M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant la culture.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Maurice Schumann, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Trois sujets d'interrogation, trois sujets d'inquiétude, trois sujets de satisfaction, telle est, madame le ministre, mes chers collègues, la conclusion que je tire d'un examen attentif et, je le crois, objectif du projet de budget dont nous sommes saisis.
Une analyse me conduira, bien entendu, à une conclusion précise, mais je souhaite vous indiquer par quel cheminement j'y suis parvenu.
En premier lieu, j'évoquerai donc trois motifs d'interrogation.
Le premier porte sur les structures de votre ministère et sur leur rationalisation.
Il y a un mot qui est à la mode rue de Valois, c'est le mot « fusion ». Oh, il ne m'inquiète ni ne m'indigne en lui-même, il peut comporter de très bons éléments et conduire à de bonnes décisions. Par exemple, rien n'est plus normal que de vouloir fusionner la mission interministérielle des Grands Travaux et le Grand Louvre.
Je suis déjà beaucoup plus perplexe lorsqu'il s'agit de la fusion de la direction du patrimoine et la direction de l'architecture. J'ai été très favorable au retour de l'architecture dans le ministère de la culture, mais j'attends maintenant avec impatience le document qui est en préparation, je le sais, à votre ministère pour indiquer selon quelles modalités aura lieu le rapprochement entre ces deux directions qui, ne l'oublions pas, sont souvent rivales.
Il y a une troisième fusion qui a été annoncée par vous-même, madame le ministre, à Strasbourg - depuis lors vous n'en avez plus parlé - et à laquelle, je dois vous le dire, je serais assez nettement hostile : il s'agit de la fusion de la direction du théâtre et de la danse, d'une part, et de la direction de la musique, d'autre part. Laissez-moi vous dire, à ce propos, que je suis aussi attaché à la préservation de l'identité musicale qu'à la préservation de l'identité nationale, et vous me connaissez assez pour savoir que ce n'est pas peu dire.
Après ce premier motif d'interrogation, il y en a un deuxième, que je vous soumets très simplement : quand nous présenterez-vous un nouveau projet de loi sur cet élément essentiel de votre ministère qu'est le patrimoine architectural, qu'est le patrimoine tout court ?
Je sais bien que vous n'y êtes pas défavorable. Je sais que s'il y a des réticences et des hostilités elles viennent non pas de la rue de Valois, mais d'une artère plus éloignée du centre de Paris.
Laissez-moi vous dire cependant que je tiens beaucoup à ce qu'il y ait une relève de la loi sur le patrimoine actuellement en vigueur et qui viendra à expiration au cours de l'année prochaine. Pourquoi ? Eh bien ! je n'ai, pour me justifier, qu'à évoquer un souvenir qui remonte à l'an dernier.
Initialement, un projet de budget nous était présenté qui avait pour résultat de faire peser une très grave menace sur le patrimoine. Le Sénat a joué son rôle, il a adopté un amendement - et je dois rendre hommage à votre prédécesseur, M. Douste-Blazy, qui a joint ses efforts aux nôtres pour obtenir de M. le Premier ministre un arbitrage favorable.
Ainsi, un crédit supplémentaire de 70 millions de francs a été dégagé et, quand est venue l'heure des gels et des annulations, nous avons renouvelé nos efforts et nous avons obtenu le maintien de ce crédit. C'est ainsi que le minimum vital - je n'en dis pas plus - a été préservé, tant il est vrai que cette référence qu'est la loi en vigueur est précieuse et tant il est vrai qu'il est souhaitable qu'elle ne disparaisse pas. Enfin, le troisième point d'interrogation est classique, je dirai même qu'il est rituel. Tous les rapporteurs du budget de la culture l'ont évoqué. Vous m'avez déjà deviné, il s'agit de la répartition des crédits entre Paris et la province. Actuellement, on nous dit : 52 ou 53 % pour la province, 5 % pour l'Ile-de-France et le reste, c'est-à-dire 42 %, pour Paris. Tout cela, bien entendu - et cela me paraît important - hors établissements publics.
Je me permets de vous demander si vous pourriez nous fournir ces proportions transposées, y compris les établissements publics.
J'en arrive à mes trois sujets d'inquiétude.
Le premier, madame le ministre, porte, vous n'en serez pas surprise, j'en suis sûr, sur la préparation du prochain millénaire, sur la célébration de l'avènement du prochain millénaire. Nous savons comment il est préparé en Allemagne. Nous savons que l'Allemagne fêtera le transfert, le retour de sa capitale à Berlin et qu'en même temps aura lieu une exposition universelle à Hanovre. Nous savons comment l'Italie prépare la célébration de l'avènement du prochain millénaire : elle célébrera le jubilé, si j'ose m'exprimer ainsi, du Vatican. Tout cela est très réconfortant. Il y aura donc une participation spécifiquement italienne, une participation spécifiquement allemande. Y aura-t-il une participation spécifiquement française ?
On nous a parlé - ce sont des bruits que nous avons recueillis, ce ne sont que des bruits, je le reconnais - d'un budget de 1 milliard de francs à 1,2 milliard de francs. On nous a dit que le financement pourrait être assuré par la Française des jeux, grâce à de nouveaux jeux liés d'ailleurs à la naissance, à l'aube du prochain millénaire. En bref, je voudrais savoir où nous en sommes, compte tenu de la mission qui a été créée à la fin de l'année dernière et dont la direction a été confiée à un homme que j'ai toutes les raisons de connaître puisqu'il est président-directeur général du Centre Georges-Pompidou et que j'en préside moi-même le conseil d'orientation.
Il y a incontestablement urgence, car nous n'avons devant nous, vous n'avez devant vous, madame le ministre, que deux ans à peine. Il me paraît essentiel que, encore une fois, nous sachions à quoi nous en tenir, que nous ayons un programme et un programme de financement annexé au plan de célébration.
Le deuxième motif d'inquiétude que j'ai tient aux musées. Là encore, je vous pose une question. On a beaucoup parlé d'une loi sur les musées. Quand verra-t-elle le jour et quelle orientation comptez-vous lui donner ?
J'ai des responsabilités personnelles, que vous connaissez, dans la conservation d'un grand musée, responsabilités qui m'ont été confiées par l'Institut de France, je suis donc à même de comprendre les graves difficultés auxquelles se heurtent les conservateurs, qui, dans l'ensemble, tirent le meilleur parti possible des moyens de fonctionnement qui leur sont alloués.
Peut-être y aurait-il lieu de se demander - mais c'est une simple suggestion - si, pour ne citer qu'un exemple, il est toujours judicieux de créer des espaces nouveaux au moment même où l'on est amené à fermer des salles, faute de personnel - mais c'est une remarque annexe.
Je voudrais, à ce propos, évoquer un problème capital, celui de la Réunion des musées nationaux. Je sais que vous vous en occupez, et je le dirai dans un moment.
En 1993, la Réunion des musées nationaux était excédentaire ; en 1994, elle est devenue déficitaire ; le déficit ne cesse de s'aggraver et on peut se demander s'il est structurel. Je l'ai longtemps cru. Mais je me suis rapproché de votre ministère et j'ai su que vous aviez élaboré un plan triennal et que celui-ci a pour objet de nous ramener en trois ans, comme son nom l'indique, à la situation de 1993. Je me permets de vous demander si la première année du plan triennal tend à vous rapprocher de ce but, ce que je souhaite très sincèrement.
Lorsque ce but aura été atteint, peut-être devra-t-on s'interroger sur la différence qu'il y a - et sur les conséquences à en tirer - entre les attributions diverses de la Réunion des musées nationaux.
Il y a, parmi ces attributions, les achats d'oeuvres d'art, les organisations d'expositions - la Réunion des musées nationaux s'en occupe fort bien - et les activités commerciales, qui ont de plus en plus d'importance. Si la preuve est faite que le déficit que l'on déplore depuis quelques années n'est pas un déficit structurel, ne tient pas à la nature des choses, alors peut-être pourra-t-on imaginer une autre forme d'activité commerciale dans les musées nationaux ? Mais, encore une fois, le but de ma question, c'est de vous demander - et je sais que vous y répondrez avec précision - si les résultats de la première année du plan triennal sont, à cet égard, encourageants.
Enfin, j'ai un troisième sujet d'inquiétude, qui tient au cinéma.
Tout le monde sait que l'aide au cinéma est assurée par un fonds qui dispense, d'une part, des crédits sur lesquels il a à se prononcer, des crédits qui, par conséquent, sont sélectifs, et, d'autre part, des crédits dont l'attribution est pratiquement automatique.
D'ailleurs, la partie automatique des crédits n'est pas négligeable : elle a été, au cours de l'année dernière - je n'ai pas encore les chiffres de cette année - de 276 millions de francs.
Aussi, je me demande si cette attribution automatique ne va pas, involontairement, bien entendu, à l'encontre des intérêts directs du cinéma français, et voici exactement ce que je veux dire : il y a, tout le monde le sait maintenant et tout le monde le voit, à la lisière de nos villes, des mastodontes, des cinémas, qui comportent huit, neuf ou dix salles et qui sont indubitablement, il faut bien le dire, les moyens d'expansion des grands succès ou des moindres succès hollywoodiens, disons des grandes productions hollywoodiennes.
Il n'est pas question, bien entendu, de procéder à des mesures d'interdiction. Il ne peut pas être question de riposter à la naissance de ces multiplexes par ce que j'appellerai une sorte de police défensive. Non, bien entendu, il ne s'agit pas de cela. Mais il s'agit de savoir s'il appartient aux contribuables français de les financer indirectement par l'intermédiaire du fonds d'aide au cinéma et à cause du jeu automatique de l'attribution d'une partie importante des subventions, puisque je disais, voilà quelques instants, que le chiffre atteint est largement supérieur à 200 millions de francs.
Je vous cite quelques chiffres. L'année dernière, les multiplexes représentaient 11 % des entrées. Pour le premier semestre de cette année, ils ont représenté 10 % des entrées. Bientôt, cela correspondra à près du quart des entrées - évidemment je n'en ai pas la preuve, j'extrapole, mais cette extrapolation n'est pas faite au hasard - nous pourrons nous demander si les 52 % que représentent encore les entrées dans les cinémas projetant des films américains ne seront pas encouragés et si, par voie de conséquence, le cinéma français ne sera pas marginalisé chez lui.
Encore une fois, ce que je demande, c'est que le mode de distribution des fonds d'aide au cinéma soit révisé de façon telle qu'il devienne volontaire, qu'il s'applique aux cas particuliers qui se posent et qu'ils n'offrent pas des inconvénients comparables à ceux qu'offraient à une époque déjà lointaine, à laquelle j'étais rapporteur du budget de la culture, et où nous avions constaté, ici même, que ces mécanismes avaient pour résultat d'encourager, par le jeu des réinvestissements, le cinéma pornographique. Aujourd'hui, ce problème ne se pose plus, et en grande partie grâce au Sénat.
