t-il annoncé pour les prochains mois des
élections législatives qui pourraient ouvrir une alternance au profit de
l'actuelle opposition parlementaire, principalement l'Istiqlal et l'Union
socialiste des forces populaires.
En outre, depuis quelques années, le roi a pris l'initiative d'un ensemble de
mesures d'ouverture, notamment la désignation d'un ministre délégué chargé des
droits de l'homme, la mise en place d'un réseau de tribunaux administratifs et
l'assouplissement des législations relatives à la garde à vue et à la détention
préventive. Sa Majesté Hassan II a accompli, par ailleurs, plusieurs gestes :
fermeture de certains camps comme celui de Tazmarart, amnistie générale de
quelque quatre cents prisonniers politiques.
Ces évolutions récentes restent encore inachevées mais elles sont à porter au
crédit du Maroc qui a su garder le cap de l'ouverture dans un environnement où
les droits de la personne apparaissent encore assez incertains.
La stabilité marocaine repose aussi sur une diplomatie équilibrée. Le Maroc a
su en effet jouer un rôle de médiateur au Proche-Orient et sa modération est
appréciée par les différentes parties en présence dans le cadre du processus de
paix. Le Maroc, de façon générale, a su se montrer fidèle à sa vocation
historique de trait d'union entre l'Orient et l'Occident.
Pôle de stabilité, le Maroc connaît cependant d'importantes
transformations.
La croissance démographique et l'essor de la population urbaine constituent
les deux faits décisifs de cette fin de siècle pour le Maroc.
Le royaume chérifien comptait 8 millions d'habitants au moment de
l'indépendance en 1956. Aujourd'hui, la population atteint 27 millions
d'habitants et pourrait dépasser 31 millions à l'horizon 2000. Les jeunes de
moins de trente ans représentent 60 % de la population.
L'élan démographique s'est accompagné d'un mouvement d'exode rural. Ce
phénomène s'explique par la conjonction de trois facteurs : l'essor économique
des villes, la concentration foncière et la répétition de graves sécheresses au
cours des dernières années, laquelle est un facteur conjoncturel.
Le décalage des conditions de vie entre les campagnes et les villes s'est
aggravé. De façon générale, le revenu moyen a progressé, mais sa répartition
est demeurée très inégale.
Dans cet environnement, le Maroc doit relever un triple défi : la maîtrise des
mouvements intégristes, l'éducation et la lutte contre la drogue.
Le Maroc est resté à l'abri de l'intégrisme et des violences qui déchirent
l'Algérie. Le roi Hassan II, « commandeur des croyants » en tant que descendant
du Prophète, a su incarner un Islam ouvert et tolérant. Dans ces conditions,
les orientations du pouvoir n'ont pas donné prise, contrairement à ce qui s'est
produit dans les pays voisins, aux passions de l'intégrisme. Au contraire, le
renforcement du sentiment religieux, constaté par les observateurs de la
société marocaine, ne peut que conforter un régime politique dont la légitimité
repose pour une part essentielle sur l'Islam. Toutefois, certaines mouvances
islamistes ont cherché à trouver un écho au sein des universités. L'importance
de l'enjeu a d'ailleurs décidé le Gouvernement à réagir avec vigueur aux
récents incidents survenus à Casablanca et à Marrakech. Au-delà de la seule
logique répressive, la réévaluation du statut des étudiants, dont la précarité
constitue un terreau propice aux extémismes, demeure une priorité.
L'éducation constitue de façon générale l'un des défis fondamentaux auxquels
le pouvoir marocain reste confronté. Aujourd'hui, le taux d'analphabétisme
dépasse 60 % tandis que moins de 50 % des mineurs sont scolarisés. Il s'agit là
d'un frein au développement, qui ne pourrait être levé que par la réforme et
l'extension du système éducatif.
Enfin, le développement d'une « économie de la drogue » dans la région
défavorisée du Rif ainsi que l'essor de la contrebande et les
dysfonctionnements de l'administration qu'elle révèle constituent un troisième
thème d'action pour le Gouvernement marocain. Celui-ci a pris la mesure des
problèmes posés et a conduit une campagne nationale d'« assainissement » dont
l'ampleur a surpris.
