M. le président. « Art. 27 bis . - Il est inséré, après le 2 de l'article 39 du code général des impôts, un 2 bis ainsi rédigé :
« 2 bis. Pour les contrats conclus au cours d'exercices ouverts à compter de l'entrée en vigueur de la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, les sommes versées ou les avantages octroyés, directement ou par des intermédiaires, au profit d'un agent public au sens du 4 de l'article 1 de ladite convention ou d'un tiers pour que cet agent agisse ou s'abstienne d'agir dans l'exécution de fonctions officielles, en vue d'obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indu dans des transactions commerciales internationales, ne sont pas admises en déduction des bénéfices soumis à l'impôt. »
Par amendement n° 14, M. Lambert, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
La parole est M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Cet article a pour objet de rendre non déductibles des sommes versées au profit d'agents publics étrangers en vue d'obtenir des avantages dans les transactions internationales.
Il a des objectifs louables mais, malheureusement, emploie de mauvais moyens juridiques.
La convention à laquelle il est fait référence consiste aujourd'hui en un texte, provisoire, qui devrait être signé le 17 décembre prochain. Il devrait être soumis au Parlement pour autorisation de ratification d'ici à la fin de l'année 1998.
Toutefois, il semble que les dispositions fiscales envisagées ne constituent pas véritablement un élément d'application de la convention. L'ensemble du texte de la convention fait référence à la création ou au renforcement des sanctions pénales. De plus, cet article soulève des difficultés juridiques majeures.
La France doit ratifier la convention sur la lutte contre la corruption internationale d'ici à la fin de l'année 1998 et la transposer corrélativement en droit pénal interne. Le texte pénal indispensable à la mise en oeuvre de dispositions fiscales complémentaires n'existe donc pas encore en droit interne.
Le déroulement logique de la procédure législative aurait dû consister, d'abord, à procéder à une transposition en droit pénal de la convention et, ensuite, sur le fondement de cette transposition, à déterminer des compléments de sanctions de nature fiscale.
Le texte du présent article ne fait effectivement référence à aucune procédure judiciaire. Or, il s'agirait bien de sanctionner des contribuables sur le fondement d'une infraction pénale : il ne peut revenir à l'administration fiscale de déterminer elle-même des actes constitutifs d'une infraction pénale.
Enfin, sur le fond, le Gouvernement dit vouloir lutter contre la corruption par cette mesure fiscale. Permettez-moi de faire deux remarques.
D'abord, cet article aurait un champ très réduit puisqu'il ne s'appliquera ni aux agents publics français, ni aux personnes privées. Il restera donc un champ très large pour faire des versements illicites dans le cadre de contrats internationaux.
Ensuite, il serait naïf de croire que le seul fait de la non-déductibilité des sommes versées serait un obstacle à la corruption.
Si la lutte contre la corruption emprunte la voie fiscale, il convient que - et cela paraît également légitime - toutes les garanties soient données au contribuable.
Pour toutes ces raisons, il est donc proposé non pas de rejeter dans son principe une disposition de cette nature, mais d'attendre la signature de la convention relative à la corruption des agents publics étrangers et de préciser alors, avec les garanties juridiques nécessaires, les conditions de mise en oeuvre de dispositions visant à lutter contre la corruption, dont les plus importantes devront s'appuyer sur la définition précise d'infractions pénales.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. J'avoue être surpris par le dépôt de cet amendement de la commission des finances.
Lorsque nous avons examiné le projet de loi de finances pour 1998, j'avais indiqué que la convention internationale sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers était sur le point d'être finalisée. Elle sera effectivement signée par la France et les autres pays concernés le 17 décembre prochain, c'est-à-dire dans deux jours.
Dès l'instant où la convention est signée, je ne vois pas de raison de retarder sa transcription dans notre droit national. En effet, je pense que chacun est attaché à lutter contre la corruption que cette convention vise à traquer. Aussi la position d'attente du rapporteur général me surprend-elle quelque peu.
Monsieur le rapporteur général, vous avez évoqué un argument d'ordre fiscal. En effet, vous vous êtes étonné que la remise en cause de la déduction puisse intervenir en l'absence de condamnation pénale définitive. Je dois rappeler qu'il s'agit là d'un principe général en matière fiscale, qui ne subordonne pas la réintégration de sommes correspondant à des pratiques délictueuses à l'engagement ou a fortiori à l'aboutissement de poursuites pénales. Toutefois, l'action des services de contrôle est clairement encadrée - et vous y êtes justement attaché - par la référence faite à la convention et à sa définition très claire de la corruption et de l'agent public.
