MESURES URGENTES
À CARACTÈRE FISCAL ET FINANCIER
Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi portant mesures urgentes à
caractère fiscal et financier.
J'informe le Sénat que la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation m'a fait connaître qu'elle a d'ores et
déjà procédé à la désignation des candidats qu'elle présentera si le
Gouvernement demande la réunion d'une commission mixte paritaire en vue de
proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi
actuellement en cours d'examen. Ces candidatures ont été affichées pour
permettre le respect du délai réglementaire.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Régnault.
M. René Régnault.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, si
je n'avais pas entendu l'intervention de celui qui m'a précédé à cette tribune,
j'aurais pu penser qu'il n'y avait plus grand-chose à ajouter dans ce débat,
tant les propos du rapporteur, du président de la commission et du ministre, ce
matin, me paraissaient avoir parfaitement éclairé le sujet.
J'indique au passage que je n'ai entendu personne contester les conditions
dans lesquelles s'est déroulée la passation de pouvoir entre l'ancien et le
nouveau Premier ministre. En particulier, personne n'a contesté le fait que le
Premier ministre sortant, M. Alain Juppé, ait, dans une lettre, exposé à son
successeur la situation qui l'attendait, situation dont l'audit a d'ailleurs
confirmé, depuis, la réalité.
Il y avait déjà de quoi être surpris lorsque certains ont affirmé que le
collectif arrivait bien tard. Mais mon étonnement redouble à constater que,
lorsque ce collectif vous est proposé, chers collègues de la majorité
sénatoriale, vous vous attachez aussitôt à le vider de son contenu !
M. Alain Lambert,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
« Collectif », dites-vous ?
(Sourires.)
M. René Régnault.
Je voulais, bien entendu, parler des « mesures urgentes à caractère fiscal et
financier », monsieur le rapporteur !
M. Alain Lambert,
rapporteur.
C'est un lapsus révélateur !
M. René Régnault.
Mais là n'est pas l'important, monsieur le rapporteur. L'important, c'est que
tous ces commentaires critiques ne sont suivis d'aucune proposition. C'est tout
à fait dommage, car des propositions nous auraient permis de penser que vous
aviez su mettre à profit le temps qui s'est écoulé entre le printemps dernier
et cet automne qui débute.
Voilà, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, ce que je souhaitais dire en guise d'introduction à mon propos.
Ce projet de loi constitue principalement la traduction juridique des mesures
d'urgence prises par le Gouvernement à la suite des résultats de l'audit
budgétaire, mesures destinées à redresser l'évolution de nos finances publiques
pour 1997.
Fallait-il prendre des mesures d'urgence ?
Selon le gouvernement précédent, le déficit public, égal à 4,2 % du PIB en
1996, devait descendre à 3 % en 1997. Malheureusement, comme le groupe
socialiste du Sénat l'avait démontré lors de la discussion du projet de loi de
finances pour 1997, cette prévision était artificielle.
D'abord, le déficit prévu pour la sécurité sociale était largement et
manifestement sous-estimé ; les faits l'ont clairement démontré.
Ensuite, la présentation budgétaire faisait appel à de nombreux artifices :
surévaluation de certaines recettes, baisse d'impôts non financées, réductions
de dépenses souvent factices parce que résultant de débudgétisations ou de
sous-évaluations, - je pense au service de la dette - quand elles ne portaient
pas sur des postes appelés à une croissance vertigineuse - concernant le
contrat initiative-emploi, par exemple - que le Gouvernement lui-même n'avait
pas su prévoir.
Le déficit budgétaire était donc en réalité bien supérieur aux chiffres
annoncés. Selon nos calculs, le vrai déficit public s'établissait à 4 % du PIB,
3,5 % une fois pris en compte l'opération sur France Télécom et la modification
de la comptabilisation des coupons courus.
D'ailleurs, la presse étrangère n'avait pas été tendre avec la copie du
gouvernement de M. Juppé. Ainsi, dans le
Financial Times
du 19 septembre
1996, on pouvait lire, sous le titre « Combines françaises », cette
appréciation : « Un miracle ou des astuces budgétaires très élaborées ? Le
budget présenté hier est un exemple habile de la deuxième branche de cette
alternative. La créativité qu'il a fallu déployer ne trompera personne. »
Ce budget virtuel, qui ne faisait d'ailleurs que suivre une habitude prise dès
1994, était destiné à cacher l'échec de la politique budgétaire des
gouvernements Balladur et Juppé, laquelle depuis 1993, en dépit de la manne des
privatisations et des augmentations d'impôt sans précédent - environ 200
milliards de francs - que vous semblez avoir oubliées, faisait toujours
ressortir un déficit public supérieur à celui de 1992. Notons que, dans le même
temps, la plupart de nos partenaires avaient, eux, sensiblement réduit leur
déficit.
L'audit budgétaire rendu public le 21 juillet dernier a confirmé ces analyses
: sans mesures de correction, le déficit public de 1997 serait compris entre
3,5 % et 3,7 % du PIB ; à cela il convenait d'ajouter la prise en compte de la
soulte de France Télécom, soit environ de 0,5 % du PIB, puisqu'il s'agit d'une
ressource non renouvelable.
La principale source de dérapage relevée par les auditeurs concerne le budget
de l'Etat. Selon eux, le déficit de l'Etat se situe entre 312 milliards et 322
milliards de francs en comptabilité budgétaire.
Cette fourchette, qui doit être comparée aux 285 milliards de francs inscrits
en loi de finances initiale, fait ressortir un creusement du déficit de 27
milliards à 37 milliards de francs. L'écart est lié à deux facteurs : d'une
part, une insuffisance de recettes fiscales, de l'ordre de 15 milliards à 17
milliards de francs, et, d'autre part, des dérapages sur les dépenses de
l'Etat, de l'ordre de 27 milliards à 30 milliards de francs, soit, après
mesures de correction inéluctables, de 12 milliards à 20 milliards de
francs.
Ces dérapages ne proviennent pas d'une insuffisance de croissance puisque le
taux de croissance de 1997 sera, en gros, conforme aux prévisions. Ils
proviennent donc à l'évidence de la présentation budgétaire que je viens de
rappeler.
Quoi qu'il en soit, nous étions incontestablement, passez-moi l'expression, «
en dehors des clous ».
Face à cette situation, le Gouvernement a évidemment dû réagir.
Bien sûr, on peut se poser la question subsidiaire : fallait-il réagir ?
Pour moi, la réponse est nécessairement affirmative, et cela pour deux
raisons.
La première tient, bien sûr, à l'Europe. Pour que la France respecte les
conditions du passage à la monnaie unique, nous ne pouvions nous présenter avec
un déficit public largement au-dessus des 3 %. Il n'est pas imaginable que la
France prenne le risque politique de l'échec de cette grande idée, dont on sait
qu'elle constitue une condition absolument nécessaire pour que l'Europe
retrouve une certaine liberté d'action, puisse se présenter en position de
force face à ses partenaires et mettre enfin un terme aux dérèglements
monétaires et financiers.
Mais la seconde raison, trop souvent oubliée, c'est la nécessité de casser
l'enchaînement déficit-dette afin, entre autres raisons, de permettre au budget
de l'Etat de retrouver des marges de manoeuvre.
La dette publique a quasiment doublé depuis 1992 : elle a augmenté de 81 %,
soit une hausse globale de 1 700 milliards de francs, ou de 30 000 francs par
Français. Or, pour stabiliser la progression de la dette, il faut dégager un
excédent primaire de 1 %, soit un déficit budgétaire de 2 %.
Le retour à une évolution budgétaire plus stricte était donc inéluctable. Le
recours à des mesures d'urgence de redressement des finances publiques
s'imposait. Nous pouvons tous en convenir, je crois, tout au moins je veux le
penser. Ou alors il faut expliquer aux Français les raisons d'un choix
différent ; vous vous y êtes essayés mais vous n'avez pas réussi. On ne peut se
contenter de refuser les mesures d'urgence en se dispensant d'évoquer les
conséquences d'un tel refus. Nous attendons toujours vos propositions, mes
chers collègues !
Les mesures proposées sont-elles bien choisies ? Voilà la vraie question.
Voilà le débat constructif que nous devons avoir avec le Gouvernement.
Ces mesures, quelles sont-elles ?
Il s'agit de l'augmentation temporaire de 15 % de l'impôt sur les sociétés et
de la suppression du taux réduit d'imposition des plus-values professionnelles
à long terme sur les opérations de cession d'éléments d'actifs.
Leur rendement serait d'un peu plus de 20 milliards de francs en 1997.
Elles s'accompagnent de plus de 10 milliards de francs d'économies, ce qui
porte au total l'ajustement réalisé à 31 milliards de francs, soit 0,4 % du
PIB. Le déficit public reviendrait à environ 3,1 % du PIB. C'est l'objectif du
Gouvernement et c'est aussi le nôtre.
La première réflexion doit porter sur l'impact de ces mesures sur la
croissance.
Nous sommes actuellement dans une phase conjoncturelle de transition. Il est
indéniable que la croissance s'accélère progressivement. Après qu'elle a été de
0,2 % au premier trimestre de 1997, elle a atteint 1 % au deuxième trimestre.
Hors effets de calendrier, cela représente 0,5 % et 0,7 %. Pas de quoi crier
victoire...
En tout cas, cette accélération se réalise sous l'influence de deux facteurs,
qui expliquent 90 % de la croissance pour le deuxième trimestre.
Le premier facteur réside dans la reconstitution des stocks. Si les
entreprises sont restées attentistes au cours du second semestre de 1996, le
restockage s'est amorcé, comme prévu, durant les premiers mois de 1997.
Le second facteur, ce sont les exportations. Elles sont soutenues depuis
plusieurs mois, et, depuis l'été 1996, l'environnement international est
porteur. De plus, la compétitivité des produits français s'est renforcée, du
fait de la baisse du taux de change nominal du franc, par rapport au dollar et
à la livre notamment, et de la maîtrise des coûts de production.
Toutefois, la demande intérieure n'est toujours pas repartie, puisqu'elle a
augmenté de seulement 0,4 % au deuxième trimestre. L'investissement connaît un
simple frémissement, en augmentant de 0,2 % après avoir diminué de 1,2 %, et la
consommation des ménages, qui enregistre une baisse de 0,1 % après avoir crû de
0,2 %, est toujours en panne, du fait de la stagnation du pouvoir d'achat et
d'une légère remontée du taux d'épargne, ce qui explique le choix du
Gouvernement de ne pas solliciter à nouveau les ménages.
C'est pourquoi, malgré cette accélération de la reprise, la croissance devrait
seulement atteindre 2,2 % en 1997. Sans véritable « allumage » de la demande
intérieure, cette progression de la croissance pourrait rapidement trouver ses
limites.
Dans ce climat, il est nécessaire de calibrer les mesures au plus juste et,
surtout, de n'en prendre aucune qui soit néfaste pour la croissance : c'est ce
qu'a réussi le Gouvernement.
Tout d'abord, l'effet récessif a été limité dans la mesure du possible. On est
loin du « plan de rigueur » que tout le monde craignait lors de la campagne
législative et qui a, semble-t-il, été la raison de la dissolution. Une large
majorité de nos concitoyens a rejeté cette perspective.