Le problème que je viens de soulever n'est pas moral, comme l'était le précédent, mais il est politique, au meilleur sens du terme.
A partir du moment où le terrain a été déblayé par trois sujets d'interrogation et par trois sujets d'inquiétude, nous en arrivons aux trois sujets de satisfaction.
Le premier, c'est indubitablement le montant du budget. Il est en augmentation de 6,4 %, si nous y comprenons les autorisations de programme, ce qui nous mène à un total de 15,109 milliards de francs. Mais ce qui, à mon avis, est beaucoup plus important, c'est que si nous ne tenons pas compte des autorisations de programme, l'augmentation est de 3,8 % et, si mes calculs sont justes, cela revient à dire que les crédits de paiement s'accroîtraient, l'an prochain, de plus de 500 millions de francs.
Bien entendu, il se trouvera toujours quelqu'un pour dire que, par rapport aux besoins, c'est insuffisant ! Mais qui, dans les circonstances présentes, et compte tenu des contraintes budgétaires, pouvait espérer mieux qu'un renversement de tendance ?
Le deuxième sujet de satisfaction, c'est que, à l'intérieur de cette majoration de crédits - les 550 millions de francs que j'évoquais il y a un instant - 245 millions de francs iraient au patrimoine. Cela est évidemment essentiel pour une raison fondamentale, qui s'appelle l'emploi.
L'an dernier, quand j'avais déposé, avec l'approbation de l'ensemble du Sénat, l'amendement grâce auquel 70 millions de francs ont été récupérés puis maintenus, j'avais rappelé qu'un nombre appréciable d'entreprises, représentant au total près de 40 000 emplois, pouvaient être condamnées à mort, étant donné leur stricte spécialisation, par une diminution excessive, voire par un montant insuffisant, des crédits du patrimoine.
Il est évident que, si les crédits sont, cette année, abondés dans la proportion que je viens d'indiquer, le péril sera conjuré, et nous ne pourrons que nous en féliciter et vous en remercier, madame le ministre.
J'ai d'ailleurs procédé à une comparaison ; je me suis demandé ce qu'aurait donné une application rigoureuse et chiffrée de la loi sur le patrimoine, encore en application. J'ai abouti à un chiffre : 1,633 milliard de francs. Or, le chiffre qui nous est proposé dans votre projet de budget est de 1,616 milliard de francs. A 17 millions de francs près, la loi est donc rigoureusement respectée.
Vous voyez d'ailleurs combien j'avais raison, tout à l'heure, de vous dire que cette référence était utile et combien vous avez eu raison de souhaiter - car je sais que vous le souhaitez - qu'il n'y ait pas d'interruption et qu'une loi du patrimoine succède à l'autre et assure la continuité de l'effort.
D'ailleurs, il me souvient que, le 26 mars dernier, au moment où pesait une menace, une menace grave, sur les crédits du patrimoine - encore une fois, l'arbitrage de M. Juppé, dont je tiens de nouveau à le remercier, a permis de trancher le problème - j'avais écrit au Premier ministre pour lui dire textuellement : « N'oublions pas que 80 % des crédits du titre IV correspondent à des emplois ».
Enfin, le troisième sujet de satisfaction - j'en ai déjà indiqué deux qui sont importants - c'est le budget dévolu au spectacle vivant. Il augmente de 8 %, mais, pour ce qui concerne le théâtre, il augmente de 12 %.
C'est ce qu'on a appelé - je crois qu'on a eu raison - une offre culturelle améliorée en région. L'expression va loin, mais elle nous mène à nous interroger sur ce que la décentralisation peut offrir comme avantage.
J'estime, pour ma part, que cette offre culturelle prendra tout son sens lorsque, comme nous le souhaitons tous, elle aboutira à un véritable partenariat avec les collectivités territoriales, lorsque, pour tout dire, le bénéficiaire sera, plus complètement encore, rapproché du distributeur.
J'en arrive au terme de mon exposé.
Lorsque je me rappelle, sans rien en retrancher, les interrogations que j'ai posées et auxquelles vous répondrez, lorsque je me rappelle les trois motifs d'inquiétude et les trois motifs de satisfaction, je suis obligé de dire que les motifs de satisfaction l'emportent, et la commission des finances a estimé, à l'unanimité de ses membres présents, qu'elle ne pourrait pas refuser de donner un avis favorable sans renier, ou tout au moins sans avoir l'air de rétracter, les remontrances et les doléances qu'elle a multipliées dans le passé.
Je vous confirme donc, madame le ministre, que je propose au Sénat de donner un avis favorable.
Mais pouvons-nous nous en tenir là ? Je réponds non. A cause, cette fois, non plus d'une inquiétude mais d'une angoisse, et qui ne vous met personnellement pas en cause, pas plus d'ailleurs que vos prédécesseurs, surtout votre prédécesseur immédiat.
Quelle est cette angoisse ? Je la présente très simplement : votons-nous un budget définitif ou bien, dans quelques semaines, dans quelques mois, sans aucune consultation préalable, nous trouverons-nous en présence de gels, suivis d'annulations, qui remettront en cause les résultats dont nous avons lieu, actuellement, de nous féliciter et de vous féciliter ?
Je sais bien, on me répondra : « Mais la situation ne serait pas nouvelle. Il y a des précédents ! ». C'est tout à fait vrai. Il y a beaucoup de précédents, sous tous les gouvernements, quelle que soit leur coloration. Mais je suis tout à fait à l'aise, maintenant que je n'appartiens pas à la majorité gouvernementale, pour répéter ce que j'ai dit à l'époque où j'y appartenais, il y a deux ans, à cette tribune même, alors que votre prédécesseur venait de nous annoncer des mesures nouvelles. Je lui ai dit : « Je vous remercie de ces mesures nouvelles, mais elles seraient un leurre si, demain, certaines régulations devaient remettre en cause des engagements solennellement pris devant le Parlement. »
Alors, je dois vous dire que les efforts qui seront déployés pour éviter la répétition de ces erreurs trouveront dans la commission des finances du Sénat et dans la personne de son rapporteur, comme je le sais, j'en suis sûr, dans les personnes du président et des rapporteurs de la commission des affaires culturelles, un soutien constant.
Il est vrai, madame le ministre, qu'un budget est une autorisation et non pas une obligation de dépenser. Mais il est non moins vrai que la logique d'un régime démocratique nous interdit d'admettre que ce budget, une fois voté par les élus du suffrage universel direct ou indirect, soit vidé d'une partie importante de son contenu sans aucune consultation préalable, sans aucune discussion préalable, bref, sans la volonté de respecter la parole donnée - un projet de budget, c'est une parole donnée - ou tout au moins, si l'on estime inévitable de la rétracter partiellement, de négocier ces rétractations de façon telle qu'en tout état de cause les économies ne soient jamais consenties ou imposées au détriment de ce qui doit être notre préoccupation constante : l'emploi.
Toute autre attitude vous étonnerait de ma part. En tout état de cause, le service prioritaire de la culture s'accommoderait mal d'une nouvelle offense à la dignité du Parlement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Nachbar, rapporteur pour avis.
M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au travers du budget de la culture, c'est toute une vision de la société et du rôle que l'Etat se donne pour lui apporter un supplément d'âme qui apparaît derrière l'aridité des colonnes et des chiffres.
Madame la ministre, votre budget est la pierre de touche permettant à la représentation nationale de juger si l'Etat a la volonté, selon la très belle formule de Malraux, de « donner à tous les clés du trésor ».
Loin d'être le variable d'ajustement de l'Etat, tentation permanente, hélas ! de tous les gouvernements, le budget de la culture doit à la fois revêtir un caractère prioritaire et permettre les réformes nécessaires pour que la culture ne reste pas hors du temps, hors du siècle, serais-je tenté de dire.
C'est à l'aune de ces deux critères que je me propose, madame la ministre, d'examiner les grandes lignes du budget qui nous est aujourd'hui soumis.
Globalement, le budget pour 1998 traduit un effort incontestable en faveur de la culture, tant dans ses grandes masses que dans les actions qu'il va permettre. Il progresse de 3,78 % par rapport à 1997, calcul établi à structure constante et tenant compte du rattachement de l'audiovisuel public aux services du Premier ministre.
Cette augmentation, comme vient de le souligner M. Maurice Schumann, est appréciable au regard des difficultés et de la contrainte budgétaire qui caractérisent notre époque. Cela représente un effort vers la conquête du 1 % mythique ; mythique parce que, depuis que Jean Vilar l'avait réclamé, il y a plus de trente ans, peu de budgets l'ont atteint. Néanmoins, cette année, vous vous en rapprochez, madame la ministre.
La diminution des crédits affectés aux grands travaux vous a, certes, donné une marge de manoeuvre supplémentaire. Je m'en félicite, car j'imagine combien la tentation a dû être grande de profiter de cette situation pour réduire d'autant les crédits d'investissement de votre ministère.
Vous avez su garder, pour les affecter à d'autres chapitres, les crédits globalement consacrés auparavant à ces grands travaux.
Seul le Louvre émargera, cette année, au budget de la culture. C'est tout à fait essentiel, car nous avons la chance, avec cette structure, d'avoir le plus beau musée du monde. Maintenir le programme d'achèvement des travaux, permettre son fonctionnement dans de bonnes conditions me paraît être, pour paraphraser une formule célèbre, une « ardente nécessité », essentielle au même titre que la promotion et la préservation du patrimoine - j'y reviendrai dans un instant.
Si l'on entre très rapidement dans le détail des chapitres, on peut constater que les capacités d'action directe du ministère vont profiter modérément de ce renforcement des crédits.
Le titre III, qui prévoit les moyens des services, augmente de 2,6 %, attitude que je qualifierai de raisonnable puisqu'elle permet, en évitant toute dérive, d'assurer dans de bonnes conditions l'accueil du public dans les grandes structures - je pense, notamment, à la Bibliothèque nationale de France - et, en même temps, d'améliorer le fonctionnement des services, dont on sait qu'ils vont être regroupés, sur le plan matériel, dans une opération qualifiée, du nom d'une de ces rues du vieux Paris qui font son charme, « Opération des Bons-Enfants ».
Les crédits d'intervention culturelle augmentent de 2,5 %. Leur évolution est contrastée.
Je me félicite qu'ils augmentent de 15 % pour les musées. Je reviendrais dans un instant, après M. Schumann, sur les difficultés de la Réunion des musées nationaux.