Ce texte constitue donc un élément important de sécurité juridique pour les entreprises. Après vous avoir donné ces précisions, aussi bien sur les délais d'application que sur le fond, je vous suggère donc de retirer cet amendement. En effet, loin de moi l'idée que vous ne soyez pas, comme nous tous, un combattant acharné de la lutte contre la corruption. Si vous ne retirez pas cet amendement, je demanderai au Sénat de bien vouloir le rejeter.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je prends acte du fait que M. le secrétaire d'Etat ne peut pas penser un instant que la Haute Assemblée puisse ne pas être à ses côtés pour lutter contre la corruption.
Je tiens tout de même à apporter une précision. Lorsque nous légiférons, il est tout de même quelques précautions à prendre. Dès lors que l'on entre dans un processus qui consiste à appliquer des conventions qui ne sont pas encore signées et qui doivent faire l'objet d'une autorisation de ratification par le Parlement, on commence à confondre vitesse et précipitation. C'est ce qui conduit la commission des finances, sans aucun complexe, à proposer le rejet de ce dispositif.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 14.
M. René Régnault. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Régnault.
M. René Régnault. Monsieur le rapporteur général, je croyais que vous alliez nous éviter de nous exprimer davantage sur la question. En effet, j'avais imaginé que l'explication de M. le secrétaire d'Etat allait vous satisfaire.
En vous écoutant défendre cet amendement, j'ai pensé, monsieur le rapporteur général, que vous vous en teniez à la procédure pour éviter de vous exprimer sur le fond. (Sourires.) Puis vous avez poursuivi en abordant le fond. Enfin, vous avez terminé en disant que vous ne rejetiez pas le principe d'une telle disposition, mais que vous souhaitiez attendre la signature de la convention.
Tout compte fait, votre position est donc liée à la signature de cette convention. Or, M. le secrétaire d'Etat vient de nous dire à l'instant que la signature de cette convention est plus qu'imminente puisqu'elle doit avoir lieu dans quarante-huit heures. Il n'y a donc plus de doute sur sa réalité.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Le Parlement vote des lois, il ne fait pas du journalisme !
M. René Régnault. Eu égard à l'enjeu - en l'occurrence, il s'agit bien, chacun en convient, de lutter contre la corruption - la Haute Assemblée, quelle que soit la travée sur laquelle on siège, ne peut que continuer à s'honorer de vouloir entreprendre la lutte contre la corruption et d'accompagner le Gouvernement dans les démarches qu'il entreprend à cet effet.
Aussi, je ne comprends pas pourquoi cet amendement est maintenu. Dans ces conditions, nous voterons catégoriquement contre.
M. Marc Massion. Très bien !
M. Jacques Habert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Le Gouvernement ne me semble pas logique avec lui-même.
Tout à l'heure, s'agissant des amendements Cluzel qui se référaient à une formule qui n'est pas encore en vigueur et visaient à remplacer les « services de télévision » par les « services de communication audiovisuelle », le Gouvernement a dit qu'il ne convenait pas encore d'employer cette « prévoyance d'anticipation », pour reprendre une formule qui a été utilisée.
En l'occurrence, il s'agit d'inscrire dans la loi des dispositions s'appuyant sur une convention qui sera sans doute signée dans deux jours. Or, pour maintes conventions, les projets de loi visant à autoriser leur ratification ont été soumis au Parlement des années après leur signature.
Par conséquent, pour la raison que vous avez invoquée tout à l'heure à l'encontre des amendements Cluzel, nous devons repousser ces prévoyances d'anticipation et donc ne pas inscrire dans la loi une disposition qui, normalement, n'y figure jamais.
Nous sommes tous contre la corruption,...
M. Marc Massion. On se demande !
M. Jacques Habert. ... mais il n'y a pas lieu de se précipiter et de faire référence à une convention qui n'est pas encore signée et dont on ne sait quand elle sera ratifiée. Par conséquent, nous voterons l'amendement de la commission.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 14, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 27 bis est supprimé.
Articles 27 ter et 27 quater