Le surcroît de recettes est modeste, puisqu'il n'est que de 20 milliards de
francs, et ne fait que compenser l'insuffisance des rentrées fiscales soulignée
par l'audit.
Ceux qui refusent le recours à des recettes de compensation doivent nous
expliquer comment ils auraient financé les dérapages, et sur quel poste
budgétaire ils auraient trouvé les sommes correspondantes. Ils doivent
également ne pas avoir la mémoire courte, et se rappeler qu'en 1995 les hausses
de prélèvements avaient dépassé les 100 milliards de francs.
Les critiques de l'opposition sur le prétendu « matraquage fiscal » sont, de
notre point de vue, quelque peu inadmissibles de la part de ceux qui avaient
voté des augmentations de prélèvements correspondant à plus deux points de PIB
et portant d'ailleurs essentiellement sur les impositions les plus injustes. En
effet, ils ont ainsi battu le record toutes catégories en matière de
prélèvements obligatoires.
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Lesquels baissez-vous ?
M. René Régnault.
Nous ne les baissons pas,...
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Ah bon !
M. René Régnault.
... mais nous faisons en sorte de nous procurer les recettes nécessaires au
financement des dépenses que vous avez décidées, sans frapper à nouveau la
consommation, comme vous l'aviez fait voilà deux ans.
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Vous ne baissez pas les impôts, vous les augmentez !
M. René Régnault.
Ensuite, les mesures proposées épargnent les ménages. L'évolution de la
croissance depuis l'été 1995 est là pour nous rappeler les conséquences
néfastes du coup de massue asséné à une consommation des ménages déjà peu
dynamique, à cause de la constitution d'une épargne de précaution et de la
stagnation du pouvoir d'achat enregistrée depuis 1993.
Cependant, en faisant porter l'effort sur les entreprises, les mesures
envisagées ne sont-elles pas dangereuses pour la reprise de l'investissement
?
Nous réfléchissons à cette question.
Les résultats des entreprises s'étaient largement améliorés de 1984 à 1990 :
ainsi, le taux de marge s'était redressé de 24 % à plus de 30 %, tandis que le
taux d'épargne et celui d'autofinancement avaient nettement progressé.
Depuis, en dépit du ralentissement économique, ils sont restés aux niveaux
très convenables atteints en 1988-1989. En effet, le taux de marge demeure
largement supérieur à 30 %, le taux d'épargne des entreprises se maintient à un
niveau élevé, à savoir 17,8 % en 1996, et le taux d'autofinancement des
entreprises dépasse durablement et fortement les 100 %, ce qui n'avait jamais
été constaté depuis 1945.
Je signalerai également qu'en 1996 les résultats des vingt-cinq premiers
groupes industriels et de services sont passés de 8,1 milliards de francs à
43,6 milliards de francs ! De plus, le chiffre d'affaires des grandes
entreprises de l'industrie manufacturière a encore bondi de plus de 9 % au
premier semestre de 1997.
M. Henri de Raincourt.
Tant mieux !
M. René Régnault.
Certes, monsieur de Raincourt, mais vous comprendrez que nous ayons pensé à
imposer ces groupes quand la France doit fournir un effort particulier,
notamment pour atteindre les objectifs que vous avez acceptés et votés. Or, ces
objectifs, vous avez cherché à les atteindre en décidant des dépenses sans vous
procurer les recettes correspondantes. Il était, par conséquent, normal que
nous garantissions la vérité du budget pour 1997, et que nous fassions en sorte
qu'il permette de réaliser l'ambition politique qui avait été définie.
La première explication de la bonne santé de nos entreprises réside dans la
faible augmentation des charges salariales, liée aux faibles hausses des
salaires et à la forte réduction du nombre des emplois. Cela a permis de
ramener la part des rémunérations dans la valeur ajoutée brute en deçà de 60 %,
puisque cette part était de 68 % en 1982 et de 59,6 % en 1996 : la France est
l'un des pays industrialisés où le partage de la valeur ajoutée est le plus
favorable aux profits. Ainsi, en 1995 et en 1996, les profits bruts ont
augmenté d'environ 7 %, mais les salaires de 2 % seulement.
La deuxième explication tient à la réduction de la pression fiscale : l'impôt
sur les sociétés, qui atteignait 3,4 % de la valeur ajoutée en 1989, n'en
représente plus que 1,6 % aujourd'hui. Par ailleurs, plus de 200 milliards de
francs ont été engrangés depuis 1993 par les entreprises au titre du
remboursement de la TVA et des allégements de charges sociales.
La troisième explication, c'est la décroissance, baisse des taux d'intérêt
aidant, des frais financiers. Ainsi, les charges supportées à ce titre ont été
ramenées de 422 milliards de francs en 1993 à 316 milliards de francs en
1996.
Bénéficiant d'une capacité d'épargne excédentaire depuis 1992, les entreprises
se sont désendettées et ont augmenté leurs fonds propres, ce qui est bien. Ces
derniers représentaient, en 1996, 36,2 % du bilan, contre 20,5 % en 1985, la
moyenne de l'Union européenne, qui sert souvent de critère de comparaison,
étant de 33,3 %, celle des Etats-Unis de 37,4 % et celle, enfin, du Japon, de
32,7 %.
Elles en ont profité pour majorer les dividendes, qui sont passés de 279
milliards de francs en 1992 à près de 419 milliards de francs en 1996, et pour
accroître leurs placements financiers.
Cette avalanche de chiffres n'a pas pour objet de démontrer que nos grandes
entreprises doivent servir de boucs émissaires ou de « vaches à lait ».
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Elles seront rassurées !
M. René Régnault.
Elles doivent continuer à s'adapter à un marché de plus en plus mondialisé et
à une concurrence de plus en plus difficile, et poursuivre leur mise à niveau
par rapport aux entreprises anglo-saxonnes, ce qui implique que leurs capacités
financières soient sauvegardées.
Mais ces chiffres montrent, et nous pourrons tous en convenir, que la santé
financière de nos entreprises est globalement bonne et que, du fait de leur
capacité excédentaire d'épargne, les mesures proposées ne seront pas un frein à
l'investissement, pour peu que l'on veuille bien être objectif.
J'ajouterai que leur principal intérêt aujourd'hui, maintenant que les taux
d'intérêt sont bas, c'est que la monnaie unique se fasse et que leurs débouchés
retrouvent un dynamisme perdu depuis plusieurs années. Là est le véritable
frein à l'investissement. Pour cela, il faut bien éponger les dérapages
budgétaires légués par le précédent gouvernement, et le choix de faire porter
l'effort sur les entreprises est donc le meilleur, ou plutôt le moins
mauvais.
Ces mesures me paraissent en outre équilibrées et justes, car les impôts sont
bien choisis.
En effet, la France se caractérise par un impôt sur les sociétés plutôt
faible, en matière tant de taux, la moyenne européenne étant de 40 %, que de
proportion du PIB.
Il est vrai - il nous en a été donné acte ce matin - qu'un gouvernement que
nous avions soutenu s'était employé à alléger cet impôt. C'est une politique
que nous avions engagée, et dont nous avons mesuré tous les effets.
Aujourd'hui, face à la situation dans laquelle nous nous trouvons, nous pensons
que la voie choisie est objectivement la bonne.
Rappelons que l'impôt sur les sociétés ne représente que 1,6 % du PIB en
France, contre 2,6 % aux Etats-Unis, 4 % au Japon et plus de 3 % chez la
plupart de nos partenaires européens, en dehors, je vous le concède, de
l'Allemagne.
Le cadrage de la mesure est également judicieux : ainsi, les PME, soit plus
de 90 % des entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés, ne sont pas
concernées. Or les PME sont le principal vivier d'emplois, et leur situation
financière est en général moins bonne que la moyenne. Selon une enquête de
l'UFB-Locabail, « l'activité des PME-PMI reste relativement atone depuis le
début de l'année, dans le sillage de la croissance modérée de 1996 ». Ne pas
les solliciter est donc un bon choix, qui n'avait d'ailleurs pas été fait en
1995, puisque la surtaxe avait touché toutes les entreprises.
Je formulerai toutefois une réserve : on peut sans doute regretter que cette
modification complique encore le barème de l'impôt sur les sociétés. En effet,
trois taux existent désormais, à savoir 20,9 %, 36,6 % et 41,6 %, sachant que
le taux « normal » est de 33,3 %.
De plus, le choix d'un seuil de chiffre d'affaires entraîne immanquablement,
nous le savons, des effets pervers. Il faudrait, me semble-t-il, monsieur le
secrétaire d'Etat, mettre en place un impôt sur les sociétés progressif, en
fonction des bénéfices, comme c'est le cas chez nombre de nos voisins. Cela
pourrait se réaliser en vue de la sortie du dispositif temporaire, puisqu'il
s'agit là d'une disposition dont l'extinction est prévue dans le projet de loi
qui nous est soumis.
En ce qui concerne la suppression du taux réduit des plus-values, il s'agit de
supprimer une différenciation qui n'a plus de raison d'être maintenant que la
désinflation est structurelle, et de rapprocher le régime français de celui de
nos partenaires européens.
La mesure proposée est judicieuse, avec cette petite réserve qu'il faudra, là
encore, corriger l'absence, en France, de régime d'exonération ou de report
d'imposition en cas de réemploi de la plus-value.
Enfin, s'agissant des trois autres dispositions proposées, qui ne s'inscrivent
pas dans les mesures de rétablissement de nos finances publiques, elles
n'appellent pas de longs commentaires.
Ainsi, la modification comptable tendant à donner à l'établissement public
Electricité de France une structure de bilan plus conforme à la réalité de sa
situation est une bonne mesure. Il était nécessaire de clarifier la situation,
compte tenu notamment des critiques formulées par des entreprises concurrentes,
au motif qu'il existerait des aides cachées.
Néanmoins, quelques inquiétudes se sont fait jour.
Elles intéressent tout d'abord, à propos de la propriété de certains ouvrages,
le réseau d'alimentation générale et le réseau de distribution publique,
c'est-à-dire celui qui est géré par des collectivités locales ou par des
syndicats.
M. Michel Moreigne.
Très bien !
M. René Régnault.
L'adoption dans sa rédaction initiale de l'article 4, auquel MM. Moreigne,
Sergent et d'autres de mes collègues portent un intérêt tout particulier,
aurait pu engendrer des transferts de propriété à EDF d'ouvrages qui ne lui
appartiennent pas. Je sais que vous étiez particulièrement sourcilleux sur ce
point, mes chers collègues.
Mais l'Assemblée nationale a adopté un amendement permettant d'exclure
clairement de la nouvelle propriété d'EDF les ouvrages du réseau affectés à la
distribution publique.
La seconde inquiétude dont je veux me faire le porte-parole est celle des
personnels d'EDF. Ils craignent en effet que le transfert du réseau de
transport d'électricité d'EDF ne constitue les prémisses d'une privatisation de
l'établissement public. Je crois que le Gouvernement a déjà eu l'occasion de
s'employer à lever cette interrogation, et j'espère que vous y reviendrez tout
à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat.