Les différents problèmes que connaît la société marocaine soulèvent en
filigrane une même interrogation : la possibilité pour le Maroc de répondre aux
attentes et aux besoins d'une population soucieuse de ses conditions
d'existence et de son bien-être. La réponse repose en partie sur les capacités
d'adaptation et la modernisation économique du Maroc.
J'en viens ainsi à la modernisation de l'économie marocaine.
En 1982, le Maroc a mis en oeuvre, sous les auspices du Fonds monétaire
international, un plan d'ajustement structurel dont la mise en oeuvre s'est
étalée sur dix ans et a été couronnée d'un succès indéniable.
En 1996, la croissance devrait dépasser 10 %, après une mauvaise année 1995
liée aux effets désastreux de la sécheresse. Les grands équilibres sont mieux
respectés : l'inflation est jugulée, le déficit budgétaire a été ramené à des
limites supportables, les réserves de change, alimentées par un courant
d'investissements multipliés par six en six ans, ont retrouvé un niveau
satisfaisant.
Au-delà de cet assainissement des bases économiques, le Maroc a entrepris de
façon résolue une politique de réformes structurelles fondée sur le diptyque «
libéralisme, privatisations ».
Libéralisation d'abord des échanges extérieurs et des changes avec la
convertibilité partielle du dirham ; privatisations ensuite dans un pays où le
secteur public fournissait, voilà peu de temps encore, 20 % de la valeur
ajoutée et 45 % des exportations.
Enfin, les autorités marocaines ont entrepris également une réforme de la
fiscalité et des marchés financiers avec la création de la bourse de valeurs de
Casablanca, qui fonctionne remarquablement bien à l'heure actuelle.
Cependant, malgré ces progrès, il reste quatre grands facteurs de
fragilité.
Tout d'abord, un chômage préoccupant, puisque chaque année quelque 350 000
personnes arrivent sur le marché du travail alors que seulement 100 000 d'entre
elles trouvent un emploi.
Ensuite, une industrie insuffisamment développée : elle ne contribue que pour
le quart à la formation du produit intérieur brut. Dès lors, l'économie reste
encore trop dépendante d'une agriculture placée elle-même à la merci des aléas
climatiques.
En outre, le service de la dette, s'il se réduit, ponctionne encore le tiers
des recettes publiques et entrave la mise en oeuvre des programmes
d'infrastructure publics pourtant indispensables.
Enfin, l'administration et, surtout, la justice, bien que en pleine évolution,
opposent encore parfois une sourde résistance à la volonté de réforme exprimée
par le pouvoir.
Le double impératif de la modernisation économique et de la résorption des
inégalités sociales constitue pour le Maroc le défi majeur des années à
venir.
L'accord d'association entre le Maroc et l'Union européenne signé en 1996 doit
aider le Maroc à relever ce défi.
J'en viens à la présentation de l'accord d'association. Je dirai d'abord
quelques mots sur les relations entre l'Union européenne et le Maroc.
Selon la belle formule du roi Hassan II, le Maroc est « un arbre qui plonge
ses racines en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe ». Il ne faut
jamais l'oublier, le détroit de Gibraltar ne sépare que de onze kilomètres le
Maroc du « vieux continent ». L'histoire est venue donner tout son sens à cette
proximité géographique, en confirmant la vocation du royaume à servir de trait
d'union entre l'Orient et l'Occident. Voilà qui désignait le royaume chérifien
comme un partenaire privilégié de l'Europe.
Un premier accord d'association signé le 27 avril 1976 a conforté des
préférences commerciales accordées dès 1969 : il offrait au Maroc sans
obligation de réciprocité un accès privilégié au marché commun, libre pour les
produits industriels - sauf le textile - soumis à des calendriers, à des
contingents et à des prix minima pour les produits agricoles.
En outre, l'accord d'association a été accompagné d'une aide financière
importante, soit près de 991 millions d'écus sur la période 1978-1996.