Ils augmentent de 11 % pour l'architecture. L'effort se poursuit pour montrer aux architectes et aux élèves architectes que le transfert d'un ministère réputé riche à un ministère réputé l'être moins ne se fera pas au détriment de la qualité de leurs études.
Je me réjouis aussi de voir que les crédits des archives augmentent de 11 %. On sait aujourd'hui à quel point la mémoire d'un pays est essentielle.
En revanche, je constate avec inquiétude que les crédits du livre et de la lecture n'augmentent que de 1 %. C'est peu - d'autant qu'une bonne partie est consacrée à la Bibliothèque nationale de France - alors que la lecture est de plus en plus menacée par les nouvelles formes d'accès au savoir.
Si l'on n'y prête garde, la galaxie Gutenberg, à laquelle beaucoup, à commencer par moi, restent fidèles parce que c'est leur formation, risque de n'être plus, demain, qu'une forteresse assiégée.
J'en viens, enfin, aux dépenses en capital. C'est le point essentiel, le noyau dur, le saint des saints de votre budget, madame la ministre, qui explique pour une large part l'attitude qu'ont adoptée les commissions compétentes du Sénat.
Les dépenses en capital augmentent très sensiblement, les crédits du patrimoine, au sein même de ce chapitre, progressant de 39 % en autorisations de programme.
Inutile de vous dire, madame la ministre, combien cette relance, qui marque le retour à la loi de programme du 31 décembre 1993, était souhaitée par le Sénat, conscient qu'il est de l'importance du patrimoine en termes économiques, d'abord, tant pour le tourisme que pour les entreprises spécialisées - plus que d'autres, vous connaissez leur savoir-faire exceptionnel, madame la ministre, vous qui connaissez l'oeuvre Notre-Dame, qui, en tout cas, avez su y être sensible - conscient qu'il est aussi que la préservation de nos monuments et de nos sites est essentielle au maintien de la cohésion nationale.
Voilà un siècle et demi, Prosper Mérimée, que l'on connaît plus comme écrivain que comme inspecteur général des monuments - c'est bien dommage ! - avait su rendre les plus hautes instances de l'Etat sensibles à la notion même de patrimoine. Il est essentiel que cette tradition propre à notre pays soit plus vivace que jamais.
A cet égard, la commission des affaires culturelles attache du prix à ce que la Fondation du patrimoine, issue d'une initiative du Sénat et d'un rapport de notre collègue Jean-Paul Hugot, puisse compléter harmonieusement les efforts de l'Etat, notamment pour le petit patrimoine rural, souvent de grande qualité, mais qui pèse lourdement sur le budget des communes.
Voilà pour ce qui est, madame la ministre, mes chers collègues, des grandes lignes de ce budget et des éléments de satisfaction que la commission a soulignés.
Je souhaite maintenant, dans un deuxième temps, relever les grands axes de la réforme que traduit la politique culturelle initiée par ces crédits.
Il s'agit, tout d'abord, de la modernisation, dans un certain nombre de domaines, de l'administration.
Plusieurs mesures de réorganisation vont donner un visage nouveau à l'administration centrale du ministère, notamment la fusion des directions de l'architecture et du patrimoine et la fusion programmée des directions de la musique, de la danse et du théâtre.
Autant la première apparaît logique, sous la seule réserve que la mission de protection du patrimoine n'entre pas en concurrence avec la promotion de l'architecture, autant la seconde, qui a soulevé les inquiétudes des professionnels concernés, nécessitera beaucoup de prudence dans sa mise en application pour que chaque secteur - vous vous y êtes, je crois, engagée - conserve son identité.
S'y ajoute la création, initiative qu'il convient de saluer, d'une agence d'ingénierie culturelle qui gérera la maîtrise d'ouvrage du ministère et permettra, par la fusion de plusieurs organismes, de réelles économies de fonctionnement.
La déconcentration est le deuxième axe de la réforme que permet ce budget.
En soi, elle est une bonne chose. Pour ne retenir qu'un seul chiffre, 52 % des crédits d'interventions culturelles sont déconcentrés. Cela va dans le sens du rééquilibrage des crédits entre Paris et la province, souhaité par le Sénat et engagé depuis plusieurs années. Encore faudra-t-il que les moyens mis à la disposition des directions régionales des affaires culturelles suivent, et surtout, - la commission tenait à attirer votre attention sur ce point - que l'Etat fixe les grandes règles de la répartition des crédits.
Vous y verrez peut-être, mes chers collègues, la trace d'un jacobinisme culturel, mais il nous paraît essentiel que, dans ce domaine, l'équité soit préservée et que l'Etat, dont c'est le rôle, veille, au moyen de son administration centrale, à éviter entre nos régions des distorsions par trop marquées dans les interventions culturelles.
Troisième axe de réforme, la clarification des relations entre l'Etat et ses partenaires est illustrée par deux mesures : la charte du service public permettra de formaliser les obligations des réseaux culturels subventionnés, et le Fonds de contractualisation, doté de 23 millions de francs, favorisera le renforcement de la collaboration entre les services de l'Etat et les collectivités locales, notamment pour ce qui est des enseignements artistiques. C'est une initiative dont notre commission s'est félicitée.
Cette réforme est d'autant plus importante qu'elle va de pair avec la poursuite de l'aménagement culturel du territoire. Cela fait bien longtemps qu'il n'y a plus en France, dans ce domaine, de « désert francais », et je m'étais plu, l'année dernière, à saluer l'effort essentiel accompli par les collectivités locales, effort qui représente, sachez-le, plus de 50 % des fonds publics consacrés à la culture.
Il est néanmoins essentiel, devant les inégalités de développement économique des régions, que l'Etat poursuive une action volontariste de rééquilibrage. Vous prévoyez deux mesures en ce sens : d'une part, le financement des grands projets en région, avec la poursuite de projets aussi intéressants que le Centre de la mémoire contemporaine de Reims ou le Centre du costume de scène de Moulins, d'autre part, le renforcement des réseaux de diffusion culturelle en province.
Enfin, la politique culturelle du cadre de vie est le quatrième axe d'une réforme administrative originale.
Vous profitez du transfert de la direction de l'architecture au sein de votre ministère pour dégager une politique sur laquelle, je crois, on peut fonder de réels espoirs, car, si l'effort en matière d'architecture se poursuit très classiquement, avec des moyens permettant, dès cette année, à la réforme des études, dite réforme Frémont, de se dérouler convenablement, votre budget va au-delà, et ce par deux mesures : la création d'un réseau de diffusion de la création architecturale et le renforcement des zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager.
Il est essentiel de réintroduire la notion d'esthétique dans l'urbanisme.
Si la politique urbaine conduite depuis tant et tant d'années a abouti à une dégradation des conditions de vie des habitants des zones urbaines, contrairement aux espoirs qu'elle avait suscités - je fais allusion à la charte d'Athènes, pour ne prendre que cet exemple - c'est peut-être parce que le souci du beau en était absent. Or, le beau n'est pas seulement un souci gratuit. Souvenons-nous de l'article « Beau » de l' Encyclopédie , que Diderot a tenu à rédiger et dans lequel il écrit que le beau mène au bien.
C'est peut-être, dans le domaine de l'environnement et de la politique urbaine, un axe essentiel. Je souhaite, en tout cas, que le transfert de la direction de l'architecture au sein du ministère de la culture soit davantage qu'une simple réforme administrative et qu'il marque le retour de l'esthétique urbaine, oubliée depuis bien longtemps.
Après avoir examiné l'évolution des crédits du ministère de la culture, puis les grands axes de la réforme administrative, je voudrais, madame le ministre, vous faire part de deux sujets d'inquiétude, qui vont bien au-delà du seul souci de cet exercice budgétaire.
Le premier tient à la nécessaire extension de la notion de patrimoine. C'est une évolution admise depuis quelques années, car le patrimoine ne recouvre plus seulement le patrimoine monumental : son champ d'action s'est diversifié et s'étend à des domaines nouveaux. L'un est particulièrement essentiel, à mes yeux, je veux parler du patrimoine industriel.
Or la France a pris beaucoup de retard dans ce domaine par rapport à d'autres pays, comme la Grande-Bretagne ou l'Allemagne. Je me limiterai à un seul exemple, auquel je suis très sensible en tant qu'élu lorrain. Si l'on veut aujourd'hui visiter un écomusée de la sidérurgie, il faut désormais aller en Sarre, car nous ne disposons plus, en France, contrairement à ce qui existe pour les mines, de ce type de structures. C'est particulièrement regrettable. En effet, de nombreuses destructions ont déjà fait disparaître des pans entiers des vestiges de l'âge d'or industriel de notre pays.
Il me paraît pourtant essentiel de rappeler aux générations futures comment, à travers des activités économiques aujourd'hui disparues, notre pays s'est formé. Il n'est pas indifférent, dans ces temps où la tentation du repli sur soi et du rejet de l'autre se développe, de montrer que la France s'est constituée par des apports de populations divers, rendus nécessaires par l'industrialisation qui ont fait la fortune de bien des régions, à commencer par la mienne !
Le succès des Journées du patrimoine, voilà quelques semaines, a montré, madame le ministre, l'intérêt que les Français attachent au patrimoine.
M. le président. Veuillez conclure, je vous prie, monsieur le rapporteur pour avis.
M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis. Il me paraît donc essentiel qu'une double action d'inventaire et de protection soit engagée.
Il est une seconde difficulté que je vois pour l'avenir, et que M. Maurice Schumann a longuement évoquée, je veux parler de la crise de la Réunion des musées nationaux et des difficultés croissantes, année après année, pour l'acquisition des oeuvres d'art, que la jurisprudence Walter ou que les évolutions du marché de l'art rendent de plus en plus problématique.
Telles sont, madame le ministre, les deux préoccupations sur lesquelles j'entendais appeler votre attention pour que, dans l'avenir, tant l'acquisition des oeuvres d'art que le patrimoine industriel reprennent ou prennent la place prioritaire que la commission souhaite leur donner.
Je conclurai en indiquant que la commission des affaires culturelles, consciente de ces évolutions, a fait trois voeux avant de donner un avis sur votre budget.
Elle a souhaité, tout d'abord, que des mesures de régulation budgétaire ne viennent pas, une fois de plus, compromettre un effort incontestable en faveur de la culture et que ce budget ne soit pas un autre rocher de Sisyphe.
La commission a souhaité, en outre, qu'une nouvelle loi de programme sur le patrimoine puisse intervenir à l'expiration, prochaine, de l'autre et, enfin, qu'un grand débat sur la culture puisse avoir lieu devant la représentation nationale.
C'est dans ces conditions, madame la ministre, que la commission des affaires culturelles a donné, à l'unanimité, un avis favorable à l'adoption des crédits de votre ministère. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Vidal, rapporteur pour avis.