Cependant, pouvez-vous nous affirmer que la transposition prochaine en droit
interne de la directive « Electricité », adoptée par le précédent gouvernement,
maintiendra un service public de l'électricité de haute qualité et ne remettra
pas en cause l'appartenance d'EDF à la nation ?
Tels sont les points forts sur lesquels, monsieur le secrétaire d'Etat, votre
réponse est particulièrement attendue.
Au terme de cet exposé, je voudrais, chers collègues de la majorité
sénatoriale, vous engager à faire preuve d'un peu de mémoire.
(M. le rapporteur sourit.)
Nos concitoyens, à qui vous avez donné la parole en décidant la
dissolution de l'Assemblée nationale, ...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
C'est une démarche démocratique !
M. René Régnault.
Je vous en donne acte, ce n'était pas un reproche de ma part.
Nos concitoyens, donc, ont très bien compris votre politique, les choix qui la
sous-tendaient et ses conséquences, et ils l'ont rejetée. Ils ont mesuré la
profondeur du gouffre dans lequel vous vouliez les précipiter.
Le nouveau gouvernement, quant à lui, a pris avec courage, lucidité et
discernement les mesures équilibrées et justes que la situation que vous aviez
laissée appelait. Elles sont frappées au coin de l'équité et de la raison, et
nos voisins européens, sans exception, les ont accueillies positivement, ainsi
que les places financières. Aussi, je ne comprends vraiment pas votre position
de refus sur ce texte.
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Ce sont nos concurrents, ils peuvent se réjouir de nos choix
!
M. René Régnault.
Quant à nous, groupe socialiste, nous soutenons l'action de redressement de
nos finances publiques et la nouvelle politique économique que vous mettez en
place, monsieur le secrétaire d'Etat. Par le plan emplois-jeunes, par la
relance de la demande intérieure et par le soutien déterminé à la croissance,
elle permettra de sortir de ces années difficiles et d'enregistrer les
nombreuses créations d'emplois indispensables à notre pays.
Telles sont, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les raisons
pour lesquelles nous adhérons, et sans réserve, à ces mesures d'urgence et
soutenons l'action du Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Cléach.
M. Marcel-Pierre Cléach.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
projet de loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier soumis à
l'examen de notre assemblée marque les trois coups du nouveau traitement fiscal
que réserve le Gouvernement de M. Jospin aux entreprises et aux contribuables
de notre pays.
Le projet de loi comporte, outre quelques dispositions techniques évoquées par
M. le rapporteur et par les précédents orateurs, trois articles importants dont
la commission des finances du Sénat a demandé la suppression.
L'article 1er prévoit, en effet, une aggravation lourde de l'impôt sur les
sociétés pour les exercices 1997, 1998 et 1999.
Cette aggravation de la fiscalité directe est présentée comme un effort
temporaire limité aux personnes morales réalisant un chiffre d'affaires
supérieur à 50 millions de francs et justifié par la nécessité de remise en
ordre des finances publiques et par le niveau moyen du taux de l'impôt sur les
sociétés de nos principaux partenaires commerciaux.
L'article 2 a pour objet de supprimer, rétroactivement à compter du 1er
janvier 1997, le régime des plus-values ou moins-values à long terme
actuellement en vigueur pour la cession des éléments d'actif.
Enfin, l'article 3 tend à instaurer le principe du versement d'un acompte,
payable avant la fin de l'exercice 1997, au titre des dispositions qui
précèdent, acompte dont le calcul devra prendre en compte les dates de clôture
d'exercice, ce qui ajoute une nouvelle complication aux dispositions de
l'article 1668 du code général des impôts.
Ces dispositions nouvelles sont en elles-mêmes critiquables dans la mesure où
elles constituent un alourdissement de la fiscalité des entreprises, et pas
seulement des plus grandes, le chiffre d'affaires considéré étant naturellement
fonction des différences d'activités.
Elles sont également critiquables dans la mesure où elles introduisent de
nouveau une rétroactivité de la loi fiscale aggravante, puisqu'elles prennent
en compte l'exercice ouvert le 1er janvier 1997, voire l'exercice 1996 en
matière de plus-values différées. Ce matin, j'ai été surpris d'entendre M. le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie partager, voire
développer, une notion de rétroactivité fiscale qui fait encore frémir les
juristes.
En effet, comment peut-on dire qu'il n'y a pas rétroactivité si l'on change la
règle du jeu en cours d'exercice,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Très bien !
M. Marcel-Pierre Cléach.
... alors que l'entreprise a établi les budgets prévisionnels de l'exercice
considéré en fonction de la règle en vigueur à l'ouverture de cet exercice ?
M. Raymond Courrière.
On vous l'a expliqué ce matin !
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
C'est le yoyo fiscal !
M. Marcel-Pierre Cléach.
Enfin, la présentation du projet de loi oublie l'environnement fiscal et
social des entreprises françaises en isolant l'impôt sur les sociétés de la
masse des autres charges qui grèvent nos entreprises pour pouvoir dire que le
nouveau taux de 41,66 % rejoindrait le niveau moyen de l'impôt sur les sociétés
chez nos principaux partenaires.
En réalité - M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie l'a
confirmé - il nous situera dans le trio de tête, avec l'Italie et l'Allemagne,
alors que, au même moment, la Grande-Bretagne vient de fixer son taux marginal
à 31 %, que l'Espagne et les Pays-Bas sont à 35 %, la Belgique à 40,1 % et que
nous serons bientôt seuls en tête - triste privilège ! Notre voisin allemand
prévoit en effet de ramener la fiscalité des bénéfices distribués et non
distribués respectivement à 30 % et à 28 % en 1998 et au taux unique de 25 % en
1999 ; par ailleurs, l'Italie vient d'annoncer l'institution d'un taux réduit à
19 % pour les bénéfices réinvestis.
J'en viens aux plus-values à long terme. L'appréciation de M. le rapporteur
selon laquelle la suppression du régime fiscal actuel a pour effet de
multiplier par deux le taux effectif de taxation de ces plus-values, qui ne
sont pas spéculatives, me paraît se suffire à elle-même.
Là aussi, nous allons à contre-courant des législations de nos partenaires
économiques.
La France - il est banal de dire qu'elle est maintenant le pays le plus cher
du monde - va ainsi, une nouvelle fois, aggraver son score et diminuer d'autant
la compétitivité de ses entreprises et son attrait pour les investisseurs
étrangers.
Le rapport de la commission des finances développe excellemment l'ensemble des
conséquences de cette politique et souligne combien elle est contraire aux
intérêts à long terme de notre pays.
Aussi, je ne reviendrai pas sur les critiques clairement émises et expliquées
par M. le président de la commission Poncelet et par M. le rapporteur à
l'encontre des dispositions des trois premiers articles du projet de loi. Ces
critiques, je les partage, vous l'avez deviné, et elles m'incitent, monsieur le
secrétaire d'Etat, à recommander à nos collègues de suivre purement et
simplement la position exprimée par la commission des finances de notre
assemblée.
Mais je voudrais replacer mon analyse du dispositif du projet de loi dans le
cadre des mesures annoncées au titre du budget pour 1998 et de celles qui ont
été également annoncées au titre du financement de la sécurité sociale.
En effet, votre projet de budget - ce que nous en savons - s'attaque encore
aux entreprises. En effet, vous réduisez ou supprimez des dispositions fiscales
d'usage ; vous aggravez les coûts de l'énergie en augmentant le prix des
carburants ; vous taxez les compagnies d'assurances ; vous modifiez la loi
Pons, dont l'application a souvent détourné l'intention du législateur, ...
Mme Marie-Claude Beaudeau et M. Michel Sergent.
Ah ! Tout de même !
M. Marcel-Pierre Cléach.
... mais qu'il eût peut-être été plus judicieux de conserver compte tenu des
effets bénéfiques qu'elle a apportés à l'économie de nos départements
d'outre-mer, tout en lui apportant, je vous le concède, des améliorations pour
lutter contre ses dérives constatées.
Et puis, hors budget, nous sommes, les uns et les autres, dans l'incertitude
en ce qui concerne les propositions gouvernementales relatives aux trente-cinq
heures, engagement électoral qui a connu, il est vrai, quelques vicissitudes
depuis votre accession au pouvoir.
M. Michel Sergent.
Pour le moins !
M. Marcel-Pierre Cléach.
Mais vous savez, monsieur le secrétaire d'Etat, que si, comme le Gouvernement
auquel vous appartenez l'a fait pour Air France, vous suivez la demande
pressante de la partie la plus extrême de votre majorité...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
La plus raisonnable !
M. Marcel-Pierre Cléach.
... vous aggraverez encore les charges des entreprises françaises, de 11 à 12
%.
Enfin, le plan de financement de la sécurité sociale déjà qualifié de « plan
Aubry » va taxer lourdement l'épargne, l'industrie du médicament, les
cotisations des employeurs et des travailleurs indépendants et réduire les
ressources d'un grand nombre de familles.
Ne vous étonnez pas, dans ces conditions, que la courbe de création
d'entreprises nouvelles ait baissé de 3 % entre 1995 et 1996, confirmant ainsi
une baisse constante amorcée dès 1991. Il convient d'ajouter ce chiffre
alarmant à celui des disparitions d'entreprises pour avoir une vision immédiate
de l'impact du « toujours plus d'impôts » et du « toujours plus de charges »
sur l'activité économique de notre pays.
Comment pourrait-il en être autrement, du moins pour les petites et moyennes
entreprises confrontées chaque année - et le gouvernement auquel vous
appartenez n'est pas le seul coupable - à des charges financières globales
accrues, à une paperasserie excessive - malgré les efforts de M. Raffarin
lorqu'il était en charge des PME - à des contrôles et des tracasseries
incessants, tatillons et multiples ?
Comment pourrait-il en être autrement quand les créateurs ou les responsables
de ces entreprises sont également frappés dans leurs revenus personnels ?
Que dire, en effet, des mesures annoncées dans le projet de budget pour 1998
pour les personnes physiques, notamment pour les classes moyennes et les
classes moyennes supérieures, qui sont un moteur de la consommation et de
l'activité.
Vous abandonnez le programme de réduction de l'impôt sur le revenu décidée par
le précédent gouvernement. Vous réduisez de façon draconienne les aides à
l'emploi familial - nous en parlerons longuement lors de l'examen du projet de
budget. Vous frappez les revenus de l'assurance vie. Vous placez les
allocations familiales sous conditions de ressources. Vous étendez la
contribution sociale généralisée aux revenus de l'épargne. Vous augmentez la
redevance sur l'audiovisuel, et, bien sûr, et ce n'est pas une recette de
poche, les taxes sur les carburants.
M. Henri de Raincourt.
Quel programme !
M. Marcel-Pierre Cléach.
Ne vous étonnez pas que les entrepreneurs réfléchissent à deux fois avant de
prendre les risques de l'entreprise !
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Eh oui !
M. René Régnault.
On leur avait donné des moyens !
M. Marcel-Pierre Cléach.
Le mouvement de disparition ne peut que s'accélérer devant l'impossibilité
grandissante des petites entreprises à dégager une marge suffisante pour
sécuriser leurs investissements.