Au cours des trois dernières décennies, les liens entre le Maroc et l'Union
européenne se sont encore renforcés. L'Union est le premier partenaire
économique du Maroc : le premier client avec 64 % des exportations marocaines,
le premier fournisseur avec 54 % des importations, le premier investisseur avec
un montant représentant entre 60 et 70 % des investissements étrangers au
Maroc. L'Union européenne est aussi la première destination des expatriés
marocains.
L'accord d'association de 1996 comporte deux innovations principales par
rapport au précédent accord de 1976. Il s'agit, d'une part, de la mise en place
d'un dialogue politique. Il s'agit, d'autre part, de l'organisation d'une zone
de libre-échange.
Ces deux innovations n'ont toutefois pas la même portée. La libéralisation des
échanges, certes progressive, aura un impact considérable sur l'économie
marocaine. Les effets du dialogue politique ne se jugeront que sur le moyen
terme. Il en sera d'ailleurs de même pour les autres volets de coopération
prévus par l'accord, dont la mise en oeuvre reste suspendue, notamment, au
respect des engagements financiers européens. Or, malheureusement, ceux-ci
tardent à se réaliser. Si nous voulons que ce soit une réussite, il est
indispensable que tous les engagements financiers que nous avons pris soient
tenus.
L'accord d'association constitue un formidable défi pour le Maroc ; si le
libre-échange présente à court terme des effets fortement perturbateurs, il
représente une chance décisive pour le développement économique futur du
royaume.
Le démantèlement tarifaire aura pour première conséquence une réduction des
ressources fiscales du royaume. Aujourd'hui, 70 % des droits de douane, soit
18,5 % des ressources ordinaires du Trésor, portent sur les importations en
provenance de l'Europe.
La mise en place du libre-échange conduira ensuite à d'importantes
restructurations au sein du tissu industriel marocain. Cependant, les
conséquences de l'accord d'association différeront notablement selon les
secteurs considérés. Les entreprises tournées exclusivement vers le marché
local représentent près de 40 % des sociétés marocaines : elles seront les
premières à subir de plein fouet la concurrence des produits européens.
A l'inverse, les industries exportatrices marocaines, déjà bénéficiaires, pour
leur grande majorité, de l'exemption des droits de douane ou taxes d'effet
équivalent sur le marché communautaire en vertu de l'accord de 1976, pourront
tirer parti de la baisse progressive des droits qui frappent leurs équipements
ou leurs intrants importés.
Le Maroc s'est préparé à la perspective du libre-échange et a favorisé une
adaptation progressive de son économie.
La libéralisation des échanges respectera, pour la plupart des produits, un
rythme progressif. Ces délais permettront au Royaume de poursuivre avec méthode
les réformes indispensables et de prendre les mesures d'accompagnement
nécessaires, en particulier pour atténuer le coût social de certaines
restructurations.
Au-delà même de l'effort d'adaptation et des garanties reconnues par l'accord
d'association, le Maroc a fait un double pari conforme à l'intérêt du Royaume.
Il a d'abord pris acte de la mondialisation des échanges et préféré devenir un
acteur de ce vaste mouvement inéluctable plutôt qu'un témoin passif, condamné
bientôt à la marginalisation et au déclin. Plus encore, le Maroc a fait le
choix de l'Europe : un choix politique autant qu'économique. Il s'est
résolument engagé sur la voie d'une modernisation harmonieuse, soucieuse,
certes, du respect des traditions et de la fidélité au passé, mais ouverte sur
l'avenir et les valeurs du monde occidental. La candidature du Maroc à l'Union
européenne, plusieurs fois renouvelée depuis 1994, s'inscrit dans le droit-fil
de cet engagement.
Les sacrifices consentis par le Maroc et les espérances soulevées par l'accord
d'association ne sauraient demeurer sans écho de l'autre côté de la
Méditerranée. La réussite de la libéralisation des échanges dépend aussi, comme
je l'ai dit tout à l'heure, d'engagements financiers qui ont été promis par
l'Union européenne et qui tardent à se concrétiser.
Cependant, la libéralisation des échanges, l'aide financière apportée par
l'Union européenne ne suffiront pas à elles seules à garantir le développement
du Maroc. Il faut encore que les entreprises européennes investissent au Maroc.