M. Marcel Vidal, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour le cinéma et le théâtre dramatique. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite, en introduction, exprimer mes remerciements à Mme la ministre pour la qualité des échanges que nous avons eus dans le cadre de la préparation de cette discussion budgétaire.
Le budget du cinéma s'élève à 1,59 milliard de francs, en progression de 4,6 % par rapport à 1997. Cette progression s'explique essentiellement par une augmentation de 4,9 % des recettes du compte de soutien, qui représente 80 % du budget du cinéma et, dans une moindre mesure, par une progression de 2,9 % des dotations du ministère de la culture.
Ces crédits supplémentaires permettent, en premier lieu, de renforcer les moyens du soutien financier aux industries du cinéma.
La commission a constaté avec satisfaction qu'une mesure nouvelle de 22 millions de francs était prévue en faveur des salles de cinéma situées dans les zones d'influence des multiplex. C'est un point important. Il est aujourd'hui acquis que les multiplex participent au redressement de la fréquentation. Pendant dix ans, de 1982 à 1992, le grand écran a perdu 40 % de ses spectateurs, ce qui a entraîné la fermeture de sept cents salles de cinéma, mais aujourd'hui, on ne peut pas négliger les effets positifs de ces équipements sur l'économie de ce secteur.
Il est cependant indéniable que le développement des multiplex suscite des difficultés. Dans certaines villes, leur implantation désordonnée remet en cause des équilibres urbains fragiles. De ce point de vue, je vous rejoins, madame la ministre, pour penser avec vous que l'extension de la loi Royer aux équipements cinématographiques est une réponse qui n'est pas tout à fait satisfaisante.
Plus généralement, le développement des multiplex renvoie à la question de la concentration croissante des industries françaises du cinéma et du maintien d'un cinéma indépendant. C'est là un enjeu majeur de la politique du cinéma. Cette politique doit, en effet, accompagner la modernisation du cinéma français en tant qu'industrie, tout en préservant le pluralisme du cinéma français en tant qu'art.
En second lieu, l'augmentation du budget du cinéma permet, mes chers collègues, de développer des actions culturelles, en particulier en faveur du patrimoine cinématographique.
Les crédits affectés à la politique de conservation et de restauration du patrimoine s'élèvent à 52 millions de francs, soit une progression de 10,6 % par rapport à l'exercice écoulé. C'est, pour nous, un motif de satisfaction. Les oeuvres cinématographiques constituent aujourd'hui des éléments de notre patrimoine culturel au même titre que les livres. Le service des archives du Centre national de la cinématographie, chargé du plan nitrate, reçoit ainsi un soutien accru et justifié.
La commission a, en revanche, regretté que cette politique de restauration ne s'accompagne pas d'une véritable politique de valorisation du patrimoine cinématographique.
La France dispose, dans ce domaine, d'institutions réputées, comme la Cinémathèque française, le musée Langlois ou la Bibliothèque du film. Ces institutions sont cependant placées, depuis dix ans, dans des situations provisoires en vue de leur emménagement dans un palais du cinéma qui n'a toujours pas vu le jour, madame la ministre, peut-on espérer que ce projet puisse aboutir prochainement ? Plus généralement, que comptez-vous faire pour accroître la diffusion des films anciens auprès du grand public ?
Au-delà des chiffres, je tiens à vous faire part, mes chers collègues, de plusieurs questions qui nous ont semblé être des enjeux importants pour la politique du cinéma.
L'industrie du cinéma français doit aujourd'hui faire face à des mutations importantes de son environnement économique. Je veux parler de la concentration croissante des entreprises de l'audiovisuel et du cinéma, du développement des télévisions numériques, mais également de la déréglementation des échanges internationaux dans le secteur de la communication et de la culture.
Dans ce contexte, le rôle du ministère de la culture consiste non seulement à chercher, à l'échelon national, la politique la plus adaptée aux mutations en cours, mais également à défendre, à l'échelon international, la légitimité de la politique française en faveur du cinéma.
Madame la ministre, vous avez hérité de votre prédécesseur d'un certain nombre de projets de réforme que vous avez repris à votre compte. Je veux parler de l'extension de la taxe sur les services audiovisuels, destinée au compte de soutien, à l'ensemble des chaînes thématiques, de la réforme de l'agrément des oeuvres cinématographiques et aussi de la réforme du soutien automatique aux exploitants de salles.
Dans un contexte marqué par le développement des multiplex, cette dernière réforme tend à accroître la redistributivité du soutien à l'investissement des salles de cinéma. Nous nous en félicitons.
A l'échelon international, les négociations en cours de l'accord multilatéral sur les investissements suscitent, en revanche, beaucoup d'inquiétude. Ces négociations visent à éliminer les obstacles aux investissements internationaux au sein des membres de l'OCDE. Elle mettent de nouveau en cause le système de protection de notre secteur culturel, en particulier le dispositif de soutien financier à l'industrie cinématographique.
La France, dans le prolongement des négociations du GATT, a jugé indispensable l'insertion d'une clause d'exception générale en faveur des secteurs de l'audiovisuel et de la culture. J'aimerais, madame la ministre, savoir de quelle façon vous êtes associée à cette négociation et quelles sont les chances de voir la position de la France s'imposer.
Enfin, j'en arrive, mes chers collègues, aux crédits du théâtre dramatique.
Ils s'élèvent, pour 1998, à 1,55 milliard de francs, soit une progression de 11,9 % par rapport à 1997. Toutefois, hors crédits affectés à la rénovation du théâtre de l'Odéon, la progression n'est plus que de 4,8 %, soit 66 millions de francs de crédits supplémentaires.
Les subventions de fonctionnement des théâtres nationaux atteignent 350 millions de francs, en progression de 4,5 % par rapport à 1997, soit 15 millions de francs de crédits supplémentaires.
Les crédits d'intervention, destinés, en particulier, au réseau de décentralisation dramatique, aux théâtres missionnés et aux compagnies dramatiques indépendantes, augmentent de 20 millions de francs.
Nous observons avec satisfaction que, pour la quatrième année consécutive, les crédits affectés aux compagnies n'ont finalement pas fait l'objet d'annulations en cours d'année.
En revanche, l'incertitude sur le montant et la date du versement des subventions a encore entraîné des difficultés de programmation et, surtout, de trésorerie.
Vous avez annoncé, à cet égard, madame la ministre, la publication d'une charte du service public des arts de la scène. Cette charte devrait rappeler les missions et les obligations des structures subventionnées. C'est un élément positif. Le soutien public implique, en effet, des engagements précis concernant la création et la diffusion. On pourrait imaginer que, réciproquement, figurent dans cette charte les obligations auxquelles s'engage le ministère de la culture à l'égard, par exemple, des compagnies dramatiques indépendantes.
J'en viens aux crédits affectés à l'enseignement de l'art dramatique. Ils s'élèvent, pour 1998, à 68,1 millions de francs, en progression de 7,9 % par rapport à 1997. Ces crédits sont encore insuffisants pour créer un véritable réseau d'enseignement public du théâtre dramatique. Non seulement certains départements sont dépourvus de structures de formation de qualité, mais la quasi-totalité des élèves des conservatoires nationaux sont issus de cours privés parisiens dont les frais de scolarité ne les rendent pas accessibles à tous.
Plus généralement, l'absence d'un réseau structuré d'enseignement public d'art dramatique conduit à délaisser le théâtre amateur. Il est vrai, et c'est l'une des subtilités de la répartition des compétences ministérielles, que le théâtre amateur relève du ministère de la jeunesse et des sports. Toujours est-il qu'il n'y a pas de véritable politique en faveur du théâtre amateur. Vous appelez de vos voeux, madame la ministre, une démocratisation des pratiques artistiques ; passera-t-elle par un soutien accru au théâtre amateur ? J'aimerais, sur ce point, connaître vos projets.
Mes chers collègues, le budget du théâtre dramatique pour 1998 se caractérise également par une plus grande déconcentration des crédits. Le pourcentage des crédits déconcentrés de la direction du théâtre et des spectacles devrait passer, en effet, de près de 30 % à un peu moins de 50 %.
Cette déconcentration des crédits, nous l'avons souvent appelée de nos voeux au niveau des collectivités locales. Elle suscite l'inquiétude des professions concernées. Je crois qu'elle ne sera profitable que si les services centraux changent véritablement leur méthode de travail. La déconcentration suppose en particulier la mise en place d'un réel pilotage des politiques menées par les directions régionales des affaires culturelles. On imagine mal, en effet, que la déconcentration des crédits se traduise par la mise en oeuvre d'autant de politiques culturelles qu'il y a de directeurs régionaux des affaires culturelles ou de préfets de région ! Les marges de manoeuvre laissées aux directions régionales des affaires culturelles doivent donc avoir comme contrepartie une véritable évaluation de leur action.
Vous avez évoqué, madame le ministre, la possibilité de réunir, d'une part, la direction du théâtre et des spectacles et, d'autre part, la direction de la musique et de la danse dans une direction des arts de la scène. Cette réforme suscite des inquiétudes parfois légitimes. Elle aurait cependant le mérite de donner aux directions régionales des affaires culturelles un interlocuteur unique pour tout ce qui concerne le spectacle vivant et de renforcer le caractère pluridisciplinaire des scènes nationales, voire des centres dramatiques nationaux.
Je ne voudrais pas achever cet exposé sans mentionner le problème important des intermittents du spectacle. En mars dernier, les partenaires sociaux ont prorogé jusqu'en décembre 1998 le régime d'assurance chômage prévu par les annexes VIII et X de l'UNEDIC. L'Etat s'est engagé, pour sa part, à mettre en oeuvre un certain nombre de réformes. Où en est-on ? Ce régime, qui constitue un élément essentiel de soutien au théâtre et au cinéma, sera-t-il pérennisé ?
Sous réserve de ces observations, la commission des affaires culturelles, compte tenu des réformes engagées et de l'évolution des crédits, a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du cinéma et du théâtre dramatique. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.) M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 28 minutes ;
Groupe socialiste, 27 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 30 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.
La parole est à M. Hugot.
M. Jean-Paul Hugot. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la communauté culturelle active, la pratique culturelle et les publics restent encore trop réduits, ce que nous déplorons tous. En effet, s'il est vrai que les pratiques culturelles ont évolué depuis 1960, la démocratisation de la culture, telle qu'on pouvait la rêver voilà trente ans, est encore loin d'être une réalité. Nous devons donc tendre à nous rapprocher toujours davantage de l'égalité d'accès à la culture, ainsi que l'a toujours affirmé le Président de la République, M. Jacques Chirac.