Pourtant, le succès du « plan textile » qui réduisait sensiblement les charges
de cette filière montre bien la direction à suivre. Là aussi, le Gouvernement
annonce que ce dispositif d'allégement des charges ne sera pas reconduit, les
coûts salariaux des entreprises concernées se trouvant, dès lors, augmentés de
6 % à 8 % dans un secteur qui est, comme vous le savez, particulièrement exposé
à la concurrence internationale.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
C'est vrai !
M. Henri de Raincourt.
Un secteur sinistré !
M. Marcel-Pierre Cléach.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous raisonnez en macro-économie.
Il est vrai que, à l'exception du secteur nationalisé qui ne doit généralement
qu'au monopole ou à des recapitalisations périodiques ses rares succès, les
grandes sociétés, celles du CAC 40, dégagent des résultats très positifs. Il
est vrai, aussi, que notre balance commerciale est excédentaire. Il est vrai
que la Bourse se tient bien.
Mais savez-vous que la plupart des petites entreprises vivotent ?
Connaissez-vous beaucoup de petites entreprises qui embauchent ?
M. Raymond Courrière.
Les petites entreprises ne sont pas touchées !
M. Marcel-Pierre Cléach.
Savez-vous que les artisans de nos provinces ne trouvent pas de successeurs
?
M. René Régnault.
Ils ne sont pas concernées puisqu'ils sont en dessous du seuil de 50 millions
de francs !
M. Marcel-Pierre Cléach.
Certes, mais j'évoque un environnement fiscal global qui s'aggrave !
M. Michel Sergent.
C'est le mur des lamentations !
M. Marcel-Pierre Cléach.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous le savez, trop d'impôt tue l'impôt.
Le chemin que vous semblez prendre, qui est non pas celui de la nécessaire
réduction de la dépense publique, mais celui de l'augmentation de cette
dernière, conduira, à terme, à une diminution importante de la masse fiscale
directe en provenance tant des entreprises que des contribuables dont le
pouvoir d'achat sera de plus en plus frappé.
Votre objectif affiché de réduction des déficits se fera non par une baisse
des dépenses publiques, mais par une hausse de la pression fiscale. Tous les
grands impôts augmentent : l'impôt sur les sociétés, l'impôt sur le revenu, les
taxes sur les carburants, la CSG, les impôts sur l'épargne, du fait de
l'extension de l'assiette de la CSG.
Ce n'est pas bon pour la croissance. C'est dangereux pour la conservation sur
le territoire de l'épargne nationale. C'est décourageant pour les
entrepreneurs.
M. le rapporteur a souligné, à juste titre, les conséquences anti-économiques
de cette politique au niveau tant des investissements que des risques de
délocalisation des activités, des hommes et de l'épargne, donc de l'emploi.
M. Henri de Raincourt.
Eh oui !
M. Marcel-Pierre Cléach.
En outre, la diminution de la masse fiscale directe vous entraînera - que vous
le vouliez ou non - à augmenter la pression sur la consommation par
l'augmentation des impôts indirects, ce qui me paraît contraire au dogme qui
anime le Gouvernement.
Cette tendance, qui consiste, nous le voyons bien, à augmenter les dépenses
publiques et à les financer par une hausse de la pression fiscale au lieu
d'agir sur la dépense, et dont, je le reconnais, le Gouvernement actuel n'est
pas seul responsable, s'accompagne, en outre, et vous y participez gravement,
d'une instabilité fiscale de nature à décourager les créateurs d'entreprise et
les compagnies étrangères à investir dans notre pays, tant il est vrai qu'il
est impossible aujourd'hui d'établir des bilans prévisionnels, la donne fiscale
évoluant brutalement à chaque changement de majorité.
Dans ce domaine, il n'y a plus de parole de l'Etat. Ne nous étonnons donc pas
de voir aujourd'hui de nombreuses entreprises françaises s'installer chez nos
voisins britanniques - elles en expliquent d'ailleurs les raisons à la
télévision française. Ne nous étonnons pas de voir des patrimoines que certains
dispositifs, notamment celui qui régit l'assurance vie, avaient retenus en
France s'expatrier chez des voisins plus réalistes que nous.
Je sais bien que l'art est difficile et que l'excuse de la nécessité invoquée
ce matin par M. le ministre des finances doit être prise en compte.
Cependant, ce n'est pas en décourageant l'entrepreneur, ce n'est pas en
décourageant le contribuable français que vous contribuerez à la création
d'emplois sérieux et à la relance de la consommation.
Ce n'est pas en participant allègrement, vous aussi, à une nouvelle
modification de la donne fiscale que vous attirerez des entreprises
étrangères.
Quelle que soit l'habilité de la présentation du projet de loi, argumentée
notamment sur la non-aggravation du taux des prélèvements obligatoires par
rapport au PIB - calcul obtenu en tablant sur un taux de croissance pour 1998
que j'espère comme vous un peu supérieur à celui que prévoit la majorité des
analyses - les Français, du moins ceux qui sont les créateurs de ce PIB,
verront bien que leur situation personnelle va s'aggraver.
Les entreprises, elles, ont déjà fait leurs comptes. Les mesures qui leur sont
infligées ne sont vraiment pas de nature à rétablir des relations de confiance
avec l'Etat. Leurs incertitudes sur les prélèvements qui les attendent,
aujourd'hui mais aussi dans l'avenir, les dissuadent d'investir en raison de ce
manque de visibilité.
Elles se sentent, en outre, comme ceux de nos concitoyens qui sont frappés par
les mesures nouvelles, l'objet d'une discrimination de caractère politique, ce
qui n'est pas de nature à les entraîner à participer, avec solidarité et
enthousiasme, à la bataille pour l'emploi qui devrait être la bataille de toute
la nation, bataille qui ne peut être gagnée sans le concours essentiel des
entreprises françaises.
Au fond, et je le regrette, vous avez tout simplement fait des choix
budgétaires conformes à vos orientations politiques.
M. René Régnault.
Absolument !
M. Michel Sergent.
Et les Français ont jugé !
M. René Régnault.
C'est bien pour cela que nous soutenons le Gouverement !
M. Marcel-Pierre Cléach.
C'est votre droit le plus strict, mes chers collègues, et je pense que c'est
votre vocation.
Quant à nous qui ne le soutenons pas, nous pouvons au moins prendre date.
Vous avez décidé de frapper les entreprises et les entrepreneurs. Vous
augmentez la dépense publique. Vous augmenterez inéluctablement l'endettement
du pays pour y faire face, même si les effets de la croissance annoncée en
gomment, en pourcentage, les effets désastreux.
Vous aviez pourtant l'occasion de profiter de cette croissance pour mettre à
profit les recommandations des auditeurs des comptes de la nation que vous avez
vous-même sollicités et qui recommandent instamment de réduire le poids de
l'Etat et d'enrayer la progression de l'endettement.
Je souhaite, pour notre pays, que la croissance soit suffisamment génératrice
de recettes pour vous permettre de mettre à profit ces excellentes
recommandations.
S'il n'en est pas ainsi, le Gouvernement portera la lourde responsabilité
d'avoir encore diminué nos capacités à résister à la concurrence de nos grands
partenaires et des pays émergents en diminuant notre compétitivité.
Je n'espère pas que ces quelques mots puissent infléchir en quoi que ce soit
les projets du Gouvernement, mais je voudrais espérer que les trois coups que
vous venez de frapper ne soient pas purement et simplement des coups portés à
l'économie nationale.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ma
première remarque, d'ordre général, concerne les moyens de contrôle budgétaire
dont dispose le Parlement.
Au printemps dernier, nous avons expérimenté la formule d'un débat
d'orientation budgétaire : cette heureuse initiative, avait, je crois, donné
satisfaction à l'ensemble de nos collègues. Elle n'a malheureusement pu être
reprise cette année, et nous le regrettons.
M. René Régnault.
Ce n'est pas notre faute !
(Sourires.)
M. Denis Badré.
En effet ! Je souhaite donc que nous puissions renouer en 1998 avec cette
heureuse pratique.
Nous pouvons d'ailleurs aller plus loin, et je rejoins là, très naturellement,
notre rapporteur général, M. Alain Lambert, lorsqu'il propose une saisine du
Sénat et de l'Assemblée nationale à la fin du premier semestre, sur la base
d'un état commenté de l'exécution des comptes publics, analogue à l'audit
commandé aux magistrats de la Cour des comptes.
J'en viens maintenant au texte lui-même.
Seuls les articles 1er à 3 innovent véritablement, puisque les trois autres
étaient contenus dans le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre
économique et financier déposé par le précédent gouvernement.
Permettez d'abord à l'Alsacien d'origine que je suis aussi d'évoquer
l'inquiétude de mes collègues d'Alsace-Lorraine, inquiétude déjà vigoureusement
exprimée par notre collègue Daniel Hoeffel, auteur d'une proposition de loi
reprenant l'article 33 de ce projet de loi portant DDOEF qui a été
abandonné.
Cet article concernait le régime de sécurité sociale d'Alsace-Moselle et
visait à étendre le bénéfice de l'assurance maladie aux retraités du régime
local résidant hors de ces trois départements.
Cette mesure, négociée voilà plusieurs mois entre M. Jacques Barrot, ministre
du travail et des affaires sociales de l'époque, et les responsables de ce
régime, est attendue avec une très grande impatience. Afin de relayer cette
préoccupation, M. Claude Huriet et moi-même avons déposé aujourd'hui un
amendement qui vise à consolider au plus vite cette disposition dans la loi.
Quittant le domaine de ce qui ne figure pas dans ce projet de loi, j'en
reviens à ses trois premiers articles, ceux qui innovent et qui le font, à
notre sens, de façon assez fâcheuse. Ils vont en effet alourdir de 21 milliards
de francs la fiscalité qui pèse sur les entreprises, alors même que notre pays
est déjà, au sein de l'OCDE, l'un de ceux dans lesquels les prélèvements sur le
secteur productif sont trop importants.
Quelle peut être la justification d'une telle décision, annoncée, je le
rappelle, voilà deux mois ? Un prétendu « dérapage » des finances publiques au
cours de l'année, « dérapage » dont serait responsable le gouvernement Juppé, «
dérapage » très contrôlé si j'en crois les conclusions de l'audit, ainsi que le
rappelait le président de la commission des finances ce matin ?
En réalité, on ne trouve guère de trace d'un tel dérapage dans les
statistiques de Bercy du mois de juillet.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Très bien !
M. Raymond Courrière.
C'est M. Juppé qui l'a dit lui-même !
M. Denis Badré.
Les objectifs de croissance que, malheureusement, nous nous étions habitués à
voir systématiquement surestimés semblent maintenant avoir été sous-estimés.
Changement des temps, redémarrage de la croissance... Tant mieux pour la France
!
Et nous n'aurions qu'à nous en réjouir si le Gouvernement ne nous proposait
pas du coup et immédiatement des mesures fiscales que nous jugeons néfastes
pour nos entreprises et pour l'emploi.