C'est là une condition essentielle. L'accord d'association cherche à encourager
ces investissements et appelle d'ailleurs à la conclusion d'accords bilatéraux
de protection d'investissement.
L'accord d'investissement entre la France et le Maroc apparaît à cet égard
parfaitement cohérent avec les objectifs qui sous-tendent l'accord
euro-méditerranéen, mais il constitue un nouveau jalon, à mon sens capital,
dans les relations économiques entre nos deux pays.
Aussi, je voudrais, mes chers collègues, en abordant ce second texte soumis
aujourd'hui à votre examen, faire le point sur les relations
franco-marocaines.
Les relations franco-marocaines sont traditionnellement confiantes et très
diverses, mais elles se sont particulièrement intensifiées depuis 1995. Je
rappellerai que le Président de la République s'est rendu au Maroc dès juillet
1995, soit deux mois après son élection, et que le roi du Maroc est venu à
Paris en mai 1996. De nombreuses visites ministérielles, dans les deux sens, se
sont succédé depuis.
La France s'affirme réellement aujourd'hui comme le partenaire privilégié du
Maroc au moment où celui-ci modernise ses structures, s'ouvre à l'économie
internationale et se rapproche de l'Europe.
Notre pays est depuis plusieurs années le premier contributeur pour l'aide
économique et financière au Maroc. Si l'on considère les fonds alloués sur
protocole financier du Trésor et les fonds prêtés par la Caisse française de
développement, c'est environ 1 milliard de francs par an d'aide qui a été
accordé au Maroc. En 1995, année il est vrai difficile pour le Maroc en raison
de la sécheresse, l'effort a doublé puisqu'il a dépassé 2 milliards de francs :
les crédits céréaliers et l'ensemble des projets relatifs à l'équipement
hydraulique représentaient la plus large part de cette aide.
A ces montants s'ajoutent des crédits de coopération culturelle, scientifique
et technique traditionnellement importants, puisqu'ils représentent 400
millions de francs par an. Pour une bonne moitié, ces crédits sont consacrés au
réseau d'enseignement français au Maroc dont chacun s'accorde à reconnaître la
qualité et qui scolarise une forte proportion d'élèves marocains, soit environ
14 000.
Enfin, l'un des aspects les plus significatifs de l'aide française porte sur
l'allégement de la dette. La France, premier créancier du Maroc, a consenti en
1996 un allégement de 1 milliard de francs, dont 400 millions de francs de
remise de dette en échange de l'engagement du Maroc d'investir une somme
équivalente dans les régions du Rif et 600 millions de francs représentant une
conversion de créances en investissement pour des projets d'entreprises
françaises, ce qui est actuellement extrêmement apprécié par ces dernières.
Ce dispositif original a servi de référence pour un accord comparable avec
l'Espagne. Il a permis d'alléger la dette tout en favorisant
l'investissement.
L'appel aux investisseurs étrangers est aujourd'hui l'un des soucis principaux
du Maroc. Une législation plus favorable est entrée en vigueur à la fin de
l'année 1995 et, en ce qui concerne la France, l'accord d'investissement qui
nous est soumis doit apporter de nombreuses améliorations par rapport au régime
actuellement en vigueur.
Quelle est aujourd'hui la situation de l'investissement français au Maroc ? Il
représente, selon les années, entre le tiers et le quart de l'investissement
étranger, lui-même en très forte progression. Les sociétés françaises ont
marqué leur intérêt dans les secteurs de l'agroalimentaire, de la distribution
de l'eau et de l'électricité, de l'assainissement et de la banque. Elles ont
participé au programme de privatisations, qui est appelé à se poursuivre, et
suivent avec une plus grande attention encore les projets de réalisation, par
concession, de grands équipements, en particulier le projet de nouveau port à
Tanger, le projet d'autoroute Casablanca-El-Jadida et la concession de la
distribution de l'eau et de l'électricité dans la communauté urbaine de
Casablanca.
Dans ces conditions, il était important de revoir le régime d'encouragement et
de protection réciproques des investissements, qui datait de 1975 et qui, sur
certains points, ne paraissait plus adapté aux ambitions des autorités
marocaines et aux préoccupations des investisseurs.