Madame le ministre, s'agissant de votre propre démarche, illustrée par votre projet de budget pour 1998, je me félicite tout d'abord - c'est un aspect pratique important - du document annexé au projet de loi de finances qui regroupe l'ensemble des financements de la politique culturelle et qui permet d'avoir une meilleure vision globale de notre politique culturelle et de son coût. Il est d'ailleurs intéressant de constater que près de la moitié des crédits qui sont considérés comme étant consacrés à la culture émanent d'autres budgets que celui du ministère de la culture. Ne serait-il pas opportun, au vu de ce constat, de relancer l'idée d'un comité interministériel des affaires culturelles chargé de veiller à ce que les préoccupations culturelles irriguent toutes les activités de l'Etat, ainsi que le proposait M. Jacques Rigaud dans son rapport de la commission d'étude de la politique culturelle de l'Etat ?
Madame le ministre, vous avez également indiqué en commission qu'un débat parlementaire consacré à la politique culturelle pourrait utilement être organisé dès que des progrès auraient été réalisés dans l'élaboration de certains projets mis à l'étude au sein de votre ministère. Je souhaiterais savoir dans combien de temps ce débat pourra à votre avis avoir lieu, si le principe en est maintenu. Un tel débat me paraît en effet particulièrement opportun au moment où notre société marque une accélération dans son évolution et où les choix que nous devons faire doivent donc accompagner cette évolution.
Concernant votre projet de budget, j'aimerais formuler tout d'abord quelques remarques, puis vous poser quatre questions.
Ma première remarque vise à constater que vous avez peut-être bénéficié, pour la préparation du projet de loi de finances pour 1998, de marges de manoeuvre plus importantes que vos prédécesseurs, en raison de la diminution des crédits consacrés aux grands travaux lancés par François Mitterrand, alors Président de la République.
Pour ne citer qu'elle, la Bibliothèque nationale de France est enfin terminée. Elle aura pesé lourdement sur les dépenses du ministère de la culture : près de 10 milliards de francs. Elle continuera d'ailleurs à grever dans l'avenir les dépenses de fonctionnement de votre ministère pour plus de 600 millions de francs par an.
J'en viens à ma deuxième remarque : s'agissant du patrimoine monumental, je me réjouis tout particulièrement de l'augmentation très significative des dépenses en capital qui traduit l'importance de l'effort accompli et qui devrait permettre de relancer l'emploi dans ce secteur, ce qui n'est pas négligeable.
Il faut bien reconnaître que les régulations budgétaires en cours d'année avaient pu malmener récemment ce secteur. Nous souhaitons tous que cette mésaventure ne se renouvelle pas.
En revanche, permettez-moi, madame le ministre, de m'inquiéter peut-être, mais au fond sans véritable raison, de l'action qui sera accomplie en faveur du patrimoine rural non protégé. En effet, compte tenu du délai de mise en place de la Fondation du patrimoine, à la création de laquelle le Sénat a souhaité prendre une part très active, ce patrimoine rural ne pourra probablement pas bénéficier, en 1998, du soutien qu'il pourrait attendre de cette instance en année pleine de fonctionnement. Par conséquent, l'aide de l'Etat ne devrait-elle pas être un peu plus qu'une aide logistique cette année ? J'aimerais connaître vos intentions à ce sujet.
Ma troisième remarque concerne la poursuite de la politique d'aménagement culturel du territoire engagée par les précédents gouvernements. Nous voyons avec satisfaction que le programme des grands projets en région, décidé en 1994, n'est pas remis en cause.
En revanche, je regrette que la plus grande majorité des crédits de subventions aux établissements publics ne profite qu'aux établissements parisiens. Peut-être est-il regrettable pour ce secteur que vous n'ayez pas souhaité suivre votre prédécesseur au bénéfice de la province.
Peut-être est-ce d'ailleurs l'occasion de se rappeler que cette politique culturelle, en province notamment, tient beaucoup au dynamisme des collectivités locales, dont nous devons relever le caractère déterminant des contributions. Il est clair que, si la vie culturelle de la France contemporaine est à ce point extrêmement diversifiée, innovante et vivante sur l'ensemble du territoire, c'est aux villes, aux régions et aux départements qu'on le doit largement, et je sais que le ministère en est conscient. C'est ainsi que ce dernier donne un ressort nouveau à ces initiatives de terrain par les mesures de déconcentration qu'il nous faut aussi saluer.
Après avoir fait ces quelques remarques, je souhaiterais vous poser quelques questions, madame le ministre.
La première concerne la place que vous avez réservée dans votre projet de budget à la politique du livre et de la lecture, dont M. le Président de la République a fait une priorité nationale.
Le précédent gouvernement avait placé la lutte contre l'illettrisme au coeur de l'instauration du rendez-vous citoyen et du programme d'actions pour le renforcement de la cohésion sociale, deux projets qui ne figurent plus dans vos propres propositions.
En outre, j'ai constaté que les crédits destinés à la direction du livre et de la lecture ne progressaient que de 1 % dans le projet de budget pour 1998.
Or - je pense que ce n'est pas une découverte - d'après une récente étude de l'INSEE, l'illettrisme touche aujourd'hui un jeune sur dix. Il s'agit là d'un fléau qui atteint les populations les plus fragiles. Je me demande donc si nous n'aurions pas pu favoriser, par le biais de la culture, une meilleure insertion.
Madame le ministre, si vos collègues chargés de l'éducation nationale doivent travailler à lutter contre cette gangrène, votre ministère est également directement concerné. Je souhaiterais donc que vous fassiez en faveur de la lutte contre l'illettrisme un effort tout particulier ; 1 % au regard de l'augmentation des crédits de votre ministère, c'est trop peu ! J'aimerais que vous m'apportiez quelques précisions sur ce sujet, et peut-être aussi quelques engagements.
Ma deuxième question a pour objet l'annonce que vous avez faite voilà quelques semaines d'ouvrir des archives en principe fermées au public, comme celles qui sont relatives aux événements du 17 octobre 1961. L'enjeu de cette décision n'est pas négligeable.
Le projet de loi qui a été annoncé me paraît satisfaire un souci de plus grande transparence. Mais, si des limites, notamment le respect d'un certain délai, ont été fixées à la consultation des archives, c'est probablement pour des raisons qu'il ne faudrait pas bafouer par un nouveau texte de loi peut-être hâtif. J'aurais souhaité connaître l'état d'avancement de votre réflexion sur ce projet.
Ma troisième question porte sur les emplois-jeunes.
Il est intéressant de constater que la professionnalisation et la demande du public, à laquelle les équipements culturels de proximité répondent, sont telles que de nouveaux postes de travail se créent ou évoluent, deviennent spécialisés et ne peuvent plus être occupés par des emplois occasionnels ou bénévoles. Oui, il y a des emplois émergents à combler ; mais ces derniers ne semblent pas correspondre systématiquement aux emplois-jeunes, qui ne s'accompagnent d'aucune formation et qui, je le crains, ne satisferont pas les demandeurs sur le terrain.
Pouvez-vous, madame le ministre, nous indiquer avec précision vos intentions pour la mise en place de ce plan, coûteux pour les finances publiques, et nous dire notamment quelles catégories d'emplois seront créées, quelle formation est prévue pour ces jeunes et quels débouchés seront offerts à ces derniers dans cinq ans ?
J'en viens à ma dernière question. L'année dernière, un conflit assez dur s'est déroulé concernant le régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle. Sur l'initiative du précédent gouvernement, un rapport, établi par M. Cabanes, a présenté des solutions acceptées par les différents acteurs du secteur, l'UNEDIC et l'Etat. Les solutions trouvées supposaient que le Gouvernement s'engage à entreprendre un certain nombre de réformes. Je souhaiterais connaître l'état d'avancement du dossier.
Tels sont les points que je voulais soulever, madame le ministre. Tout cela s'inscrit d'ailleurs dans l'excellent rapport de M. Maurice Schumann.
Je vous remercie de l'attention que vous voudrez bien porter à mes interrogations.
Le groupe du RPR, suivant les conclusions de M. le rapporteur spécial, se propose de voter ce projet de budget de la culture pour 1998 que vous présentez à la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le violoniste Yehudi Menuhin, qui a passé son enfance dans ma commune de Ville-d'Avray, où il avait pour voisin un autre musicien, également écrivain, Boris Vian, est l'auteur d'une petite fable intitulée le Violoniste et le Comptable.
Un royaume qui serait peuplé uniquement de violonistes deviendrait vite ingouvernable pour cause d'exubérance. Habité seulement par des comptables, le royaume irait vite à sa perte pour excès de sérieux. Pour être équilibrées, nos sociétés doivent faire leur place aux uns et aux autres, « à l'âme des uns et aux chiffres des autres », pour reprendre l'expression employée tout à l'heure par M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis. Nos sociétés seront vivantes si elles savent favoriser le dialogue des violonistes et des comptables.
Notre débat de ce jour, madame le ministre, a donc une signification forte. Aujourd'hui, dans cet hémicyle, les violonistes et les comptables ont l'occasion de se parler. Il nous appartient de faire en sorte que ce soit pour le plus grand bien du « royaume ».
Vous l'avez compris, mes chers collègues, je vais centrer mon propos sur la musique. Je le ferai en élu local, ce qui, après tout, est le rôle d'un sénateur.
S'agissant en particulier de la musique, l'ancien maire de Strasbourg que vous êtes, madame le ministre, a bien sûr vécu le même type d'expérience, et certainement les mêmes émotions, la seule différence étant que c'était dans une grande ville.
La ville que j'ai l'honneur d'administrer est au contraire l'une des plus petites de France, sinon la plus petite, à être le siège d'une école nationale de musique et de danse.
Cette école est évidemment notre fierté, mais elle représente aussi une charge qui, dans un budget total modeste, est à la limite du supportable pour des contribuables, qui peuvent être tentés de considérer alors cette école, sans mauvais jeu de mots, comme une « danseuse ». (Sourires.)
Dans notre situation extrême - une « grande école » dans une « petite ville » - les vrais problèmes apparaissent de manière aveuglante. C'est pourquoi j'ai choisi de partir de cet exemple un peu personnalisé.
Le statut « national » de cette école présente de nombreux avantages, et d'abord une réputation assise sur une incontestable garantie de qualité. Par leurs oeuvres de composition musicale ou par leurs prestations en concert, le directeur et les enseignants de cette école font progresser la musique dans notre pays. Leur activité de ce fait représente le meilleur et le plus entraînant des exemples qui soit, en même temps qu'elle donne le modèle d'une exigence incontournable aux élèves, lesquels voient ainsi leurs motivations soutenues de manière tout à fait exceptionnelle.
Les missions d'une école de musique, à partir du moment où elle est nationale, sont à mon sens principalement de deux ordres : apporter un enseignement supérieur spécialisé et appeler tous les scolaires de nos villes à découvrir la musique.