Si ce dérapage du budget de 1997 n'est pas la bonne justification de ces
mesures, il faut en chercher une autre. C'est le précédent de 1995, la surtaxe
de l'impôt sur les sociétés décidée par le premier gouvernement d'Alain Juppé,
qui pourrait être évoqué.
Cette explication ne peut pas non plus, me semble-t-il, être retenue. Le
contexte est en effet tout à fait différent : en mars 1993, la dérive des
finances publiques était de 175 milliards de francs par rapport aux prévisions
du gouvernement Bérégovoy ! Selon l'audit, pourtant plutôt alarmiste, le
dépassement serait quatre fois moins important en 1997. Et il faut rappeler que
la décision de 1995 avait été suivie de mesures favorables au secteur
productif, comme la prise en charge par l'Etat d'une baisse significative des
cotisations sociales patronales sur les bas salaires.
Or on ne voit pas la moindre trace d'initiatives de cette nature dans la
politique du Gouvernement, pas plus que la moindre annonce d'ailleurs...
Au contraire même : en 1998, les entreprises seront à nouveau largement
ponctionnées. Je pense à l'augmentation de l'impôt sur les sociétés, qui
devrait s'appliquer également en 1998 et en 1999, et au relèvement de la taxe
intérieure sur les produits pétroliers. Et, bien sûr, vous vous apprêtez à
remettre en cause l'effort qui avait été engagé pour exonérer de charges les
bas salaires, notamment dans le secteur du textile, cher à M. Poncelet, secteur
dont M. Maurice Schumann évoquait encore les difficultés voilà quelques
instants devant le commissaire européen, M. Monti, qui était auditionné par la
commission des finances.
L'augmentation de l'impôt sur les sociétés et de la taxation des plus-values
réalisées par les entreprises entre donc dans une politique d'ensemble tendant
à faire financer par le secteur productif une politique inspirée par une
intention que je loue personnellement sans réserve - respecter les critères
fixés par le traité de Maastricht - mais dont les modalités ne vont pas dans le
sens de l'objectif visé.
Selon le Gouvernement, la bonne santé financière de nos entreprises devrait
leur permettre de « digérer » sans encombre ces majorations.
En réalité, que constatons-nous actuellement ? S'il est vrai que les
entreprises se sont désendettées ces dernières années, leur structure
financière reste cependant toujours moins favorable que celle de leurs
concurrentes étrangères.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
C'est vrai !
M. Denis Badré.
Les dettes représentent 58 % de leurs bilans contre 34 % seulement en
Allemagne. Par ailleurs, elles ne sont pas complètement à l'abri d'une
augmentation des taux d'intérêt dans les prochains mois ou les prochaines
années.
Quant au critère du chiffre d'affaires pour qualifier les PME exonérées de la
surtaxe, il ne rend que très imparfaitement compte de la capacité contributive
des entreprises. Il est même aujourd'hui largement récusé, ce qui réduit encore
la signification et la portée de ce projet de loi.
Par ailleurs, en fixant ce seuil de chiffre d'affaires à 50 millions de
francs, vous épargnez certes les plus petites entreprises - beaucoup, au
demeurant, ne payent pas l'impôt sur les sociétés - mais vous risquez de
pénaliser les firmes performantes de taille moyenne, qui détiennent la clé du
retour à l'investissement et à la croissance.
S'agissant de la hausse de l'imposition des plus-values à long terme, c'est
l'ensemble des sociétés qu'elle touchera, quelle que soit leur taille.
De telles mesures risquent de réduire encore la rentabilité des
investissements en France. Déjà, les entreprises de dimension internationale
envisagent de réduire leurs bases imposables en France : « Trop d'impôt tue
l'impôt », rappelait notre collègue Marcel-Pierre Cléach à l'instant. Notre
pays, malheureusement, risque à nouveau d'en faire l'amère expérience, laquelle
ne peut que déboucher sur une dégradation des rentrées fiscales et aussi de
l'emploi.
M. Philippe Marini.
Très bien !
M. Denis Badré.
Vous nous dites également que le poids de l'impôt sur les sociétés, rapporté
au PIB, est inférieur en France à celui de la plupart de nos partenaires. C'est
exact, même si le taux de l'impôt sur les sociétés, en France, se situe dans la
moyenne.
Mais, pour être totalement objectif, il faut tenir compte de l'ensemble des
prélèvements pesant sur les entreprises, c'est-à-dire de la taxe
professionnelle qui n'existe pas dans tous les pays de l'OCDE, ...
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Très bien !
M. Denis Badré.
... des charges sociales et de la taxe sur les salaires. Au total, ces
prélèvements représentent près de 20 % du PIB en France. Ce taux est le plus
élevé en Europe après celui de la Suède, et il est supérieur d'un tiers à la
moyenne européenne, qui reste inférieure à 15 %.
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Très intéressant !
M. Denis Badré.
Ce fossé risque encore de se creuser dans les prochains mois : presque tous
nos voisins et concurrents conduisent en effet une politique exactement
inverse, puisqu'ils allègent les charges pesant sur les sociétés.
Je note que pratiquement tous nos partenaires de l'Union européenne, y compris
ceux qui ont une gestion sociale-démocrate, ont fait ce choix. Dans ce domaine
au moins les gouvernements des Pays-Bas et, plus récemment, de la
Grande-Bretagne elle-même ont eu la sagesse de poursuivre la politique
d'inspiration libérale engagée par leurs prédécesseurs.
Pour des raisons qui me semblent ne pouvoir qu'être idéologiques, la France
s'engage ainsi dans une « politique de divergence fiscale », comme le souligne
très justement M. le rapporteur. Cette politique ouvre la voie des
délocalisations et d'une aggravation du chômage.
Ces initiatives fiscales semblent d'autant plus inopportunes que les signes de
reprise se multiplient. Aujourd'hui, la demande extérieure s'accroît. Demain,
peut-être, ce sera aussi le cas pour la consommation intérieure. Notre appareil
de production doit donc être en mesure de répondre à la nouvelle demande. Dans
un climat fortement concurrentiel, évitons aujourd'hui de lui imposer
d'inutiles handicaps supplémentaires.
Je rappellerai à cet égard que, aux Pays-Bas, la politique de réduction des
charges engagée dès 1983 par un gouvernement démocrate-chrétien et poursuivie
sans discontinuité par les gouvernements qui se sont succédé depuis a été
rendue possible par un assainissement rigoureux de la situation des finances
publiques. Je précise que le Gouvernement néerlandais vient d'annoncer pour
1998 une nouvelle étape dans ce processus avec la fiscalisation des charges
sociales.
Avant de conclure, permettez-moi, mes chers collègues, de m'arrêter quelques
instants sur la question clé qui sera probablement au coeur de la future
discussion budgétaire.
A voir les tout premiers choix du Gouvernement, il me semble que la France est
en passe de renouer avec les vieux démons de la dépense publique.
M. Philippe Marini.
Hélas !
M. Denis Badré.
A cet égard, je pense, par exemple, à la réutilisation déjà évoquée par
Philippe Marini des 10 milliards de francs de crédit gelés au mois de février
1997 par notre nouveau et éminent collègue Jean Arthuis.
Mais je ne veux pas rouvrir le débat bref et vif de ce matin. Nous aurons
l'occasion de le reprendre ultérieurement.
Ce n'est pas parce que la croissance semble revenir qu'il faut se laisser
aller à la facilité et laisser à nouveau « filer » la dépense publique. Si
l'objectif d'un déficit budgétaire limité à 3 % du PIB est obligatoire pour
respecter les critères de Maastricht, il n'a jamais été défendu de faire mieux.
Monsieur le secrétaire d'Etat, 3 % de déficit, c'est toujours 250 milliards de
francs d'emprunt qui vont venir majorer l'encours de notre dette.
M. Dominique Strauss-Kahn parlait lui-même, ce matin, du caractère explosif de
la dette. Je rappelle que, selon un autre critère de Maastricht, l'encours de
la dette ne doit pas dépasser 60 % du PIB. Evitons là aussi de tomber de
Charybde en Scylla.
Une réduction très forte du déficit doit donc, pour cette raison, rester pour
nous un objectif absolument prioritaire. Pour nos enfants - M. Strauss-Kahn en
a parlé également ce matin - qui ne doivent pas payer nos dépenses, nous devons
assainir durablement nos finances et donc alléger notre dette.
Le choix effectué par le Gouvernement ne permettra pas à ce dernier de dégager
les marges financières dont nous avons besoin pour réduire de façon
significative les charges, notamment les cotisations sociales qui pèsent trop
lourdement sur nos entreprises.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, en
introduction à notre débat sur les emplois-jeunes, rappelait que les effectifs
des administrations publiques, en France, représentent 25 % environ de l'emploi
total, contre 16 % en Allemagne et 14,5 % en Grande-Bretagne. Cette différence
explique assez largement aussi l'écart existant entre notre pays et ses
partenaires en matière de dépense publique.
De 1993 à 1997, les précédents gouvernements ont commencé avec un courage
certain à réduire les effectifs de la fonction publique. Parallèlement, pour la
première fois depuis 1958, l'ancienne majorité est parvenue à stabiliser les
dépenses en francs courants dans le budget de 1997. Aujourd'hui, vous vous
montrez satisfaits en annonçant pour 1998 un rythme d'accroissement des
dépenses proche de celui de l'inflation. Mais ceci est un autre débat dans
lequel nous entrerons très prochainement...
M. René Régnault.
Tout à fait !
M. Denis Badré.
... et que je n'évoquerai que très brièvement aujourd'hui.
Monsieur le président, mes chers collègues, le groupe de l'Union centriste
suivra donc M. le rapporteur en votant la suppression des articles 1er, 2 et 3
de ce projet de loi, tout en approuvant évidemment ses autres dispositions.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
souhaiterais intervenir dans mon court propos sur deux points du projet de loi
qui préoccupent les élus locaux, tout particulièrement les élus ruraux.
Il s'agit tout d'abord de la majoration de l'impôt sur les sociétés, qui
s'élève à 15 % - 15 % et non pas 5 %, comme vous l'avez dit ce matin, madame
Beaudeau - ce qui n'est pas rien.
Pour les raisons qui ont déjà été exposées par mes collègues de la majorité
sénatoriale, je voterai la suppression de cet article. Je connais moi-même dans
mon département un certain nombre de PME dont le chiffre d'affaires dépasse 50
millions de francs et qui seraient donc touchées par cette surtaxation. Il
s'agit, d'une part, d'entreprises en fort développement, déjà installées et qui
font l'effort d'étendre leur action, et, d'autre part, d'entreprises nouvelles
dans des secteurs aussi divers que la haute technologie, l'industrie
agroalimentaire ou autres.
Certaines de ces entreprises - malheureusement trop peu - se sont implantées
en zone rurale, notamment en zone de revitalisation rurale. Mais la plupart
d'entre elles, qui peuvent donner l'impression, au moins au néophyte - mais
vous en n'êtes pas un, monsieur le secrétaire d'Etat - d'être des entreprises à
gros capitaux, parce qu'elles brassent plus de 50 millions de francs de chiffre
d'affaires, sont souvent, en réalité, des entreprises extrêmement fragiles.