L'accord signé à Marrakech le 13 janvier 1996 est très proche de la
quarantaine de conventions similaires signées par la France depuis 1990. Il
reprend les clauses traditionnelles de ce type d'accord en matière de
traitement juste et équitable des investissements, de traitement équivalant à
celui des nationaux et d'indemnisation en cas de nationalisation. Il apporte
cependant plusieurs améliorations très significatives par rapport à l'accord de
1975.
Ainsi, la définition des investissements couverts par l'accord est beaucoup
plus précise, ce qui évitera les risques de contentieux, tout en étant très
large puisqu'elle englobe les biens, les droits et les intérêts de toute
nature, sans exclusive. Par ailleurs, l'accord protège les investissements
réalisés avant comme après son entrée en vigueur. En outre, les règles de
dédommagement en cas de nationalisation ou d'expropriation sont plus
claires.
L'accord de 1996 permet enfin un recours plus facile à l'arbitrage
international en cas de différend, alors que l'accord de 1975 privilégiait les
règlements dans le cadre du droit interne, ce qui était beaucoup moins
favorable aux investisseurs.
Même s'il ne présente pas de grande originalité par rapport aux textes de même
nature, cet accord est important : il était absolument nécessaire pour donner
aux investissements français au Maroc une impulsion nouvelle, conforme aux
ambitions assignées aux relations franco-marocaines.
Mes chers collègues, j'ai tenté, par cet exposé, de vous montrer combien les
deux accords avec le Maroc constituaient un pas en avant : le premier pour les
relations avec l'Union européenne, le second pour les relations bilatérales et
la présence française au Maroc. C'est pourquoi je vous demande de bien vouloir
approuver ces deux accords.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais
tout d'abord remercier Mme le rapporteur. En effet, nul, dans cette enceinte,
n'était mieux qualifié pour parler du Maroc que Mme Brisepierre qui, depuis
trois décennies, tient, au milieu de nos compatriotes, une place tout à fait
éminente.
Je souhaite par ailleurs présenter rapidement deux remarques.
La première a trait aux investissements français au Maroc. Ils sont
considérables, puisqu'ils atteignent presque 3 milliards de francs. Cependant,
il faut noter - cela figure d'ailleurs dans le rapport écrit de Mme Brisepierre
- que les capitaux français investis au moment des privatisations sont tout à
fait inférieurs tant aux capitaux américains, qui progressent de manière
significative, qu'aux capitaux suisses. Il s'agit là d'une tendance à laquelle
nous devons être attentifs.
Ma seconde remarque vise l'accord d'association entre le Maroc et l'Union
européenne, qui revêt une très grande importance du point de vue tant
historique qu'humain. Le Maroc et l'Europe, séparés par un simple détroit, ont
toujours été très proches et ont entretenu de fréquentes relations. Comme Mme
Brisepierre l'a indiqué, il s'agit du contact entre l'Orient et l'Occident.
Le Maroc est en tout cas un pays qui reste très proche de la France par la
langue, puisque le nombre de francophones y est considérable. Nos compatriotes
y sont encore très nombreux et nous devons en conséquence être très attentifs à
tout ce qui se passe au Maroc, conformément à ce que Mme Brisepierre a
indiqué.
Nous voterons bien entendu les deux projets de loi qui nous sont soumis.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.
ACCORD EURO-MÉDITERRANÉEN
ÉTABLISSANT UNE ASSOCIATION ENTRE
LES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET LE MAROC
M. le président.
Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 280 :
«
Article unique.
- Est autorisée la ratification de l'accord
euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés
européennes et leurs Etats membres, d'une part, et le Royaume du Maroc, d'autre
part, signé à Bruxelles le 26 février 1996, et dont le texte est annexé à la
présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
ACCORD AVEC LE MAROC SUR L'ENCOURAGEMENT
ET LA PROTECTION RÉCIPROQUES DES INVESTISSEMENTS
M. le président.
Nous passons à la discussion de l'article unique du projet de loi n° 279 :
«
Article unique.
- Est autorisée l'approbation de l'accord entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc
sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble
un échange de lettres), signé à Marrakech le 13 janvier 1996, et dont le texte
est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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