Il est très important de répondre au mieux aux souhaits d'amateurs désireux d'améliorer leur pratique, et cela jusqu'aux niveaux supérieurs. Nos écoles sont bien là dans leur rôle. Mais nombre de communes n'offrent pas cette possibilité, car ce n'est pas une obligation. En revanche, lorsque nos écoles nationales forment des professionnels de la musique elles assurent directement une responsabilité obligatoire... pour l'Etat.
Que les professionnels soient formés avec les amateurs, en quelque sorte en formation « open », est bon pour les uns et pour les autres. Pédagogiquement intéressante, cette formule est budgétairement malheureusement source de confusion, voire inflationniste pour les communes. La confusion des formations ne favorise pas en effet la clarté des comptes.
Vous avez dû le vérifier vous-même, madame le ministre, la contribution de l'Etat au fonctionnement de nos écoles nationales s'érode régulièrement. Elle est loin aujourd'hui de couvrir les charges correspondant à la formation des professionnels du secteur que l'Etat devrait couvrir.
Alors, dans la pratique, le relais est pris par les communes qui sont devant un choix difficile : soit elles suivent comme elles peuvent, soit elles ferment leurs écoles de musique. Fermer représente une extrémité devant laquelle la plupart reculent encore, mais jusqu'à quand ? Transférer cette charge de l'Etat sur le contribuable local est cependant un très mauvais service à rendre, à nos budgets municipaux bien sûr, mais aussi à l'image des écoles de musique dans nos villes : les écoles deviennent celles par lesquelles l'impôt, sinon le scandale, arrive. Elles deviennent des victimes toutes désignées à la vindicte de contribuables prompts à s'enflammer et en veine de boucs-émissaires. Et cela est ravageur pour la musique et pour l'harmonie dans nos villes, ce qui est presque aussi grave.
Les professions de la musique ont droit de cité autant que les autres. Les charges liées à la formation des juristes ou des ingénieurs ne sont pas supportées par les villes qui accueillent les universités ou les grandes écoles qui les forment.
Madame le ministre, veillez à ne pas laisser dévaloriser les métiers de la musique. La formation des musiciens, et plus généralement des artistes - c'est en effet vrai aussi pour les architectes, les peintres, les sculpteurs, les spécialistes des métiers d'art et bien d'autres - doit bénéficier de l'attention de l'Etat, comme les formations qui conduisent à d'autres professions.
J'ajoute qu'aujourd'hui non seulement l'Etat ne remplit plus ses obligations dans ces domaines, mais encore que ce qui est devenu son « concours » financier - je me refuse à parler de subvention de l'Etat aux écoles nationales de musique, car cela accréditérait l'idée que l'Etat « soutient », alors qu'il doit « porter », et je ne veux pas croire que l'Etat puisse se désengager de cette responsabilité concernant la formation professionnelle - ce « concours » de l'Etat, donc, est apporté dans des conditions qui, elles-mêmes, posent problème. Nous ne savons pas, en début d'année, à quel niveau il sera fixé. Nous devons nous estimer heureux lorsque nous apprenons en fin d'année qu'il n'a pas été excessivement réduit par rapport à ce qu'il était l'année précédente. La régulation, enfin, ou la déconcentration étant invoquées comme alibi, il est, dans le meilleur des cas, payé si tardivement, que c'est parfois l'année suivante !
J'appelle votre attention sur ce point, madame le ministre : la nouvelle comptabilité communale M14 l'interdit désormais.
Imaginez un instant que le compte administratif d'une ville ne puisse pas être arrêté en équilibre pour la seule raison que l'Etat n'aurait pas rempli en temps et en heure ses obligations. Vous imaginez les réactions du préfet ou de la chambre régionale des comptes ! Si j'évoque cette question, c'est que j'en ai déjà menacé notre préfet. Il m'a dit : « Ne faites pas ça ». Je lui ai répondu : « Mais si, je vais le faire ! »
Il se trouve que, dans une petite ville, ce n'est pas une simple hypothèse d'école puisque les charges d'une école nationale de musique sont loin d'y être marginales - cela représente 10 % du budget de ma ville - et que l'obtention ou non de ce qui reste une dette de l'Etat peut effectivement déséquilibrer complètement le compte communal.
Mais j'arrête sur cette question particulière, même et surtout si elle est irritante, qui ne visait qu'à illustrer un propos plus général.
Madame le ministre, il est temps qu'une loi sur la musique vienne restaurer l'harmonie qui doit régner dans ce domaine - et c'est à dessein que j'emploie le mot : « harmonie ». Cette loi devra élever le débat à la fois en rappelant quelle place doit tenir la musique dans notre société, en apportant des solutions à une foule de problèmes apparemment subalternes comme celui que j'évoquais à l'instant. Cette loi était prévue par votre prédécesseur, mon ami M. Philippe Douste-Blazy. Envisagez-vous, madame la ministre, d'en reprendre la principe ? Cela me paraît souhaitable tellement les problèmes sont nombreux et le champ à couvrir vaste.
Je viens de m'arrêter sur un des sujets à traiter, celui des formations professionnelles. Permettez-moi d'en aborder rapidement un autre : comment faire pour qu'on puisse parler de « Conservatoire dans la ville » ou de « musique offerte à tous ».
A mon sens, deux axes doivent être privilégiés pour cela : d'une part développer les initiations à la musique dans nos écoles primaires, par la participation d'intervenants de grande qualité venant de nos conservatoires et qui, sans se substituer à l'instituteur, mais avec lui, feront accéder nos enfants à la musique dans les meilleures conditions pédagogiques et de qualité musicale ; d'autre part, faire en sorte que le maximum d'enfants puissent en profiter.
Là aussi, vous avez devant vous un immense chantier. Vous en mesurez certainement l'enjeu. Il s'agit bien de l'éducation générale de nos enfants. Il s'agit aussi de faire en sorte que les conservatoires, dont le coût serait supporté alors par tous apparaissent bien au service de tous et non d'une petite minorité d'élèves qui fréquentent leurs cours. Le conservatoire dans la ville, c'est vraiment le violoniste de Menuhin qui ouvre le dialogue avec le comptable ! Il y va de l'avenir de la musique dans nos villes et dans notre société !
Au moment de conclure, madame la ministre, j'évoque un dernier sujet dont M. Schumann traitait déjà dans son remarquable rapport introductif. Vous réfléchissez, je crois, à la mise en place d'une grande direction du spectacle. Certes, le spectacle est une finalité naturelle de la musique : si le musicien trouve son bonheur en jouant pour lui-même ou pour ses proches, il s'épanouit pleinement en concert. Si vous allez effectivement dans le sens de cette restructuration de votre administration, il faudra, madame la ministre, que la musique et la danse ne se retrouvent pas sacrifiées sur la « scène » de spectacles parfois plus facilement accessibles à tous. Il sera également indispensable que votre administration n'oublie pas que la musique ce n'est pas que du spectacle. C'est aussi, je viens d'essayer de le démontrer, entre autres, des formations professionnelles ou une initiation en milieu scolaire.
Mes chers collègues, la musique, c'est bien plus que du spectacle, c'est la vie, et il faut que cela dure !
Quant à la danse, Paul Valéry n'en faisait-il pas « l'expression la plus achevée de l'âme » ?
Malgré ces observations, que, j'espère, vous prendrez plutôt comme des invitations à faire toujours mieux dans un domaine cher à beaucoup d'entre nous, je vous confirme, madame la ministre, que le groupe de l'Union centriste adoptera votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Maman.
M. André Maman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de budget du ministère de la culture, que le Gouvernement soumet à l'appréciation de notre assemblée, est plutôt bon. MM. les rapporteurs, dans leurs excellents rapports, l'ont déjà dit ; les intervenants avant moi aussi.
En effet, pour la première fois depuis plusieurs années, il progresse, de manière sensible, pour s'élever à un peu plus de 15 milliards de francs, ce qui représente une progression de 3,8 % par rapport à 1997. Il semble ainsi témoigner de l'importance qui est accordée à la culture par le Gouvernement, ce qui est d'autant plus remarquable, si l'on compare avec le budget global de l'Etat, dont la progression est de 1,6 %.
Si l'on doit se féliciter de voir les crédits du ministère de la culture progresser, il convient pourtant de formuler quelques observations, qui seront de nature à mettre en perspective ce relèvement des crédits dans ce domaine. Pour ma part, je tiens à souligner trois points.
Tout d'abord, le projet de budget du ministère de la culture pour l'année 1998 se limitera à 0,95 % des charges de l'Etat et se maintiendra donc en deçà de l'objectif du 1 % culturel, ce qu'il convient de regretter.
Ensuite, comme l'a très bien fait remarquer, notre excellent collègue M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, il convient de ramener cette proportion à 0,85 %, compte tenu des transferts de compétences qui sont intervenus au cours des deux derniers exercices.
Enfin, il s'agit de resituer ce projet de budget dans le contexte favorable de la diminution des crédits destinés aux grands travaux. Néanmoins, et en dépit de ces précisions, il faut naturellement se réjouir de l'augmentation des fonds alloués à la culture, qui est supérieure, rappelons-le, à celle du budget de l'Etat, et qui témoigne de l'importance toute particulière que le Gouvernement attache au domaine culturel.
L'évolution des crédits ayant été finement analysée avant moi, je me bornerai à faire quelques remarques sur vos choix et sur vos orientations, madame la ministre.
Je soulignerai tout d'abord l'important effort que vous consacrez à la politique de protection de notre patrimoine. En effet, et l'on peut s'en réjouir, le projet de budget que vous nous proposez accorde une place de choix aux crédits du patrimoine, puisque ce secteur connaîtra une augmentation de 40 % de ses dépenses.
Nous savons que le ministère de la culture envisage, pour 1998, le démarrage de chantiers visant à remettre en état certaines grandes institutions culturelles, comme le théâtre national de l'Odéon ou encore le Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou.
Nous ne pouvons que nous féliciter du rôle important dévolu à l'Etat dans ce domaine, car nos concitoyens tiennent fortement à la conservation, à la protection et à la valorisation de leur patrimoine. Ils y sont de plus en plus sensibles. La visite des monuments historiques, par exemple, est devenue l'une des pratiques favorites des Français. L'incroyable succès que rencontrent tous les ans les Journées du patrimoine, pendant lesquelles les Français sont invités à visiter des monuments habituellement difficiles d'accès, en témoigne largement.
Madame la ministre, l'importance de l'effort consenti par votre ministère en faveur de ce patrimoine est d'autant plus louable que cela devrait permettre d'apporter une contribution non négligeable à la politique de lutte contre le chômage. Ces travaux seront, sans aucun doute, créateurs d'emplois, et l'on ne peut qu'être satisfait d'une telle perspective.