Il faut prendre garde à ne pas faire d'amalgame et à ne pas extrapoler à
partir des résultats des grandes entreprises et, pour qui connaît l'entreprise,
50 millions de francs de chiffre d'affaires, c'est peu.
M. Marcel-Pierre Cléach.
Tout à fait !
M. Philippe Arnaud.
J'ajoute qu'un tel chiffre d'affaires est souvent réalisé par des petites
entreprises se caractérisant par une faible valeur ajoutée, une insuffisance de
fonds de roulement et un endettement lourd lié aux investissements réalisés
pour leur installation, ou encore à des mises aux normes imposées.
Ces entreprises, en fort développement ou non, ont donc besoin de toutes leurs
ressources. Ces entreprises fragiles assurent cependant les quelques dizaines
ou la petite centaine d'emplois qui font que des gens vivent encore au pays.
Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, les zones de
revitalisation rurale, les ZRR, créées par la loi d'orientation sur
l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, offrent un
cadre relativement attractif pour l'implantation d'entreprises, grâce notamment
à une exonération de taxe professionnelle pendant une durée de cinq ans au
maximum.
Président d'un syndicat de pays regroupant quatre-vingt-dix communes rurales
sur un bassin de 35 000 habitants, j'ai par moi-même constaté sur le terrain
l'efficacité d'un tel dispositif sur le plan de l'investissement et de
l'emploi.
N'allez pas, monsieur le secrétaire d'Etat, par l'application aveugle de cette
mesure qui, chacun le sait bien, sera finalement votée par votre majorité,
prendre le risque de mettre en difficulté des entreprises déjà courageuses !
Je partage l'inquiétude de mes collègues membres de l'association des maires
de montagne, qui ont travaillé le week-end dernier sur le sujet lors de leur
congrès à Bastia : la politique des ZRR reste encore fragile. Nous en voyons
d'ailleurs une nouvelle illustration aujourd'hui.
Contrairement aux entreprises installées en zones franches, celles qui
s'implantent en zones de revitalisation rurale sont soumises à l'impôt sur les
sociétés, ainsi qu'aux cotisations sociales patronales. Elles devront bientôt
acquitter une majoration de l'impôt sur les sociétés pour 1997, 1998 et
1999.
Une telle disparité entre zones rurales et zones urbaines doit être corrigée.
Les élus ruraux ont le sentiment que la politique d'aménagement du territoire a
tendance à concentrer son effort sur la ville et les quartiers en difficulté,
oubliant ainsi sa vocation première : favoriser une meilleure distribution des
activités économiques et de la population sur l'ensemble du territoire
national.
C'est pourquoi je soutiendrai, lors de la prochaine discussion budgétaire, un
certain nombre d'initiatives tendant à modifier certains critères de définition
des zones d'aménagement du territoire, à assouplir les modalités d'attribution
de l'exonération de taxe professionnelle, notamment en ZRR. Les critères
portant sur le type d'activité, le niveau d'investissement, le nombre d'emplois
créés sont sans doute trop restrictifs.
Par ailleurs, il convient d'améliorer le statut fiscal des sociétés
s'implantant en zone de revitalisation rurale, en prévoyant, par exemple, le
non-paiement de l'impôt sur les sociétés.
Dans l'immédiat, je regrette que vous n'ayez pas prévu dans l'article 1er une
disposition dérogatoire en faveur de ces entreprises.
A l'occasion du débat sur l'emploi des jeunes, qui s'est achevé tard cette
nuit, j'ai entendu à plusieurs reprises dire que les fonds d'Etat - l'argent
public - ne sauraient alimenter les caisses des entreprises privées, fût-ce sur
l'emploi. Soit ! Mais n'oubliez pas, n'oublions pas, monsieur le secrétaire
d'Etat, cette vérité simple : l'argent public n'est rien d'autre que de
l'argent privé prélevé directement ou indirectement par l'Etat sur les
contribuables de toute nature.
M. Alain Lambert,
rapporteur.
Comme c'est bien dit !
M. Philippe Marini.
Très bien !
M. Henri de Raincourt.
C'est sûr !
M. Philippe Arnaud.
Alors, si je suis d'accord avec vous pour clarifier les rapports financiers
entre le public et le privé, je vous invite tout simplement non pas à réserver
de l'argent aux entreprises privées, mais à leur en prélever moins.
M. Marcel-Pierre Cléach.
Bravo !
M. Philippe Arnaud.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il n'est pas trop tard pour bien faire. Prenez
au moins en compte les zones rurales défavorisées !
J'aborderai enfin un autre aspect du projet qui, s'il n'est pas de même nature
que le précédent, n'en a pas moins provoqué l'inquiétude des élus ruraux : je
veux parler de l'article 4, concernant le statut patrimonial des réseaux de
transport d'électricité.
De nombreux responsables de collectivités locales, propriétaires des ouvrages
du réseau de distribution, nous ont fait part de leurs craintes à la lecture du
projet de loi dans sa version initiale. Un doute planait, en effet, quant à la
portée du transfert de propriété en faveur d'EDF.
A la demande de nos collègues députés, notamment de ceux qui appartiennent au
groupe de l'UDF, vous avez bien voulu accepter, monsieur le secrétaire d'Etat,
un amendement à l'article 4 qui apporte les précisions nécessaires, et nous
vous en remercions : les collectivités territoriales conserveront la propriété
des ouvrages du réseau de distribution qu'elles concèdent à EDF. Avec mes
collègues de l'Union centriste, je voterai donc cet article tel qu'il a été
modifié par l'Assemblée nationale.
En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, je réitère cependant ma demande
de prise en compte des zones rurales fragiles.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget, auprès du ministre de l'économie, des finances et
de l'industrie.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat, à qui je souhaite la bienvenue dans
cet hémicycle, car il va s'exprimer pour la première fois devant le Sénat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, monsieur le président de la
commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs
les sénateurs, c'est effectivement la première fois que j'ai l'honneur
d'intervenir devant votre assemblée. Ma première impression est de participer à
un débat courtois, où les convictions sont fermes et les raisonnements très
argumentés.
Je vais essayer, au risque d'être peut-être un peu long, de faire honneur à
tous ceux qui sont intervenus. Toutefois, je ne reviendrai pas sur les propos
de M. le président de la commission et de M. le rapporteur, car M. le ministre
de l'économie, des finances et de l'industrie leur a déjà répondu ce matin.
Je remercie Mme Beaudeau du soutien constructif - et plutôt rare dans cette
assemblée - qu'elle a apporté aux trois mesures fiscales qui sont soumises à
votre examen aujourd'hui.
Je la remercie aussi d'avoir attiré notre attention sur le fait que nous ne
combattons pas seulement le déficit des finances publiques en raison
d'obligations européennes, mais aussi - d'autres orateurs l'ont souligné -
parce que notre pays est pris dans une véritable « boule de neige » de la dette
qui, au rythme auquel elle progresse, risque de transmettre aux générations
suivantes, d'une part, le poids des retraites des inactifs, qui seront nombreux
à cette époque, mais aussi, d'autre part, le poids de dépenses qui auront été
effectuées sans être financées entièrement. Nous avons donc des raisons propres
pour assainir nos finances publiques.
Mme Beaudeau a beaucoup insisté sur la distinction qui est opérée, dans le
projet de loi qui vous est soumis, entre les petites et moyennes entreprises et
les grandes entreprises.
Cette distinction est nouvelle puisque, en 1995, lorsque avait été instaurée,
dans des circonstances analogues, une surtaxe dite exceptionnelle - mais pas
temporaire ! - de 10 %, elle touchait l'ensemble des entreprises.
La disposition que nous prenons à l'égard des « petites et moyennes
entreprises », au sens européen - par conséquent, nous n'aurons pas besoin de
notifier ce projet à Bruxelles - exonère non seulement, bien évidemment, les
petites et moyennes entreprises qui ne paient pas l'impôt sur les sociétés - et
donc de nombreux artisans et commerçants - mais aussi environ 80 à 90 % des
entreprises qui paient l'impôt sur les sociétés.
Cette mesure n'est pas négligeable puisque - ces chiffres n'ont pas encore été
cités dans le débat - ces entreprises, qui sont exonérées de la surtaxe de 15 %
pour 1997 et 1998 et de 10 % pour 1999, paient un tiers de l'impôt sur les
sociétés. Par conséquent, ce n'est pas du tout une mesure marginale, comme
certains ont voulu le faire penser.
Mme Beaudeau a parlé des grandes entreprises. Effectivement, les grandes
entreprises - mais elles ne sont pas les seules - réalisent deux types
d'épargne : une épargne productive, qui est investie dans l'accroissement et la
modernisation des capacités de production, et une épargne financière, qui
dépasse leurs besoins de financement en matière d'équipements productifs. Or
l'écart entre les deux est de 114 milliards de francs. Il faut le réduire !
Le Gouvernement espère que le redémarrage de l'investissement contribuera à
faire basculer une partie de cette épargne financière vers de l'épargne
productive.
Vous vous êtes inquiétée, madame Beaudeau - comme d'ailleurs M. Régnault - au
sujet de l'article relatif à EDF. Je crois que, sur ce point, les intentions du
Gouvernement sont tout à fait claires. Electricité de France est une immense
entreprise de service public et elle le restera. Sa réputation, en France et à
l'étranger, est absolument considérable et sa gestion sociale est reconnue.
Il n'est pas question que l'article 4 porte en quoi que ce soit atteinte au
statut juridique et au prestige de cette entreprise. De même, EDF conservera,
lorsque le marché intérieur sera réalisé en 1999, le monopole du transport.
Ce texte est donc un texte de clarification, qui permet à Electricité de
France de se retrouver à armes égales avec ses concurrents étrangers, puisqu'il
y aura une concurrence dans la distribution de l'électricité. Les inquiétudes
qui ont été formulées à cet égard sont donc sans fondement.
Mme Beaudeau déplore le fait que les plus-values sur les titres de
participation ne soient pas concernées par la mesure proposée. Il est important
de bien se rendre compte que nos grandes entreprises - mais aussi les
entreprises moyennes performantes - sont confrontées à une guerre économique
mondiale qui est une guerre de mouvement. Or, dans cette guerre de mouvement,
il faut qu'elles puissent redéployer leurs troupes, pour poursuivre dans cette
métaphore qui est peut-être un peu trop militaire, pour, selon les termes mêmes
qu'avait employés le président Mitterrand à Figeac, en 1982, « résister et
conquérir ».
Je crois que, dans ce mouvement, il ne faut pas empêcher les restructurations
qui ont pour objet de préserver des emplois en France, de développer l'emploi
qualifié et d'étendre le rayonnement de nos entreprises à l'étranger.
La dernière remarque de Mme Beaudeau porte sur le livret A et sur le logement
social. Il est vrai qu'il y a un lien entre la rémunération des livrets A et le
taux des prêts accordés aux organismes d'HLM pour construire des logements.
A ce sujet, nous avons pris deux mesures qui inquiètent certains d'entre vous
: l'une est en cours d'application, l'autre figure dans le projet de budget
pour 1998.
En premier lieu, dans le décret d'avances - qui a été critiqué - des mesures
supplémentaires ont été mobilisées pour accélérer la réhabilitation de
logements sociaux et de logements privés.
En second lieu, pour répondre à l'attente des organismes d'HLM et à celle des
professions de l'artisanat du bâtiment, nous instituerons une baisse de la TVA
sur les travaux de rénovation des logements sociaux. Cela donnera de l'aisance
aux intéressés et accroîtra le volume des travaux de rénovation réalisés dans
ces logements.
J'en viens à l'intervention très argumentée de M. Marini. Avec un certain
talent polémique, il a développé plusieurs points sur lesquels, je le lui dis
avec courtoisie, je ne suis pas entièrement d'accord.
M. Marini a commencé par rendre un hommage, auquel tout le monde ici
s'associera, aux deux auditeurs qui ont examiné, en juillet dernier, la
situation de nos finances publiques, pour en conclure ensuite, au moyen de
citations particulièrement subtiles et bien choisies, qu'il n'y avait aucun
problème en la matière en 1997 et que, à la limite, le Gouvernement s'attaquait
à un problème inexistant. Selon lui, il suffisait de laisser les choses suivre
leur cours, avec un peu de gel par-ci, un peu de patience par-là, pour
répondre, à la fin de l'année 1997, au fameux critère des 3 % de Maastricht.
M. Philippe Marini.
Je n'ai pas dit cela !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je rappelle de façon très sereine que le résultat
principal de cette évaluation était que, à la mi-juillet, la perspective de
déficit des finances publiques s'établissait entre 3,5 % et 3,7 % du produit
intérieur brut, abstraction faite de la soulte de France Télécom, dont vous
avez dû débattre lors de la discussion budgétaire de l'an dernier.
Le rapport des deux auditeurs comprenait une dimension à court terme, le
redressement des déficits de 1997, et des orientations à moyen terme, que vous
avez bien voulu reprendre, monsieur Marini, à savoir l'obligation d'agir sur la
dépense au moins autant, et même peut-être davantage, que sur les recettes.
Au passage, vous avez reproché au Gouvernement d'avoir utilisé une partie des
sommes gelées par le gouvernement précédent à des dépenses que vous n'avez pas
qualifiées.
Vous avez souligné que, sur certains points, il pouvait y avoir une opposition
bien marquée entre nous. C'est le cas en l'espèce, dans la mesure où les
dépenses engagées au mois de juillet ont permis - chacun l'a reconnu - une
bonne rentrée scolaire, avec le quadruplement de l'allocation de rentrée
scolaire, la réouverture de huit cents classes, principalement en milieur
rural, ce à quoi vous devriez être sensible, monsieur Marini, et la possibilité
pour tous les enfants de manger à leur faim.
Je ne pense donc pas que les 10 milliards de francs de dépenses, dont je
rappelle qu'elles ont été gagées franc pour franc, aient été du gaspillage. Si
telle est votre opinion, ce n'est en tout cas pas celle du Gouvernement.
Je ne veux pas engager avec vous la polémique de l'héritage. Le Gouvernement
n'est pas un fanatique de l'héritage.
(Sourires.)
Chaque fois que l'on parle de 1997, on voit l'année 1993 ou
l'année 1995 qui revient.
Notre principal souci, au travers des mesures qui vous sont proposées, c'est
d'apurer le passé tel qu'il a été décrit par les deux auteurs de l'audit et de
regarder vers l'avenir. Ce regard vers l'avenir sera l'objet du projet de loi
de finances pour 1998 ainsi que du projet de loi de financement de la sécurité
sociale.
Bien que ce point ait été abordé par M. Strauss-Kahn ce matin, je veux revenir
sur l'impression d'euphorie que vous donnent les recettes budgétaires
encaissées à la fin du mois de juillet.
Vous êtes trop fin connaisseur des finances publiques, monsieur Marini, pour
ignorer que les recettes ne rentrent pas à un rythme régulier, qu'il y a des
temps forts et des temps faibles. Normalement, l'impôt sur le revenu connaît un
temps fort lors de la rentrée du troisième et dernier tiers. Or, cette année,
ce sera un temps faible parce qu'une grande partie de l'abattement de 25
milliards de francs qui a été décidé il y a un an produira son effet dans ce
dernier tiers, qui a été acquitté normalement le 15 septembre.
Par ailleurs - M. Strauss-Kahn l'a également dit, et je n'y insiste donc pas -
il y a des décalages de calendrier dans les versements de la caisse
d'amortissement de la dette sociale, la CADES, et dans les versements que la
France a faits à l'Union européenne l'an dernier. Ces versements ont été
interrompus l'an dernier ; nous, nous continuerons à faire des versements
réguliers jusqu'à la fin de cette année.
Vous m'avez interrogé sur les 10 milliards de francs d'économies qui sont le
pendant des 22 milliards de francs de recettes nouvelles, objet du débat
d'aujourd'hui.
Deux milliards de francs d'économies sont réalisées sur la défense, et je puis
vous garantir qu'elles ne porteront atteinte ni à la professionnalisation de
nos troupes, ni aux grands programmes d'équipement.
Il y a, par ailleurs, 2 milliards de francs de contribution de la Caisse des
dépôts et consignations.
Quant aux 6 milliards de francs restants, ils ne sont pas du tout « nébuleux
», comme vous l'avez laissé supposer. Vous verrez dans le collectif de fin
d'année que 6 milliards de francs d'économies auront effectivement été
réalisées.
J'en viens au fameux seuil des 50 millions de francs en deçà duquel les
entreprises, petites et moyennes, sont exonérées.
Vous avez estimé que ce seuil était faible, que c'était effectivement un seuil
européen, mais qu'il y avait un autre seuil européen auquel on aurait pu
penser.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Oui !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Vous avez également souligné la très grande variété de
situations des entreprises qui pouvaient avoir ce même chiffre d'affaires de 50
millions de francs.
Je vous répondrai que ce seuil a déjà un mérite - vous ne l'avez pas remis en
cause - c'est celui d'exister. En 1995 - peut-être avez-vous quelque remord,
mais le Sénat n'avait peut-être pas approuvé cette mesure uniforme ! - on ne
s'était pas posé la question de savoir à quel seuil il fallait exonérer les
entreprises petites et moyennes. Toutes les entreprises, y compris les
entreprises de rénovation rurale, avaient été frappées par la surtaxe Juppé.
J'y reviendrai tout à l'heure en répondant à M. Arnaud.
M. Christian Poncelet,
président de la commission. Perseverare diabolicum
!
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Comme je l'ai dit à Mme Beaudeau, nous avons fait un
effort significatif puisqu'un tiers de l'assiette de l'impôt sur le bénéfice
des sociétés est ainsi exonéré de cette surtaxe, sans compter toutes les
entreprises non assujetties.
Vous avez parlé de l'égalité de traitement. Je signale que la majorité
précédente, dont vous faites partie, avait créé un taux réduit de 19 % et que
le Gouvernement n'a pas remis en cause cette fiscalité réduite sur les
entreprises petites et moyennes.
Vous avez évoqué l'harmonisation fiscale. J'ai eu la chance - tout comme votre
commission des finances - de m'entretenir de ce sujet avec le commissaire
européen en charge de ce dossier, M. Monti. L'objet de l'harmonisation fiscale,
tel que l'ensemble des gouvernements et la Commission le conçoivent, n'est pas
de ramener à zéro la fiscalité sur le capital dans l'Union européenne. Notre
effort collectif est plutôt d'arriver à une fiscalité minimale en la matière.
Les projets me paraissent encourageants sur ce point.
Pour ce qui est de la prétendue rétroactivité des mesures proposées, je ne
peux que vous répéter ce qui a été dit ce matin en utilisant deux arguments.
Le premier est d'ordre juridique. M. Cléach a déclaré que cela faisait frémir
le juriste qu'il était. Or, le consensus des juristes - excepté peut-être
quelques éminents juristes qui siègent dans cette assemblée ! - est que le fait
générateur de l'impôt, pour une entreprise, c'est la clôture de l'exercice. Je
ne veux pas entrer dans une controverse juridique, mais il m'apparaît que ce
point est maintenant bien établi.
A cet argument juridique s'ajoute un argument polique, à savoir qu'en 1994,
lorsque la fiscalité des plus-values a été modifiée, cette question de la
rétroactivité n'a pas été posée.
Enfin, s'agissant des brevets, je vous signale que le Gouvernement, qui a,
comme vous, le souci de protéger la propriété individuelle française, a
maintenu le taux réduit applicable aux résultats de concession de brevets, de
façon à permettre que ceux-ci restent chez nous, en France.
Vous avez dit qu'il était vrai que le taux d'autofinancement était important
en France, mais qu'il fallait mesurer la rentabilité de nos entreprise à l'aune
européenne.
Sur ce point, ma réponse sera triple.
D'abord, même si je comprends la nécessité de l'instauration d'un débat
démocratique argumenté, j'estime qu'il ne faut pas trop pratiquer
l'autoflagellation s'agissant de nos entreprises, pour lesquelles j'ai un grand
respect. Nous n'avons pas a les décrier, en en donnant une image parfois
quelque peu pessimiste, dans un contexte de compétition internationale.
A cela, j'ajouterai deux arguments.
Premier argument : même si un grand homme d'Etat a dit que la politique de la
France ne se faisait pas à la Corbeille, je n'ai pas le sentiment que, depuis
le mois de juin, la Bourse française se soit effondrée, ni avant ni après
l'annonce des mesures que nous examinons aujourd'hui.
Deuxième argument : la France est une terre d'accueil d'investissements
directs, de l'ordre de 50 milliards de francs par an, et c'est une chose très
précieuse, en Alsace comme dans toutes les régions françaises.
Pourquoi notre pays a-t-il un tel succès du point de vue des investissements
directs ?
Vous le savez mieux que personne, vous qui êtes sur le terrain, c'est en
raison de la qualité et du coût de sa main-d'oeuvre, en raison de la qualité de
ses infrastructures et, ajouterai-je, dans cette grande maison des
collectivités locales, en raison de l'accueil des collectivités locales
françaises de tous statuts.
Il ne faut donc pas agiter trop facilement - vous ne l'avez par fait, monsieur
Marini - des spectres ou des menaces de délocalisations ou de tarissement de
l'investissement étranger en France. Le Gouvernement est très attaché à ce que
les investissements continuent à venir très nombreux en France, et je crois que
jusqu'à présent il en va ainsi.
Enfin, vous avez émis le souhait - nous en avions parlé avec M. le président
de la commission des finances - que l'on puisse aborder sinon en même temps, du
moins de façon synthétique, l'ensemble des prélèvements obligatoires et des
déficits.
Au sein du Gouvernement, vous le savez, le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie exerce une responsabilité d'ensemble sur ce que l'on
appelle le « déficit maastrichtien ». Je ne peux donc qu'être d'accord avec
votre idée selon laquelle votre commission des finances pourrait jouer en la
matière le rôle éminent qu'elle joue dans de très nombreux domaines, en tous
cas en ce qui concerne le budget de l'Etat.
M. Régnault a développé un raisonnement rigoureux, très bien articulé, partant
du constat de l'audit pour montrer non seulement que des mesures d'urgence
étaient nécessaires, mais que ce sont celles-là qui étaient nécessaires.