Ensuite, et c'est le deuxième point que j'aimerais aborder maintenant, vous avez manifesté votre volonté de ne pas consacrer la majeure partie de ces crédits au patrimoine parisien, mais, au contraire, de favoriser le développement des grands projets régionaux.
La culture est l'instrument par excellence de l'unité nationale et, à cet égard, les grands projets régionaux illustrent bien le rôle, trop souvent sous-estimé malheureusement, que doit jouer la culture dans une stratégie d'aménagement du territoire. De ce point de vue, le projet de budget que vous proposez semble aller là encore dans le bon sens puisque 162 millions de francs seront affectés, en 1998, à l'avancement de onze grands projets en région.
Cette volonté de ne pas se consacrer exclusivement au patrimoine parisien vous honore, madame la ministre, et ce rééquilibrage des dépenses vers la province témoigne d'une certaine vision territoriale de l'action culturelle de l'Etat. Cette action en faveur de la décentralisation culturelle et l'amélioration des équilibres entre la capitale et la province me semblent aller dans la bonne direction et contribue à la mise en place d'un véritable aménagement culturel du territoire. Même si ce mouvement a été initié par certains de vos prédécesseurs, il nous faut vous féliciter, madame la ministre, de le prolonger.
Enfin je tiens à vous rendre justice et à saluer la volonté dont vous faites preuve pour renforcer l'enseignement artistique et culturel, tant dans le milieu scolaire que dans les établissements spécialisés. En effet, le montant des crédits consacrés à ce secteur connaît une progression sensible de 6,9 % en ce qui concerne les dépenses ordinaires et de 40,3 % en ce qui concerne les autorisations de programmes. Ainsi, il faut se féliciter que de nouveaux moyens soient affectés à l'éducation culturelle et artistique. L'enjeu est naturellement de favoriser l'accès du plus grand nombre à la culture. C'est là une condition essentielle de la démocratisation de l'action culturelle.
Les rapporteurs et plusieurs intervenants l'ont déjà dit, la culture doit être pour tout le monde, et non pas seulement la culture que l'on donne, mais aussi celle que l'on crée soi-même. Il faut participer. Il est capital que le plus grand nombre de personnes puissent avoir accès aux activités culturelles où qu'elles se trouvent sur notre territoire.
Nous devons tous nous réjouir que vous inscriviez votre démarche dans cette longue tradition française, depuis André Malraux, selon laquelle la culture est un enjeu démocratique de premier ordre.
Je souhaiterais, maintenant, madame la ministre, attirer votre attention sur un point, qui me paraît mériter une attention toute particulière.
Il me semble, en effet, que la révolution des échanges que le monde connaît actuellement exige une politique culturelle ouverte. Notre pays, en effet, a trop souvent tendance à adopter une attitude de repli que je crois préjudiciable. La culture ne se résume pas, de manière exclusive, à la conservation de notre patrimoine national. Elle doit, à tout prix, éviter de s'enfermer à l'intérieur de sa tradition particulière, et ce même si cette dernière s'est toujours prévalue d'une vocation universelle. A l'inverse, notre politique culturelle doit s'ouvrir aux autres sociétés, tant au sein de l'Union européenne que dans le reste du monde.
L'enjeu d'une telle ouverture est de favoriser l'accès de nos concitoyens à des cultures qu'ils ignorent malheureusement trop souvent, et sans lesquelles la pleine compréhension du monde qui les entoure devient difficile, voire impossible. Je suis convaincu que la préservation de la connaissance de notre langue et de la diffusion de notre culture ne passera que par la capacité de notre pays à s'ouvrir aux autres et à participer, avec ces derniers, à des projets de création d'envergure européenne ou internationale.
A cet égard, madame la ministre, en tant que sénateur des Français établis hors de France, je crois vraiment qu'il est indispensable de porter une attention toute particulière à l'ensemble des associations culturelles françaises qui, à l'étranger, oeuvrent à la promotion des relations entre la France et les autres pays. Ces liens prennent la forme de manifestations diverses : expositions, concerts, rencontres, etc., et ne peuvent perturber qu'à la condition que notre pays soutienne l'ensemble de ces initiatives. Les organisateurs se sentent trop souvent isolés et ne rencontrent pas toujours l'aide nécessaire pour mener à terme leurs projets.
Je souhaite que vous portiez également votre attention à cet aspect de la culture, celle des Français de l'étranger et ce, afin de promouvoir des rapports de plus en plus étroits entre notre pays et les autres peuples.
En conclusion, madame la ministre, pour toutes les raisons que j'ai évoquées précédemment, et me rangeant à l'avis de la commission des affaires culturelles à laquelle j'appartiens, je voterai, ainsi que mes collègues du groupe des non-inscrits, le budget que vous nous proposez.
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, en ce jour où nous examinons le budget de la culture, de saluer la mémoire d'une grande chanteuse, grande poétesse, qui nous a quittés cette semaine, Barbara et de lui rendre hommage.
Les commissions des finances et des affaires culturelles du Sénat ont voté votre projet de budget, madame la ministre, nous pouvons nous en réjouir, mais ce consensus sur l'effort budgétaire qui a été fourni cette année ne doit cependant pas masquer la rupture fondamentale que représente, me semble-t-il, ce budget de la culture par rapport à ceux des quatre années précédentes.
Le Gouvernement, qui a décidé d'inverser la tendance, s'est engagé à terme à porter à nouveau le budget de la culture au niveau symbolique de 1 % du budget de l'Etat conformément à l'engagement pris par M. le Premier ministre dans son discours de politique générale à l'Assemblée nationale au mois de juin dernier.
Cette promesse, nous ne sommes pas les seuls à l'avoir affichée, mais force est de constater que nous sommes les seuls à la tenir. Dans un contexte de rigueur budgétaire qui n'est pas moins contraignant que l'année dernière, le budget de la culture bénéficie, avec celui de la justice, de la plus forte augmentation au sein du budget de l'Etat.
Il va sans dire que l'importance donnée à la culture dans notre pays dépend de choix politiques profonds. Permettez-moi de constater que seuls les gouvernements de gauche ont fait progresser les crédits qui lui sont alloués. Ceux-ci sont en effet passés de moins de 0,50 % du budget en 1981 à 1 % dans la loi de finances initiale de 1993. Durant cette période, ils ont constamment progressé, sauf, bien entendu, entre 1986 et 1988. Depuis 1993, en revanche, ils ont chuté de façon vertigineuse. Malgré les différents habillages, le budget de la culture, à périmètre constant, a subi une baisse de 20 % depuis 1993.
Il est une autre différence, mes chers collègues, qui n'est pas sans importance, même si elle peut vous paraître anecdotique : c'est cette fois sans tour de passe-passe que le budget pour l'année prochaine nous est présenté, et son augmentation, à structure constante, représente bel et bien 3,8 %.
C'est encore insuffisant peut-être, mais nous avons inversé la tendance et nous sommes sur la bonne voie.
On entend souvent dire que la culture est un facteur d'intégration et qu'elle contribue à construire le lien social. Pour le dire plus simplement, je dirai que, si la culture est un luxe, c'est un luxe dont on ne peut se passer, c'est même le dernier recours dans certaines situations. La vigueur et le dynamisme de la création dans les quartiers d'exclusion sociale et économique sont là pour l'attester.
Aussi commencerai-je par évoquer les sujets qui sont particulièrement chers au groupe socialiste : la démocratisation de la culture et le soutien aux artistes et à la création contemporaine. J'évoquerai ensuite l'effort important qui est fait pour le patrimoine, non pas dans la seule perspective de protéger la mémoire mais aussi dans un projet d'avenir où le cadre de vie devient le nouveau décor de la démocratie.
J'examinerai d'abord comment votre budget favorise l'accès à la culture, madame la ministre.
Il s'agit de permettre à la fois la diffusion des oeuvres et de susciter l'intérêt de publics de plus en plus larges.
Est-il besoin de le préciser ? L'intervention de l'Etat dans le domaine culturel est tout à fait légitime.
Je pense cependant que les missions de service public doivent y être redéfinies. Je salue donc votre projet d'une charte du service public pour le spectacle vivant. Celle-ci sera sans doute l'occasion d'une large réflexion menée avec les acteurs culturels et les collectivités territoriales. Ce n'est, en effet, qu'avec eux que peut se définir cette mission de service public. Et nous pourrions aller plus loin, en étendant peut-être le principe de cette charte à l'ensemble des pratiques artistiques.
Permettez-moi simplement de faire remarquer qu'aujourd'hui le public continue d'éprouver parfois un sentiment d'exclusion par rapport à la création contemporaine. Pour les arts de la scène notamment, la reconquête du public n'est pas une mince affaire !
Vous l'avez fort bien exprimé, madame la ministre : « S'il doit à tout prix protéger la liberté de création, l'Etat ne peut pas être un pur mécène, comme il ne peut imposer un art et des artistes officiels. Il ne saurait oublier son devoir de démocratisation de la pratique artistique. »
L'éducation est le premier axe d'une politique de démocratisation de la culture. Cette mission devrait être au centre des obligations des établissements culturels subventionnés par le ministère de la culture.
Il s'agit tout d'abord de susciter la curiosité et l'intérêt dès le plus jeune âge et 55 millions de francs de crédits supplémentaires seront affectés aux actions artistiques en milieu scolaire. Notons à cet égard que plus d'un million de jeunes seront bientôt concernés par les actions en leur faveur dans le domaine du cinéma. En outre, 1,5 million de francs supplémentaires seront destinés à la promotion de la lecture à l'école primaire et à l'université.
Par ailleurs, les 23 millions de francs qui seront engagés dans une contractualisation avec les collectivités territoriales contribueront également à ces différentes actions.
Nous pensons que les actions d'éducation artistique en milieu scolaire devraient être confortées et développées. Je suis consciente de la difficulté que cela représente, notamment parce que les propositions dans ce domaine dépendent largement du ministère de l'éducation nationale. Envisagez-vous d'engager un travail interministériel sur cette question ?
Par ailleurs, il me semble que nous devrions associer davantage les artistes à ce type d'opération. Malgré les apparences, ils sont souvent ravis de faire ce travail. Vous savez comme moi que des peintres aussi reconnus que Gérard Garouste, Robert Combas ou Di Rosa s'investissent depuis plusieurs années avec des enfants en difficulté.
Il s'agit ensuite de renforcer les enseignements spécialisés dans les différentes activités artistiques. A ce titre, les subventions de fonctionnement versées aux établissements nationaux d'enseignement progressent sensiblement cette année - 11,9 % par rapport à 1997 - et 220 millions de francs sont destinés aux écoles d'art, cela méritait d'être souligné.