Je citerai quelques chiffres pour illustrer le contraste entre ce qui a été
fait en 1995 et ce qui est fait en 1998.
Selon une étude récente de l'INSEE, les gains réels des ménages français ont
baissé de 1,6 % en 1996. Cette étude lie cette baisse des revenus réel des
familles françaises aux prélèvements massifs qui ont été décidés en 1995. En ce
qui concerne les cadres, leur baisse des revenus réels a été de 3,1 %, ce qui
est tout à fait spectaculaire et qui relativise ce que nous sommes supposés
faire à l'encontre d'un certain nombre de familles.
Dans le projet de loi de finances que vous allez examiner, il est prévu des
gains de revenus réels des familles après impôts, précisément parce qu'il n'y a
pas ces prélèvements massifs, de l'ordre de 2 % en 1998.
Moins 1,6 % d'un côté, plus 2 % de l'autre : le contraste est notable !
M. Régnault souhaite un impôt progressif sur le bénéfice des sociétés. L'idée
est noble ; il faut regarder avec soin si elle est praticable. Nous avons trois
taux. Devons-nous avoir une échelle avec plus de barreaux ? Ce point mérite un
examen très précis.
S'agissant d'EDF, je pense avoir calmé les inquiétudes éventuelles de M.
Régnault au travers de la réponse que j'ai faite à Mme Beaudeau.
M. Cléach s'est inquiété de la rétroactivité supposée des mesures fiscales que
comporte ce projet de loi. Les spécialistes qui m'entourent sont prêts,
monsieur le sénateur, à débattre avec vous de l'aspect juridique de la
question. Je respecte tout à fait votre opinion, mais je crois que, du point de
vue juridique, la vérité est plutôt de notre côté.
Vous avez fait référence aux évolutions allemande et italienne. Je suis
peut-être moins au courant que vous de l'évolution de ces pays. J'ai toutefois
l'impression que leurs projets fiscaux ne passent pas sans anicroche. Je ne
suis donc pas si sûr qu'ils soient une référence aussi positive que vous le
dites.
Ce qui est clair, c'est que la hausse de l'impôt sur le bénéfice des sociétés
qui vous est proposée, et qui est indéniable, vaudra pour 1997 et 1998. Cette
hausse sera de 10 % en 1999 ; sa suppression est explicitement prévue pour l'an
2000, ce qui constitue un progrès par rapport à la surtaxe temporaire et
exceptionnelle de 10 % votée en 1995.
Vous avez avec beaucoup de talent dressé l'éventail apocalyptique de toutes
les mesures que seraient supposés contenir les projets de loi de finances et de
financement de la sécurité sociale pour 1998. Je tiens à vous rassurer.
Je note tout d'abord que vous avez reconnu avec une honnêteté qui vous honore
que l'application de la loi Pons, dont la motivation était louable, avait été
parfois détournée de son objectif. Vous le constaterez, nous proposerons de
recentrer la loi Pons sur la création d'emplois dans les départements et
territoires d'outre-mer...
M. René Régnault.
Très bien !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
... afin d'éviter qu'elle ne permette plus certaines «
divagations » fiscales qui, je crois, n'ont de justification ni économique ni,
a fortiori,
sociale.
M. René Régnault.
Fini le paradis fiscal !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Vous avez remarqué aussi que la création d'entreprise
avait diminué entre 1995 et 1996. En tant que secrétaire d'Etat, je ne m'en
sens pas tout à fait responsable.
Je voudrais simplement attirer votre attention sur le fait que le projet de
loi de finances pour 1998 contient des mesures de nature à favoriser les
créateurs d'entreprise. Je souhaite qu'elles retiennent votre intérêt.
Je vous ferai également remarquer, mais nous aurons l'occasion d'y revenir
lors de la discussion budgétaire, que dans le projet de budget les impôts
d'Etat, qui croissent spontanément avec l'activité, augmenteront moins vite que
la richesse nationale entre la loi de finances initiale de 1997 et celle de
1998. Si les impôts augmentent moins vite que le produit intérieur brut, cela
signifie que le rapport taxes - PIB, c'est-à-dire les prélèvements obligatoires
de l'Etat, est en diminution.
Vous avez abordé un point très important ; le plan textile. Mon collègue M.
Pierret y consacre actuellement beaucoup de temps car le plan qui avait été mis
en place par le précédent gouvernement était absolument contraire aux règles
européennes.
M. Emmanuel Hamel.
Toujours l'harmonisation des règles européennes ! On en meurt de cette Europe
!
M. le président.
Monsieur Hamel, vous n'avez pas la parole !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le sénateur, je connais la force de vos
convictions européennes ; laissez-moi cependant poursuivre mon exposé sur ce
point !
Qu'a donc fait le Gouvernement lorsqu'il s'est saisi de ce dossier sur le
textile avec la volonté - c'est là la continuité de l'Etat - de préserver
l'emploi dans un secteur qui est essentiel pour notre pays, et particulièrement
pour un certain nombre de régions françaises ?
Nous avons tout d'abord demandé du temps aux autorités de Bruxelles pour
mettre au point un nouveau dispositif. Nous cherchons un dispositif qui soit
efficace, c'est-à-dire qui soutienne nos entreprises textiles, et qui, en même
temps, respecte les règles européennes, ce qui est une obligation, me
semble-t-il.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Puis-je me permettre de vous interrompre,
monsieur le secrétaire d'Etat ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je vous en prie, monsieur le président de la
commission.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de M. le
secrétaire d'Etat.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
S'agissant du plan textile, je ne reprendrai
pas ce que vous avez dit parce que c'est l'expression de la vérité.
Je veux cependant préciser que Bruxelles est décidé à accepter une proposition
présentée hier, et encore aujourd'hui, à savoir que les autorités de Bruxelles
ne s'opposent pas au plan textile, mais au fait que celui-ci ne concerne qu'un
seul secteur industriel.
Par conséquent, si vous proposez son élargissement à d'autres secteurs qui
sont aussi méritants que le textile, ce plan sera alors agréé et nous pourrons
continuer à bénéficier des avantages accordés par le gouvernement précédent au
bénéfice du textile, qui a permis de maintenir beaucoup d'emplois qui sinon
auraient disparu.
M. Raymond Courrière.
Il faut l'étendre aux chaussures !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
M. le président de la commission des finances vient de
tenir des propos parfaitement judicieux en la matière. Simplement, si l'on
élargit le champ du plan textile à d'autres secteurs, à ce moment-là, deux
solutions sont possibles qui sont d'égale difficulté.
La première consisterait à réduire les avantages que le plan textile apporte à
des entreprises qui sont particulièrement sinistrées ; la seconde serait
d'aboutir à des dépenses tout à fait considérables. Mais c'est une des pistes
qui sont étudiées par le Gouvernement.
Je veux dire à tous les sénateurs qui se préoccupent à juste titre de l'avenir
du plan textile que le Gouvernement y travaille avec la volonté de réussir.
M. Badré a souhaité un débat d'orientation budgétaire. Ce n'est pas la faute
du Gouvernement actuel...
M. Denis Badré.
Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
... si le débat prévu en juin n'a pas eu lieu. Le
Gouvernement, vous le savez, est très attentif au travail parlementaire, non
seulement pendant les débats budgétaires mais aussi avant et après. J'ajoute
que le Gouvernement est particulièrement bien disposé à l'égard de la Haute
Assemblée et que l'on trouvera ensemble des solutions pour exaucer votre
voeu.
Vous avez soulevé un point précis sur le régime de sécurité sociale spécifique
à l'Alsace et à la Lorraine. J'ai pris bonne note de ce point qui, selon moi,
ne s'inscrit pas vraiment dans le cadre des délibérations sur des mesures
urgentes à caractère fiscal et financier. Je pense qu'au moment où nous
débattrons de la loi sur le financement de la sécurité sociale votre
préoccupation aura alors sa place.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Vous n'y êtes pas hostile ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Il me paraît normal que l'on parle de sécurité sociale
en Alsace-Lorraine lors d'un débat général sur la sécurité sociale.
S'agissant du budget, vous évoquez le vieux démon de la dépense publique. Vous
rappelez que le budget précédent était affiché, veuillez m'en excuser, avec une
stabilité des dépenses en francs courants. L'expérience de l'évaluation montre
que le contenu de la boîte ne reflétait pas tout à fait l'emballage.
Vous verrez que le projet de budget que nous vous proposons - c'est vrai qu'un
budget est comparable à un pudding, c'est à la fin de l'année correspondante
que l'on en juge - affiche une progression des dépenses publiques de 1,36 %,
comparable à celle des prix.
Nous avons la conviction, vous en jugerez vous-même, d'avoir élaboré un budget
sincère, sans mettre à droite et à gauche des dépenses oubliées ou
sous-estimées.
Quant à M. Arnaud, il s'est intéressé aux zones de revitalisation rurale.
Vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur. Je ne fais pas partie de
ceux qui pensent qu'il n'y a que les grandes entreprises et les artisans. La
ville et la campagne représentent un tissu économique très important,
comprenant aussi des entreprises petites et moyennes. C'est la diversité de nos
entreprises qui fait le dynamisme de notre pays.
Nous nous sommes posé la question de savoir si l'on pouvait réserver un sort
particulier aux entreprises implantées dans les zones de revitalisation rurale.
Evidemment, cela compliquait un peu le texte mais il y a parfois des
complications qui méritent examen.
Nous avons été confrontés à une double difficulté : la première, c'est que -
là encore, je ne regarde pas M. Hamel - il faut en la matière demander
l'agrément de Bruxelles...
M. Emmanuel Hamel.
Vous êtes prisonnier de Bruxelles !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
... et cet agrément n'aurait pas pu être obtenu en
temps utile pour l'année 1997.
La seconde difficulté a trait aux entreprises qui sont à cheval sur des zones
de revitalisation rurale et sur d'autres zones. La solution existe sûrement,
mais elle n'a pu être trouvée pendant ce court laps de temps, afin de partager
l'activité de ces entreprises entre les deux zones.
Soyez rassuré, monsieur Arnaud : vous trouverez dans le projet de loi de
finances pour 1998 une disposition intéressante en faveur des entreprises
dynamiques, créatrices d'emplois que vous avez mentionnées et qui sont
implantées notamment dans les zones de revitalisation rurale.
Il s'agit de la possibilité pour ces entreprises d'avoir un abattement, non
pas sur les 15 % dont nous délibérons aujourd'hui parce que les PME ne sont pas
concernées, mais un abattement sur la majoration de 10 % instituée sur toutes
les entreprises en 1995.
Toute entreprise qui accroîtra son effectif régulier de un, deux, dix jusqu'à
cinquante salariés, aura un crédit d'impôt de 10 000 francs par salarié.
Je suis sûr que, dans les zones de revitalisation rurale, nombreuses seront
les entreprises qui pourront par ce biais alléger leurs charges fiscales.
Je remercie enfin M. Arnaud du compliment qu'il a fait au Gouvernement pour
avoir amélioré l'article 4 relatif à EDF à l'issue du débat à l'Assemblée
nationale.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er