De façon générale, l'action culturelle est au coeur de votre projet, madame la ministre. La délégation au développement et aux formations, dont les initiatives sont orientées vers les quartiers défavorisés, l'éducation artistique, la politique de la ville voit ses crédits augmenter de 9,5 %. Ceux-ci avaient chuté, je le rappelle, de 15 % en 1997, ce qui était bien le signe du peu d'attention portée par le gouvernement précédent à la fracture sociale, malgré ses déclarations fracassantes. Permettez-moi cependant de m'interroger sur la façon dont ces différentes actions seront concrètement menées. En effet, cette délégation est quelque peu à la dérive. Sera-t-elle encore l'instrument clé de cette politique ?
La démocratisation de la culture, comme toute forme de démocratisation d'ailleurs, est en grande partie une question de proximité. C'est pourquoi, madame la ministre, nous nous félicitons que vous intensifiez le mouvement de déconcentration. La déconcentration, ce n'est pas moins d'Etat, c'est un Etat plus proche des gens.
Mais le grand danger de la déconcentration, vous le savez, c'est le risque de clientélisme ou d'arbitraire. Rapprocher les lieux de décision, c'est aussi rapprocher les conflits d'intérêts. Nous avons tous entendu les inquiétudes d'une partie de la profession après votre décision de déconcentrer l'ensemble des crédits d'intervention du ministère vers les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC. Il faut répondre à cette inquiétude et offrir la garantie que cette déconcentration ne se traduira pas par des disparités choquantes. Et vous avez raison, madame la ministre, lorsque vous déclarez que les responsables des directions régionales des affaires culturelles doivent être mieux reconnus. Il faut qu'ils deviennent des interlocuteurs à part entière, au fait des préoccupation des artistes.
Par ailleurs, pourrez-vous nous donner des précisions sur la façon dont ces crédits vont être affectés par secteur au sein de ces mêmes DRAC ? En effet, la globalisation des crédits est une source d'inquiétude légitime pour les acteurs culturels. Je rejoins sur ce point les remarques et les interrogations de notre rapporteur pour avis, M. Philippe Nachbar.
Permettez-moi maintenant, à propos de la déconcentration, d'ouvrir une parenthèse sur le rééquilibrage entre Paris et la province.
Le Gouvernement en avait fait sa priorité l'année dernière, mais les chiffres contredisaient ces effets d'affichage. En effet, si les actions du ministère ne sont pas encore réparties assez équitablement sur l'ensemble du territoire français, les monuments historiques, eux, le sont. C'est pourquoi la réduction importante des crédits du patrimoine l'année dernière était en totale contradiction avec l'objectif affiché de rééquilibrer le rapport Paris-province.
Cette année, l'effort demeurera encore insuffisant, mais nous pouvons relever des évolutions importantes. L'augmentation des crédits d'investissements pour la restauration du patrimoine - cela a été rappelé longuement par M. le rapporteur spécial - ainsi que la hausse des crédits d'intervention du titre IV vont bénéficier principalement à la province. Par ailleurs, de grands projets régionaux continuent d'être soutenus : il s'agit du Centre de costumes et accessoires de Moulins ou encore de la création du Centre de mémoire contemporaine à Reims, dont les crédits avaient été annulés les années précédentes.
Toutefois, malgré ces efforts, Paris et l'Ile-de-France continuent de bénéficier de 50 % des crédits du ministère. C'est la localisation de la quasi-totalité des établissements publics nationaux à Paris qui fait obstacle à un véritable rééquilibrage du budget en faveur de la province. C'est pourquoi j'attire votre attention sur le fait que l'action culturelle de proximité dans la région d'Ile-de-France n'est pas globalement plus soutenue qu'ailleurs.
Enfin, on connaît la participation importante des villes au financement de la culture, elle s'élève en moyenne à près de 40 %. Or, les dépenses culturelles de la ville de Paris demeurent très en dessous de la moyenne des villes de province représentant seulement 7 % à 8 % du budget municipal. L'engagement financier de l'Etat dans la capitale a, me semble-t-il, clairement partie liée avec la faiblesse de l'engagement financier de la Ville de Paris.
Je voudrais insister maintenant sur l'un des obstacles à la démocratisation de la culture, particulièrement pour le spectacle vivant. Je veux parler des tarifs souvent excessifs qui sont pratiqués. Envisagez-vous, madame la ministre, de faire en sorte que l'argent cesse d'être un obstacle pour l'accès à la culture ?
J'en viens au second point de mon exposé : le soutien aux artistes et à la création contemporaine est une priorité. Sans ce soutien, toute politique de démocratisation de la culture est vouée à l'échec. Inversement, toute politique active de soutien à la création est vouée à l'échec si elle ne s'accompagne pas d'une politique de démocratisation de la culture. Je ne crois pas qu'un artiste puisse faire du bon travail s'il n'a pas le souci d'être ancré dans la cité et de rendre son oeuvre accessible.
A ce titre, la priorité donnée cette année au spectacle vivant est une bonne chose, car ce secteur avait grandement pâti des coupes budgétaires de l'année dernière. Au total, le budget de la direction du théâtre et des spectacles augmente de 12 %.
Le soutien à la création théâtrale et aux arts de la rue bénéficie, quant à lui, de 8 millions de francs supplémentaires. C'est donc mieux, mais c'est peut-être encore insuffisant.
Le spectacle vivant, ce n'est un secret pour personne, représente, en effet, et cela depuis de nombreuses années, un système bloqué, organisé autour de quelques places fortes, les scènes nationales, qui absorbent presque toutes les subventions. Il ne s'agit pas de remettre en cause leur travail, qui est d'une grande qualité ; il s'agit de rompre avec cette logique et de dire, en quelque sorte, « place aux jeunes ».
Cette année, le secteur du cinéma n'est pas sacrifié. Les crédits budgétaires du Centre national de la cinématographie augmentent même de 3,8 %. Rappelons qu'ils avaient chuté de 25 % l'année dernière. Les crédits du compte de soutien, quant à eux, augmentent de 5,8 %. C'est important lorsqu'on sait que le besoin de fiction est au centre de la révolution satellitaire que nous vivons aujourd'hui. Mais ce sujet a été excellemment traité par mon collègue Marcel Vidal, et je ne m'y attarderai donc pas.
Dans le domaine des arts plastiques, les crédits d'intervention progressent de 15,5 millions de francs. Les crédits de commande publique et d'achat d'oeuvres augmentent de 9,8 %. Là encore, l'effort supplémentaire est important. Je suis pour ma part très attachée à la politique de commande publique, qui est la marque la plus sûre du soutien apporté aux artistes d'aujourd'hui.
Mes chers collègues, je pourrais encore vous citer de nombreux chiffres en augmentation, de nombreuses sommes supplémentaires destinées à soutenir les diverses activités artistiques qui font la richesse de notre culture et pratiquer aussi une comparaison systématique de ce projet de budget avec le budget pour 1997. Vous l'avez vu comme moi dans le bleu de cette année, les signes « plus » ont remplacé les signes « moins ».
Je me permettrai néanmoins de rappeler les désastres auxquels donne lieu la pratique des gels de crédits, et cela plus particulièrement pour les petites structures, qui sont alors contraintes de déposer leur bilan dans l'attente des sommes promises. Le gouvernement précédent excellait, hélas ! dans ce type de pratiques. Madame la ministre, il faut aujourd'hui rompre définitivement avec ces pratiques, d'autant plus qu'en réalité les gels de crédits sont souvent suivis par leur annulation.
Pour finir, et parce que je sais combien mes collègues du Sénat avaient été sensibles à ce thème l'année dernière, je parlerai de l'une des grandes priorités de ce budget : la restauration des crédits du patrimoine.
La réduction draconienne qu'avait subie ce secteur l'année dernière, en dépit d'une loi de programme votée par cette même majorité, avait mis en péril un grand nombre d'emplois et de savoir-faire. On avait estimé à pas moins de 3 000 à 4 000 le nombre d'emplois menacés dans le secteur. Il était donc essentiel de rétablir ces crédits. Cette année, ils augmentent de 32,8 %.
Mais ce qui est le plus novateur dans ce budget, et à mon avis fort judicieux, c'est la fusion entre la direction du patrimoine et celle de l'architecture. Madame la ministre, vous l'avez affirmé avec force : « Notre société est mise au défi de créer une civilisation où chacun trouve sa place ».
C'est parce que le rétablissement des crédits du patrimoine s'accompagne des mesures nouvelles importantes en faveur de l'architecture, dont les crédits augmentent de 6 %, que ce chapitre budgétaire n'est pas seulement un hommage au passé ; il permet d'inventer aussi les espaces de l'avenir. La vie urbaine est source d'angoisse pour nos concitoyens. C'est pourquoi une politique de construction du cadre de vie est au coeur de l'action culturelle.
La fusion entre les directions que j'ai évoquées n'est donc pas simplement le fait d'une rationalisation administrative. C'est aussi et surtout, me semble-t-il, le signe d'un projet culturel ambitieux, que je salue.
Quel est notre passé ? Quel sera notre avenir ? Qui sommes-nous ? Ce sont les questions qui nous taraudent, aujourd'hui comme hier. C'est à ces questions que veulent répondre les falsificateurs d'aujourd'hui, qui prônent le repli identitaire et la haine, et c'est pour répondre autrement à cette inquiétude que nous avons un projet culturel.
Enfin, les priorités affichées par ce budget, ainsi que l'engagement de l'Etat dans le soutien à la culture française, c'est ce qui fonde en partie l'exception culturelle prônée par la France. Notre pays s'est battu sur la scène internationale pour défendre ce principe. Nous avons su démontrer que les biens culturels ne sont pas de simples marchandises. Mais, aujourd'hui, nous sommes inquiets, madame la ministre, mon collègue M. Vidal l'a rappelé.
En effet, cette exception risque d'être battue en brèche par les négociations actuellement en cours à l'OCDE sur l'accord multilatérel sur l'investissement. Je me joins à mon collègue M. Vidal pour vous demander si vous pouvez nous préciser où en sont ces négociations et quelle sera la position de la France.
En conclusion, je dirai que ce budget de reconstruction, dans tous les sens du terme, montre la voie d'une importance grandissante accordée à la culture, qui, je n'en doute pas, avec notre soutien, verra ses moyens augmenter encore dans les années à venir.
Victor Hugo disait à ceux qui voulaient réduire les crédits alloués à la littérature et aux arts : « On pourvoit à l'éclairage des villes, on allume tous les soirs, et on fait très bien, des réverbères dans les carrefours, dans les places publiques ; quand donc comprendra-t-on que la nuit peut se faire aussi dans le monde moral, et qu'il faut allumer des flambeaux pour les esprits ? »
Eh bien, madame la ministre, il me semble que vous l'avez compris, et nous voterons votre budget. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)